CLASSROOM V7,5 : CHAPITRE 3


Chacun fait sa vie

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Traduction : Zuda
Correction : Nova
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1

Nous étions le 24 décembre, le jour du réveillon de Noël. Il était notoire que les couples s’apprêtaient à passer leur temps ensemble dans la joie et la bonne humeur. Cela concernait finalement bien peu d’élèves mais, toutefois, la plupart parlait tout de même de faire quelque chose pour l’occasion. J’admets que j’avais du mal à comprendre pourquoi.

Je sortis de chez moi très tôt, à 7h00 du matin. C’était suffisamment rare pour être noté. J’avais deux rendez-vous concernant deux sujets totalement différents. J’avais moi-même planifié le premier alors que, pour l’autre, on m’avait invité. C’était vraiment pas anodin.

Alors que je sortais du dortoir, je pus voir que tous les alentours étaient recouverts de blanc. Je me retrouvais donc dans un décor typique pour représenter l’hiver.

Moi — Donc voilà à quoi ça ressemble… un paysage enneigé.

La beauté de la nature était vraiment fascinante. La neige était encore en train de tomber abondamment, mais à en croire les prévisions météo, cela allait s’arrêter aux alentours de 7h00, donc dans pas si longtemps. C’était sans doute à cause de la vue de ce paysage enneigé, mais j’avais l’impression de ressentir bien plus le froid, alors que pourtant il faisait à peu près la même température que la veille. Je regrettais presque de ne pas avoir pris les moufles, avant de me dire que la fraîcheur était sûrement due au fait qu’il était encore assez tôt le matin. Et oui, la majorité des élèves n’était même pas debout !

Moi — Qu’est-ce qu’on se les pelle…

Sur le banc se trouvant juste à l’entrée du centre commercial Keyaki, il n’y avait pas le signe de la moindre présence, comme il fallait s’y attendre. Après avoir enlevé la neige sur le banc, je m’assis dessus. Et à peu près au même moment où la neige s’était arrêtée, cette personne apparut.

— Hey, normalement on donne pas rendez-vous à quelqu’un aussi tôt le matin.

Celui qui me lança cela était le leader de la classe C, Ryuuen Kakeru, ou devais-je dire l’ancien leader. Il me lança un regard noir.

Moi — J’étais bien obligé de t’appeler à une heure où il n’y aurait personne dans les alentours.

Ryuuen — Ça c’est ton problème je te signale !

Je le comprenais un peu. Il était vrai que le seul gêné par le fait que quelqu’un puisse être témoin de cette scène, c’était moi. De tout ça aurait pu découler tout un tas de rumeurs… non, rien qu’une seule aurait été de trop.

Ryuuen — Et donc ? Qu’est-ce que tu m’veux ? 

Moi — Oh, rien de spécial. J’voulais juste qu’on bavarde un peu. Si je te répondais ça, qu’est-ce que tu ferais ? 

Ryuuen — Haha. Très drôle. Et du coup t’aurais pris la peine de venir si tôt , juste pour me faire chier pendant cette putain de matinée où j’aurais bien voulu encore pioncer pendant deux bonnes heures ?

Même s’il y avait peu de chance qu’on nous voit tous les deux à cette heure, Ryuuen savait bien le risque que j’étais en train de prendre. Alors bien entendu, il savait pertinemment que j’avais quelque chose de bien précis en tête en faisant tout cela.

Moi —  Oh, mais je voulais parler de tout et de rien, c’est tout. Comme par exemple du fait que je t’ai vu hier. Et j’ai également croisé Ishizaki et les autres. 

C’était en quelque sorte un signe qui montrait que Ryuuen avait renoncé à sa position de leader, comme il l’avait bien déclaré. Je ne pouvais pas exclure la possibilité que tout cela était juste un simulacre, mais en voyant Ishizaki et les autres, c’était devenu de l’ordre du très fortement improbable. Il n’y avait aucun avantage pour eux d’essayer de me faire croire cela, et si on ajoutait le fait qu’il n’avait même pas perçu ma présence…

Ryuuen — Est-ce que t’es content d’avoir réussi à m’empêcher de quitter le lycée comme tu le souhaitais ? 

Moi — Pas vraiment. Disons que je suis surtout impressionné. T’as beau te retrouver tout seul maintenant, tu ne restes pas pour autant cloitré chez toi à rien faire.

Ryuuen — J’ai toujours été libre de faire c’que j’veux quand j’veux, et c’est encore plus simple maintenant. Tu dirais pas ça parce que t’as les chocottes à chaque fois que tu me vois ? Car t’as aucune idée de quand est-ce que je déciderai de sortir les crocs et reprendre ma revanche sur toi. 

Moi — Et tu me le feras regretter de t’avoir fait rester hein ?

Ryuuen posa sa jambe sur le banc, juste à côté de là où j’étais assis, balaya la neige qui le recouvrait, avec audace.

Moi — Si possible, j’aimerais que tu t’abstiennes. Déjà parce que c’est pour le bien de la vie générale dans cet établissement, mais aussi parce que me battre contre toi et une corvée en soit. 

Rentrer dans le jeu de Ryuuen et ses méthodes allait m’obliger à un plus m’investir que je ne le désirais. En fait ceux qu’il a vaincus grâce à sa persévérance acharnée n’ont sûrement fini sous ses ordres que par flemme de combattre, finalement.  Je ne pouvais que trop bien me mettre à leur place.

Ryuuen — Dans ce cas, m’appelle pas pour me voir. Surtout si c’est pour me faire perdre mon temps en me disant des banalités comme ça !

Il était en effet temps d’arrêter les courtoisies ici et de rentrer dans le vif du sujet. Si j’attendais encore bêtement, Ryuuen allait me filler entre les doigts. Surtout qu’il s’agissait précisément de donner suite à notre altercation que nous avions eue sur le toit de l’école.

Moi —  Concernant l’incident sur le toit, je me disais qu’il fallait que je rajoute quelque chose. 

Ryuuen — “Rajouter” tu dis ?  

« Mais il est sérieux ? » est sûrement ce que Ryuuen était en train de se dire. Analyser devant lui les raisons de sa défaite n’allait certainement pas être très plaisant pour lui, sûrement. Mais il était essentiel que je lui explique toutes ces choses qu’il n’avait pas saisies en lui exposant les faits un à un.

Moi — Hélas pour toi, la bataille finale a déjà eu lieu, Ryuuen. Si encore tu avais été seul contre moi, tu aurais pu être là, obsédé par l’idée d’une revanche, te disant que tu n’as pas donné ton maximum.  

Mais voilà, Ibuki, Ishizaki et Albert se trouvaient également sur le toit avec lui. Voilà d’ailleurs pourquoi il était si confiant. Mais cela impliquait également des risques, notamment en termes de responsabilité —  si la situation s’envenimait, ils étaient plusieurs à prendre, et c’était en prenant en compte tout cela qu’il avait préféré se rendre tout seul. Bien entendu j’avais légèrement provoqué cette situation, mais c’était en me doutant que Ryuuen allait préparer un coup de ce genre. Et il avait largement dépassé mes espérances.

Ryuuen — Tsss, t’es vraiment qu’un gros enfoiré. J’suis impressionné par jusqu’où t’es prêt à aller pour exhiber toute ta condescendance sur tes ennemis. Je pensais que c’était ma spécialité et que personne ne m’arrivait à la cheville là-dessus, mais là, t’es juste hors concours. 

Moi — Je ne fais juste que t’énoncer les faits, c’est tout. 

Ryuuen — J’ai même pas besoin d’imaginer comment me dire tout cela peut bien servir tes intérêts. Ça a sans doute à voir avec le fait que tu as utilisé Ishizaki et les autres pour m’empêcher dans ma demande de renvoi, n’est-ce pas ? 

Je m’étais attendu à ce qu’il saisisse ce que je voulais lui faire comprendre, juste en dirigeant le cours de la conversation dans la bonne direction, mais apparemment, les probabilités que ça arrive étaient faibles.

Ryuuen — Toi et tes coups fourrés perfides. Tu penses vraiment que je vais bien gentiment te laisser m’utiliser pour tes coups en douce ? 

Moi — Un coup en douce ? Tu veux dire quoi par ça, exactement ? 

Ryuuen — Joue pas au con. J’te parle de m’utiliser pour pouvoir attaquer les autres classes. Car sinon, pourquoi est-ce que tu voudrais me garder dans cette école, hein ?

Pourquoi le retenir si je ne comptais pas l’utiliser ? Vu de l’extérieur, sa seule présence ici était une nuisance, en effet. J’avais tout fait pour le retenir, donc qu’il arrive à cette conclusion était plutôt logique.

Moi — Cette idée ne te motive pas ? Pourtant tu adores les batailles non ?

Ryuuen — Même si j’écrasais la classe B et A, tant que toi tu es dans le circuit ça n’aura aucun sens.

Aucun sens, hein… Voilà une affirmation bien définitive.

Moi — Ainsi donc, toute ta combativité a été anéantie par une seule et unique défaite ? 

Rien que par ses mots, j’avais pu raviver une étincelle dans les yeux de Ryuuen qui dévoilait toute sa haine.

Ryuuen — Tu veux que je sème le chaos, alors ? C’est pour ça que t’as voulu me voir ?

Moi — J’en ai déjà trop dit. Désolé. 

Si Ibuki, Ishizaki et les autres n’avaient pas été impliqués, j’aurais sûrement déjà reçu un coup en plein visage et été envoyé valdinguer.

Ce garçon ne connaissait pas la peur auparavant, et désormais il l’avait apprise. Mais pas sûr que ça ne l’arrête pour me combattre, il avait en lui cette capacité de toujours aller de l’avant, même terrifié. Mais aller de l’avant et apprendre de ses erreurs est quelque chose qu’on apprend à l’école, surtout. 

Moi — Notre différend entre nous a été déjà réglé sur le toit. À partir d’aujourd’hui, je ne remettrais plus ce sujet sur la table. C’est la dernière fois, je te le promets. Maintenant que cela est dit, parlons un peu. 

Bien entendu Ryuuen n’allait pas croire une simple promesse verbale. Mais pour la forme c’était bien de lui dire, même s’il allait plutôt prendre cela comme des mots de consolation ini.

Ryuuen — C’est plus que louche. Je suis pas sûr d’en tirer quelque chose de cette conversation… Je me tire.

Moi — Hé, attends !

J’arrêtai Ryuuen de suite, alors qu’il n’avait eu le temps de faire qu’un pas. En y réfléchissant j’étais certain qu’il voulait juste me faire cracher le morceau le plus vite possible. Il ne se serait pas pointé aussi tôt sinon, il n’avait pas réellement l’intention de s’en aller les mains vides. Alors sans même me regarder, il s’assit sur le banc.

Moi — Interprète ça comme tu veux, mais ne penses-tu pas que ce serait ennuyeux si des simples confrontations comme on en a eu jusque-là continuaient indéfiniment ?

