CLASSROOM V7,5 : CHAPITRE 2


Un jour malchanceux pour Ibuki

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Traduction : Zuda
Correction : Blupo, Raitei & Nova
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Petit aparté sur une série d’événements qui eurent lieu deux jours avant le fameux rendez-vous en amoureux de Noël, durant la matinée du 23. Je me dirigeai alors au centre commercial Keyaki ayant un certain but en tête. M’arrêtant au passage devant une certaine devanture, je fouillai un peu partout pour trouver ce dont j’avais besoin.

Moi —  Je n’ai jamais pris ceux qui se trouvent là….. 

J’avais regardé ce qu’on en disait sur Internet, et après avoir également écouté l’avis de la vendeuse, j’en choisis deux, que je mis alors dans un sac plastique avant de me diriger vers la caisse.

Je fus vraiment surpris par leur prix exorbitant. J’y pensais encore alors que je rentrais au dortoir. Tout ce qu’il me restait à faire, c’était d’aller au konbini du coin pour acheter de quoi manger pour ce soir-là, et après ça, tous mes objectifs seraient atteints. Puis, par la suite, je comptais revenir au centre commercial Keyaki pour aller voir un film au ciné qui allait bientôt être retiré de l’affiche.

C’était tout ce que j’avais prévu ce jour-là, cependant, à cause de ma rencontre avec une certaine personne, mon plan capota.

 — Comment ça va aujourd’hui, Ayanokôji-kun ?

Bien que nous semblions en ville à l’extérieur, nous étions toujours au sein de l’établissement du lycée, qui en soi restait un espace confiné. En me baladant ainsi, il était donc fort probable que je tombe sur des élèves que je connaissais. Juste avant que je ne sorte de la zone du centre commercial, cette fille m’avait appelé. Avec sa canne qui lui était caractéristique, elle s’approcha de moi très lentement. C’était Sakayanagi Arisu, de la seconde A. Une des rares personnes à connaître l’existence de la White room. Et la fille du directeur du lycée.

Moi — Tu rentres bien tôt, dis-moi. Et tu es seule, aujourd’hui, à ce que je vois. 

En temps normal Sakayanagi était toujours accompagnée, mais cette fois-ci, je ne voyais personne autour d’elle.

Sakayanagi — Je suis venue ici pour jouer avec Masumi-san, mais elle n’est pas encore arrivée.

Sakayanagi remarqua alors le sac plastique dans mes mains.

Sakayanagi — Est-ce que tu es malade ?

Moi — Non, pas du tout. Comme tu peux le voir, je suis en pleine forme. 

Montrant mes deux mains, je lui suggérais que j’allais bien. Et dans le même temps, je rangeai le petit sac plastique dans ma poche.

Sakayanagi — Et bien, j’en suis ravie. Si ça ne te dérange pas, tu ne voudrais pas venir jouer un peu avec moi ?

Elle me fit alors cette proposition totalement inattendue et déplaisante. Je n’eus même pas besoin d’y réfléchir pour lui donner ma réponse.

Moi — Je dois refuser, désolé. Tu es quelqu’un qui se démarque un peu trop du lot, après tout. 

Traîner avec Sakayanagi, c’était prendre un risque inutile. Si on nous voyait ensemble, ça allait certainement faire du bruit.

Sakayanagi — Fufu. C’est bien dommage.

C’était évident que si elle avait voulu que tout le monde sache qui j’étais vraiment, elle l’aurait fait savoir depuis bien longtemps. Mais même à Ryuuen, elle n’en avait pas dit un mot. En partant de ce fait-là, je pouvais supposer sans trop me mouiller que Sakayanagi avait l’intention de me parler seule à seul.

Sakayanagi — Mais du coup, cela veut dire que ça ne pose pas de problème si on ne fait que discuter, comme on le fait maintenant, non ? 

Moi —  C’est étrange que tu veuilles discuter comme ça avec moi.

Sakayanagi — Bon, je ne vais pas l’appeler par son surnom, sait-on jamais d’où il peut bondir, mais Ryuuen te cherche n’est-ce pas ? Ou plutôt, pour être plus précise, il recherche qui est l’éminence grise derrière la classe D. Qu’est-ce qu’il s’est passé à ce sujet ?

Pour le moment, à part les gens impliqués là-dedans, personne n’avait eu connaissance de l’incident qui avait eu lieu sur le toit, ni comment cela s’était terminé. Cependant, il n’aurait pas été étonnant si elle avait réussi d’une manière ou d’une autre à avoir eu vent d’une partie des événements. Par exemple—

Sakayanagi — La classe C a subi un gros coup dur apparemment, et il semblerait que ce soit assez sérieux. Étais-tu au courant ?

Tout juste. Ryuuen et tout son groupe avaient été blessés après un combat qui avait dégénéré. Voilà les faits qui étaient apparents pour tous, et à partir de là, il était facile d’imaginer plusieurs hypothèses sur ce qui s’était passé. D’après la rumeur, il y aurait eu une dispute interne à la classe C. C’était sans doute ce qu’avait entendu Sakayanagi.

Moi — J’en ai aussi entendu parler, mais je n’ai pas plus de détails.

Sakayanagi — Notre Dragon du campus s’est disputé avec ses sous-fifres. Mais ça ne colle pas du tout si tu veux mon avis. Je pense même que tu es impliqué.

Moi — Pourquoi je serais impliqué ? Parce que tu as décidé sur un coup de tête que celui qui agit dans l’ombre, c’est moi ? Si tu veux mon avis, c’est un incident qui prouve juste que la classe C n’est pas si unie.

Sakayanagi — Tu la pensais unie ?

Moi — Que ce soit par la terreur ou non, dans les faits, elle l’était.

Sakayanagi — Je vois, c’est peut-être le cas. Il semble que tu ne sois pas impliqué dans tout ça, vu que tu n’as même pas une égratignure… 

Elle avait observé minutieusement mes gestes ou mon expression, mais ce n’était pas ainsi qu’elle aurait pu découvrir quoi que ce soit.

Sakayanagi — Ça ressemble beaucoup à une simple dispute interne, c’est vrai. C’est juste que je n’arrive pas à expliquer ses actions et pourquoi il était si intéressé par la classe D.

Moi — Il y a pas mal d’élèves assez talentueux dans la classe D, après tout. Par exemple Kôenji.

Sakayanagi — C’est vrai. Il pourrait être un adversaire à la mesure de notre Dragon.

Voilà ce que Sakayanagi finit par conclure.

Sakayanagi — Très bien, si c’est tout ce que tu veux bien me dire, ça me va. Quand le 3e trimestre commencera, je finirais par savoir ce qu’il en est vraiment, de toute façon.

Moi — On peut changer de sujet, maintenant ? 

Au lieu de faire cela subtilement, je décidai de le faire ouvertement.

Sakayanagi — Bien sûr, vas-y

Et sans une seule objection, Sakayanagi accepta.

Moi — Ça a attisé ma curiosité depuis un moment déjà, mais depuis quelques jours, tu sembles très bien t’entendre avec Ichinose. Même en laissant de côté toute cette histoire de lutte entre classes, je ne savais pas que c’était ton genre de sociabiliser avec des gens qui n’étaient même pas dans la tienne.

Je me remémorai Sakayanagi et Ichinose, toutes deux en train de marcher. Pour aller jusqu’à passer du temps ensemble pendant leurs vacances, cela signifiait forcément qu’il y avait eu un rapprochement entre elles.

SakayanagiFufu, arrête ce genre de blagues, s’il te plaît.

Peut-être que ma remarque avait attiré l’attention de Sakayanagi, en tout cas, cela la fit rire.

Sakayanagi — Nous ne sommes pas du tout amies, tu sais ?

Moi — C’est-à-dire ? 

Sakayanagi — Par contre, elle pense que toi et moi le sommes.

Après avoir dit ça, elle marqua une pause.

Sakayanagi — Avec la Classe C, totalement obsédée par la classe D, j’étais un peu jalouse, vois-tu. Alors pour calmer un peu mon ennui, j’ai juste décidé de m’amuser un peu avec la classe B. 

Il semblerait qu’ils étaient pour elle simplement des jouets, une petite distraction passagère.

Sakayanagi — Mais parlons de quelque chose de plus intéressant, veux-tu. Au trimestre prochain, est-ce que tu voudrais bien jouer un peu avec moi ?

Moi — Désolé, mais ce n’est pas dans mes intentions. Par contre, si tu en as l’envie, fais-toi plaisir et va jouer un peu avec Horikita et les autres. 

Sakayanagi — Elle n’est pas digne d’être mon adversaire, et tu le sais bien. 

Moi — Alors pourquoi pas Ryuuen, ou alors des premières ou terminales. J’aimerais que tu arrêtes un peu avec ton obsession pour moi. 

Sakayanagi — Ce que tu me demandes là est impossible. Parce qu’il ne se passe pas un seul jour sans que je ne rêve de t’affronter, Ayanokouji-kun. 

Evidemment qu’elle n’allait pas laisser tomber simplement car je le lui demandais. Ce n’était pas le genre de Sakayanagi. En continuant à agir aussi nonchalamment, je n’allais donc rien obtenir du tout. Vu qu’elle avait connaissance de la White room, elle n’allait pas arrêter de me pourchasser à cause de cela.

Moi — Si je continue de t’ignorer, qu’est-ce que tu vas faire ?

Sakayanagi — Ça ne m’embêterait pas plus que ça… mais je me demande si ça t’irait par contre.  Car si tu n’es pas mon adversaire, Ayanokôji-kun, ça signifie que quelqu’un d’autre prendra ta place. Alors ne m’en tiens pas pour responsable si la classe B avec qui vous avez noués des liens et qui semble unie venait à s’effondrer tout à coup. 

Moi — Alors ces petits rendez-vous avec elle prépare quelque chose.

Il semblait que derrière le rapprochement entre Sakayanagi et Ichinose, il y avait la planification d’une attaque contre la classe B. Mais jusqu’où tout ce qu’elle me disait si ouvertement était vrai ? Je la sentis légèrement moqueuse.

Sakayanagi — Puisque tu ne veux pas être mon adversaire, je vais jouer un peu avec les gens de la classe B en attendant. Un gros fossé risque de s’ouvrir, et ainsi, les classes du dessous vont monter d’un cran, naturellement.

Elle me dit ainsi ouvertement ses intentions. Mais malgré ça, à ce stade, il valait mieux ne rien en conclure du tout. Elle n’allait peut-être pas vraiment lancer une attaque. Il y avait des chances que ce ne soit qu’une de ses provocations, ou alors peut-être jouait-elle simplement avec les mots. Cependant, dans tous les cas, c’était une chance pour moi. Car si le regard de Sakayanagi se tournait bien vers Ichinose, alors pendant un moment, j’allais pouvoir être tranquille tant que je ne me trouvais pas pris inutilement au milieu du conflit.

Moi — Mais es-tu sûre de pouvoir gagner face à Ichinose et les autres ? 

Sakayanagi — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Moi — Depuis la rentrée jusqu’à la fin du 2e trimestre, la classe B semble avoir considérablement renforcé sa cohésion de groupe. De l’autre côté, la classe A traîne plutôt des pieds et n’a fait que perdre du terrain. Même si tu es là, à me prétendre que tes aptitudes sont de loin supérieures aux autres, ta crédibilité laisse un peu à désirer.

Sakayanagi — Je vois. Donc tu dis qu’il est facile pour moi de dire tout ça, tant que c’est juste des mots, huh ? 

Bien qu’elle essayait de donner l’impression d’accepter ma remise en cause de ses capacités bien calmement, son visage laissait tout de même filtrer un brin de contrariété. Je décidai alors de lui lancer à nouveau une petite pique.

Moi — En plus, j’ai compris depuis peu qui tu étais. Tu es juste la fille du proviseur de ce lycée.

Sakayanagi — Donc tu es au courant… Et puis-je savoir comment ?

Sakayanagi ne put s’empêcher de répondre au quart de tour. Ce sujet la touchait visiblement.

Moi — Peu importe comment. Par contre, une chose m’est devenue clair, c’est que le fait que ton père soit le proviseur du lycée n’est pas anodin à propos de ton affectation en classe A. Autrement dit, même si tu as bien été choisie grâce à tes capacités, c’est impossible d’être certain que ce soit vraiment le cas. Alors tu peux bien te vanter de pouvoir mettre Ichinose à terre sans problème, c’est facile à dire, mais ça reste dur à prendre au sérieux.

Personne, mis à part les élèves de la classe A, peut-être, n’avait pu apercevoir réellement les capacités de cette élève connue sous le nom de Sakayanagi Arisu. Alors tout ça n’était objectivement, pour l’instant, qu’une rumeur.

Sakayanagi — Dans ce cas, comment expliques-tu que j’ai soumis la majorité de ma classe à mon autorité ?

Moi — Tu contrôles ta classe ? Ça n’a rien à voir avec une prétendue supériorité de tes capacités. Même Ryuuen et Ichinose, que tu considères comme inférieurs à toi, ont été capables de la même chose. Et si l’on parle de la classe D, Hirata a aussi réussi à faire de même. Je dirais même que si l’on parlait de la capacité à rassembler tout le monde, Hirata est de loin supérieur, mais tout ça n’est en rien une preuve d’une prétendue capacité supérieure.

Sclach ! Faisant siffler sa canne dans le vide soudainement, Sakayanagi changea d’approche subitement en optant un angle d’attaque complètement différent.

Sakayanagi — J’aurais dû me douter, qu’étant mon seul opposant un minimum à ma hauteur, ce genre de petites mesquineries enfantines n’aurait aucun effet sur toi. Je te prie de m’excuser pour cette soudaine brutalité. 

Me disant cela, elle s’inclina pour s’excuser plus encore.

Sakayanagi — Cependant, Ayanokôji-kun, je me demande si, à toi aussi, ton arrogance ne te joue pas quelques tours. Est-ce que le fait d’avoir été la première réussite de la white room ne te serait pas monté à la tête ? 

En regardant les choses du point de vue de Sakayanagi, je devais effectivement lui paraître ainsi. Je n’avais pas fait attention à ça jusqu’à maintenant, mais même si je voulais faire quelque chose pour ne pas être perçu ainsi, je n’avais pas vraiment de marge de manœuvre. S’il fallait choisir uniquement entre si j’étais un succès ou un échec, il était évident que sans le moindre doute, on me classerait plutôt comme étant une réussite. Car si ce n’était pas le cas, alors cette personne… mon père, n’aurait pas été si obsédé par moi.

Sakayanagi — Comme je m’y attendais, Ayanokôji-kun, tu sembles avoir mal compris quelque chose. Penses-tu que le fait d’avoir été derrière ces vitres transparentes est remarquable ? En effet, la quantité de connaissances que tu as accumulées depuis ton enfance est sans nul doute bien au-delà de l’ordinaire. Et bien que tu sembles tout faire pour le cacher, je n’ai aucun doute sur ton excellence en ce qui concerne les capacités académiques ou les capacités physiques. Cependant, cet endroit a été conçu pour ceux qui ont des lacunes. Des gens nés avec le talent et le génie n’ont aucune raison d’intégrer un lieu comme celui-ci, tu ne trouves pas ? 

Moi — Peut-être bien. 