Face à ma question toujours aussi énigmatique, Ryuuen sembla assez frustré, mais il me répondit tout de même immédiatement.

Ryuuen — Simple confrontation, tu dis ?

Moi — La classe D bat la classe C, puis bat la classe B et enfin bat la classe A. Alors, pour notre plus grand bonheur, Horikita et les autres deviennent la nouvelle classe A. D’un point de vue narratif, ça semble être la façon la plus populaire et ridiculement simple d’écrire l’histoire. Mais ce que je suis en train de dire, c’est qu’il y a bien d’autres façons de l’écrire.

Si nous étions dans un simple film d’action et d’aventure, cet ordre d’affrontement du plus simple au plus difficile aurait un sens dramaturgique. Cependant, nous étions dans la réalité. Il n’y avait aucune raison de suivre une telle logique. Nous pouvions autant commencer par attaquer la classe A ou B. Et il n’était pas du tout hors de question de nous joindre à la classe C pour cela, quand bien même ils étaient également des ennemis.

Moi — Une nouvelle plus ou moins intéressante, d’ailleurs, serait que la classe A compte s’en prendre à la classe B à partir du début du trimestre prochain. Cela laisse une bonne opportunité d’asséner un coup à la classe par-derrière, qui pourrait bien la faire s’écrouler entièrement.

Et ainsi, cette discussion ne devrait plus paraître aussi futile pour Ryuuen.

Ryuuen — À quel point cette information est-elle fiable ? 

Moi — Je  ne saurais pas vraiment dire. C’est plutôt du 50-50.

Je ne pouvais pas écarter la possibilité que tout ça n’était que du bluff de la part de Sakayanagi. Mais la connaissant, j’aurais dit qu’il y avait 9 chances sur 10 qu’elle dise vrai.

Ryuuen — Si cette information est fiable, alors c’est une bonne opportunité. Surtout pour vous, la classe D, vu que vous aviez signé un pacte de non-agression avec la classe B. Le mieux serait d’attendre que la classe A écrase la B avant d’attaquer, histoire de gagner sur tous les tableaux. Car bon, Ichinose n’a aucune chance face à Sakayanagi, toi aussi tu le sais bien.

Moi — Je m’en fiche un peu de qui va bien gagner ou perdre. Je n’ai aucunement l’intention de m’en mêler.

Ryuuen — Du coup, tu comptes simplement la laisser se faire soumettre sans broncher ? 

Moi — Si Ichinose se faisait détruire, ça m’enlèverait une sacrée épine du pied. Et puis, vu que c’est de Sakayanagi dont on parle, il est bien possible qu’elle essaye de faire expulser des gens. C’est une bonne opportunité pour que j’en apprenne un peu davantage sur les pénalités qu’on peut encourir dans ces cas-là. 

Ryuuen — T’as beau dire tout ça, je n’aime quand même pas du tout ta manière de penser. Tu n’as pas la moindre envie de monter dans les classes supérieures. Et finalement, tout ce que tu fais c’est d’observer et éviter de te faire remarquer, c’est bien ça ?

Moi — En effet. Cependant, je n’ai aucune gêne à l’idée que ceux qui m’entourent agissent comme il leur semble. Si l’on montait en classe A sans que je n’aie rien à faire, je ne m’en plaindrai pas on va dire.

Par ceux qui m’entouraient, je désignais là autant ma classe, que la classe A ou la B, mais également Ryuuen.

Ryuuen — Du coup, tu comptes bien juste observer et ne rien faire… 

Moi — ll reste bien un problème dont je dois me débarrasser moi-même, malheureusement. Une existence bien ennuyante se trouvant dans ma classe et que je dois supprimer sans délai. 

Cette existence, Ryuuen savait très bien de qui il s’agissait. Je n’avais pas besoin d’en dire plus pour qu’il ait le nom de cette personne sur le bout de ses lèvres.

Ryuuen — Kikyô, huh ? C’est vrai, pour toi, elle représente une véritable plaie. Vu comment sont les règles de cette école, avoir un ennemi à l’intérieur de sa classe est la pire des choses. Ça limite énormément les possibilités. 

S’occuper enfin de cette immonde personne. Aussi disgracieuse qu’une verrue qu’on est obligé de contempler jusqu’à avoir rendez-vous chez le dermatologue… Telle était ma réelle préoccupation du moment.

Il n’y avait aucun intérêt à encombrer son esprit avec ces histoires de monter en classe A ou des expulsions qui pouvaient survenir dans les autres classes, car ça ne me concernait aucunement. Mais dans le problème Kushida, sa cible était Horikita. Et avec cette affaire sur le toit de l’école, si je laissais passer cela, j’allais me mettre à dos le précédent président du conseil des élèves, Horikita Manabu. Tant qu’il était toujours dans ce lycée, si jamais sa sœur Horikita Suzune se faisait expulser, j’allais sans doute en subir les conséquences. C’était totalement le genre d’ennui que je voulais éviter dans ma vie tranquille de lycéen.

Ryuuen — Il y a quelques jours, Kikyô m’avait appelé. T’es au courant ? Elle m’avait demandé quand j’allais t’attaquer. Malheureusement, à ce moment-là, j’étais déjà pleinement dans mon plan pour t’abattre, alors je l’avais ignorée. En fait, depuis qu’elle a perdu durant le dernier examen, elle n’a jamais autant à l’affut de la moindre opportunité lui permettant d’expulser Suzune. Kuku, c’est plutôt une fille intéressante. 

Moi — Si tu avais profité de Kushida, tu aurais pu faire du mal à toute notre classe tu sais?

Ryuuen — Si j’avais voulu m’en prendre à Suzune ou à la classe D, il n’y avait pas meilleur outil qu’elle, oui. Mais pour mettre à terre quelqu’un comme toi, totalement indifférent à ta propre classe, Kikyô était bien trop faible.

En effet, pour s’attaquer à moi, utiliser Kushida était loin d’être suffisant.

Ryuuen — Du coup, qu’est-ce que tu comptes faire ? Même si tu peux temporairement atténuer les symptômes temporairement avec des médicaments, tant que le cancer n’est pas soigné le problème est toujours là. Pire que ça, il risque d’y avoir des métastases dans les autres organes, tu sais ? 

Et au final, ces organes allaient pourrir et se détruire d’eux-mêmes.

Moi — J’en étais déjà arrivé à cette conclusion. En discuter est inutile.

Ryuuen — Hmm ? Allez, laisse-moi entendre comment tu comptes te débarrasser définitivement de Kikyô-chan, Ayanokôji. 

Moi — Tu penses sérieusement que je vais te le dire ?

Ryuuen — C’est toi qui vois !

Comme s’il était en train de s’amuser, Ryuuen lâcha un petit ricanement. Mais peut-être qu’il éprouvait encore une douleur à la mâchoire, car son sourire disparut instantanément. Il commençait à faire froid. En cette saison, rester trop longtemps dehors et attraper froid n’était pas une bonne chose.

Moi — La Class D, à partir du prochain trimestre, deviendra la nouvelle classe C. Cependant, selon toute probabilité, nous allons de nouveau chuter pour redevenir la classe D. Pourquoi ? Parce que l’élève du nom de Kushida Kikyô va très certainement se faire expulser incessamment sous peu. 

Ryuuen — Kukuku. Kuhahaha !

Ignorant la douleur, Ryuuen éclata d’un rire sardonique.

Ryuuen — T’es vraiment un gars de terrifiant. Donc tu es prêt à perdre la bataille pour gagner la guerre, hein ? Ce lycée est rempli de déchets inutiles dont on ne peut même pas se débarrasser à cause du fameux système mis en place. Et pourtant, malgré ça, tu comptes la renvoyer, huh ? 

Bien entendu, les choses n’allaient pas être si simples. Tant que je ne possédais pas les éléments pour la faire renvoyer, alors j’allais avoir une épine dans le pied lors de chaque examen qui allait suivre. Son existence était vraiment une plaie, mon Dieu !

Ryuuen — Très bien. C’est comme ça que j’aime te voir, Ayanokôji.

Moi — Tu comprends, maintenant ? Il y a certaines choses où l’on a tous les deux un intérêt à coopérer. Et je ne parle même pas d’alliance ou quoi.

Ryuuen — Kuku. J’avoue que ton petit speech anti-Kikyô m’a bien amusé. Mais pour ce qui est de bien docilement et aveuglément attaquer la classe A, c’est une toute autre histoire. 

Moi — Pourtant je pense que tu as largement tes chances. 

Ryuuen — Certainement, mais j’en ai juste rien à foutre. Si je me souciais encore de vouloir écraser quelqu’un, ça serait plutôt toi que n’importe qui d’autre. 

Il semblait déjà quelque peu revigoré, vu l’intensité de la lueur dans son regard, alors qu’il me fixait. Même après avoir appris ce qu’était la frayeur, il y avait toujours une envie d’en découdre dans les yeux de Ryuuen. Nos yeux se fixèrent quelques instants.

Ryuuen — Ayanokôji, il semble que tu as l’intention de m’utiliser, même si pour ça tu dois utiliser la force, mais je n’ai plus l’intention de combattre. 

Moi — Je vois.

Apparemment, il avait renforcé sa résolution. Ainsi donc Ryuuen semblait avoir bel et bien décidé de disparaître définitivement de la scène. Mais c’était peut-être juste pour pouvoir manœuvrer en coulisse ?

Moi — Ryuuen, laisse-moi te donner un petit conseil. Ton plan d’acquérir le nombre de point privé nécessaire n’est pas si mauvais que ça. Cependant, elle a une faille immense. Même s’il est possible pour une ou deux personnes de pouvoir se hisser vers le haut comme ça, le faire pour toute une classe est impossible. 

Ryuuen — C’est Ibuki qui t’a tout balancé, huh ? 

Moi — Ce n’est pas vraiment qu’elle me l’a dit. Elle m’a juste demandé si je trouvais ça réalisable de récolter 800 millions de points privés.

Avec ça, il n’était pas bien difficile de deviner la stratégie qu’avait proposée Ryuuen pour sa classe. Et l’expérience des années précédentes nous montrait bien l’impossibilité de pouvoir mener cette stratégie à son terme. Accumuler 800 millions de points était totalement irréaliste. Je m’étais imaginé que Ryuuen essayait uniquement d’accumuler assez de point pour pouvoir monter lui-même en classe A, avec peut-être quelques proches. Du coup, cela expliquait pourquoi il avait laissé filer tous ses points après l’incident sur le toit, vu qu’il avait l’intention de quitter le lycée. Alors vu qu’il était finalement resté, je m’étais attendu à ce qu’il agisse pour les récupérer.

Cependant, d’après la réaction d’Ibuki, il apparaissait que Ryuuen avait réellement prévu de faire grimper toute sa classe. Pour pouvoir prendre le pouvoir tel un tyran comme il l’avait fait, nul doute qu’il avait dû faire des promesses en compensation. Cependant, les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Moi — Tu as juste prétendu pouvoir obtenir 800 millions de points, mais tu n’en avais nullement l’intention, c’est bien ça ? 