Je n’allais pas la contredire. Il fallait dire que les convictions de mon père allaient aussi dans ce sens. La question de la génétique ou de la naissance en général ne comptaient pas pour lui. C’était la manière dont on était éduqué qui expliquait la valeur d’un individu. Que ce soit le temps qu’on lui accordait à dormir, ce qu’il était autorisé à manger, en régulant parfaitement chaque petit détail ainsi, depuis sa naissance, on pouvait sculpter un être humain parfait. C’était la méthode qui était la seule valable pour pouvoir améliorer le talent de ceux qui allaient porter le Japon dans le futur. Voilà l’idéologie auquel mon père croyait dur comme fer.

Moi — Est-ce pour ça que tu éprouves une telle hostilité à mon égard ? 

Sakayanagi — En effet. En te faisant goûter à la défaite, Ayanokôji-kun, je vais ainsi pouvoir prouver que rien ne peut vaincre la supériorité innée, conférée à la naissance. Peu importe les efforts fournis par quelqu’un, ou les méthodes utilisées, il y a des écarts qui ne peuvent pas si facilement être effacés. Voilà en quoi je crois. 

Elle pensait donc, sans le moindre doute, qu’elle était elle-même une de ces génies de naissance. Ce fut à ce moment-là que Kamuro approcha lentement de derrière Sakayanagi, visiblement à sa recherche.

Kamuro — Ah, c’est donc ici que tu étais….hah. Ne t’éloigne pas du lieu de rendez-vous fixé juste sur un coup de tête. J’me doute que tes jambes t’ont amenée là, vu le pitoyable état dans lequel elles sont. 

Bien qu’elle avait remarqué ma présence, Kamuro ne porta aucune attention à mon égard et se contenta de lancer des sarcasmes à Sakayanagi.

Sakayanagi — Je dois te demander pardon. Je suis arrivée en avance, et j’ai juste un peu bavardé en marchant. 

Kamuro — Dans ce cas, prend au moins la peine de me contacter.

Vu son échange avec Kamuro, je pouvais voir que Sakayanagi faisait attention à ce que le sujet ne se tourne pas vers moi. Il semblait qu’elle n’avait absolument pas intérêt à ce que mes capacités tombent dans le domaine public. Et c’était sans doute parce qu’elle détestait l’idée que des rumeurs sur moi ne se répandent et que quelqu’un ne veuille alors lui voler sa proie.

Sakayanagi — Désolé de changer de sujet aussi abruptement, Masumi-san mais qu’est-ce que tu penses de Ichinose Honami ?

Kamuro — Tss… tu passes vraiment du coq à l’âne… 

Venant juste d’arriver, Kamuro sembla un peu désorientée de se voir lancer dans un sujet sans aucun contexte. Surtout que ma présence devait contribuer à son inconfort.

Sakayanagi — J’étais tout simplement en train de discuter avec lui, de ma stratégie pour pouvoir vaincre Ichinose-san.

Kamuro — Vaincre….huh. Même si tu me demandes ça, j’vois pas trop c’que j’peux dire…. Ichinose est une élève émérite qui n’hésite pas à offrir son aide lorsqu’il y a des problèmes. Une brave fille en gros.

Sakayanagi — C’est tout à fait cela. Le fait qu’elle soit une élève de premier ordre est incontestable. Elle est toujours dans le haut du classement durant les examens et a un talent à fédérer les gens. Et toi, qu’est-ce que tu en penses, Ayanokôji-kun ?

Voilà qu’elle m’adressait maintenant cette question.

Moi —  Je pense pareil.

Je répondis cela aussitôt.

Sakayanagi — Alors, penses-tu que ce serait chose aisée de pouvoir vaincre une élève comme Ichinose-san, Masumi-san ? 

Kamuro — Hmm, ça risque pas d’être plutôt dur ? Je veux dire, l’unité de la classe B est plutôt forte, elle ne risque pas de s’écrouler avec une simple attaque. Les coups bas, la corruption ou ce genre de choses ne marchent pas avec Ichinose. L’attaque frontale me semble la seule option, mais dans ce cas, il faudrait que toute notre classe y soit totalement préparée, et même ainsi, l’issue resterait hasardeuse. 

Sakayanagi — En effet, vaincre Ichinose-san semble être une tâche plutôt ardue, à première vue. 

Kamuro — T’es en train de sous-entendre que c’est pas le cas ?

Sakayanagi — Oui. En vérité, ce n’est pas bien difficile. Tout le monde a ses faiblesses. Même Ichinose-san en a. Et un point faible fort malencontreusement bien compromettant, je dois dire, mufufu.

Et Sakayanagi ne put s’empêcher de rire.

Sakayanagi — Le fait qu’elle soit une élève aussi émérite est quelque chose que vous reconnaissez tous les deux et c’est incontestable. Cependant, le fait qu’elle vient en aide aux autres et cette aura de sainte qu’elle dégage, est-ce vraiment ce qu’elle est au fond ? Ne pensez-vous pas qu’au plus profond de son cœur, elle prend les autres de haut ? 

Kamuro — J’sais pas… On porte tous un masque, c’est pas exclusif à elle. Mais je ne vois pas ça comme une mauvaise chose. Il est évident que tout le monde agit pour son propre intérêt. Mais Ichinose fait vraiment exception. Cette sainte innocence, c’est quelque chose. 

Comme Kamuro l’avait très bien dit, la majorité des personnes avait une face cachée. En laissant de côté les cas exceptionnels avec une facette totalement opposée et violente comme Kushida, avoir une partie plus sombre que celle qu’on ose afficher en public était une chose naturelle. Cependant, l’élève connue sous le nom de Ichinose Honami agissait de telle sorte que personne ne pouvait se laisser aller à penser ça d’elle. Or, Sakayanagi nous avait parlé de ce sujet, juste après avoir évoqué la supposée faiblesse de Ichinose. Est-ce que ça voulait dire que c’était lié à tout ça ?

Kamuro — C’est pas ce que tu crois ?

Sakayanagi — Si. C’est une fille pure, plus blanche que la neige. Pour être plus précise, je dirais qu’il n’y a pas une once de malhonnêteté ou de mensonge en elle. C’est la vertu incarnée. 

Kamuro — Donc, c’est vraiment une de ces filles à être idiote au point de se prendre pour une sainte, c’est ça ? 

Sakayanagi — Tout à fait. Tu as vu parfaitement juste.

Répondit-elle ainsi, avec un sourire aux lèvres.

Sakayanagi —Mais je me demande si Ichinose-san et toi ne pourraient pas aussi être plus similaires qu’on ne le pense à première vue.

Kamuro — Huh ? Ça veut dire quoi, ça ? Y a tout qui nous sépare. Tu te fous de moi, c’est ça ?

Sakayanagi — Pas du tout. Aussi surprenant que cela puisse paraître,  Ichinose-san et toi êtes bien plus semblables que tu ne le penses.

Cependant Kamuro continua à nier, exaspérée. Elle s’exclama en disant qu’elles étaient opposées alors Sakayanagi poursuivit.

Sakayanagi — Vous êtes similaires dans le sens où sa « faiblesse » et ta « faiblesse » sont « exactement » de la même nature.

Kamuro — De même nature… ? Attends, tu veux dire que… ? 

« Est-ce que tu comprends, Ayanokôji-kun ? » Voilà ce que ses yeux semblaient me demander. Mais vu qu’il n’y avait aucun moyen pour moi de comprendre quoi que ce soit avec si peu d’éléments, je hochai juste la tête pour lui indiquer que non.

Sakayanagi — Tu comprends maintenant ? Cela signifie que le secret qui fait que je te tiens dans le creux de ma main et le secret qu’elle cache à tous sont les mêmes au fond. Bien entendu, seule la prémisse est identique et il en résulte quelque chose de tout à fait différent.

Après lui avoir expliqué tout ça, il semblait qu’une chose s’était soudain éclaircie dans l’esprit de Kamuro.

Kamuro — Donc, cette Ichinose, aurait aussi… ?

Arrivant à peine à croire à ses propres mots, Kamuro semblait encore toute interloquée au point de ne pas arriver à finir sa phrase.

Sakayanagi — Il semblerait que ça ne soit pas quelque chose de si rare, apparemment. 

Kamuro — Ichinose te l’a dit d’elle-même ? Sur quoi tu te bases pour dire ça ?

La manière dont Kamuro répondit brusquement n’était pas naturelle. Je la concevais comme étant une fille plus ou moins rationnelle, mais elle semblait incapable de garder la tête froide en face de cette prétendue « faiblesse » que portait Ichinose en elle.

Sakayanagi — Bien évidemment. Elle m’a laissée l’apprendre, et avec tout plein de petits détails. Elle m’a bien gentiment laissée lui ouvrir son cœur qu’elle avait pourtant scellé à tout jamais. Je n’ai eu qu’à observer et à en faire une lecture à froid.

Il était bien courtois de sa part de m’expliquer tout ceci en détail. Observer et analyser froidement les données faisaient partie de l’art de la conversation. En utilisant cette capacité avec précaution, on pouvait extraire des informations de notre cible, pour la comprendre, à son insu. Strictement parlant, elle avait sans doute ajouté à cela également de l’analyse à chaud, pour pouvoir arriver à toutes ses conclusions sur Ichinose.

Sakayanagi — Les Hommes, dans le but de paraître meilleurs qu’ils ne le sont réellement racontent et se racontent des petits mensonges ça et là. Voilà ce qu’est la nature humaine. Ichinose et toi n’êtes que le sommet de cet immense iceberg. Bien entendu, il y en a bien d’autres qui cachent des choses bien plus profondes et sombres. En cela, les humains sont vraiment des créatures fascinantes. Peu importe combien ils sont talentueux, ils en arrivent toujours à commettre des erreurs.

Elle tourna ainsi à nouveau son regard vers moi avant de conclure.

Sakayanagi — Il y a aussi bien d’autres aspects que je peux pointer mais je n’aurai pas besoin de ça pour la mettre à terre. Je la ferai traîner à mes pieds, cette si talentueuse et admirable Ichinose Honami. J’espère que cela te suffira comme preuve de mes capacités. 

Il semblait qu’elle voulait vraiment que je reconnaisse sa valeur puis que je rentre dans son jeu, mais malheureusement pour elle, je n’étais pas le moins du monde intéressé. Je cherchais surtout à ce que Sakayanagi se déchaîne quelque temps de tout son saoul sur une autre personne que moi, afin qu’elle en soit satisfaite pendant un petit moment, pour qu’elle me laisse tranquille. Et il semblait que j’avais plutôt bien réussi à l’orienter. Bien entendu, Sakayanagi devait être bien consciente de tout cela, mais elle ne pouvait s’empêcher de vouloir répondre à mes provocations puériles.

Sakayanagi — Très bien, est-ce qu’on peut y aller maintenant, Masumi-san ?

Et sans attendre réellement sa réponse, Sakayanagi commença à avancer, suivie par Kamuro. Moi aussi, afin de m’éloigner un peu d’elles, je me mis en route. Mais avant que nous ne soyons trop éloignés pour que je ne l’entende, elle demanda subitement.

Sakayanagi — Mais au fait, tu n’as vraiment rien à me demander, Masumi-san ?

Kamuro — Huh ? À propos de quoi ?

Sakayanagi — Tu m’as bien vu parler avec Ayanokôji-kun de la future stratégie que j’allais adopter. Mais malgré ça, tu n’as posé aucune question sur une chose pourtant si surréaliste. Je pensais que tu aurais eu quelques questions à me poser non ?

Kamuro — Huh ? Tu sous-entends quoi, là ? C’est juste que ça m’intéresse pas du tout, toutes tes manigances. 

Sakayanagi — Je me demande si c’est vraiment vrai…. Tu as plutôt la fâcheuse tendance à ne pas te gêner pour lâcher quelques mots sur tout ce qui attire ton attention, non ? Et pourtant, ici, tu n’as même pas dit un mot. Je me demande pourquoi ?

Comme Kamuro ne répondit pas, Sakayanagi poursuivit.

Sakayanagi — Est-ce qu’il se pourrait que tu aies connaissance de quelques informations sur Ayanokôji-kun ? Et si c’est bien le cas, je me demande d’où tu les as tirées…. Est-ce que par hasard, vous vous êtes déjà rencontrés tous les deux en privé derrière mon dos ?

Ayant flairé quelque chose d’étrange dans l’air, Sakayanagi me fixa avec des yeux perçants. Mais en retour, je ne lui répondis ni par des mots, ni même en lui retournant un regard. S’il y avait une faute commise dans tout ça, cela tenait de la responsabilité de Kamuro, je n’avais rien à voir dans tout ça.

Sakayanagi — Fufu. Je suppose que ce n’est pas bien grave. Comme je suis vraiment de bonne humeur aujourd’hui, je vais laisser passer ce petit détail à la trappe, pour cette fois. Sur ce, passe une bonne journée, Ayanokôji-kun 

Après avoir dit cela, elle partit accompagnée de Kamuro. Même pendant ces vacances d’hiver, d’être utilisée ainsi par Sakayanag… Kamuro avait vraiment la vie dure. La faiblesse que  Sakayanagi avait pu lire en elle devait être extrêmement compromettante. Enfin bref, tout cela fut tout de même un minimum utile, car j’avais pu apprendre qu’Ichinose et Kamuro partageaient le même problème, ne serait-ce qu’en petite partie. Sakayanagi n’avait rien à gagner en me mentant mais je ne pouvais pas non plus prendre tout ce qu’elle m’avait dit pour argent comptant. Pouvoir connaître toute la vérité après qu’Ichinose ne tombe promettait d’être super !  

Moi — Ne devrais-je pas au moins prévenir Horikita de tout ça ?

Vu qu’elles étaient actuellement alliées, Horikita pourrait bien vouloir faire quelque chose pour aider Ichinose. Personnellement, je trouve que le mieux serait de laisser les choses comme ça, mais la personne qui avait pour rôle de décider cela était celle qui menait la classe, soit Horikita. Je lui parlerai de tout ça, un de ces jours, durant ces vacances. Comme cela n’avait rien d’urgent selon moi, je m’étais décidé à ne pas la contacter tout de suite.

Après le passage de cette tempête, j’affichai un visage innocent et me mis en route pour retourner chez moi. Je devais maintenant retourner à objectif initial, à savoir, m’occuper de ce que j’avais acheté. Mais mon projet tomba à l’eau. Sur le chemin, je passai par l’entrée du centre commercial Keyaki où je vis une certaine fille passer. Elle semblait bien se porter. Elle n’avait pas remarqué ma présence probablement parce qu’elle était pressée d’aller quelque part. Je la poursuivis un peu juste au cas où et vis qu’elle parlait avec un ami à elle. J’observai la scène jusqu’à ce qu’ils entrent dans une boutique. J’avais finalement renoncé à retourner au dortoir.

Moi — Bon, je vais plutôt aller au cinéma, alors.

Je me dirigeai alors vers la salle de cinéma.

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Aller au cinéma n’était pas du tout une chose inhabituelle pour moi. C’est quelque chose que je faisais de temps en temps pendant les vacances. Certains diraient que c’était du gâchis en termes de points privés, mais moi je trouvais cela important de varier ses intérêts de temps en temps. Analyser un film était devenu avec le temps un de mes loisirs. En plus d’être idéal pour se relaxer, cela me permettait dans le même temps d’apprendre aussi de nouvelles choses. Il arrivait souvent que ma curiosité se trouve piquée par un film qui traitait d’un sujet particulier de façon intéressante.

Mais bon, le film que j’allais regarder aujourd’hui n’était pas vraiment un film fait pour cela. Ce n’était pas non plus un de ces films à l’eau de rose insupportables qui passait pendant la période de Noël, surtout destinés à être vus par les couples pris dans l’euphorie de la fête. C’était un simple film d’action centré autour d’un conflit entre plusieurs mafias. Il y avait des jours comme celui-là où je voulais simplement pouvoir me vider la tête et apprécier l’histoire. Et puis c’était le dernier jour où il passait sur grand écran, donc raison de plus pour le regarder. Même si bon, ce n’était pas un de ces chefs d’œuvres qu’il fallait absolument voir, mais voilà, j’avais déjà réservé une place pour ce film, alors maintenant que j’étais là, pourquoi renoncer à le voir ?

Après un court échange avec la réceptionniste, je reçus mon ticket avec le numéro du siège qui m’était attribué. Je pus apercevoir qu’il y avait eu alors une erreur. Les places dans la rangée du fond que je prenais d’habitude semblaient être toutes occupées. En fait, à cause d’un retard dans la diffusion d’un des films en tête d’affiche, beaucoup de spectateurs avaient changé leur ticket pour pouvoir regarder mon film à la place. Et en plus de ça, peut-être était-ce l’effet Noël approchant, mais la plupart des sièges réservés l’étaient par groupe de deux, comme s’il n’y avait que des couples qui étaient là.

Sentant qu’il m’allait être bien plus simple de suivre le film au premier rang, je demandais à la réceptionniste de me changer de place. Par chance, il semblait qu’il restait de nombreuses places vacantes dans cette zone. Je me demandais si la popularité des sièges du fond était corrélée ou non à la forte présence ou absence de couples ? Une question qui risquait de rester un long moment sans réponse.

Puisqu’il restait environ 20 minutes avant le début du film, je décidais de tuer un peu le temps en allant dans le coin où se trouvaient les affiches et prospectus. Puis, dix minutes après l’ouverture des salles, je partis m’installer, seul. Les sièges du premier rang étaient encore pour la plupart tous vides, tandis que ceux du fond, étaient déjà bien remplis par des couples qui faisaient un boucan assez impressionnant. Je dirigeai de suite mon regard vers l’écran, ne faisant pas attention aux personnes s’installant autour de moi. J’aimais bien regarder les bandes-annonces des films qui allaient paraître prochainement, c’est pourquoi je faisais toujours en sorte d’être déjà installé à ce moment-là. Plutôt que de les regarder devant mon écran de TV dans ma chambre, je préférais voir ça sur grand écran, cela attisait bien plus mon intérêt. C’était ce qui faisait tout le charme d’être au cinéma, et il n’était pas exagéré de dire que c’était l’unique raison pour laquelle j’étais là. Cependant, ce n’était pas les bandes annonces des prochains films qui passaient mais juste des publicités pour de la nourriture des konbini du coin. On y voyait des scènes où l’on retournait du riz dans tous les sens avec une cuillère ou bien de la mousse croquante de mer qui était chauffée tout en haut de filets. Et il y avait aussi une séquence où l’on voyait des enfants manger des onigiris.

Alors que les publicités se terminaient et que les places se remplissaient peu à peu, je commençai à m’intéresser à ce qui était autour de moi. La rangée dans laquelle j’étais était principalement remplie de couples. À ma gauche, un couple profitait de la pénombre pour se tenir les mains. Donc même un film B de ce genre amenait des couples dans les salles. J’étais séparé d’eux par une place juste à ma gauche, qui allait sans doute rester libre jusqu’à la fin. Quelle idée de regarder un film pareil tout seul, surtout la veille de noël.

Au même moment où je mettais mon portable en mode silencieux, la lumière s’éteignit et le début du film commença. Le début partait directement sur les chapeaux de roue, par une scène d’action. Juste avec le parfait timing pour ne pas manquer ce départ, une ombre s’assit à côté de moi. Il semblait donc qu’il y avait une autre personne étrange comme moi, qui était venue regarder un film d’action seule, la veille de Noël. Rien que pour le fait d’avoir choisi de regarder ce film, je voulais lui faire des éloges. Alors que j’étais en train de penser cela, je me tournai vers cette personne.

Moi — …

Ma bouche fut grandement et stupidement ouverte, n’arrivant plus à penser. L’identité de cette personne n’était autre que celle de l’élève de la classe C, Ibuki Mio. La veille à peine elle tâtait de mon poing, je crois même qu’elle l’avait trouvé à tomber ! Se retrouver ainsi, aussi peu de temps après, était légèrement gênant.

Heureusement que les lumières du cinéma s’étaient éteintes. Ne m’ayant pas remarqué, Ibuki avait son regard dirigé vers l’écran. J’étais de ceux qui regardaient un film jusqu’à la fin du générique final, mais si je faisais cela ici, la lumière allait se rallumer et… Je comptais ainsi ne pas assister au générique de fin. Mais en réfléchissant à tout ça, je fis une erreur de calcul. C’était un incident arrivant fréquemment dans les cinémas, le ‘‘problème des accoudoirs’’. Si je me trouvais au bord d’une rangée, le problème n’avait pas lieu d’être car j’aurais pu me garantir l’exclusivité d’un des accoudoirs. Cependant pour les autres sièges, c’était toujours une bataille entre les différents spectateurs pour pouvoir se l’accaparer. Malgré ce problème évident, il n’y avait pourtant aucune règle qui avait été instaurée pour éviter ce conflit, ainsi on n’avait pas l’assurance d’avoir au moins un accoudoir à notre disposition, et c’était la règle du premier arrivé, premier servi qui s’appliquait. Comme le couple à ma droite occupait déjà l’accoudoir de droite, je m’étais installé sur celle de gauche, mais voilà qu’Ibuki plaçait à présent, comme si de rien était, son coude sur celui-ci également.

Ce n’était pas comme s’il n’y avait pas assez de place pour pouvoir partager un accoudoir, mais bon, dans le feu de l’action du film, il était fort probable que nos deux coudes se touchent. Peut-être était-ce parce qu’elle aussi était consciente de cette possibilité, mais Ibuki, comme pour confirmer que cela ne gênait pas la partie adverse, tourna son regard vers moi.

Ibuki — Geh…

Le son qui sortit d’elle, de suite, fut celui exprimant un fort dégoût. Et parce que tout à coup, le film se fit miraculeusement enfin plus silencieux, j’eus la chance de pouvoir l’entendre bien distinctement.

Moi — C’est juste une coïncidence. 

Sentant que ne rien dire aurait semblé encore plus étrange, je lui dis cela pour la rassurer. Cependant, cela ne sembla pas nécessaire, car sans même me répondre, Ibuki détourna son regard et revint vers le film. Elle devait avoir décidé de simplement m’ignorer. Voilà une décision qui me facilitait bien les choses. Soulagé, je tournai de nouveau ma concentration sur le film. Cependant…Quelques minutes plus tard, je pus sentir le regard d’Ibuki se fixer sur moi. Peut-être qu’elle était curieuse de ma présence ici, mais ce qui était certain, c’était qu’elle n’était pas vraiment concentrée sur le film.

« Pourquoi ne pas regarder le film, alors que tu as payé pour le voir ? » C’était ce que je voulais lui demander, mais le film en était à une scène d’action avec plein d’explosions et de bruits, donc parler à ce moment-là aurait été difficile. Peut-être aurais-je dû alors le lui souffler à l’oreille ? Non, si je faisais une telle chose, nul doute qu’Ibuki allait me frapper. Le mieux à faire était tout simplement d’endurer le regard appuyé d’Ibuki, en faisant semblant de ne pas l’avoir remarquée. Heureusement, depuis ma plus tendre enfance, j’avais eu l’habitude d’être sous constante ‘‘surveillance’’.

Ne laissant rien transparaître, je continuai alors de regarder le film bien tranquillement. Le seul problème fut qu’il ne s’avéra finalement pas vraiment bon, digne d’un film B. Cela faisait à peine 20 minutes qu’il avait commencé, il était déjà répétitif et en manque d’idée. Nous en étions déjà au climax qui durait depuis un moment, où le protagoniste était arrivé en territoire ennemi, pour tout saccager. Et juste à l’instant où la tension était supposée être à son comble, l’écran devint subitement noir. Au début, j’avais cru que cela faisait partie du film, que c’était juste un parti pris scénaristique audacieux, et tous les autres élèves avaient dû penser de même car ils étaient restés assis à leur siège, continuant de regarder l’écran. Cependant, au bout de 10 à 20 secondes, force était de constater qu’il y avait eu un problème. C’était étrange, non ? J’eus à peine le temps de le penser qu’une annonce se diffusa dans la salle.

— Veuillez nous excuser pour ce dérangement. À cause à quelques problèmes techniques, le film doit malheureusement être interrompu temporairement. Cela prendra quelques minutes, alors je vous prie de vouloir patienter quelques instants. 

Alors que pas mal d’élèves se plaignaient tous en même temps, la majorité d’entre eux décida finalement d’attendre en bavardant.

Ibuki — Tsss, j’ai vraiment pas de peau en c’moment. 

Toujours son regard fixé sur moi, Ibuki lâcha un soupir. Est-ce qu’elle voulait dire par là que tout ceci était de ma faute, une nouvelle fois ?

Moi — C’est un malencontreux imprévu pour moi aussi. Je n’aurai jamais pensé que tu viendrais voir ce film aujourd’hui. 

Ibuki — Ce que je viens regarder, et quand je viens le regarder, ça ne te regarde pas, ok ?!!

Peut-être n’aimait-elle pas ce que j’avais dit, car elle me rétorqua ainsi, visiblement énervée.

Moi — Je suis tout à fait d’accord avec toi.

C’est pourquoi je répondis ainsi, pour m’accorder avec elle.

Ibuki — Tu…

Réagissant de suite, elle se ravisa alors et se tut, avant de rouvrir la bouche à nouveau, en me lançant un regard virulent.

Ibuki — Jusqu’à maintenant, tu t’es bien foutu de ma gueule en cachette, tout au fond de toi.  Ça je te l’pardonnerai jamais !

Ce n’était pas comme si je n’arrivais pas du tout à comprendre la colère d’Ibuki, mais elle n’avait aucune raison valable de ressentir de la rancœur envers moi. Même si je voulais la réconforter, même si je lui disais que ce n’était pas du tout le cas, ce n’était en rien mon intention, ce genre de choses n’allait jamais marcher avec Ibuki. C’est pourquoi, j’optais plutôt pour une manœuvre bien mieux adaptée dans son cas.

Moi — C’est ça d’avoir du pouvoir, Ibuki.

Ibuki — Huh… ?

Une atmosphère intenable emplit l’air d’une partie de la salle. Bien entendu, cela provenait de là où se trouvait Ibuki. Elle me lançait un regard rempli de haine, bouillant de rage. Mais sans y prêter la moindre intention, je poursuivis.

Moi — Peu importe la situation, si tu possèdes le pouvoir d’écraser ton adversaire, alors il n’y a aucun problème, non ? Ce n’est pas le fait que ton adversaire garde des cartes cachées dans sa main, le problème en soi. Si tu avais pu m’arrêter à ce moment-là, Ryuuen et toute votre classe auraient gagné. Au pire, vous auriez pu faire match nul. 

Lui cracher au visage ces mots bien corrosifs pour sa fierté, et ce juste après l’avoir mise à mes pieds sur le toit de l’école. Il n’y avait rien qui pouvait être encore plus insupportable pour elle !

Ibuki — C’est…

Il semblait qu’Ibuki fut totalement incapable de rétorquer quoi que soit à mes paroles. C’était ça. Peu importe ce que faisait l’adversaire, qu’il utilise la ruse ou cache certaines choses, ça aurait dû être insignifiant.

Moi — Mais bon, contrairement à Ryuuen ou Sakayanagi, je n’ai aucune intention de faire monter ma classe, ni l’envie d’attirer l’attention. Alors forcément, puisque je ne veux pas me faire remarquer, je ne vais pas montrer mes capacités pour rien, tu comprends. Le fait que j’ai dû me battre contre Ryuuen aussi, c’était un choix que j’avais fait après avoir pesé le pour et le contre, et avoir calculé que c’était la meilleure option pour être tranquille. Des trucs comme me foutre de ta gueule, c’est vraiment totalement en dehors de mes préoccupations, tu vois.

Ce n’était pas quelque chose que j’avais dit dans le but de réconforter Ibuki. Au contraire, il était probable qu’Ibuki se sente encore plus humiliée qu’auparavant. C’était une humiliation totale pour elle de comprendre que je ne la considérais même pas comme une menace. Ce que j’étais en train de lui faire comprendre, c’était que pour moi, elle n’était rien d’autre qu’une pierre sur la route, sur laquelle on marche.

Ibuki — …….Je déteste ça. 

Peu importe comment on tournait la chose, il était évident que c’était difficile à accepter, émotionnellement parlant.

Ibuki — T’as beau dire que tu ne veux pas te faire remarquer, j’ai du mal à y croire. Si t’avais pas fait des trucs bizarres pendant le test sur l’île déserte, Ryuuen n’aurait pas été tout excité et alors rien ne se serait passé. Tu as même agi lors de l’affaire avec Sudou, bien avant. 

Moi — C’est vrai. Tu touches là un point tout à fait pertinent.

Si j’avais tout simplement laissé Sudou se faire expulser et laissé Ibuki appliquer son plan pour pouvoir mettre à terre la classe D durant le test sur l’île déserte, je n’aurais jamais attiré le regard de Ryuuen sur la classe D. J’aurai dû me cacher, surtout avec le test de la croisière, contre la classe B.

Ibuki — Bien que tes mots disent une chose, tes actions disent le contraire. Tu as employé tes capacités à maintes et maintes reprises. Bien que tu les caches, tu les utilises toujours. 

J’avais tout simplement le droit d’utiliser mes capacités. Mais, pour Ibuki, cela lui était une réalité inacceptable. Sans doute Ibuki pensait-elle que poursuivre la conversation plus loin aurait été une perte de temps, car elle se retourna alors vers l’écran, pourtant toujours noir. Cela me convenait très bien aussi. Laissons les choses telles qu’elles étaient. Dès que ce film allait se terminer, mon temps à devoir passer avec Ibuki allait se terminer également.

2

Je comptais quitter le film sans même regarder les crédits, ça c’était certain. Depuis ce matin, tous mes espoirs avaient été réduits à néant, en un rien de temps, par un coup du sort. Il fallait dire que les situations étaient à chaque fois pour le moins inattendues, alors il était naturel pour moi de ne pas avoir pu les prévoir.

J’attendis encore et encore que le film reprenne, mais celui-ci semblait aimer se faire attendre. Peut-être que le problème matériel qu’ils avaient eu était plus sérieux que prévu, ou alors que le technicien chargé de le réparer était incompétent. En tout cas, une chose était sûre : que ce soit Ibuki ou moi, nous étions tous deux autant mal à l’aise. J’aurais vraiment voulu que tout ça se finisse au plus vite.