S’il en était arrivé à tromper même ses acolytes les plus proches, comme Ibuki, alors notre conversation devait s’arrêter là.

Moi — Même si tu as perdu tous les points que tu possédais jusqu’à présent, le contrat que tu as passé avec la classe A est toujours valable. Avec près de 800 000 points par mois et encore 25 mois avant l’échéance, ça te fera à peine assez de points pour toi-même. Les points gagnés avec ta classe chaque mois te permettront d’arrondir et, pour de vrai, monter en classe A. Mais un conseil —  tu ne devrais pas viser plus haut que ça. 

Ainsi, Ryuuen pouvait à présent simplement suivre les règles du système et réussir à se hisser en classe A avant d’obtenir son diplôme. Bien sûr cela reposait sur l’hypothèse que la classe A ne soit pas en faillite, autrement contrat ou pas Ryuuen n’allait plus rien percevoir.

Ryuuen —  Ayanokôji. Il est certain que tu es très intelligent et fort. Mais tu es loin d’être parfait. 

Ce n’était pas une blague, c’était plutôt dans le but de me ridiculiser que Ryuuen avait dit cela. Autrement dit, il pensait donc réellement à un moyen pour accumuler 800 millions de points.

Moi — Ainsi, t’es en train de me dire que tu as quelque chose sous la manche pour hisser toute ta classe en classe A, c’est bien ça ? 

Ryuuen — Écoute bien, la quantité de point privés cumulable en un an est énorme. Si on suppose qu’il n’y a pas d’expulsion, on a 160 élèves par année, soit 480. En extorquant à peine 100 000 points à chacun par mois, on a déjà 48 millions de points. Avec le double, on approche déjà des 100 millions. 

Et donc en à peine 8 mois, on pouvait obtenir 800 millions de points. Était-il en train de me dire que ce n’était pas un rêve chimérique ? Même si en théorie c’était possible, l’exécution était tout à fait impossible. Même en utilisant une stratégie basée sur de la tromperie et des fraudes en masse, il était fantaisiste de croire que l’école n’allait rien remarquer. Espérer commettre une telle fraude pendant plus d’un mois était déjà presque une chimère. Alors avec ce plan, 100 millions étaient la limite haute. En somme, c’était comme je l’avais dit, impossible.

Et quand bien même ça passait un temps, l’école pouvait simplement, à terme, confisquer ces 100 millions récoltés illégalement. Et ceci sans parler de l’éventuelle pénalité. Alors il fallait s’assurer de faire taire les témoins, ne pas hésiter à faire une attaque frontale en même temps en guise de diversion. Franchement, j’aurais été bien curieux de savoir jusqu’à combien il aurait pu récolter avec ses méthodes.

Bien que je sente que c’était vain, je me mis de nouveau à refaire les comptes. En supposant que toutes les classes collaboraient et que chacune arrive à se maintenir à la hauteur de 1000 points au classement général, cela fesait 50 millions de points par an. En plus de cela, une d’entre elle pouvait à chaque fois remporter les examens spéciaux, et en économisant bien les points cela pouvait faire un bonus de 10 millions de points en les accumulant tous. Autrement dit, cela faisait 60 millions de points par an, avec des gros arrondis vers le haut. Donc 180 millions points en 3 ans, et cela en supposant de faire un résultat parfait à chaque fois. On atteignait donc même pas les 200 millions ainsi. C’était donc théoriquement impossible, en tout cas c’était ma conclusion, et pour moi les prétentions de Ryuuen ne reposaient sur rien. Voilà ce que je me disais en le regardant dans les yeux.

Moi — Il n’y a aucun moyen d’obtenir une telle somme, ou plutôt, ça n’a jamais été le cas avec les règles en vigueur jusqu’à aujourd’hui. 

La stratégie de Ryuuen sur laquelle il avait planché. Cette stratégie que je n’arrivais pas à entrevoir.

Moi — Nos méthodes se ressemblent, mais notre façon de penser est fondamentalement différente, il semblerait…

Ryuuen — Tu sais, je n’ai pas l’habitude de me lancer dans des projets vains. Je ne fais rien au hasard.

Moi — Oh, tu viens de me convaincre à 5% au lieu de 0%, d’un seul coup ! 

Cependant, pour pouvoir mettre tout en place, il y avait pas mal de prérequis qui étaient absolument nécessaires.

Ryuuen — Sinon, plus sérieusement, Ayanokôji… C’est quoi cette neige qui s’accumule sur ta tête ?

Maintenant qu’il pointait cela, je fis attention à quoi j’avais l’air avec ça.

Moi — Ahh, c’est vrai que ça doit faire un peu bizarre comme ça. C’est juste que la sensation de la neige est vraiment agréable alors… C’est si bizarre que ça ?

C’était la première fois que je pouvais sentir de la neige, alors forcément, ça m’avait intrigué et je l’étais toujours autant. En restant dehors l’observer, elles s’étaient accumulés sur moi de ma tête à mes épaules, jusqu’à mes bras et mes jambes. Elle commençait à peine à fondre. J’étais plutôt reconnaissant qu’il me fasse remarquer combien je paraissais étrange, mais je n’avais pas envie pour autant de m’épousseter pour enlever tout ça. De toute manière, ça allait disparaître en fondant tout seul, alors autant en profiter encore un peu. C’était en fait plutôt une bonne chose.

Ryuuen — T’es un bel enfoiré quand même, t’adore vraiment te foutre de la gueule du monde. 

Moi — Maintenant que tu as entendu ce que j’avais à te dire, tu dois comprendre qu’il y a de forte chance que nos intérêts convergent dans un futur proche.

Ryuuen — Évidemment, dit comme ça, ça semble carrément être trop beau pour être vrai, mais en fait, ça serait aussi bon que dangereux. Si c’est ce que tu dois faire pour arriver à tes fins, tu n’hésiteras pas à éliminer n’importe qui, même tes alliés. Alors pourquoi est-ce que je m’allierais avec un gars comme toi qui n’hésitera pas à me poignarder dans le dos. 

Moi — Si tu en as déjà conscience, alors ça ne devrait pas être un problème. Car au jeu de qui est le plus malin, tu t’en sors pas mal, Ryuuen, non ?

Ce n’était pas comme si c’était une coopération entre deux bons amis que je lui proposais. J’avais juste fait en sorte d’aligner les intérêts de deux parties antagonistes. C’était en quelque sorte la plus stable et puissante relation possible.

Ryuuen — Mais même si je le voulais, Ayanokôji, tout ce que je pourrais faire c’est influer sur comment agira ma classe, et non plus la mener directement.

Moi — Influer ?

Ryuuen — Tout dépend de comment va se dérouler le 3e trimestre, mais la classe C, non, ma classe qui a chuté en classe D, sera normalement menée par Kaneda et Hiyori. Et pour faire en sorte qu’ils ne décident pas de s’en prendre à votre classe histoire de remonter, je pourrais juste essayer les persuader que le plan que tu proposes est bon. 

Ainsi cela signifiait, au final, que cette décision reposait sur une autre personne que Ryuuen.

Moi —  Bah, aucun problème !

Bon, en vérité cela rendait la situation un peu plus hasardeuse. Que Kaneda et les autres veuillent s’en prendre à nous restait problématique, même si Ryuuen s’était retiré. D’autant que je ne pouvais exclure qu’Ishiraki et Ibuki, animés d’un ressentiment envers moi, n’influencent pas leur classe pour me défier.

Ryuuen — Cependant, je pose une condition. Je me débrouillerai pour que ma classe agisse à ta guise, seulement j’aimerais que tu tiennes compte de ce dont on vient de parler… Si je peux m’assurer qu’une fois en classe A vous serez de bons débiteurs, ça peut valoir le coup !

Moi — Donc ça veut dire que tu acceptes de manipuler Shiina et les autres discrètement ?

Ryuuen — Ça c’est impossible. Je leur ai déjà dit que je me retirais définitivement. 

Moi — Autrement dit, tu demandes une bien grosse rémunération pour quelqu’un qui n’a plus de pouvoir direct.

Ce qu’il demandait paraissait cher payé même pour un pacte de non-agression.  

Ryuuen — On a rien sans rien, Ayanokôji !

Il avait toujours dans sa main son contrat avec Katsuragi. Ryuuen savait comment s’y prendre pour avoir ses adversaires dans sa poche.

Moi — Cette proposition me va, mais on ne peut pas la formaliser, tu t’en doutes. On se contentera d’une promesse verbale.

-Ryuuen — Kuku. Je ne m’attendais pas tant, ne t’en fais pas, surtout de quelqu’un comme moi qui manigance dans l’ombre. Mais tu sais, si tu romps cet accord, tu le paieras cher. J’emploierais les méthodes les plus ignobles pour te le faire regretter. 

« Si ça ne te plaît pas, essayes de m’abattre », voilà ce que j’avais entendu.

Moi — Tu n’as pas à t’en faire. Mais quelque chose me trotte… Même en concluant ce marché secret entre nous, j’ai du mal à réellement imaginer une stratégie viable sans LE Ryuuen que l’on connait tous.

Même si mon estimation des chances de réussite était passée de 0 % à 5 %, il n’en restait pas moins que cette stratégie nécessitait l’alliance de la chance et de capacités extraordinaires…  Et s’il y avait quelqu’un qui possédait les deux, c’était bien Ryuuen.

Ryuuen — Je ne sais pas… Tout est entre les mains de Kaneda maintenant.

Il semblait qu’il n’avait pas l’intention d’aller plus loin que de faire en sorte qu’une opportunité soit possible. C’était ainsi que l’ancien maître absolu de la classe C avait décidé de prendre ses responsabilités.

Moi — Ceci marque donc la fin des négociations, alors. 

J’avais décidé de faire un pas vers Ryuuen car je ne pouvais pas me permettre de l’ignorer totalement. Si ce marché pouvait faire en sorte qu’il ne devienne pas une gêne pour moi, alors je me disais ça en vaudrait la peine.

Ryuuen — Du coup, c’était tous ce que t’avais à dire ? Quand tu m’as invité, tu m’avais dit que tu voulais me faire rencontrer quelqu’un. Mais je ne pense pas qu’il y ait un élève qui mériterait que je m’attarde sur lui parmi les premières années.

Moi — En effet. Il n’y a sans doute aucune personne de ce genre parmi les premières années. 

Ryuuen — Alors qui c’est ? 

Moi — Il devrait arriver dans pas longtemps.

Alors que l’heure du rendez-vous venait juste d’arriver, comme s’il avait fait exprès d’être parfaitement à l’heure, cette personne fit son apparition au loin. Voyant cette figure arriver, Ryuuen ne put laisser échapper sa surprise. Cette personne marcha vers nous pour s’arrêter pile poil entre moi et Ryuuen.

Ryuuen —…Parmi tous les personnes possibles, c’était lui que tu voulais que je voie ? 