Ibuki — Hah…. 

Des soupirs poussés très ouvertement de la part d’Ibuki se répétèrent encore et encore. Mais dans cette situation, je pouvais comprendre son comportement. J’avais en tout cas totalement perdu mon intérêt pour le film.

Moi — Ahh… Tu penses qu’il se passe quoi là ?

Ne pouvant plus supporter ce silence, je décidais d’essayer d’engager la conversation par cette question. Elle aussi devait se demander ce qu’il pouvait bien se passer, car sinon elle aurait quitté son siège depuis longtemps. Ou alors, vu que personne d’autre n’était parti, peut-être se disait-elle qu’elle ne pouvait pas partir ? Cependant, posant son menton sur la paume de sa main, et installée le plus loin possible de moi, Ibuki ne dénia même pas tourner son regard vers moi. C’était comme si une épaisse vitre opaque avait été placée entre nous. Il en allait sans dire que toute son attitude était là pour me dire « tu m’énerves, alors ne m’parles pas, ok ?! »

En tout cas, voilà comment je l’interprétais. Je me dis alors qu’il était sans doute mieux de ne pas chercher à aller plus loin. J’avais vraiment l’impression d’avoir à côté de moi un serpent venimeux, prêt à sauter sur moi pour me mordre le bras. Ainsi, j’optai pour le silence. Mais encore combien de temps fallait-il attendre avant que le film ne reprenne ? Ça restait un mystère. Même si ce n’était qu’une petite minorité, les premiers élèves étaient en train de quitter la salle. Je pensais qu’Ibuki en profiterait pour s’échapper elle aussi, mais elle ne montra aucun signe permettant de croire qu’elle allait le faire. Peut-être voulait-elle simplement voir la fin du film, ou alors—

Enfin bon, dans tous les cas, moi aussi, je voulais voir le film jusqu’à la fin. Sinon, tous mes efforts, à commencer par venir ici, jusqu’à cet interminable temps d’attente auraient été vains. Je suppose que c’était le moment de tester ma persévérance. Je regardai l’heure sur mon téléphone, environ 20 minutes s’étaient écoulées. L’incident risquait d’avoir des répercussions sur la diffusion des films suivants, à ce compte-là. Alors que je regardai tout autour de la salle, je pus constater que le nombre de personnes à être restées avait fortement chuté. Il ne restait plus que quelques personnes, Ibuki et moi compris. Il était logique que la plupart des gens à être restés étaient ceux venus seuls. Dans le cas des couples, ils ne pouvaient pas se permettre ainsi de faire attendre leur chère et tendre. Ils n’avaient pas vraiment l’envie de perdre leur précieux temps ici. C’était sans doute quand l’ennui commença à arriver pour eux qu’ils décidèrent de partir.

Ibuki —  ………Hé, tu comptes encore rester longtemps ?

Alors que je m’étais replongé sur mon téléphone, Ibuki m’avait demandé cela. Elle détourna de suite son visage, de sorte que je ne pus voir l’expression de celui-ci. Il semblait qu’elle trouvait le fait que je ne sois pas parti très suspect, ce qui l’avait poussé à me demander ceci.

Moi — On en est déjà à 80 % du film, alors honnêtement, je suis curieux de voir comment ça va finir. En plus, j’ai déjà attendu 20 minutes, alors ça ne devrait pas tarder à reprendre.

Ayant patienté jusque-là, ça aurait été du gâchis de rentrer maintenant. Une bien étrange logique s’était forgée dans ma tête.

Ibuki — Si tu veux juste voir la fin, t’as qu’à la regarder sur le net. En plus ça t’indiquera tous les tenants et aboutissants, te prive pas ! 

Moi — Je ne suis pas sûr qu’en regardant des reviews, ça me permette de me faire ma propre opinion.

La qualité du film, le fait qu’il soit bon ou non, ce n’était pas des choses que je pouvais juger sans le regarder moi-même. Les critiques pouvaient jouer un peu dans la motivation à aller voir le film, mais ça ne voulait pas dire que c’était une chose utile pour l’évaluer. Si deux lignes explicatives sur le climax étaient susceptibles de vous faire le même effet qu’un visionnage, alors à quoi servaient les cinémas ?

Ibuki —  Je m’en fous du film à présent. Je veux juste pas partir avant toi, c’est tout. 

Moi — C’est plutôt direct.

Ainsi, la raison de sa persévérance était totalement décarrelée au film. Malheureusement pour elle, Ibuki ne pouvait pas gagner à ce jeu-là. Nous ferions match nul. Je n’avais pas l’intention de partir avant la fin. Je suppose que c’était l’avantage d’être un garçon qui n’avait rien de prévu pour le jour de Noël ou le lendemain. Finalement, ce qui mit un terme à notre compétition d’infortune fut une triste annonce. L’équipement ne pouvait être réparé, alors il n’y avait d’autre solution que d’annuler le film. La suite de l’annonce concernait alors les démarches à suivre pour se faire rembourser.

Moi — J’ai vraiment pas de chance, aujourd’hui 

Car autrement dit, si je voulais connaître la fin, il me fallait attendre jusqu’à ce que celui-ci sorte en DVD, ou alors simplement aller regarder les spoilers sur les sites de reviews. Même après cette annonce, sans même me regarder, Ibuki ne montra toujours aucun signe de vouloir se mouvoir. Alors je décidai de m’en aller de là, vu que je n’avais plus rien à y faire.

3

Peut-être était-ce dû à tout ce temps d’attente très désagréable, mais je ressentais à présent que mes épaules étaient étrangement tendues. J’en avais eu bien assez de ces altercations avec Sakayanagi et Ibuki que je n’avais vraiment pas vues venir. Alors une fois parti du cinéma, je me dirigeai sans détour vers chez moi mais c’était sans compter cette voix qui m’appela de derrière moi.

Ibuki — Eh, attend. Tu crois vraiment que tu peux cacher tes capacités à tout le monde, comme ça ? 

C’était Ibuki. Pour m’avoir poursuivi jusqu’ici, je me demandais ce qu’elle avait bien à me dire, mais si c’était juste pour ça.

Moi — T’étais sur la lune pendant que j’avais dicté les règles auxquelles vous deviez vous soumettre ? Tu es censée garder tout ce qui s’est passé cette fois-là, bien caché au fond de toi.

Ibuki — Je rigole pas. Depuis tout ce temps, tu n’as fait que te foutre de ma gueule alors tu peux toujours rêver pour que je suive tes ordres !

« Je ne peux pas t’le pardonner ». Elle n’avait pas besoin de me le dire, c’était écrit sur son visage. Il semblait que sa rage envers ma conduite, mes mots et mes idées de tout à l’heure, avait encore pris de l’ampleur.

Moi — Du coup, tu comptes faire quoi ? Tu vas essayer de l’ébruiter, tout autour de toi ?

Ibuki —  …Je vais pas faire ça. Je serais pas la seule à trinquer pour ça, non ?

Moi — En effet. Selon les circonstances, il n’y pas que ceux qui étaient présents lors de cette altercation sur le toit, mais aussi Manabe et compagnie qui seront prises dans les représailles. 

S’il poursuivait la chaîne jusqu’à son origine, il était fort possible que le lycée parvienne à revenir jusqu’à moi. Cependant, je pouvais toujours leur sortir une excuse pour me sortir de tout ça, si nécessaire. Au pire, il ne pouvait que me suspendre de l’établissement.

Moi — De base, la lutte entre les classes est un des fondements de cet établissement. Tu te plains à la mauvaise personne en me blâmant moi.

Si elle voulait se la jouer juste et équitable, elle se mettrait dans le pétrin.

Ibuki — Ça j’ai bien compris, merci… C’est jusque que j’arrive pas à accepter ce que tu es, ça me prend dans les tripes. 

Au vu de la manière dont je me représentais la fille qui se nommait Ibuki Mio, je pouvais dire qu’elle avait encore à faire un pas vers l’âge adulte. Il était très probable qu’Ibuki ait pratiqué les arts martiaux depuis toute petite, vu son niveau, et qu’elle y avait trouvé là de la fierté de se sentir forte. Durant l’enfance, la différence entre un garçon et une fille en termes de force physique était marginale. Ainsi, tant qu’une personne possédait la technique nécessaire, il était toujours possible de pouvoir vaincre n’importe quel adversaire, même celui du sexe opposé. Cependant, à partir d’un certain âge, cela commençait à devenir de plus en plus dur, et arrivé au collège, la différence de potentiel entre le corps d’un homme et d’une femme devenait déterminante. Si on ne considérait que la force brute, on pouvait dire alors que celle des hommes était bien supérieure à celle des femmes.

Ce n’était pas de la discrimination, juste un fait bien réel. Bien sûr, comparé à un lycéen moyen, on pouvait dire qu’Ibuki était plutôt forte. Un garçon sans la moindre connaissance des arts martiaux ne pouvait pas tenir tête face à elle. Cependant, contre un garçon qui avait acquis la même maitrise qu’elle, c’était malheureux à dire, mais contre une telle personne, elle n’avait juste aucune chance. C’était un fait qu’on apprenait naturellement au fil du temps. Mais Ibuki n’était encore qu’une élève de seconde. Elle avait encore à prendre conscience de ce mur inébranlable qu’elle cherchait à détruire.

Ibuki — T’es muet d’puis tout à l’heure. Tu réfléchis à quoi, là ?

Moi — Je cherchais un moyen de pouvoir résoudre ça, pacifiquement. 

Ibuki — Et donc ? T’as trouvé quelque chose ?

Moi — Malheureusement, je n’ai rien trouvé. Peu importe ce que je dirais, tu n’es pas prête à l’accepter.

Pour la première fois de la journée, presque imperceptiblement, Ibuki desserra le coin de ses lèvres.

Ibuki — T’as vu juste. Jamais je ne pourrai l’accepter, et je ne battrai pas en retraite.

C’était exactement ce à quoi je m’attendais… Dans le but de pouvoir démêler ce nœud inextricable, l’attaque frontale était la meilleure solution.

Moi —  Mais au fait… Est-ce que par hasard tu ne serais pas cinéphile ? 

Ibuki —  Huh ?

Il était bien naturel qu’Ibuki prendrait cette posture de « putain, mais qu’est-ce que tu m’racontes ? ». Cependant, je restai naturel et poursuivis. Mon but était d’essayer de l’emmener dans une conversation tout ce qu’il y avait de plus banale.

Moi — D’aller voir un film toute seule, c’est quand même quelque chose. Surtout un film aussi quelconque que celui-là.

Ibuki — Quoi, ça te pose problème ? J’ai mes propres objectifs, c’est tout. 

J’étais plutôt interloqué par cette bien mystérieuse formulation.

Moi — Objectif ?

Ibuki — Voir tous les films qui seront diffusés au lycée… C’est pas un objectif important, mais c’est le mien.

Non, c’était plutôt quelque chose de tout à fait remarquable. Tout le monde avait des envies, des espoirs et des buts fixés, concernant sa vie, en entrant au lycée. Se faire des amis, sortir tous les jours pendant les vacances, passer l’année tout en ne travaillant pas en dehors des cours, être toujours dans le haut du classement dans une matière… Ça allait des choses les plus triviales à réaliser, à des objectifs bien plus difficiles. Même parmi ces derniers, celui qu’avait Ibuki, de regarder tous les films qui diffusés ici, pouvait sembler facile à première vue. Mais pour moi c’était certainement très difficile à gérer. Naturellement, il est facile d’aller regarder les films d’un genre qu’on aime par exemple, mais dans le cas contraire ça peut vite devenir une corvée. La majorité des gens verraient cet objectif uniquement comme un passe-temps banal. Cependant, peu importe ce que l’on se fixe, si on parvient à trouver la détermination nécessaire pour pouvoir tenir sa résolution jusqu’au bout, alors c’est que c’était quelque chose de définitivement important.

Ibuki — …Tsss, tu te fous encore de moi ? 

Moi —  Je ne sais pas. 

Ayant interprété mon silence dans le mauvais sens, Ibuki me dévisagea. J’aurais pu honnêtement lui faire des éloges, mais je n’osai pas. C’était quelque peu ennuyant pour moi, il fallait dire. Dans tous les cas, il valait mieux pour moi de me débarrasser d’Ibuki le plus rapidement possible. Si j’étais encore coincé ici plus longtemps, des personnes pouvaient finir par nous voir.

Moi — Bon, qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? On va boire un thé ensemble ?

Ibuki — Arrête ton cinéma. J’me casse. 

Évidemment, elle n’accepta pas mon invitation. C’était bien entendu ce que j’avais prévu. Et pour continuer sur cette lancée, je poursuivis ainsi.

Moi — Dans ce cas, pars à droite, et moi j’irai à gauche. Et comme ça, on en restera là pour aujourd’hui.

Et en disant cela, je montrais le chemin de droite et de gauche, avec mon index. Si nous prenions deux chemins opposés, il n’y aurait plus de problème. C’était la solution idéale.

Ibuki — Quoi ? J’veux aussi me casser d’ici, sans perdre une seconde, tu sais ? T’as pas besoin de m’le dire.

Notre amour semblait parfaitement mutuel, comme le montrait Ibuki qui prit de suite le chemin de droite. Moi aussi, je me retournai et pris le chemin de gauche. Cependant—

Je sentis quelque chose, retenir ma manche par derrière. C’était Ibuki qui me tirait ainsi.

Moi — Oi, qu’est-ce qu’il y a encore ?

Ibuki — La ferme. Ishizaki et les autres arrivent par là.

Alors que je songeais à me cacher, elle me tira pour m’amener dans l’ombre, et alors, très calmement, nous observâmes la situation. Je pouvais voir Komiya et Kondou accompagnés d’Ishizaki au centre. Il y a deux jours à peine, Ryuuen aurait dû être parmi eux, mais bien sûr, aujourd’hui, il n’était pas là.

Moi — Est-ce qu’Ishizaki va bien ? Il semble toujours avoir du mal avec sa jambe.

Ibuki — La ferme. Il s’en est déjà remis.

Cependant, elle avait beau dire, l’ensemble du corps d’Ishizaki semblait le faire souffrir, son visage se tordant de douleur de temps à autre. Le voyant ainsi, Komiya regarda autour de lui, avant de dire.

Komiya — En parlant de ça, il parait que tu te serais battu avec Ryuuen-san, c’est vrai ?

Ishizaki — …….Ouais. Albert et Ibuki étaient avec moi à ce moment-là. Le temps de Ryuuen-san…….non, de Ryuuen est venu. À partir de maintenant, ce bâtard de Ryuuen ne sera plus celui qui donne des ordres à qui que ce soit. 

Komiya — D’un côté, j’suis bien plus tranquille maintenant, mais alors… Qui est-ce qui va élaborer nos stratégies à partir de maintenant ? 

Ishizaki — Comme je vois le truc, ça sera sans doute Kaneda qui va s’en charger. 

Alors qu’ils échangeaient ces quelques mots, ces trois-là passèrent juste devant nous.

Ibuki — Pffuu. Heureusement qu’ils ne nous ont pas vus.