Je dirigeai mon regard vers cette personne, sans pour autant ignorer la question de Ryuuen.

Moi — Désolé de te déranger de si bon matin.

— Pas de soucis. C’est le moment idéal pour une réunion clandestine. Le lieu de rendez-vous n’est pas mauvais non plus. 

En évoluant dans une unité de lieu aussi limitée que celle du campus du lycée, il fallait penser à tout. J’avais choisi ce lieu car j’avais une vue sur n’importe qui arrivant, de droite ou de gauche. Si par hasard quelqu’un arrivait, je le verrai donc immédiatement et notre troisième personne n’aurait eu qu’à prétendre qu’il ne faisait que passer.

Ryuuen — Tu sembles plutôt proche de l’ancien président du conseil des élèves. Un des avantages d’être proche de Suzune je supppose ? 

Ayant sans doute l’incident sur le toit en tête, Ryuuen éclata d’un rire léger. Peut-être avait-il juste dit ça comme ça, mais je suppose qu’il devait être au courant du lien de parenté entre cette dernière et l’ancien président du conseil des élèves.

Horikita-senpai — Je pensais te voir seul, Ayanokôji. Alors en plus en te voyant en compagnie de Ryuuen, tu dois d’imaginer ma surprise !

Plutôt que surpris, il avait plutôt l’air de vouloir confirmer que c’était bien ce que je voulais. Regardant la neige qui fondait encore sur mes cheveux un instant, puis n’y prêtant plus aucune attention ensuite, Horikita-senpai poursuivit.

Horikita-senpai — Soit, je vais poursuivre avec ce que j’avais à dire en supposant que Kakeru Ryuuen est considéré comme un collaborateur. Si on met trop de temps, qui sait qui pourrait nous voir, alors allons droit au but.

Ryuuen — Hé, C’est qui que tu traites de collaborateur, là ?

Moi — Je peux au moins garantir qu’il n’est pas un ennemi.

Allié, collaborateur… Cela aurait été un mensonge, alors je présentai les choses de cette manière.

Horikita-senpai — Ayanokôji, quand tu m’as demandé un service la dernière fois, tu m’avais fait une promesse, tu t’en souviens ?

Moi — Oui. De t’aider à stopper Nagumo Miyabi, c’est bien ça ? 

Ryuuen — Nagumo ? Tu veux dire le nouveau président du conseil des élèves ? 

La raison pour laquelle Ryuuen était présent en cet instant était parce que je voulais qu’il entende ce que Horikita-senpai avait en tête. Bien sûr, j’aurai pu tout simplement lui en parler directement, mais de l’entendre de la bouche de Horikita-senpai directement avait un effet de persuasion bien plus fort.

Moi — Il semble qu’il n’aime pas la façon dont Nagumo gère les choses. 

Ryuuen — Je vois. Donc tu es contraint d’utiliser Ayanokôji pour contrer Nagumo, huh ? Le mec qui, selon la rumeur, a déjà réussi à asseoir sa domination sur tous les élèves de première. Pour pouvoir le combattre, il n’y a pas d’autre possibilité que d’utiliser les secondes. Dis-moi une chose, Horikita… Depuis quand est-ce que tu lorgnes sur Ayanokôji ?

Ryuuen appela Horikita-senpai directement par son nom, sans aucun honorifique. En plus de cela, toute son attitude transpirait la condescendance. Bon, c’est vrai que je faisais quelque chose de similaire, donc je n’étais pas le mieux placer pour y trouver à redire.

Horikita-senpai — Juste après son entrée ici. Toi tu as l’air d’avoir mis un sacré bout de temps avant de le trouver.

Ce n’était probablement pas une provocation. Horikita-senpai avait tout simplement répondu cela avec une pure indifférence.

Ryuuen — Kuku. C’est juste que je suis du genre à prendre mon temps pour pouvoir apprécier les choses.

Horikita-senpai — Et c’est aussi ainsi que tu t’es fait battre.

En réponse à Ryuuen et sa désinvolture, il rétorqua ceci comme pour appuyer là où ça faisait mal. Ryuuen l’avait bien compris, et durcit son regard en conséquence.

Ryuuen — Si tu penses que je ne suis pas quelqu’un de taille, alors pourquoi ne pas tester mes capacités ici et maintenant ? 

« Même blessé, je peux quand même te faire mordre la poussière », voilà ce qu’insinuait Ryuuen dont la combativité avait été ravivée.

Horikita-senpai — Je dois décliner cette proposition. Ça ne m’intéresse nullement, voilà tout. 

Voilà ce que répondit Horikita-senpai avec calme.

Ryuuen — Kuku. J’étais certain que tu allais te défiler.

Tout en riant, Ryuuen ancra ses jambes profondément dans le sol, puis avec un coup de pied frontal, il envoya de la neige sur le visage de Horikita-senpai. Le but de cette manœuvre était de l’aveugler. Saisissant l’ouverture qu’il s’était créée, Ryuuen enchaîna ensuite avec son poing droit dans son abdomen. Cependant, comme si sa vision n’avait été nullement altérée, Horikita-senpai agit comme s’il avait prédit cette attaque et garda le coup facilement. Alors que le coup le projeta en arrière et qu’on aurait pu croire qu’il allait tomber, celui-ci remonta nonchalamment ses lunettes du bout de son index avec calme.

Ryuuen — Je pensais que tu n’étais qu’une ordure un peu plus futée que la moyenne qui comptait uniquement sur les autres pour pas se salir les mains, mais tu es plutôt douée quand il s’agit de se battre aussi, hein ?

C’était là pour Ryuuen un véritable compliment, qui fut de toute évidence plutôt impressionné par la garde de Horikita-senpai malgré son attaque surprise.

Horikita-senpai — Je croyais t’avoir pourtant dit que je déclinais ton offre. 

Ryuuen — Je vois pas le rapport. Comme si j’avais besoin de ton accord ? Si ça te va pas, libre à toi de m’attaquer quand tu veux en guise de représailles. Ou bien est-ce qu’il serait mal venu pour toi d’attaquer un seconde ?

Horikita-senpai — Il semblerait que tu t’es fait un subalterne plutôt fiable, Ayanokôji. 

Pan ! Avec un son ressemblant à celui-là, Horikita-senpai fit volée toute la neige et la saleté de ses vêtements d’un revers de main.

Ryuuen — Tu m’ôtes les mots de la bouche. 

Cela ne changea en rien le regard de Ryuuen, qui était celui d’un homme étant prêt à frapper tout ce qui bougeait.

Ryuuen — Enfin bon, je te juge quand même comme quelqu’un de capable, qui arrive à ses fins dans une certaine mesure, Horikita-senpai.

Même si on ne pouvait qu’être suspicieux vu sa manière de le dire, Ryuuen avait ajouté un honorifique.

Horikita-senpai — Pareil pour moi. Tu n’es pas du tout fait pour le rôle de président du conseil des élèves, mais j’ai tout de même une opinion positive de toi. 

Ryuuen — C’est un honneur de recevoir tant d’éloge de la part de l’ancien président du conseil des élèves !

La réponse de Ryuuen était sarcastique, en témoignait son petit geste de la main vers le côté en guise de singerie. Comme leur altercation était terminée, Horikita-senpai reprit la discussion là où il l’avait laissée.

Horikita-senpai — Ce que je veux maintenant c’est que toi, Ayanokôji, tu protèges et maintiennes l’ordre qui est instauré actuellement dans ce lycée. Tu peux utiliser toutes les méthodes que tu voudras pour ça. Que ce soit en faisant tomber Miyabi Nagumo de son poste de président du conseil des élèves, en dénonçant publiquement ces malversations, ou simplement en l’empêchant d’agir, tant que le résultat est là, ça m’ira. Dès que le 3e trimestre débutera, son réel pouvoir prendra forme et il prendra des mesures très rapidement.

Moi — Pourrais-tu me dire en détail, qu’est-ce qui risque de changer ? Est-ce que le conseil des élèves a autant d’influence que ça ? 

Horikita-senpai — Tu te doutes bien que le conseil des élèves n’a pas un pouvoir illimité. Cependant, contrairement à d’autres lycées, ici il ne sert pas juste de décoration. Son influence est assez notable. Par exemple, dès qu’un problème survient, c’est le conseil des élèves qui est chargé de le résoudre en premier lieu. Mais ça, Ayanokôji et toi aussi Ryuuen, vous devez déjà le savoir. 

Pendant l’affaire de l’altercation avec Sudou, celui qui avait présidé le conseil de discipline n’avait été autre que le président Horikita lui-même.

Horikita-senpai — Et nous avons aussi le droit d’imaginer et de décider en partie du contenu des examens spéciaux. Par exemple, l’examen de survie sur l’île déserte de cette année avait été planifié par le précédent conseil des élèves.

Autrement dit, ça signifiait que Nagumo avait le pouvoir d’élaborer des examens spéciaux totalement différents de ceux que nous avions déjà passés, huh ?

Ryuuen — S’il pouvait mettre un peu de piment de ce putain de lycée où on se fait bien chier, alors on devrait plutôt attendre ça avec impatience, non ?

Riant, Ryuuen décroisa les jambes.

Horikita-senpai — S’il faisait ça de manière juste, alors ça m’irai. Cependant, jusqu’à maintenant, Nagumo a toujours utilisé des méthodes qui a entraîné énormément d’expulsion. Pour preuve, dans les élèves de 1ère, dix-sept ont déjà été expulsés. Et selon mes sources, plus de la moitié de ces expulsions seraient du fait de Nagumo. 

Dix-sept élèves. Voilà qui n’était pas un chiffre anecdotique.

Moi — En effet, rallier tout le monde à sa cause devrait être évident s’il joue la carte de l’expulsion.

Une opposition à Nagumo existait forcément. Mais ce dernier s’en était sûrement occupé en l’affaiblissant puis, finalement, en l’assimilant totalement à ses troupes. Ainsi Nagumo était parvenu à contrôler l’ensemble des élèves de première.

Horikita-senpai — Et maintenant qu’il est devenu le président du conseil des élèves, sa domination va s’entendre sur les secondes et les terminales. Et l’année prochaine, il lui sera encore plus facile d’agrandir sa sphère d’influence sur la nouvelle promotion de seconde, voilà mon pronostic.

En le laissant faire, les expulsions n’allaient pas concerner une petite dizaine d’élèves seulement. C’était une évidence.

Ryuuen — Nagumo est juste pragmatique quoi. Il se débarrasse de 17 déchets sûrement, bouuh.

Horikita-senpai — Ceux qui enfreignent les règles devraient être expulsés, c’est normal. Mais à parteux, l’idéal ne serait pas de parvenir à mener tout le monde jusqu’au diplôme ?

Ryuuen — Donc tu es en train de nous dire que toi, Horikita-senpai-sama, tu n’as jamais fait expulser qui que ce soit ?