Ibuki se détendit tout d’un coup. Elle ne voulait sans doute pas que des camarades de classes la voient seule avec moi. Surtout Ishizaki, vu qu’il était bien difficile de savoir comment il réagirait en voyait ça. Cependant, nous avions pu entendre tout ce qu’Ishizaki et les autres avaient dit.

Ibuki — ……J’ai reçu un message d’Ishizaki, y a pas longtemps. Ryuuen n’a pas quitté l’école finalement. 

Moi — Je vois.

Alors que je disais cela comme si c’était un fait qui ne me concernait en rien, Ibuki réagit brusquement.

Ibuki — T’as fait quelque chose. Sinon, je m’imagine mal Ryuuen changer d’avis.

Moi —  Même si j’avais vraiment fait quelque chose, t’as pas essayé de l’arrêter toi ? 

D’après son ton brusque ou toute son attitude en général, je pouvais sentir que c’était le cas, mais ce n’était pas comme si j’avais été témoin de la scène.

Ibuki — Je déteste Ryuuen, j’ai vraiment envie de le voir crever. Mais le fait est que quelqu’un comme toi, qui n’est même pas un de nos camarades, ait pu avoir une si grande influence sur lui, je déteste ça encore plus, je ne peux pas te le pardonner. 

Moi — C’est précisément parce que je ne fais pas partie des vôtres que je peux avoir autant d’impact sur lui. Et puis l’inverse est vrai, ce que moi je ne peux pas faire, vous en êtes sans doute capables. Comme par exemple, comment Ishizaki semble prêt à prendre en main ses responsabilités.

Même si nous n’avions entendu qu’une bribe de conversation, il ne m’était pas bien difficile de deviner ce qu’il s’était passé. Le sens du devoir, c’était ainsi qu’on devait sans doute l’appeler. Je pouvais dire que, bien qu’il haïsse Ryuuen, il faisait ça par respect pour lui.

Ibuki — ……C’est vraiment ce que tu crois ? C’est pas juste parce que tu peux te mettre au-dessus de Ryuuen que tu peux tourner les choses comme ça ?

Ibuki dit cela sans docilement se conformer à la volonté d’Ishizaki. Mais c’était juste des questions rhétoriques. Ibuki cherchait à me faire dire ce que je pensais vraiment dans cette affaire. C’était ce que ses yeux me disaient.

Moi — Et toi, qu’est-ce que tu crois ? Tu penses que Ryuuen est fini ?

C’était pourquoi j’avais opté de tout simplement lui retourner sa question.

Ibuki — ……Non mais faut dire qu’on était au bord du gouffre. Même si nous étions trois, le fait que l’on pense qu’Ishizaki a vaincu Ryuuen allait inévitablement le faire montrer dans l’estime de la classe et le légitimer en tant que nouveau leader.

Moi — Je vois. On peut aussi voir les choses comme ça. 

Alors que je hochai la tête, convaincu, elle me donna un faible coup de pied au genou.

Ibuki — Tu peux pas esquiver ça ?

Moi — Eh, je suis pas un expert ou un truc du genre, je te signale. Je ne peux pas tout esquiver. 

Bien qu’Ibuki soit suspicieuse, elle ne continua pas plus loin son investigation.

Ibuki — Et donc, qu’est-ce tu penses de ce qu’a dit Ishizaki ? 

Peut-être était-elle mécontente d’être la seule à dévoiler son opinion là-dessus, en tout cas, elle me demanda ceci.

Moi — Je suis pas fan de l’idée mais si Ishizaki a les compétences, pourquoi pas. 

Le fait que Ryuuen soit mis à l’écart, Ishizaki l’avait bien compris désormais grâce à son expérience. Jusqu’à maintenant il exécutait les plans de ce dernier sans sourciller mais officiellement il s’est rebellé. Aucun d’entre eux n’avait jusqu’à maintenant parlé ouvertement de moi et, bien sûr, cela faisait partie de mes calculs, mais je n’avais pas la garantie absolu que ça allait se passer comme prévu. Et même maintenant, il y avait toujours la possibilité qu’il finisse par changer d’avis et se mette à tout révéler. Même concernant le passé de Karuizawa, s’il en avait envie, il pouvait toujours le faire

Ibuki — Albert ne dira probablement rien, mais tu penses qu’Ishizaki gardera le silence encore combien de temps ?

Ibuki était aussi consciente de la situation, c’était pourquoi elle essaya de le confirmer par cette provocation.

Moi — S’il en parle, alors il en parlera, c’est tout. Je réfléchirai à ce que je ferai alors. 

Ibuki — ……Ahh, j’vois.

Comme je n’affichai ni surprise ni agitation, il sembla qu’Ibuki perdit alors immédiatement tout intérêt. Bon, le plus important, c’était qu’Ishizaki et les autres étaient partis. Alors maintenant, nous pouvions enfin nous sépar—–

Je m’agenouillai instantanément en baissant ma tête en arrière. Ibuki venait de m’envoyer un coup de pied sauté pile où il y avait mon visage avec une vitesse fulgurante.

Ibuki —Tu l’as bel et bien esquivé là, non ?

Moi — Ton coup de pied venait de face aussi. Et puis, t’y as mis toute ta force là, non ? 

Un coup de pied sauté d’une experte en arts martiaux. Nul doute que si je l’avais pris en pleine tête, je serais tombé dans les pommes.

Ibuki — Même si tu es si fort, tu ne laisses rien transparaître. Pourquoi ? 

Moi —  Car c’est normal de proclamer sa force à tout le monde ? 

Ibuki — Ce n’est….. 

Moi — Que ce soit pour les arts martiaux ou tout autre, tant qu’on a pas eu l’opportunité d’utiliser nos compétences, il n’y a aucune raison que quelqu’un soit au courant de ça. Contrairement à Sudou, Ishizaki et les autres, je ne suis pas du type très vigoureux ni enthousiaste.

Ibuki — Bats-toi contre moi. 

Moi — T’as dit quoi là ?

Ibuki — Je t’ai demandé de te battre contre moi à nouveau. Je veux que tu combattes contre moi en mode sérieux et en y allant à fond. 

Elle ne pouvait peut-être simplement pas jeter l’éponge sur ça, en tout cas, Ibuki se remit en position de combat. Si seulement Ishizaki et les autres ne s’étaient pas montrés, j’aurais pu éviter tout ça….

Moi — Comment on en est arrivé là ? 

Ibuki —  Je te déteste. Je déteste le fait que tu agisses différemment quand tu es devant moi ou derrière. 

Moi — Je vois. 

C’était parce que pour le meilleur et pour le pire, elle avait côtoyé des personnages comme Ryuuen et Ishizaki. Ibuki était pareil. Laissant de côté le fait qu’elle a été une espionne sur l’île abandonnée, la vraie Ibuki était pareil.

Moi — J’ai toujours eu une personnalité comme celle-ci, alors tu n’as aucun droit de me le reprocher. Et puis même si tu le faisais, qu’est-ce que ça change ?

Ibuki — Qu’est-ce que ça change ?

Et après s’être elle-même posé cette question, elle se répondit.

Ibuki —  Mettons de côté ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant, tant que j’aurai pas eu ma revanche pour ce qui s’est passé sur le toit, je ne serais pas satisfaite.

Elle ne compter pas écouter. Maintenant qu’elle s’était remise de ses blessures, elle cherchait un moyen de vaincre. J’aurais pu m’enfuir mais le 3e trimestre allait commencer et si elle continuait ainsi sur ce sujet, cela pouvait être ennuyant pour moi. Bien évidemment, elle l’avait parfaitement compris.

Ibuki — Une fois que le trimestre prochain commencera, si je viens interagir avec toi sans la moindre précaution, ça va te poser problème, non ?

Même si elle ne parlait pas de ce qu’elle savait à quiconque, si elle venait me voir, moi qui étais d’une classe différente de la sienne, cela allait suffir à nous rendre tous deux suspects auprès de tous. Est-ce que ça lui allait vraiment ? C’était une menace à double tranchant qu’elle me brandissait là. Pour moi, cela faisait partie du « répandre la rumeur », mais Ibuki voulait probablement faire comme si ce n’était pas le cas.

Ibuki — Si tu veux que je me tire de là, t’as pas d’autre choix que de te battre contre moi.

Même si elle me disait de se « battre » contre elle, cela pouvait dire bien des choses.

Moi — Je suppose que te battre au Go ou au Shōgi, ça ne compte pas, hein ? 

Ibuki —  J’connais même pas les règles de ces deux trucs. 

C’était vraiment malheureux. J’étais plutôt assez confiant de mon niveau sur ces deux jeux.

Ibuki — Le seul moyen de régler ça est évident, non ? 

En disant cela, elle se mit en position de combat, au plein milieu du centre commercial, avec tout un tas de piétons autour. Je n’avais même pas à réfléchir, dans ce cas-là. Elle avait sûrement décidé à l’avance ce qui était noir de ce qui était blanc.

Moi — …….Peut-être, que rien ne changera au final.

Ibuki — Hah. T’es en train de dire que tu sais déjà qu’au final, tu vas me battre ? 

Peut-être que mes mots l’avaient mis mal à l’aise, mais alors que la veine de sa tempe allait éclater, Ibuki se pinça les lèvres.

Ibuki — Pas simplement le résultat du duel. Aussi ta façon de penser.

Il semblerait qu’elle savait très bien au vu de comment elle avait perdu pendant notre confrontation sur le toit, que même en refaisant un duel, le résultat ne changerait pas. Cependant, peu importait la manière dont elle avait perdu, il était évident qu’elle n’allait pas se satisfaire avec ça. Ça n’avait rien à voir avec le fait d’être un homme ou une femme…. C‘était probablement parce qu’elle n’était pas capable d’admettre une défaite. ‘‘Très bien tu as gagné.’’ Même si je lui disais ça, cela ne ferait qu’ajouter de l’huile sur du feu.

Ibuki — Bon, tu refuses de te battre, c’est ça ?

Bien entendu, normalement, il était clair que je n’allais pas accepter. Surtout vu à quel point j’étais fatigué, je ne voulais vraiment pas m’embêter à faire quelque chose d’inutile. Mais–

Moi — T’as un peu de temps devant toi ? 

Cette soudaine question sembla prendre Ibuki de court.

Ibuki — ……Rien d’particulier. À part ce film, j’avais rien d’prévu. Ça veut dire que t’es d’accord ? 

Évidemment Ibuki ne s’attendait pas à ce que j’accepte, alors elle était quelque peu déboussolée. On aurait même dit qu’elle allait reculer.

Ibuki — C’est une blague ?

Moi — Pas du tout. Tu ne me laisses pas vraiment le choix, alors c’est la seule solution.

Bien que surprise, Ibuki se ressaisit de suite et se mit en position. Il semblait qu’elle comptait débuter le combat tout de suite et s’apprêtait à bondir sur moi. Mais je ne pouvais pas laisser passer ça, par contre. Il y avait trop de gens autour. Je voulais qu’on le fasse loin du regard des autres.

Ibuki — Bon alors, c’est parti, oui ou non ?

Moi — Je me demande où aller. Je veux dire, ici ça va pas le faire, tu saisis ? Même si j’ai accepté qu’on se batte, je ne le ferais pas n’importe où.

Et certainement pas dans le centre commercial Keyaki. Et à l’intérieur du bâtiment des cours, ce n’était pas bien mieux. Vu qu’on était en vacances d’hiver, tout lieu extérieur était bien trop dangereux, alors on ne pouvait opter que pour une pièce d’intérieur. Je ne voyais que l’une de nos chambres, mais là-dedans, faire un combat était difficilement possible. Ibuki saisit également le problème.

Ibuki — On va se mettre à chercher à partir de maintenant 

Moi — On peut rien faire d’autre que d’abandonner l’idée plutôt, non ? 

Ibuki — En tombant sur moi, tu as déjà signé ta perte.

Disant cela, Ibuki se tourna et commença à marcher devant. Il semblait que je devais la suivre.

Moi — Qu’est-ce que tu feras si je me mets à m’enfuir ? »

Ibuki — Je te poursuivrai, te rattraperai et je te balancerai ensuite un high kick dans la tronche, direct. 

Donc c’était effectivement bien le cas. N’ayant plus aucune raison de m’enfuir, je la suivis.

Moi — Je l’ai déjà dit tout à l’heure, mais ce qu’on est censé faire c’est de trouver un endroit où personne ne nous verra en train de nous battre.

Ibuki — C’est bon, j’ai bien compris. 

Tant qu’elle avait bien ça en tête, j’acceptais de la suivre. Si elle ne parvenait pas à trouver un lieu convenable alors tout cela devait être reporté ad vitam æternam. Et ainsi, contrairement à si je refusais son duel de suite, Ibuki n’aurait rien à en redire. C’était pourquoi j’avais accepté de base. Même si j’étais à quelques mètres derrière elle en train de la suivre, je ne cherchais pas la même chose qu’elle.

Ibuki marchait donc désespérément autour du centre commercial Keyaki, à la recherche d’un endroit isolé des regards. Mais ce n’était pas chose aisée à trouver. Il y avait des salles dans le centre commercial auxquelles les élèves n’avaient pas le droit d’accès, mais les caméras de surveillance y étaient placées. Et puis, même sans ça, il y aurait toujours les employés qui y étaient présents. Même en cherchant à l’extérieur du centre commercial, cela aurait été la même chose. En entrant à l’intérieur du lycée en cette période, cela était jouable, mais comme nous ne pouvions pas y accéder sans notre uniforme, cela aussi était impossible. Cela aurait paru suspect si nous étions retournés chez nous pour mettre notre uniforme pour nous retrouver à nouveau ensuite, surtout qu’on attirerait forcément l’attention vêtus tous deux ainsi, alors il y avait de fortes chances qu’on nous voit rentrer ensemble dans le lycée, ce qui était déjà hors de question. J’avais répondu à sa provocation en ayant anticipé tout ça, et comme prévu, c’était la bonne décision.

Moi — Bon je pense que ça sert à rien de continuer. Abandonnons l’idée. Trouver un endroit sans surveillance dans cet établissement, c’était perdu d’av— 

Ibuki — Attends deux s’condes.

Elle m’interrompit. Peut-être avait-elle eu subitement une idée, car elle se retourna tout à coup vers moi, puis vers une certaine direction. Ce que me montra Ibuki du regard était une fenêtre sur laquelle était fixée une pancarte avec marquée dessus ‘‘accès réservé au personnel’’. C’était bien commode tout ça, mais bon, il n’en restait pas moins qu’il y avait peut-être des membres du staff à l’intérieur, donc c’était toujours hors de question. Je pus voir très distinctement l’un d’entre eux avec une étiquette sur sa veste marquée ‘Kimura’, et on pouvait également voir le logo de la pharmacie imprimé dessus. Ils se dirigeaient vers une camionnette où étaient entreposés des cartons. Tout portait à croire qu’il était en train de déplacer la pharmacie dans une des boutiques à l’intérieur du centre commercial. La camionnette démarra alors peu après.

Ibuki — Suis-moi.