Horikita-senpai — J’ai seulement dit que c’était l’idéal. Et pour le moment, en ce qui concerne les élèves de seconde, pas un seul n’a été expulsé. Réussir à continuer sur cette voie ne serait pas une mauvaise chose, non ? 

Ryuuen — Voilà son avis. Et toi, Ayanokôji, qu’est-ce que tu penses de tout ça ? 

Moi — Je peux comprendre cet idéal, et il est noble que certains essayent de le réaliser. Cependant, je crois que des gens comme Ryuuen et moi qui ne sommes pas trop du genre à se soucier de ce genre de choses.

Ryuuen — Kukuku. Tout à fait.

S’il devait y avoir une autre personne partageant cet idéal, cela ne pouvait qu’être Honami Ichinose de la classe B.

Horikita-senpai — Bien entendu, ce n’était pas comme si j’espérais que vous partagiez mes convictions. Tant que vous pouvez arrêter Nagumo, ça m’ira parfaitement. 

Une demande tout à fait normale quoi ! Tellement facile que lui, qui n’était pas n’importe qui, avait eu besoin de quémander mon aide.  Le fait est que si le conseil des élèves avait bel et bien l’influence qu’il énonçait, alors l’arrêter était juste impossible. Au mieux je pouvais faire en sorte que nous autres, élèves de secondes, agissions de façon extrêmement prudente pour ne pas pouvoir être sous le coup d’une expulsion abusive. Eventuellement me débrouiller pour connaître le contenu des examens.

Ryuuen — Bon, je vais y aller. Je n’étais pas prévu au programme pour cette entrevue secrète entre vous, après tout. 

Apparemment, Ryuuen n’avait aucun intérêt pour toute cette histoire concernant le conseil des élèves.

Ryuuen — Ce fut une discussion plutôt fascinante, mais rester plus longtemps ne serait qu’une perte de temps. À plus.

Peut-être que les résultats des négociations le satisfaisaient, car sans aucune hésitation de sa part, il partit en direction du dortoir. Je l’appelai alors qu’il avait le dos tourné.

Moi — Est-ce que tu comptes rester tout seul, à partir de maintenant ? 

Ryuuen — Lâche-moi, tu veux. Depuis toujours, c’est comme ça que je fonctionne le mieux. 

Sur ces mots, Ryuuen s’en alla, nous laissant uniquement ses traces de pas sur la neige.

Horikita-senpai — Ayanokôji, la raison pour laquelle tu as laissé Ryuuen entendre tout ça, c’était pour en faire un allié ?

Moi — Ce n’est pas totalement faux, mais… Si je devais le dire plus justement, l’objectif était plutôt qu’il perde l’intérêt qu’il avait pour moi, afin que je ne sois plus sa cible à abattre.

Je voulais lui donner l’impression de me désintéresser totalement de la lutte des classes en 2nde et que l’affaire du conseil des élèves était ma priorité. Ce faisant, son intérêt pour moi allait probablement chuter. Quelqu’un de plus prompte aux hostilités comme Sakayanagi promettait d’être une adversaire bien plus divertissante pour Ryuuen, si on mettait de côté qu’il ne montrait plus aucune volonté de se battre sérieusement contre quiconque.

Horikita-senpai — De toute manière, à partir de maintenant, avoir un allié comprenant les enjeux en cours va te devenir nécessaire. Alors ce n’est pas un mal si cela devait être quelqu’un comme Ryuuen, qui a déjà l’occasion de te faire face.

Moi — Un allié, huh ? 

Bon, plus important que cela, ce qu’il me fallait faire à présent était de pouvoir rassembler le plus d’informations possible. Se réunir régulièrement avec Horikita-senpai et Ryuuen était quelque chose qui ne m’enchantait guère. Ainsi chaque réunion devait être la plus riche possible.

Moi — Je n’ai presque aucune info concernant les élèves des autres années. Est-ce que je peux compter sur toi à ce sujet ? 

Horikita-senpai —Bien sûr. J’ai déjà fait tout le nécessaire pour ça.

Horikita-senpai avait sorti son téléphone en disant cela. Après que je ne lui donne mon numéro, je reçus un message immédiatement. Je regardai rapidement son contenu et, immédiatement, Horikita-senpai me donna plus ample explication.

Horikita-senpai — Parmi les membres du conseil des élèves, je vais te donner les noms de ceux sur qui tu devrais garder un œil, en plus de Nagumo lui-même bien sûr. L’un d’entre eux est le vice-président de la classe de 1ère B, qui se nomme Kiriyama. Il y a aussi le secrétaire Mizowaki ainsi que l’autre secrétaire Tonokawa. Les deux sont aussi des anciens de l’ancienne classe B, qui ont manœuvré avec Nagumo depuis un bon moment, et ce sont les rares qui se permettent de lui faire des suggestions. Et maintenant, voilà les membres restants…

Pour m’aider à me remémorer tout ça, j’avais avec le message leur photo en pièce jointe. Juste un coup d’œil me permis de visualiser qui appartenait à quelle classe. En commençant par le vice-président, vu tous les membres du conseil des élèves qui n’appartenaient pas à la classe A, je pouvais en déduire jusqu’où allait l’influence de Nagumo.

En tout cas, les informations que je venais de recevoir étaient cruciales. Après tout ce n’était pas facile de prendre contact avec des élèves des années supérieur, et encore moins les membres du conseil des élèves précisément. Horikita-senpai me fit gagner un temps précieux.

Horikita-senpai — Les seuls qui connaissent vraiment en détail la personnalité de Nagumo et ses méthodes sont ceux de son année. Même si j’étais en lien avec lui à travers le conseil des élèves, ce n’est pas comme si je savais vraiment tout à propos de lui. 

Autrement dit, il allait falloir rassembler d’autres informations sur lui. Quel genre de personne il était, son comportement, sa façon de procéder… Ça allait m’être vital de comprendre tout ça.

Moi — Et vu que tous les élèves de 1ère sont sous sa botte, ça risque d’être plutôt compliqué d’en apprendre davantage. 

Horikita-senpai — C’est bien le problème… Cependant, il existe toujours une petite faction opposante qui résiste.

Il me dit cela comme s’il savait précisément de qui il s’agissait.

Moi — Leur identité ?

Horikita-senpai — Malheureusement, je ne peux pas encore te parler de la personne que j’ai en tête. Qui sait si ma connexion avec lui n’a pas déjà été découverte…

Moi — Il serait alors accusé de trahison… et il y a des chances qu’il se fasse alors expulser, c’est ce que tu es en train de me dire ?

Horikita-senpai — Je pourrai sans doute assurer sa protection tant que je suis là mais, une fois diplômé, cette garantie disparaîtra. 

Voilà donc ce qu’il voulait vraiment me faire savoir.

Moi — Tu comptes me mettre en contact avec lui, c’est ça ?

Horikita-senpai — Si ça te va, alors j’aimerais bien en effet lui parler de toi comme quelqu’un en seconde capable de contrer Nagumo. 

Tant que son identité me restait cachée, je n’avais pas d’autre choix que d’accepter qu’on lui donne mon nom. Bien qu’il s’agisse d’un opposant à Nagumo, il restait un élève de 1ère. Ça voulait donc dire que durant toute l’année prochaine, j’allais avoir au moins une personne au courant de mon existence. Cela allait à l’encontre de mon envie de ne pas trop me faire remarquer.

Moi — C’est toi qui vois… 

En temps normal, j’aurais refusé. Mais tant que cet élève ne réalisait pas mes vraies capacités, ou du moins les gardait pour lui, pourquoi pas. Puis Sakayanagi était déjà au courant ainsi que les anciens acolytes de Ryuuen, alors une personne de plus ou de moins… En plus la première sait tout de mon passé dans la White Room, et plus j’essayais de cacher des choses et plus j’avais l’impression qu’elle allait essayer de s’en servir contre moi. Dans tous les cas j’avais tout intérêt à accepter ici.

Moi — Mais vas-y, tu peux lui parler de moi, si nécessaire. 

Horikita-senpai — C’est un choix audacieux, mais c’est le bon choix. 

Moi — Maintenant, tout ce qu’il reste à voir c’est à quel point ils auront foi en toi.

« Hé, il y a un gars en seconde sur qui vous pouvez compter ! »… À quel moment c’est censé être rassurant pour des élèves de première ? Sans doute ils allaient être assez méfiants. 

Horikita-senpai — Si tu doutes de moi, vaincre Nagumo va être impossible.

Moi — Très bien, alors je te laisse gérer ça. 

Horikita-senpai — Depuis notre première rencontre je trouve que tu as incroyablement gagné en maturité et humilité !

Moi — C’est surtout que je t’en dois une… Donc je n’ai pas trop le choix de suivre tes directives.

Cela valait dans le cas où j’obéissais bien docilement à Horikita-senpai. Or, pour une personne aspirant au calme et à une vie paisible telle que moi, défier le conseil des élèves n’avait aucun sens si ce n’était témoigner d’un pur masochisme. Et même si j’allais seulement subir ce cirque jusqu’à ce qu’Horikita-senpai ne soit diplômé, ce n’était pas comme si mes autres problèmes avaient disparu.  Poursuivre cette promesse même après son départ ? Le connaissant, il n’y croyait sûrement pas lui-même.

Moi — Sais-tu à quoi je suis en train de penser là ? 

Horikita-senpai — À ce qui se passera une fois que je serai diplômé, quelque chose comme ça.  

Tout juste.

Horikita-senpai — Je ne m’attendais pas à ce que tu mettes ce sujet sur le tapis. Tu penses donc qu’il est urgent d’en parler ?

Moi — C’est plutôt que je n’arrive pas à voir ce à quoi tu aspires, à plus long terme.

Horikita-senpai — Au final, ça ne me dérange pas vraiment si ta coopération ne dure que tant que je suis là. Si les nouveaux élèves de 2nde auront la même mentalité que les élèves actuels, alors c’est que nous n’y pouvons rien.

Moi — Tu vas loin, pense au présent… Et si je n’arrivais pas à tenir tête à Nagumo ?

Horikita-senpai — Je ne confie pas une tâche à quelqu’un que je n’en considère pas capable !

Horikita-senpai faisait-il mon éloge en me considérant comme l’égal de Nagumo ? Ou essayait-il de démontrer qu’une personne pouvait se surpasser lorsqu’on la nourrissait à la flatterie la plus extrême ?  Décidément, je n’arrivais vraiment pas à lire à travers lui !

Moi — Je vais élaborer une stratégie. Mais je ne peux pas garantir que les résultats seront immédiats… Que tu les verras quoi.

Horikita-senpai — Je comprends tout à fait.

Pourquoi une personne telle que lui se reposait sur une existence aussi hasardeuse que la mienne ? S’il voulait préserver les traditions du Lycée Koudou Ikusei, pourquoi ne pas plutôt directement consulter quelqu’un de plus impliqué et qui partageait son engouement ? Même en tant qu’ancien président du conseil des élèves qui a fait la fierté de ce lycée, c’était bien trop anormal. Déjà pour commencer, même après avoir pris conscience du danger que représentait Nagumo, il était resté passif. Soi-disant car il n’en avait pris conscience qu’après m’avoir rencontré. Mais même ainsi, j’étais légèrement mal à l’aise.