Moi — Oi, cet endroit est—

Alors qu’elle me disait de la suivre, Ibuki avait déjà posé sa main contre la porte. En l’ouvrant, nous nous rendîmes compte que c’était un entrepôt, qui avait été vidé de la majorité de son contenu. Les employés étaient tous partis apparemment, et il ne restait à l’intérieur que le minimum, c’est-à-dire que dans la pièce meublée il n’y avait que des étagères vides et encore quelques cartons contenant quelques compresses et sirops thérapeutiques. La pièce était à peine éclairée, avec un seul néon allumé. Le chauffage n’était plus fonctionnel et il y faisait un peu froid.

Ibuki — Ici, personne ne nous verra. Donc ça passe, non ?

En effet, dans une pièce comme celle-ci dont l’accès n’était autorisé qu’aux employés, il n’y avait pas de caméra de surveillance installée. Cependant, n’était-ce pas inhabituel qu’un endroit comme celui-là ne soit pas fermé à clé ? C’était pour le moins étrange de laisser la porte ainsi ouverte. Est-ce que ça voulait dire que les employés de tout à l’heure avaient oublié de la fermer ? Ou alors ça signifiait qu’ils avaient l’intention de revenir ici dans pas longtemps, et donc n’avaient pas pris la peine de fermer. Peu importe lequel des deux cas était vrai, rester là trop longtemps pouvait nous apporter des ennuis. Le fait que des élèves soient ici n’avait rien de normal, si nous étions découverts nous étions certains de nous faire réprimander.

Ibuki — Y a pas d’soucis à se faire, non ? Si on nous trouve là, on aura qu’à dire qu’on s’est trompé de porte, et puis voilà. Ça serait totalement différent si on nous voyait en train de voler quelque chose, mais vu qu’on a même pas un sac sur nous et que c’est presque vide ici, ils vont pas se l’imaginer.

Certainement, nous pourrions facilement sortir une excuse comme celle-là, mais il semblait que l’envie de régler ce différend d’Ibuki, et ce peu importe les conséquences, était vraiment forte. Cela signifiait qu’elle était prête à prendre des risques. Même si elle connaissait pourtant le résultat d’avance, il fallait peut-être que nous combattions concrètement pour qu’elle soit satisfaite.

Moi — Le truc c’est que cette pièce est vraiment petite. Est-ce qu’on a vraiment la place pour se battre ici ? 

Ce n’était pas vraiment bien différent d’une de nos chambres dans le dortoir.

Ibuki — Moi ça me va parfaitement.

Tant que la condition d’être vu par personne était remplie, Ibuki semblait pouvoir se satisfaire de n’importe quoi.

Moi — T’as beau dire ça…..et si les employés de tout à l’heure revenaient soudainement, qu’est-ce que tu ferais ?

Ibuki — Si on finit avant qu’il ne revienne, ça passe non ? Alors dépêchons-nous. 

N’écoutant même pas mon avis, elle était enfermée dans un bien inhabituel optimisme. Alors que je m’apprêtais désespérément à la raisonner pour changer d’endroit, un bruit retentit que je pus clairement identifier comme celle d’une porte qu’on ferme à clé.

Moi — Il y avait en effet cette possibilité qui nous mettrait dans une situation bien désagréable. Et il semble qu’elle se soit réalisée. 

Ibuki —  Pas besoin de paniquer. 

Moi — Regarde. 

Je tirai sur la poignée de la porte pour bien montrer le problème, mais Ibuki me regarda avec suspicion et comprit que nous étions bel et bien enfermés que lorsqu’elle essaya elle-même de tirer dessus.

Ibuki —  ……Hé, comment ça se fait qu’on puisse pas l’ouvrir de l’intérieur 

Moi — Dans le cas de porte avec une fenêtre en verre comme celui-là, c’est courant qu’il n’y ait pas de loquet à l’intérieur. Sinon il suffirait de briser la vitre et d’actionner le loquet depuis l’extérieur.

Ibuki — Donc en gros, on est coincé ici ?

Moi —  Exactement.

Ibuki — Putain, mais c’est pas possible ? À chaque fois que je suis avec toi, faut toujours qu’on se retrouve coincés tous les deux. Bordel, j’ai envie de vomir rien qu’à l’idée de repenser à cet enfer que j’ai vécu dans l’ascenseur.

Moi — Cette fois, j’y suis totalement pour rien. C’est toi qui nous as fait rentrer ici, non ?

Ibuki — Huh ? Tu dis qu’c’est ma faute ? 

Non mais vraiment, là, y avait qu’une personne à blâmer, c’était Ibuki. La dernière fois, c’était en plein milieu de l’été, maintenant en plein milieu de l’hiver. Des coïncidences bien malheureuses arrivaient donc parfois ainsi.

Moi — Mais bon, là, les circonstances sont totalement différentes. Vu la porte, même dans le pire des cas, on pourra toujours sortir en la défonçant. 

Ibuki — Donc y a vraiment pas à s’en faire pour sortir, hein ? 

Moi — En effet, mais ça voudrait dire que dans le pire des cas, ils vont découvrir que quelqu’un s’est introduit ici. 

Ibuki —  ……très bien. Dans ce cas, change ta façon de voir les choses, et envisage plutôt la suite de manière positive. 

Moi — Je le sens plutôt mal, personnellement.

Ibuki — Moi pas. L’essentiel reste qu’ici, personne ne nous gênera. 

Alors qu’Ibuki retourna son regard vers moi, elle se mit en position de combat.

Ibuki — Je te laisse choisir les règles. On ne s’arrête que lorsque l’autre admet sa défaite ? Perd conscience ? 

Au vu de cette situation sans échappatoire, il sembla qu’Ibuki ait décidé d’utiliser cela à son avantage. Car ici, même si je voulais refuser le combat et m’échapper, je ne pourrais pas.

Moi — Partons plutôt sur le premier alors. 

Ibuki — …..Attends. Finalement, c’est moi qui décide des règles. 

Moi — Oi. 

Ibuki — Si on part vraiment sur ça, alors tu vas déclarer avoir perdu alors qu’on aura même pas commencé le combat, avoue. 

Tout juste.

Ibuki — Dans ce cas, ça s’arrêtera uniquement lorsque j’aurai moi-même pensé que j’ai gagné ou perdu. Tant que ce ne sera pas parfaitement clair, je continuerai à me battre. 

Voilà des conditions bien autoritaires et absurdes. Mais bon, je n’avais pas vraiment le choix.

Moi — Compris. Ça me va. Cependant, si on part sur ça, je voudrais aussi ajouter une condition. 

Ibuki — Laquelle ? 

Moi — Une fois qu’on aura réglé ça, tu ne pourras plus jamais me provoquer en duel de nouveau. C’est bien clair ? Bien entendu, durant un examen ou quelque chose du genre, tu pourras bien évidemment faire ce que tu veux, mais en dehors de ça, ce sera le dernier combat fait pour des raisons personnelles que je mènerai contre toi, ok ?

Ibuki — …..De toute manière, c’était bien mon intention de régler tout ça, une fois pour toutes. »

Il semblait qu’elle n’avait rien à redire là-dessus, alors Ibuki hocha la tête et accepta la condition. Dans ce cas, tout ce que j’avais à faire c’était aussi d’en finir. Après l’incident sur le toit, je ne m’attendais pas à devoir me battre à nouveau de sitôt, mais bon, il n’y avait rien d’autre à faire. En fait, le vrai problème allait être quand j’allais mettre Ibuki par terre. Ce n’était qu’une question de temps, autant en finir le plus vite possible.

Ibuki — T’es vraiment chiant comme mec. Même là, tu ne fais que penser à comment sortir d’ici tout à l’heure.

Moi — C’est le plus important, après tout. S’il découvre que nous sommes entrés ici, ça va devenir un problème.

L’excuse du « on s’est trompé de porte » n’allait pas marcher si nous ne les contactions pas immédiatement. Sortir ça tout en restant ici un long moment n’allait pas jouer en notre faveur.

Peu importe si Ibuki avait bien deviné à quoi j’étais en train de penser ou non, elle me lançait des coups de pied pour m’obliger à me concentrer sur le combat tout en tenant sa garde. Comme je m’y attendais, son jeu de jambes était le cœur de son style de combat. Ce n’était pas une mince affaire d’esquiver ses coups dans un entrepôt aussi petit. Et puis, en plus de ça, je ne voulais éviter toute détérioration sur les cartons et les étagères, si possible. Je ne voulais pas dépenser des points privés pour rien, car en plus de mes achats habituels, je devais une somme assez importante à Karuizawa, également.

Cependant, je doutais qu’une petite contre-attaque allait suffire à briser l’esprit d’Ibuki. Dans un combat où elle mettait sa fierté en jeu, elle n’allait pas abandonner si facilement. Mais même lui fair perdre conscience risquait de ne pas suffire. Il fallait que je trouve un moyen pour que cette obstinée d’Ibuki reconnaisse sa défaite. Cette règle stipulant que c’était à elle seule de décider si elle avait perdu ou non, était vraiment ennuyeuse.

Pour gagner, je ne devais l’attaquer, mais je ne pouvais pas simplement lui faire mordre la poussière. Si c’était un combat à mort, cela aurait été plus simple, car je n’aurais pas eu besoin de faire tant de manières, même si pour le coup, pour un combat sans intérêt comme celui-ci, je n’y aurais eu aucun bénéfice. Et puis, que ce soit sur son visage ou son corps, je n’avais pas spécialement envie de lui laisser des cicatrices ou autres marques indélébiles. Avec toutes ces conditions cachées en plus, le nombre de techniques que j’avais dans ma manche était tout de suite bien plus limité. Pour la forcer à reconnaître sa défaite, tout en évitant de la blesser gravement, il fallait une méthode me permettant d’arriver à satisfaire ces deux conditions.

Bien entendu, je devais aussi m’assurer de gagner tout court, mais… Ce n’était pas comme si ça m’était bien difficile. J’évitais un coup de pied d’Ibuki en me déplaçant le moins possible. Puis de ma main la plus faible, c’est-à-dire la gauche… Paf ! Un bruit sourd comme celui-ci retentit lorsque la paume de ma main heurta le front d’Ibuki. C’était une technique utilisant la paume de la main pour causer des dégâts internes à la cible. Avec un cri de douleur, Ibuki s’effondra contre le mur de derrière, comme si elle avait été balayée par une tempête.

Ibuki — Ha——- 

Cette fille, qui avait reçu cette attaque frontale en contre, sans même pouvoir comprendre ce qui lui était arrivé, avait sa conscience qui vacillait, la douleur et la panique commençant à se répandre en elle. Si j’y étais allé de toutes mes forces, nul doute qu’elle serait déjà probablement évanouie. Sans prendre de précautions, Ibuki rassembla toutes les forces qui lui restaient pour pouvoir terrasser l’adversaire devant elle. Il m’était facile d’exterminer toute combativité en elle en l’assommant, par contre, c’était une tout autre affaire pour exterminer les raisons de sa combativité.

Ibuki —  …..T’es en train de te dire que t’as même pas à y aller sérieusement, là ?

Résistant à son sens de l’équilibre qui vacillait totalement, Ibuki luttait pour ne pas tomber, tout en me donnant des coups de pied.

Moi — En tant que pratiquante d’un art martial expérimentée, tu devrais pourtant le comprendre. 

Ibuki — J’ai bien saisi. Et je n’ai pas besoin qu’on le pointe comme ça, devant ma gueule….. Mais je peux juste pas l’accepter. 

Elle avait arrêté ses coups pour me lancer ça. Voilà ce que représentait ce combat contre moi, pour Ibuki. Elle me rugit alors des mots qui ne ressemblaient même plus à des mots, avant de recommencer à nouveau à enchaîner une série de coups de pied retournés, sur moi. L’ouverture dans sa garde qu’elle m’exposait n’était en aucun cas petite, même par rapport à tout à l’heure où elle essayait de me frapper alors qu’elle tenait à peine debout. Ce n’était que des coups qui ne reposaient plus que sur de la force. Bien entendu, si elle m’avait touché avec ça, j’aurais été K.O. sur le coup, mais il n’y avait aucune chance qu’elle me touche ainsi. Ou alors, voulait-elle provoquer un contre et d’essayer alors d’obtenir une double touche ? Peu importe si c’était le cas, je n’avais pas l’intention de me laisser toucher comme ça. J’utilisai ma main droite pour bloquer la jambe d’Ibuki avant qu’elle n’eût le temps de finir d’amorcer son coup, puis avec ma main gauche, je la saisis par la gorge et commençai à l’étrangler.

Ibuki — Garrh….… !

J’exerçais une pression l’empêchant de pouvoir respirer. Maintenant qu’elle luttait totalement pour reprendre un peu d’air, je pouvais lâcher sa jambe et utiliser mes deux mains pour l’étouffer totalement. Ibuki avait beau essayer de me faire lâcher prise avec ses deux mains, elle n’arriva pas à me faire bouger d’un poil. Elle se mit à me griffer futilement, un peu comme le chant du cygne dans sa résistance désespérée, avant de suffoquer totalement.

Moi — C’est à toi de décider, Ibuki. Tu veux qu’on continue encore un peu, ou on en reste là ? Choisis maintenant, avant que tu perdes la capacité de le faire.

Si de simples mots avaient suffi à lui faire entendre raison, nous n’en serions pas arrivés jusque-là. Cependant, une dernière fois, je décidai de lui donner sa chance.

Moi — Ryuuen, lui, il en avait de la volonté. Et toi, Ibuki ? Est-ce que tu es capable de m’en montrer un peu, aussi ?

Ibuki — Guh !

Ibuki me regarda avec des yeux écarquillés comme jamais auparavant. Cependant—

Les mains tremblantes, elle saisit de nouveau mes deux mains. Tap, tap tap. Elle donna de pitoyables coups ainsi à trois reprises. Elle ferma ensuite les yeux, la résignation habitant son visage. J’avais compris le signal. Je relâchai doucement mon emprise sur la gorge d’Ibuki et elle put enfin reprendre un peu d’air.

Ibuki — Hah……hah. Je ne pensais pas que tu y irais mollo parce que je suis une fille, mais là, tu n’as vraiment montré aucune pitié. 

Moi — Tu n’es pas vraiment une adversaire avec qui on peut avoir le luxe d’y aller mollo, tu sais ?

Car si j’y étais allé doucement, Ibuki aurait simplement été encore plus en rogne. Bon, il était vrai que j’avais à peine utilisé une partie de ma force, mais ça, c’était une autre histoire. L’important était qu’elle avait eu l’impression que je ne m’étais pas retenu.

Ibuki — Ahh rrrrh. Pourquoi..?

Même si elle semblait toujours frustrée, cela semblait s’être tout de même un peu dissipé, alors qu’elle s’assit à même le sol.

Ibuki — Très bien. J’ai juste à le reconnaître, hein ? T’as gagné.

Je me fichais totalement de la question de perdre ou de gagner, mais si Ibuki était satisfaite avec ça, je n’allais pas la contredire. À vrai dire ce combat imprudent, avait une signification pour chacun de nous deux.

Ibuki — Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort que toi, même parmi les adultes. Comment est-ce que tu es devenu aussi fort ?

Moi — En m’entraînant encore et encore, chaque jour. C’est pourtant évident, quelqu’un comme toi qui pratiques les arts martiaux devrait déjà l’avoir compris, non ?

Ibuki — Ah, je vois.

Ayant compris que je ne lui avais pas répondu sérieusement, Ibuki lâcha un soupir, tout en abandonnant l’idée d’en savoir davantage.