Horikita-senpai — Je n’attends pas à ce que tu agisses exactement comme je l’espère juste parce que tu m’es redevable. Tu n’as probablement jamais eu l’intention de m’obéir comme un petit soldat. Ai-je tort ? 

Il semblait que Horikita-senpai était également bien conscient de tout ça.

Moi — Même si tu n’es plus que l’ancien président du conseil des élèves, tu conserves encore une certaine autorité… Non, plutôt une sphère d’influence. J’ai supposé que tu pouvais m’être utile si j’arrivais à faire de toi mon allié. C’est plutôt normal comme façon de penser, non ? 

Horikita-senpai n’allait certes pas abandonner son impartialité de façade et me favoriser directement. Cependant, il y avait de nombreux cas où la coopération pouvait être utile en conservant quelques relations. Aussi longtemps que j’étais dans ce lycée, j’allais devoir mener un certain nombre de batailles… Pour les affronter, avoir bâti un réseau en alignant certains intérêts allait m’être utile.

Horikita-senpai — Tu peux compter sur moi si tu le souhaites, mais ce serait problématique si tu en attendais trop de ma part. 

Moi — Ce n’est pas mon intention. Ça serait amplement suffisant si tu pouvais m’aider juste une nouvelle fois, en cas de besoin.

Bien entendu, ça serait encore mieux si je n’avais même pas besoin d’utiliser son soutien à nouveau. L’important, c’était plutôt d’avoir en main cet atout dans ma manche.

Moi — Très bien. Car contrecarrer Nagumo ne sera probablement pas une mince affaire !

Jouer le jeu au risque de m’attirer des ennuis avec cette ennuyeuse affaire jusqu’au départ de Horikita-senpai, cela afin avoir un soutien de point en cas d’urgence en contrepartie. Voilà donc le marché tacite que nous étions en train de signer.

Moi — Bon, dans ce cas je vais me mettre à élaborer un plan contre Nagumo. Comme je disais cela va prendre un certain temps. Avant ça, j’aimerais confirmer quelque chose. C’est à propos de ta petite sœur.

Horikita-senpai — Tu es totalement libre d’utiliser Suzune ou non, c’est toi qui vois. 

Moi — Non, ce n’était pas le sujet. Je suis dans la même classe qu’elle depuis près d’un an, et je peux dire qu’elle possède un grand potentiel. Toi qui as dû être auprès de ta petite sœur pendant bien plus longtemps, tu as dû le remarquer, non ? 

Horikita-senpai — Un potentiel, huh ? Sur quoi tu te bases pour le dire ? Ses bonnes notes à l’école ? Son excellent niveau en sport ? 

Il était donc parfaitement au courant de tout ça.

Moi — C’est vrai qu’en termes de travail d’équipe, Horikita peut parfois faire preuve d’une certaine maladresse, mais dans le fond elle ne s’en sort pas si mal maintenant.

Horikita-senpai — Ma petite sœur est un cas désespéré. Toujours à suivre mon ombre. Elle n’a que pour but de me rattraper. 

Il sortit ça comme ça, cela venait du cœur. Mais ce qu’il venait de dire…

Moi — Donc son vrai problème serait son « but » ?

Horikita-senpai — Interprète-le comme tu veux. Ce n’est pas comme si ça changeait grand-chose, non ? 

Moi — Sans doute. 

Mais à présent, j’avais le sentiment de mieux comprendre la raison pour laquelle Horikita-senpai se comportait de manière si âpre avec sa petite sœur.

Moi — Si jamais ta petite sœur essayait de rejoindre le conseil des élèves, est-ce que tu lui donnerais un petit coup de main ?

Horikita-senpai — Je coopérerais selon ce qu’il m’est possible de faire. 

Avec juste ça, quelques pistes pour pouvoir faire tomber Nagumo commençaient déjà à se dessiner.

Moi — C’est bien compris. Autant pour ce point-là que pour la situation générale. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre et observer. 

Horikita-senpai — C’est ce que je ferai. La tranquillité de la vie dans ce lycée dépend à présent de toi.

Et c’était ainsi, en me mettant un pression inouïe, que Horikita-senpai s’en alla.

2

Après ma conversation avec Ryuuen et Horikita-senpai, j’en avais fini avec le programme de cette matinée et je retournai dans ma chambre. Jusqu’en début d’après-midi, j’avais alors passé mon temps seul dans ma chambre, sur internet ou à bouquiner. La prochaine action importante que j’avais à faire était d’envoyer un message à Horikita. À présent que j’avais mentionné le sujet à son frère et qu’il m’avait donné l’assurance de son appui, il m’était possible de pouvoir la faire rentrer dans le bureau conseil des élèves. La connaissant, vu qu’elle était aussi solitaire que moi, elle devait être en ce moment-même enfermée dans sa chambre. D’une certaine manière, elle semblait être assez fragile face au froid. En tout cas, ça me facilitait bien la tâche.

Moi —  Il y a quelque chose dont je voudrais te parler.

Ce message que je venais d’envoyer fut marqué comme étant lu en à peine quelques secondes.

Horikita —  Ça ne me pose pas de soucis. Est-ce qu’un appel suffira ? Ou bien tu veux qu’on se voit en personne ?

Moi —  En face à face ça serait mieux je suppose. Est-ce que maintenant ce serait possible ?

Horikita —  Je suis dans un café en ce moment-même. Si tu passes, j’écouterai ce que tu as à dire.

Contrairement à ce que j’imaginais, Horikita était donc sortie de chez elle. Cela était quelque peu embêtant, mais il valait mieux se débarrasser des tâches ennuyantes le plus rapidement possible.

Moi —  Très bien, j’arrive.

Je répondis ainsi et pris directement mon manteau pour sortir. Lorsque je parvins dans l’entrée du dortoir, je croisai Ike, Yamauchi et aussi Sudou qui étaient rassemblés là-bas. Sortant de l’ascenseur, ils ne semblaient pas m’avoir remarqué tandis que j’étais derrière eux. Alors que je marchais dans la même direction qu’eux sans les appeler, j’entendis une partie de leur conversation.

Yamauchi — Alors du coup, Ken, au final, Horikita t’as mis un gros stop pour cette histoire de rendez-vous de Noël, hein ? 

Sudou —  La ferme, Haruki. Laisse-moi tranquille avec ça, tu veux. 

Yamauchi — Finalement, l’année va se terminer, sans qu’on ait pu se faire une seule copine, huh. J’me sens si vide. 

Sudou — Tch. J’vais prendre tout le temps qu’il faudra histoire de faire bien les choses, moi. C’est pas comme si Suzune avait un p’tit copain ou un truc de ce genre. Le truc c’est que, comment dire, elle n’a pas montré le moindre intérêt pour ce qui concerne les relations amoureuses. Du coup, à partir de maintenant, j’vais faire les choses sans m’précipiter. 

Apparemment, Sudou avait tenté d’approcher Horikita pendant ces vacances. Cependant, il avait subi une phénoménale déconfiture. Mais loin de se décourager, il semblait plus résolu encore d’avancer vers son but.

Yamauchi — T’es vraiment sérieux sur ce coup ! Hey Kanji, ça te dit un karaoké, aujourd’hui. Chantons tous ensemble, avec enthousiasme, des chansons de Noël malgré notre solitude. 

Ike — «Ehh, de quoi tu parles ? 

Yamauchi — Tu veux dire quoi là par de quoi tu parles ? J’suis en train de te proposer de passer cette nuit au karaoké. 

Ike — Désolé, Haruki. J’peux pas pour ce soir. 

Yamauchi — Huh ? Qu’est-ce que tu veux dire ? C’est le réveillon de Noël ce soir j’te signale, t’as rien à faire du tout ce soir. Tu vas pas passer cette nuit avec ta copine la main droite, hein ? 

Ike — …J’ai juste quelques petites choses à faire. 

Ike était visiblement agité, mais il ne dit pas la raison pour laquelle il ne pouvait pas venir au karaoké.

Sudou — Hé, ne m’dit pas… Kanji !!! 

Sudou semblait avoir réalisé son attitude étrange et se rapprocha de lui.

Ike — N-Non, c’est pas du tout ce que tu crois.

Bien qu’il n’avait rien évoqué du tout de particulier, Ike niait quand même et leur révéla alors la raison.

Ike — J’ai juste un dîner de prévu avec quelqu’un ce soir, c’est tout…

Disant cela, Ike détourna les yeux en même temps que le volume de sa voix chuta. Le fait que ce « quelqu’un » n’était pas du sexe masculin était quelque chose d’évident, même pour quelqu’un comme moi qui écoutais tout cela de loin. Surtout que la scène que j’avais pu entrapercevoir hier me revint en tête.

Yamauchi — Qui c’est ? Avec qui tu sors ?! Crache le morceau ?! Vas-y ! Crache !!!

Ayant perdu tout son calme, Yamauchi attrapa Ike par le col en lui criant cela.

Ike — Arrh, c’est vraiment rien de particulier… Juste Sh-Shirohara. 

Yamauchi —  Shinohara…..tu veux dire, celle de notre classe, CETTE Shinohara !? 

Après avoir confessé cela, Ike hocha la tête très légèrement.

Sudou — Mais pourquoi Shinohara ? Je veux dire, vous arrêtez pas de vous prendre la tête tous les deux. 

Yamauchi acquiesça à la remarque de Sudou. C’était en effet une combinaison assez spéciale.

Ike —  Comme je l’ai dit, c’est juste un dîner. C’est pas comme si j’étais content d’être en compagnie d’une fille comme celle-là, hein ? Elle s’est juste débrouillée pour se mettre dans un pétrin pas possible, alors j’étais forcé de la dépêtrer de tout ça. Et pour me remercier de l’avoir sauvé, elle a juste voulu me remercier comme ça !

Yamauchi — No, no, no. La question c’est pas de te remercier ou non, mais là, c’est de Noël qu’on parle, du réveillon de Noël tu comprends ?! 

Ike — Non mais c’est vraiment rien, j’te jure. Franchement, devoir me coltiner une fille comme elle, même si on me payait pour ça, c’est claqué !

Yamauchi — J’te crois pas ! Il veut nous lâcher Ken. IL EST AMOUREUX !

Ike — Non mais sérieusement les gars, lâchez-moi avec ça. Ça ferait mal si des rumeurs entre moi et cette grosse truie de Shinohara se répandaient ! 

Ike avait beau répondre ainsi, il ne semblait pas si mécontent de tout ça. Ike et Shinohara, hein ? Ils pouvaient faire un plutôt bon couple, malgré les apparences. Bien entendu, le pourcentage de chance que cela puisse se réaliser un jour restait encore pour le moment confidentiel.

************************

Les vacances d’hiver, le centre commercial Keyaki était bondé étant donné que l’endroit concentrait l’essentiel des loisirs et activités.  L’endroit où je devais aller était aussi bondé. Comme 80% de la clientèle était féminine, je mis un certain temps avant de pouvoir trouver Horikita. Alors que cela faisait un moment que j’errais dans le café, je finis par l’apercevoir de dos.

Moi — Je suis là. 

Horikita — Tu as été rapide. 

Juste après qu’on avait eu cet échange, quelqu’un à côté d’elle m’appela aussi.

— Bonjour, Ayanakôji-kun !

Voilà un duo pour le moins inattendu… Est-ce que c’était déjà arrivé auparavant ? Horikita seule à seule avec Kushida ! C’était tout simplement exceptionnel. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer qu’il devait y avoir une tierce personne dans les environs. Mais lorsque je regardais à droite à gauche, je ne vis personne de ma connaissance.

Horikita — Il n’y a personne d’autre. 

Horikita m’avait répondu ainsi, de façon indifférente. Je m’étais dit qu’il était fort probable que Hirata était impliqué dans cette réunion étrange, mais ce n’était pas le cas.

Moi — Je ne voudrais pas m’immiscer dans quelque chose qui ne me regarde pas, mais……laquelle des deux a invité l’autre ? 

En réponse à ma question, Kushida sourit gentiment.

Horikita — Moi. C’est moi qui ai invité Kushida-san ici.

Elle répondit à mon interrogation par une réponse dont je ne m’attendais nullement. Non, je suppose que ce n’était pas si inimaginable que cela. Au contraire, depuis quelque temps, Horikita avait cherché très activement à résoudre le conflit qu’elle avait avec Kushida. Cette réunion insolite devait très probablement faire également partie de ces tentatives pour désamorcer la tension entre elles. S’il n’y avait que Horikita ici, Kushida aurait pu parler sans réserve, mais dans un lieu public comme celui-là, elle n’avait d’autre choix que de conserver son masque habituel. Horikita avait bien manœuvré son coup, en l’amenant ici.

Moi — Ah au fait, Horikita-san, comment ça se passe avec Sudou-kun ? 

Horikita — De quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? 

Moi — Est-ce que tu vas passer la soirée du réveillon de Noël avec lui ? Voilà à quoi je pensais. 

Horikita — Hors de question, bien sûr.

Elle me répondit ainsi, bien sèchement.

Kushida — Vraiment ? Sudou-kun t’as pourtant bien demandé de sortir avec lui, non ? 

Horikita — Est-ce que c’est un détail qui ajoute quoi que ce soit à la question ?

Kushida avait tenté d’utiliser ma question pour détourner la direction prise par la conversation, mais Horikita ne la laissa pas faire si facilement. Horikita, qui presque par nature avait une attitude plus qu’hautaine, se servit de son avantage pour avoir gagné son duel contre Kushida pendant le dernier exam et du fait qu’elles se trouvaient dans un lieu public pour assaillir la forteresse impénétrable qu’était Kushida.

Horikita — Oh et puis, Ayanokôji-kun. Combien de temps comptes-tu rester debout comme ça, à ne rien faire ? Si tu as quelque chose à me dire, alors pourrais-tu te dépêcher et me le dire ? 

« Je suis occupée à parler à Kushida, alors dépêche-toi », voilà ce qu’elle semblait vouloir me dire. Et en effet, si on regardait tout cela du point de vue de Horikita, c’était là une occasion à saisir.

Moi — Désolé. Je ne m’attendais pas qu’il y ait quelqu’un d’autre. Je verrais ça une autre fois. 

Je décidais de me retirer vu que, vraisemblablement, ma présence était dérangeante. Mais vu la situation dans laquelle elle se trouvait, Kushida devait au contraire juger ma présence comme salutaire.

Kushida — Ça te va vraiment, Horikita-san ? Après tout, ça ne change pas grand-chose, alors pourquoi ne pas laisser Ayanokôji-kun nous rejoindre pour prendre un thé ? 

En disant cela, elle m’arrêta net et m’empêcha de partir. Cependant, vu la pression qu’exerçait Horikita sur moi avec son silence, je n’avais pas non plus la possibilité de m’asseoir non plus.

Moi — Peut-être une prochaine fois. 

Je dis cela et me dépêcha d’essayer de partir.

Horikita — Attends ! J’écouterais ce que tu as à me dire ici.

Moi — Non, ça n’a rien avoir avec votre entretien, donc…

Puisque je détestais l’idée que Kushida puisse avoir des informations qui ne lui étaient pas nécessaires, j’essayai de pouvoir m’échapper en disant ça. Je n’étais pas spécialement contre qu’un tiers écoute ce que j’avais à dire à Horikita,  mais dans ce cas-là précisément il n’y avait aucun intérêt à la laisser apprendre quoi que ce soit. Au contraire, cela allait plutôt entraîner des désagréments.

Horikita — Est-ce que tu voudrais me dire des choses dont tu ne voudrais pas qu’elle soit informée ?

Mes pensées avaient été démasquées par la perspicacité de Horikita

Kushida — C’est vrai, Ayanokôji-kun ?

Kushida me regardait avec un regard attristé. Bien entendu, je comptais nier cela catégoriquement. Cependant, Horikita avait de nouveau lu dans mes pensées et scella le chemin qu’allait prendre la suite.

Horikita — Dans ce cas, ça ne peut se faire. Elle fait partie de notre classe et garder des secrets entre membres d’une même classe est quelque chose que je veux éviter à tout prix. 

Moi — Le truc, c’est que ça n’a vraiment rien à voir avec la classe. C’est quelque chose qui ne te concerne que toi, voir un peu moi, à titre individuel. 

Horikita — Je vois. Dans ce cas, je m’en fiche un peu. C’est quelque chose qui me concerne principalement ? Alors tu peux le dire devant elle. 

Moi — Je dois refuser. 

Horikita — Dans ce cas, tant pis, je ne saurais jamais ce que tu voudras me dire. 

Apparemment, Horikita était vraiment résolue à son idée. Peut-être que montrer à Kushida qu’elle ne lui cachait rien allait lui permettre de gagner un peu de sa confiance et améliorer leur relation. Comme toujours, le visage de Kushida n’exprimait qu’une gentillesse débordante. Peu importe combien de fois quelqu’un s’était fait manipuler et trahir par elle, peu importe la souffrance éprouvée suite de ça, il suffisait de regarder son sourire si particulier pour se dire « peut-être que cette fois elle est sincère ». Mais à ces personnes j’aurais pu les convaincre avec n’importe quel prétexte… Mais Horikita, déterminée, n’allait sûrement rien accepter.

Moi — Très bien. Alors je vais parler franchement. Ça ira ? 

Horikita — Oui, vas-y, dis-moi.

Moi — Est-ce que tu as l’intention de rejoindre le conseil des élèves ? 

Bon, ce qui est fait est fait. Je ne savais pas comment Horikita allait le prendre, mais je me disais que j’allais faire avec.

Horikita — Désolée, mais je n’en ai plus l’intention.

Elle inclina la tête comme pour me demander pourquoi je lui demandais cela.

Horikita — Ça sort totalement de nulle part, pourquoi tu me demandes ça ? 

Moi — C’est précisément ce qui était un peu personnel…

Horikita — D’accord. Aller, poursuis.

Kushida — Hmm, ça te va, c’est sûr, Horikita-san ? 

C’était Kushida qui m’avait interrompu ainsi.

Horikita — Ça me va ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Kushida — Vu que c’est à propos du conseil des élèves, je pense que ton frère va faire partie du sujet. Donc est-ce que ça te va vraiment que j’écoute tout ça ? 

Horikita — Depuis même le collège tu savais qu’on était de la même famille alors je ne pense pas qu’il y aura de grands scoops pour toi.

Une des raisons pour laquelle Horikita avait utilisé son frère en tant que témoin était justement parce que Kushida était déjà au courant de cette connexion qui les liait. Vu que ce n’était pas quelque chose à cacher, on pouvait en parler librement, était-ce ce qu’elle voulait dire ? Ça n’allait pas être quelque chose qui pouvait se dire en quelques secondes, alors je pris la résolution d’y aller jusqu’au bout et m’assis à côté d’eux.

Moi — Une certaine personne souhaiterait que tu rentres dans le conseil des élèves. 

Horikita — Une certaine personne ? 

Moi — Ton frère…

Bien entendu, à proprement parlé, Horikita-senpai n’avait jamais formulé une telle requête. Il m’avait simplement dit que j’étais libre ou non d’utiliser Horikita à ma guise. Cependant, pour pousser Horikita à rentrer en scène, je n’avais d’autre choix que d’utiliser la carte de son frère.

Horikita — Pourquoi mon frère me demanderait une chose pareille ? Cela n’a pas de sens.

Horikita semblait très mécontente de ce que je venais de lui annoncer, au point de le nier totalement.

Moi — C’est pourtant la vérité. 

Horikita — Si c’était vraiment le cas, alors pourquoi mon frère ne me l’a pas demandé directement ? Pourquoi passerait-il par toi ? 

Moi — Tu penses vraiment que ton frère est du genre très démonstratif ?  

Horikita — Non. Mais pour commencer, il ne serait pas du genre à vouloir que je rentre dans le conseil des élèves. 

Autrement dit, Horikita n’avait aucune confiance en mes dires. Si leur relation fraternelle était si distante, alors il était assez naturel qu’elle ne me croit pas. Malgré ça, vu la présence indésirable de Kushida en ce moment-même, je ne pouvais me permettre de lui dire la vérité exacte. Au début du 3e trimestre, elle allait apprendre la chute de Ryuuen du sommet de sa classe et allait certainement se douter que j’étais derrière ça. Je voulais éviter cela, ou en tout cas repousser l’échéance un maximum vu que ça allait sûrement finir par se savoir.

Horikita — Je n’ai aucune intention de marcher avec tes mensonges. Qu’est-ce que tu cherches à faire exactement ? 

Moi — Pourtant c’est vrai. Si tu penses que je mens, pourquoi ne pas demander confirmation directement à ton frère ? 

Horikita — Tu es vraiment obstiné… 

Moi — Obstiné ou non, tu doutes de moi, non ? Alors autant le contacter pour vérifier tout ça, c’est la chose la plus simple à faire. 

Horikita — Donc tu… Tu connais le numéro de mon frère ? 

Moi — Non, mais vu que tu es sa sœur, tu devrais l’avoir, non ? 

Horikita — Et bien non, je ne l’ai pas ! 

Kushida — Si ça vous va, on pourrait essayer de contacter Tachibana-senpai ? 

Horikita — Tachibana, la secrétaire qui obéit aux ordres de mon frère ?

Kushida — Yep. Je lui ai parlé plusieurs fois, alors j’ai son numéro. 

Comme on pouvait s’y attendre de Kushida, il semblait qu’elle ait même réussi à étendre son réseau jusque-là !