Ibuki — Bon ? Et comment est-ce qu’on va faire pour sortir d’ici ? Je suis prête à coopérer s’il le faut. 

Moi — C’est assez simple.

Il me suffisait simplement d’appeler le centre commercial Keyaki, ou plutôt, la pharmacie dans celui-ci avec mon téléphone.

Moi — Excusez-moi, est-ce qu’il y a bien un vendeur au nom de Kimura-san ?…Oui, s’il est bien là, est-ce que vous pourriez me le passer ?

Peu de temps après, le vendeur du nom de Kimura vint répondre au téléphone. Je lui informais alors que nous étions enfermés dans l’entrepôt.

Ibuki — Mais comme ça, on va pas avoir des problèmes ?

Moi — En effet. Il n’y a aucune garantie qu’on s’en sorte sans rien. Et pour augmenter nos chances d’éviter toute sanction, je vais te demander de jouer le jeu avec moi, Ibuki

Quelques minutes après mon coup de fil, Kimura-san était venu nous ouvrir la porte et entra. Il nous vit alors à l’intérieur et commença à nous interroger sur pourquoi nous étions entrés ici et pourquoi nous ne l’avions pas directement contacté.

Moi — Désolé, on s’est juste laissé emporter par notre excitation dans notre rendez-vous en tête à tête, et on a fini par chercher une pièce pour être tranquille. Je ne pensais pas que nous allions être enfermés comme ça.

J’utilisais le fait que nous étions en plein dans le délire de Noël, et jouais la carte du couple d’idiots qui avaient fini par être pris dans le feu du moment. Bien entendu, même si l’on arrivait à faire croire ce mensonge, ça n’allait pas changer quoi que ce soit aux ennuis que l’on risquait si cet employé décidait de rapporter cela à ses supérieurs. Je n’allais donc pas lui indiquer cela directement et voulais juste lui présenter une raison plausible, expliquant ce que l’on faisait ici et pourquoi nous avions mis autant de temps avant d’appeler, et faire en sorte à ce qu’il y croit.

Moi — Bon, Mio ? Tu devrais aussi t’excuser.

Ibuki — H-Huh ? Qu’est-ce qu–

Ibuki s’entendant se faire appeler par son prénom, ne put s’empêcher de réagir, mais je la fis se taire avec mon regard. Maintenant le choc passait, elle devait avoir compris que tout acte suspect de sa part pouvait nous mettre tous deux dans l’embarras. Bien entendu, j’avais aussi imaginé la possibilité qu’elle décide de me trahir et m’étais préparé pour ça. Dans le pire des cas, j’allais moi-même devoir subir des conséquences, mais je pouvais faire en sorte qu’elle subisse le plus de dégâts. Je pouvais mettre la majorité de la responsabilité de tout ça sur le dos d’Ibuki, car malheureusement, je n’avais pas de quoi réussir à lui mettre l’entière responsabilité sur le dos.

Ibuki — ….Je suis désolée.

Bien qu’elle semblait détester ça, Ibuki finit tout de même par incliner sa tête. Pour profiter de ce moment où l’employé devait être plus enclin à se laisser amadouer, je lui informai qu’on avait pris soin de ne toucher à rien. Il pouvait certes très bien nous reprocher ce qu’on avait fait, mais la faute en revenait aussi à lui, de n’avoir pas oublié de fermer la porte à clé. C’était pourquoi j’avais bien pris soin d’appeler l’employé se nommant Kimura, car c’était lui qui avait oublié de faire cela. Ainsi, en voyant qu’il n’y avait aucune trace d’un quelconque incident, celui-ci avait tout à fait intérêt à ne pas le reporter pour ne pas se montrer en faute. Après nous avoir sermonnés pendant un moment, Kimura-san ferma la porte et repartit à son travail.

Moi — Bon bah on a réussi à s’en sortir sans rien finalement. 

Ibuki — Ne me dis pas que t’avais déjà prévu tout ça en faisant gaffe à voir et retenir le nom de ce type ?

Plus que le fait d’avoir été appelée par son prénom, c’était cela qui avait choqué Ibuki apparemment.

Moi — C’était pas intentionnel. C’est juste arrivé à mes yeux, c’tout.

Ibuki — Je vois… 

Bien que c’était elle qui me répondait ça, elle n’avait pas l’air très intéressée par ma réponse.

Ibuki — Bon, en tout cas, c’est la dernière fois que je me retrouve impliquée dans quoi que ce soit avec toi. On dirait bien qu’on est finalement parvenu à tomber d’accord.

Moi — J’en suis ravi.

Ibuki — Mais avant ça…. Laisse-moi écouter ton opinion sur une dernière chose. 

Moi —  Mon opinion ?

Ibuki — Pour aller en classe A, une personne peut accumuler 20 millions de points privés, tu es au courant de ça, non ? Ça veut dire que si on veut faire accéder toute la classe en classe A comme ça, il faudrait économiser 800 millions de points en tout. C’est une somme ridiculement trop importante pour y arriver avant la fin du lycée, tu ne crois pas ?

Moi — En effet. C’est totalement impossible. On y a tous réfléchi et fini par abandonner l’idée, je présume. 

Ibuki — Je vois. C’était évident, je suppose. 

Moi — C’était tout ce que tu voulais me demander ?

Ibuki — Ouais, c’est tout. Ciao !

N’ayant plus rien à nous dire, elle se tût et partit de son côté. Et avec cela, toute ma relation avec Ibuki Mio s’acheva… en tout cas c’était ce que j’espérais, mais durant les 3 années qu’il nous restait à passer tous les deux dans ce lycée, je n’étais pas certain que je pouvais l’affirmer.

En tout cas, j’en avais l’intuition.

4

Moi — De bien des manières, tout ça fut un désastre. 

Bien que mon planning avait été totalement chamboulé, j’avais tout de même fini par surmonter cette demi-journée et allais enfin pouvoir retourner à ma chambre. Durant les vacances d’hiver, une simple sortie pouvait devenir un véritable parcours du combattant apparemment. Tout d’abord, cette fâcheuse rencontre avec Sakayanagi et Kamuro, puis cette dispute avec Ibuki. Et encore je passais sur la venue d’Ishizaki et ses compères. Vérifiant l’heure sur mon téléphone je pus constater qu’il était presque 15h00.

 — Ahaha. Tu peux le redire encore—

Alors que je retraversais le centre commercial Keyaki pour revenir à mon appartement, je vis un groupe de trois filles, arrivant d’un carrefour juste devant moi. C’était Satô, Shinohara et également Matsushita, toutes des élèves de la classe D. Elles étaient en train de marcher en discutant joyeusement. Puisque j’avais prévu de sortir avec elle, demain, mon regard fut sans que je ne le contrôle, capturé par Satô.

Je masquai ma présence pour ne pas qu’elles me remarquent et gardai une certaine distance où je pouvais toujours entendre leur voix. Car toute information que je pouvais obtenir pouvait m’être utile pour le lendemain. Cette rencontre-là, je la considérai plutôt comme une chance.

Matsushita — Au final, Noël arrive et on a toujours pas trouvé de petit copain.

Matsushita dit cela en regardant les couples tout autour d’eux, puis soupira.

Shinohara — Tu pourrais en dénicher un direct, vu comment t’es mignonne. 

Shinohara ricana bruyamment en tapotant du bout du doigt l’aisselle de son amie.

Matsushita — Eh, je ne veux pas non plus être avec quelqu’un au point d’avoir à baisser mes critères.

Shinohara —  T’as trop raison~. Mais, en y réfléchissant bien, j’ai vraiment envie d’un p’tit copain. 

Matsushita —  Et t’as quelqu’un en tête pour ça ? 

Prise d’une curiosité malicieuse, Matsushita ne lui avait pas demandé cela innocemment. Shinohara croisa alors ses bras et son visage s’assombrit.

Shinohara — Pas du tout. Déjà, tous ceux de notre classe sont juste lamentables. 

Matsushita — C’est sûr. Le seul qui passait la barre du potable, et qui passait même celle du petit ami idéal, a déjà été pris par Karuizawa-san. 

Bien entendu, elle parlait ici de Hirata.

Matsushita — Et comme on doit se battre contre les autres classes durant chaque exam, c’est pas comme si on avait la possibilité de faire ami-ami avec ceux des autres classes. Au vu de tout ça, la seule chose à faire ce serait de sortir avec un senpai—voilà ce que je me disais. Même si bon, j’aurais préféré être avec un gars déjà à l’université, perso. 

Matsushita déclara que de sortir avec un garçon de la même année qu’elle était hors de question.

Shinohara — Un senpai, huh—. Pour moi c’est tout le contraire. J’aime pas du tout l’idée de sortir avec quelqu’un de plus vieux que moi. Si je veux découvrir l’amour avec quelqu’un, ça devra être avec une personne du même âge que moi, je suppose. 

De l’autre côté, Shinohara semblait préférer être avec quelqu’un de la même année qu’elle.

Matsushita — Et pour toi, Satô-san ? 

Satô — Ehh ? Moi ? Eh bien—. Comme Shinohara-san je pense, je préférerais que ce soit quelqu’un dans la même classe que moi. 

Shinohara — Eh, non, non, non. J’ai jamais dit quelqu’un de la classe, moi !

Shinohara réfuta de suite ses propos. C’était comme si elle en avait le besoin.

Matsushita — En parlant de ça, Satô-san, est-ce que tu as…..pu parler avec Ayanokôji-kun, dernièrement ?

Tout d’un coup, mon nom entra dans la conversation. Si jamais on me voyait alors, j’aurais été dans de beaux draps ! Je tournai mes yeux vers la librairie juste à ma droite. Changeant mes plans immédiatement, dans le but de mettre un peu plus de distance entre Satô, son groupe et moi, je me décidai de tuer un peu le temps ici.

Moi — Le classement des marchandises tendances de l’année…

Des produits de première nécessecité en allant à de l’électroménager, il y a avait de tout dans ce classement. Il y avait aussi des avis sur les différentes marques de détergents par exemple et d’autres choses. Je décidai de jeter un œil à ce magazine.

Moi — …..Ça me semble être une bonne idée de juste l’acheter, puis de reprendre la route. 

Les meilleures voitures de l’année en annexe n’étaient pas intéressantes mais, comme c’était un bonus, je l’avais pris. Ce qui m’intéressait surtout c’était tous les produits électroniques. Cela pouvait m’aider pour de futurs achats. Je levai la tête quand je sentis que Satô et les autres étaient partis.

Cependant, pour une raison ou une autre, juste dans mon champ de vision, Shinohara se tenait là, toute seule. Il semblait que les deux autres étaient allées aux toilettes et que Shinohara les attendait ici. Bon, un autre tour du côté de la librairie s’imposait ! Je cherchais donc un nouveau magazine qui pouvait m’intéresser. Il y avait un certain nombre de clients dans l’échoppe, mais je remarquai directement la présence de l’un d’entre eux que je ne m’attendais pas voir ici. En effet, c’était un individu dont le comportement donnait l’impression qu’il allait toujours commettre un méfait. C’était Ryuuen Kakeru. Il était en train de regarder du côté de l’étal des  livres scolaires. Puisque j’étais dos à lui, je ne pus voir l’expression de son visage.

Moi — Ça colle vraiment pas à son personnage…

Il n’y avait pas son entourage habituel avec lui, et le voir ainsi dégageait vraiment un sentiment de solitude. N’empêche, pour quelqu’un qui hier à peine avait pris une raclée, sortir comme si de rien était le lendemain lui ressemblait bien. Même s’il remarquait ma présence, nous n’étions pas vraiment enclins à discuter alors je me décidais de ne pas m’approcher de lui.

 — Eh, t’es en seconde, pas vrai ? 

Shinohara — Ehh ? 

 — T’as fait exprès de nous rentrer dedans, ou quoi là ?

Shinohara — N-Non, j’ai pas… C’était vraiment pas mon attention…

Alors que j’étais en train de regarder d’autres magazines, j’entendis la voix déconcertée de Shinohara. Alors que je levais mon regard de la page que j’étais en train de lire, pour une raison que j’ignorais, un garçon et une fille qui semblaient être des senpais étaient en train de dévisager Shinohara, comme pour la mettre au coin du mur. Je ne reconnaissais pas la fille, mais le garçon m’était familier. C’était un élève de la terminale D, et peu après mon arrivée dans le lycée, j’avais négocié avec lui afin qu’il me vende les réponses des tests passées. J’avais entendu dire que parmi les premières et terminales, il y avait eu pas mal d’expulsions, mais bien qu’il était contraint de se contenter de plats de légumes à tous les repas, il avait tout de même réussi à rester dans ce lycée jusqu’à maintenant. Les deux senpais étaient assortis dans leur façon de s’habiller, avec tous deux des vêtements à pois et à rayures. En plus de ça, vu la distance quasi inexistante entre eux, où l’on pouvait dire que leurs bras étaient presque collés, il était bien probable que ces deux-là étaient en couple.

— T’étais trop absorbée dans tes pensées pour calculer qu’on était là, c’est ça ? Bah vas-y, raconte-nous c’qui trottait dans ta tête ? 

— Allez, laisse tomber meuf, on s’en fout d’elle. 

Le garçon ne semblait pas s’en soucier plus que ça, mais sa petite amie, elle, était furieuse.

La fille — J’peux pas laisser passer ça. T’es qu’en seconde, c’est ça ? Et en classe D en plus ? 

Shinohara — C’est, mmhh, vrai, mais…Je pensais à rien… 

— Alors fais pas genre. Tu t’es délibérément jetée sur nous pour nous faire chier.

A en juger par leurs dires, on dirait qu’aucun des deux parties n’avait fait attention à là où il marchait et ils avaient fini par se heurter d’une certaine manière. Mais vu que personne ne semblait avoir été blessé et que personne n’était tombé, il était clair que ce n’était pas grand-chose.

—  Déjà, la première chose à faire quand on rentre dans quelqu’un, un senpai en plus, c’est de s’excuser ! Nan mais c’est quoi c’t’attitude !!

Shinohara — M-mais celle qui regardait pas devant elle, c’est…

— Huh ? T’essaye de dire qu’c’est ma faute, là ?

Shinohara avait essayé de plaider pour sa légitimité, mais elle semblait incapable de résister à la pression exercée par la senpai furibonde juste en face d’elle, car elle se mit à s’incliner devant elle, visiblement à contrecœur.

Shinohara — …..Non. Je suis vraiment désolée.

Cependant, la non-sincérité de son attitude n’avait pas juste été perçue par moi, mais également par la senpai. C’était comme si Shinohara venait de souffler encore un peu plus sur les braises de la colère de celle-ci, qui se transforma alors en véritable fournaise.

— Huh. T’as beau t’excuser, après l’attitude que t’as montrée, j’peux lire aucune sincérité dans tes excuses, là. 

Shinohara — S-Sincérité… Mais, celle qui ne regardait pas où elle mettait les pieds, je pense que c’était toi, senpai. 

Il semblait que du point de vue de Shinohara, la faute en revenait à ce couple, trop occupé à fricoter pour regarder là où ils allaient.

— Va te faire. T’es celle qui nous a foncés dessus, avoue-le ! 