Kushida — Du coup, ça te va si j’essaye de vérifier cela, Ayanokôji-kun ? J’éspère que tu n’es pas en train de nous mentir !

Moi — Fait comme tu veux. 

De toute façon, Horikita-senpai allait forcément comprendre ma stratégie et allait jouer le jeu. Tout ce que j’avais dit, aussi inconcevable que ce fut, allait devenir la vérité pour Horikita.

Kushida — Merci, senpai. Oui, et encore désolée pour le dérangement. 

Après avoir fini son appel, Kushida tapota sur son téléphone. Et quelques secondes plus tard, celui de Horikita se mit à vibrer. Apparemment elle avait réussi à obtenir le numéro et désormais, tout était entre les mains de Horikita.

Horikita —  Merci, Kushida-san. 

Kushida —  Oh, ce n’était pas grand-chose. 

Bien qu’il y avait des personnes tout autour, devoir répondre aussi amicalement à Horikita devait lui être atroce. C’était vraiment impressionnant qu’elle soit ainsi capable de ne rien laisser transparaître. Horikita fixa longuement l’écran de son téléphone. J’avais pensé qu’elle téléphonerait immédiatement, mais ses mains ne bougèrent pas d’un pouce, tandis qu’elle tenait son téléphone fermement avec ses deux mains.

Horikita —  Fuu…

Un profond soupir, non, une profonde inspiration. Être à ce point anxieux pour appeler un membre de sa famille était tout à fait anormal.

Horikita —  Si tout cela s’avère être un mensonge… Alors tu peux déjà te préparer à passer un sale quart d’heure !

Moi —  Ça ira, je n’ai pas à m’en faire. 

C’était un pari de la part de Horikita.

Il était totalement impossible que son frère ait pu lui demander de rejoindre le conseil des élèves. Et pourtant, voilà que je lui affirmais cela avec assurance. Même si elle avait interprété cela comme étant du bluff, une partie d’elle s’imaginait inévitablement que ça pouvait être vrai. Qu’elle puisse confirmer ses dires sans avoir à contacter son frère aurait été royal… Mais c’était inconcevable. Horikita, qui ne pouvait absolument pas me faire confiance sur ce coup, prit son courage à deux mains et appuya sur le bouton d’appel. Quelques secondes après, elle présenta son téléphone à son oreille. Peut-être que la personne à l’autre bout du fil avait décroché. En tout cas, il apparaissait très clairement que la nervosité de Horikita avait monté d’un cran.

Horikita —  Ahh, hmm, c-c’est moi. Horikita Suzune. 

Voilà une façon bien formelle de se présenter à son grand frère.

Horikita —  J’ai demandé à Tachibana-senpai ton numéro, hmm, puis je t’ai appelé… Onii-san. 

Et c’était en nous montrant un regard troublé, probablement malgré elle, que Horikita posa enfin cette fameuse question. Et alors, elle put sans doute entendre que toute cette histoire que je lui avais racontée était la vérité.

Horikita —  Très bien, m-merci beaucoup. S’il te plaît, excuse-moi. 

Après une pause suite à la fin de l’appel, elle me fixa intensément des yeux.

Moi —  Alors, tu me crois ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? 

Horikita —  Pourquoi tu joues le rôle de l’intermédiaire ? C’était ça qui était incroyablement suspect.

C’était plutôt évident comme réaction. Peu importe comment on tournait les choses, ça paraissait très étrange, en effet.

Kushida —  Horikita-san, tu comptes rejoindre le conseil des élèves, finalement ? 

Horikita —  Non… Je ne vais pas le faire. 

Moi —  Mais ton frère te l’a bien demandé, non ?  

Horikita —  Si je le fais, ça doit être de ma propre volonté, voilà ce qu’il m’a dit. Mais…. Un truc pareil, je sais que ne le ferais pas réellement pour moi.

Alors même la volonté de son frère, qu’elle érigeait sur un piédestal absolu, ne suffisait pas à la motiver. Mais je ne voulais pas plus insister pour l’instant, je voulais arrêter de donner plus d’informations à Kushida. 

Moi —  Compris. Mais ne te presse pas, prends le temps d’y réfléchir et on pourra en rediscuter plus tard si tu veux !

Horikita —  Je pense que ce serait une perte de temps… Mais soit. 

Moi —  Si tu le dis.  

Horikita comprit que je voulais mettre fin à cette discussion puisque qu’elle jouait vraisemblablement le jeu et ne me retenait pas. Avec Kushida dans les pâtes, je ne pouvais pas aller plus loin. Puis il n’y avait pas d’urgence, je pouvais recontacter Horikita quand je voulais.

Kushida —  À la prochaine, Ayanokôji-kun. 

Dans sa façon de me dire au revoir bien gentiment, je sentis quelque chose de bien inhabituel dans l’intonation de Kushida.

***********************

Il était 22h00. Le réveillon avançait peu à peu. J’étais en train de regarder la télévision, seul, sans la compagnie de mes amis. Ils retransmettaient en direct la célébration du réveillon de Noël à Tokyo. On pouvait bien sentir l’ambiance de fête. Comme on pouvait s’y attendre, en zappant c’était pareil : tous les programmes avaient un rapport avec Noël. Du classement des cadeaux à faire aux filles (information utile mais un peu tardive si vous voulez mon avis) à celui pour faire plaisir à ses enfants (sérieusement, pourquoi le faire si tard ?), on ne pouvait pas y échapper. Cependant, aucun des programmes en particulier ne me paraissait intéressant. J’éteignis la télévision pour allumer mon ordinateur. Sentant le besoin de regarder quelque chose qui n’avait pas de lien avec Noël, je lus en diagonal divers articles qui apparaissant dans mes notifications. Des accidents et encore des accidents. Quelques bonnes nouvelles concernant des athlètes à l’étranger. Même si c’était Noël, le monde continuait de tourner.

La sonnette de mon appartement retentit. Cela ne venait pas d’en bas, mais directement de ma porte. 

Moi —   Entrez. 

Alors que je me dirigeai en direction de l’entrée tout en répondant ceci, l’identité de mon visiteur se dévoila.

—  B-b-b-bonjo—bonsoir. 

C’était la voix d’une de mes camarades dont j’étais familier. J’enlevai le verrou de la porte et ouvrit.

Airi —  Kiyotaka-kun ! 

Moi —  Salut Airi. Qu’est-ce qui se passe ? Il est assez tard. 

Il était déjà dix heures du soir, mais à en juger par son apparence, il semblait qu’elle était déjà de retour de sa soirée.

Moi —  Est-ce que tu viens juste de rentrer ? Si je me rappelle bien, votre soirée est pour demain, non ? 

Airi —  Oui. Ce soir, c’était autre chose. J’étais juste avec Haruka-chan depuis cette après-midi. 

Moi —  Je vois 

Si elles s’étaient données rendez-vous aux alentours de midi, ça faisait presque une demi-journée complète, ce qui était pas mal.

Moi —  Alors, c’était sympa ? 

Airi —  Fatigant, mais bien drôle. 

Moi —  Ah, eh bien c’est parfait. 

Je n’avais plus à m’inquiéter outre mesure pour Airi à présent. Du moins, tant qu’elle était au sein du groupe, il n’y avait aucun souci à se faire. Ils allaient très probablement passer un bon moment ensemble demain également.

Airi —  J’ai entendu dire de la part de Haruka-chan que tu as quelque chose de prévu pour demain, alors tu ne pourras pas venir…

Je vois. Ça me revient maintenant, j’avais eu une discussion sur ce sujet avec Haruka. Ce qu’elle voulait donc dire par « je vais gérer ça », c’était de passer toute cet après-midi avec elle aujourd’hui.

Moi —  J’ai un rendez-vous. Désolé de ne pas pouvoir venir demain. 

Airi —  Oh non, c’est rien, amuse-toi bien. Hmm, en vérité, j’avais prévu de te donner ça, demain, alors… 

Elle me tendit alors un paquet très joliment décoré avec ruban rouge.

Airi —  C’est… Si tu veux bien l’accepter. 

Apparemment, elle m’avait préparé un cadeau.

Moi —  Hmm… Fallait pas !

Airi —  J-j’en ai préparé un pour tout le monde, alors… 

Si c’était ça, alors c’était plus simple pour moi de l’accepter. J’étais même ravi de le recevoir. Je pris alors son cadeau. Dans un moment comme ça, je ne savais pas vraiment ce qu’il fallait faire. Devais-je l’ouvrir tout de suite ? Ou alors fallait-il que j’attende qu’Airi s’en aille ? Alors que j’hésitais encore sur la marche à suivre, Airi me dit timidement.

Airi —  Ç-ça ne me dérange pas si tu l’ouvres tout de suite, tu sais.

Donc voilà ce qu’il fallait faire, j’obéis donc. Alors que j’ouvris le paquet, je pus constater qu’il contenait des gants qui donnaient chaud rien qu’à les regarder.

Airi —  Kiyotaka-kun, depuis un moment déjà j’ai remarqué que tu voulais des gants…. Tu n’en as pas, n’est-ce pas ? 

Moi —  Je pensais justement à en acheter, mais je reportais toujours… Merci beaucoup, Airi. 

Airi —  Héhéhé… J’en suis ravie. 

C’était des gants bleus très sobres, bien plus pratiques à porter que ceux flashy qu’on pouvait voir dans les magazines. Je les essayai de suite. C’était la première fois que j’en portais de ma vie, mais je gardai cela pour moi. Ils allaient parfaitement à ma main droite comme à ma gauche. Et alors je me mis à jouer à pierre papier ciseau encore et encore. Airi me regarda faire joyeusement.

Airi —  C-comment tu les trouves ? 

Moi —  Il me vont comme un gant pour ainsi dire. Et ils sont tous chauds. 

Airi —  Ça me fait plaisir. 

Je n’avais pourtant jamais parlé de mes goûts auparavant. Et pourtant je pense qu’elle n’aurait pas pu mieux choisir, j’aurais sûrement pris les mêmes.

Airi —  Eh bien, hmm, désolée d’être venue te déranger si tard. Je dis bonne nuit, Kiyotaka-kun !

Peut-être pensait-elle qu’il ne fallait pas trop s’attarder. En temps normal je l’aurais bien invitée à prendre un petit thé. Mais, au vu du contexte – 24 décembre, tard en soirée – inviter une fille dans ma chambre risquait de lancer les rumeurs les plus farfelues si ça s’apprenait. Alors que je regardais Airi partir vers l’ascenseur, que ce soit parce qu’elle avait senti mon regard ou non, dans tous les cas elle se retourna vers moi. Et après m’avoir fait un dernier au revoir de la main, elle entra dans l’ascenseur.

Je rentrai ensuite dans ma chambre.

Moi —  Hmm… Je me demande quand est-ce que je vais devoir la remercier.

Pour la Saint-valentin il y avait le White Day, mais je ne connaissais par l’équivalent pour Noël. Bon, je n’avais qu’à faire quelques petites recherches.


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