Shinohara — Mais, c’est… 

Au contraire, du point de vue de la senpai, celle qui n’avait pas fait assez attention, c’était Shinohara. Ce qui s’était réellement passé, nul ne pouvait le dire, à part les personnes concernées et les témoins de la scène. Cela allait être difficile pour Shinohara de s’en sortir par elle-même. Peut-être devais-je intervenir pour lui prêter main-forte, mais vu que je n’avais pas vraiment vu la collision, je n’étais pas bien placé pour faire l’arbitre….Il fallait essayer, ça pouvait marcher. Juste après avoir pensé cela, en remettant le magazine dans son étal, l’apparition d’une certaine personne se fit sentir. Il semblait qu’il avait remarqué dans quel pétrin s’était empêtrée Shinohara et c’était pourquoi il s’était approché, puis héla Shinohara.

— Qu’est-ce que tu fous, Shinohara ? 

Ignorant totalement les senpais, ce garçon, Ike Kanji, l’appela comme si de rien était.

Shinohara — Ahh…..Ike-kun…..ummm. 

C’était loin d’être une réaction de type ‘ouf, sauvée’. Elle avait plutôt l’air d’attendre la fin de la tempête mais d’apercevoir un ouragan. Voilà ce qui ressortait de l’expression décontenancée de Shinohara. D’habitude, Ike créait toujours des ennuis sur son passage, alors c’était plutôt compréhensible comme réaction.

— T’es qui toi ? Mêle toi pas d’ça, ok ?!

Face à cette interruption, la senpai montra encore plus les crocs.

Ike — «Ahh, désolé senpai, mais c’est une de mes camarades de classe. Est-ce qu’elle a fait quelque chose ?

Au vu de son ton très sérieux, il semblait qu’Ike avait bien saisi l’ampleur de la situation. Il avait sans doute observé la scène de loin, tout comme moi.

— T’es avec elle c’est ça ? Cette fille nous a foncés dessus. Et par-dessus le marché, elle nous tient pour responsables et nous a lancés un regard plein de mépris. 

Ike — Ahh~ je vois, je vois. Elle me lance souvent ce genre de regards, à moi aussi. 

Ricanant bêtement, Ike pointa Shinohara du doigt. Shinohara aurait normalement été furieuse pour bien moins que ça, mais elle semblait si abasourdie par ce qu’était en train de faire Ike qu’elle ne savait pas comment réagir.

Ike — Mais c’est un truc naturel chez elle. Elle est juste née avec ce regard hautain, c’est pas pour autant qu’elle pense à mal. De toute manière, c’est une lâche, alors elle aurait jamais osé ne serait-ce qu’émettre une seule pensée contre toi, senpai. C’est plutôt quelqu’un du genre à se coucher. 

Tout en énonçant plein de défauts sur Shinohara, il essayait ainsi de pousser les senpais à enterrer la hache de guerre. Ainsi, il évitait totalement la question de cette collision, et par conséquent de qui était en tort ou non.

Ike — Oh et puis, j’pense que le mieux serait de ne pas faire du raffut pour rien. J’ai croisé un prof, pas loin d’ici, y a même pas une minute.

Si on les trouvait ainsi, ils risquaient d’avoir des problèmes. Voilà ce qu’Ike leur faisait comprendre implicitement. Et surtout, ce point-là était spécialement dirigé, non pas à la senpai, mais au garçon. « Tu comprends, c’que j’veux dire ? », voilà le regard qu’il lui lançait, et cela semblait avoir fonctionné.

— …..Bon allez, on y va maintenant. 

Avec Noël pointant le bout de son nez, il y avait des façons bien plus intéressantes de passer son temps. En tant que garçon, Ike avait parfaitement compris cela, et avait joué sur ce point pour en tirer avantage. La senpai sembla plutôt mécontente de cette conclusion, mais assez rapidement, sa colère sembla peu à peu se dissiper. Et ils finirent tous deux par reprendre leur marche

Ike — Pffouaaaa !!  

Lâchant un gros soupir de soulagement, Ike sembla laisser s’échapper un lourd poids de ses épaules.  Shinohara également, soupira de soulagement.

Shinohara — Merci….

Je m’étais dit qu’Ike aurait été heureux de se voir remercier ainsi, mais tout au contraire, il eut plutôt une attitude assez froide.

Ike — Pas besoin… C’était que dalle. 

Il répondit simplement par ces quelques mots.

Shinohara — Mais tout à l’heure, t’en as trop dit. D’abord, mon regard n’a rien de spécial… 

Ike — Eh, si j’ai dit ça, c’était juste pour t’aider, hein. T’as pas à le prendre mal. 

Shinohara — T’aurais pas pu trouver un moyen plus sympa ? 

Ike — Désolé, c’est le seul truc qui m’est venu en tête. 

Shinohara — Bon, malgré tout…Hmm… Mer— 

Ike — À-à plus. Passe un bon Noël sans p’tit copain ! 

Shinohara —H-Huh !? Même dans trente ans t’auras pas de copine toi !! 

Pour une raison inconnue, Ike avait décidé de partir sur cette dernière joute verbale. Et c’était sans doute parce qu’il avait vu Satô et Matsushita au loin, derrière, revenant des toilettes. La rejoignant, ces deux-là lui lancèrent un regard empli de suspicion.

Satô — Hmm ? C’était Ike-kun à l’instant, pas vrai ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? 

Matsushita — Il a encore voulu te faire chier, hein ? Franchement, pourquoi est-ce que notre classe est remplie d’abrutis comme lui ?

Shinohara —N-Non, c’est pas ça. C’est pas ça du tout…

J’avais imaginé qu’elle aurait reporté sa colère à ses deux amies, mais il semblait que ce ne fut pas le cas, et qu’elle ne leur dit rien au sujet de l’incident. Shinohara se contenta alors de regarder le dos d’Ike au loin. Il semblait que le problème était clos, il était tant pour moi d’y aller. Ce n’était visiblement pas le moment propice pour récolter des informations sur Satô.

5

Sur le chemin du retour avec dans mes mains mon sac de course contenant le magazine, je reçus un coup de fil. Après avoir aperçu le nom de Haruka Hasebe s’afficher, je répondis à l’appel.

Hasebe — Ahh, c’est moi. Je sais que c’est un peu soudain, mais demain, ça te dirait qu’on se réunisse tous ensemble pour une paripi 

Moi — Ehh ? Se réunir pour un quoi ? 

Mon emploi du temps était déjà complet pour le lendemain, mais malgré moi, j’avais fini par demander ce qu’était ce mot dont je n’avais jamais entendu parler.

Hasebe — Tu n’as jamais entendu ce mot ? C’est pour « party people ». En version contractée ça donne parapi.

Je n’avais aucune idée qu’un néologisme comme celui-là avait vu le jour. Mais il était vrai que maintenant que je l’avais en tête, il me semblait l’avoir déjà entendu en classe plus d’une fois. Une façon un peu branchée pour simplement dire qu’on réunit sa bande pour faire la fête quoi.

Hasebe — Noël c’est pas que pour les amoureux, voilà ce que sera le thème de la soirée. 

Je vois. L’influence de Noël n’affectait pas que les couples. Ça touchait également tous ceux qui étaient célibataires.

Moi — Désolé. J’ai déjà prévu quelque chose pour demain…

Je sentais que ça aurait été vraiment sympa, mais je n’avais d’autre choix que de refuser.

Hasebe — Ah bon ? Demain c’est Noël pourtant, tu sais au moins ce que ça veut dire ?

C’était déjà problématique qu’elle demande ce que je voulais dire par là, et il fallait aussi compter sur le fait qu’il était toujours possible que Haruka et les autres me croisent lors de mon rendez-vous de demain. Alors le mieux c’était de tout simplement lui répondre honnêtement.

Moi — J’ai fini par promettre à Satô d’aller sortir avec elle demain. 

Hasebe — Satô ? Tu veux dire Satô[1], comme un carré de sucre ? Tu vas sortir avec ça dans ta poche ?

Elle le faisait exprès là, non ?

Hasebe — Ehh ? Ehh ? Quoi, ça veut bien dire que tu vas à un rencard avec Satô-san ? Et à Noël en plus ? 

Je n’avais même pas besoin de lui expliquer, Haruka avait bien compris ce que cela signifiait. Cependant, je devais rectifier là où une correction était nécessaire.

Moi — Ce n’est pas vraiment un rencard. On va juste sortir pour s’amuser tous les deux.

Hasebe — C’est ce que tout le monde sur cette terre désigne par le terme « rencard », tu sais ?

C’était peut-être le cas, mais moi, je n’avais pas l’intention d’employer le mot rencard pour ça.

Moi — J’avais déjà décliné ses invitations plusieurs fois avant, alors elle m’a demandé si je voulais sortir avec elle le 25.

Hasebe — Nooon, non, non. C’est vraiment pas bon, tu trouves pas ? 

Bien entendu, depuis le temps que j’avais intégré ce lycée, j’avais appris ce qu’était la chose connue sous le nom de « société ». Alors ce n’était pas comme si je ne comprenais pas le sens qu’il y avait derrière le fait qu’un garçon et une fille sortaient ensemble le jour de Noël.  Mais la seule et unique raison pour laquelle j’avais malgré tout accepté l’invitation de Satô c’était tout simplement parce qu’elle avait choisi le 25 comme date pour ça, et rien d’autre.

Hasebe — Bon, c’est juste pour confirmer, mais c’est pas comme si vous sortiez ensemble, pas vrai ?

Moi — C’est exactement la même chose qu’avec Shiina la dernière fois. Je ne vais en rencard avec personne.

Hasebe — Bon, alors ça va, je suppose. Bon, c’est pas vraiment à moi de te le dire… mais tu sais, Airi. 

Moi — Airi ?

Hasebe — Si demain, Kiyopon, tu n’es pas avec nous, je pense qu’elle va se mettre à s’imaginer tout un tas de choses. Et tu pourras pas le lui cacher en prétendant être malade ou un truc comme ça.

Je n’avais qu’à tout simplement lui dire la vérité, alors. Il aurait été bien plus simple pour moi de lui répondre cela, mais je ne pouvais pas le faire cependant.

Hasebe — J’ai compris. Je ferais quelque chose pour ça. Demain, vous allez où exactement ?

Moi — Est-ce que ça signifie que vous allez décider où vous allez aller en fonction de ça ?

Hasebe — Il n’y a rien d’autre à faire, non ? Si jamais elle te voyait toi, Kiyopon et Satô-san sortir ensemble le jour de Noël, cette fille, c’est quasi-sûr qu’elle tomberait dans les pommes.

C’était totalement une exagération de sa part de présenter les choses comme ça. C’était ce que je pensais mais, d’un autre côté, c’était d’Airi qu’on parlait. Selon les circonstances, elle pouvait même plonger dans une forte dépression.  Comme je le pensais, de l’autre côté du téléphone, le comportement de Haruka changea tout à coup.

Hasebe — Est-ce que t’aurais remarqué ses sentiments ?

Moi — Laissant de côté ce que tu as exactement en tête, Haruka, je peux au moins dire que j’ai remarqué que ses sentiments envers moi sont légèrement différents de ceux que les autres ont envers moi.

Hasebe — C—c’est une façon bien étrange de présenter la chose, mais je vois. Ça veut dire que t’es pas aussi bigleux que ça, finalement. Bon, puisque t’as au moins compris ça, je vais rien dire d’autre d’inutile.

Inutile. Autrement dit, elle n’allait pas me demander « Et tu comptes répondre aux sentiments d’Airi ? ». Si on me posait la question, pour moi Airi était tout simplement comme un oisillon qui venait de faire ses premiers pas. Dans son état, elle ne connaissait encore que très peu de gens, alors le fait qu’elle s’accroche à l’une des personnes du sexe opposé dont elle était intime, qu’elle y déverse en lui son affection était quelque chose d’inévitable. La première chose qu’il fallait, c’était qu’elle passe bien plus de temps en compagnie d’autres personnes et que, grâce à cela, elle gagne en maturité. En faisant cela, un nouveau sentiment pourrait naître en elle, bien différent de celui d’être amoureuse. Cela posait de nombreuses questions… Qu’est-ce qu’était ce lycée, qu’est-ce qu’étaient des amis et qu’est-ce qu’aimer voulait dire ? Autant de questions que je ne comprenais pas totalement et au sujet desquelles je ne pouvais pas prendre de décisions trop hâtivement.

Hasebe — Bon, dans tous les cas, je te recontacterai, ok ?

Moi — Désolé de ne pas pouvoir être avec vous.

À mes excuses, Haruka répondit immédiatement.

Hasebe — Eh, de base, on est un groupe qui s’est formé pour être libre de toutes ces règles et restrictions, hein ? Y a pas à culpabiliser. Qu’on soit ensemble quand on le veut et qu’on puisse faire d’autres choses si on le veut, c’est ce qui fait tout le charme de notre groupe pour moi. C’est sa raison d’être !

Et après avoir répondu ça, Haruka raccrocha.

Moi — C’est vrai, tu as raison. 

Si quelque chose comme le sentiment d’obligation avait été présent lorsqu’on invitait quelqu’un, alors la raison de notre groupe n’était plus. Voilà une chose pour laquelle j’étais reconnaissant envers ce groupe.


[1] Satô veut aussi dire sucre en japonais.


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Un jour malchanceux pour Ibuki

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Traduction : Zuda
Correction : Blupo, Raitei & Nova
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Petit aparté sur une série d’événements qui eurent lieu deux jours avant le fameux rendez-vous en amoureux de Noël, durant la matinée du 23. Je me dirigeai alors au centre commercial Keyaki ayant un certain but en tête. M’arrêtant au passage devant une certaine devanture, je fouillai un peu partout pour trouver ce dont j’avais besoin.

Moi —  Je n’ai jamais pris ceux qui se trouvent là….. 

J’avais regardé ce qu’on en disait sur Internet, et après avoir également écouté l’avis de la vendeuse, j’en choisis deux, que je mis alors dans un sac plastique avant de me diriger vers la caisse.

Je fus vraiment surpris par leur prix exorbitant. J’y pensais encore alors que je rentrais au dortoir. Tout ce qu’il me restait à faire, c’était d’aller au konbini du coin pour acheter de quoi manger pour ce soir-là, et après ça, tous mes objectifs seraient atteints. Puis, par la suite, je comptais revenir au centre commercial Keyaki pour aller voir un film au ciné qui allait bientôt être retiré de l’affiche.

C’était tout ce que j’avais prévu ce jour-là, cependant, à cause de ma rencontre avec une certaine personne, mon plan capota.

 — Comment ça va aujourd’hui, Ayanokôji-kun ?

Bien que nous semblions en ville à l’extérieur, nous étions toujours au sein de l’établissement du lycée, qui en soi restait un espace confiné. En me baladant ainsi, il était donc fort probable que je tombe sur des élèves que je connaissais. Juste avant que je ne sorte de la zone du centre commercial, cette fille m’avait appelé. Avec sa canne qui lui était caractéristique, elle s’approcha de moi très lentement. C’était Sakayanagi Arisu, de la seconde A. Une des rares personnes à connaître l’existence de la White room. Et la fille du directeur du lycée.

Moi — Tu rentres bien tôt, dis-moi. Et tu es seule, aujourd’hui, à ce que je vois. 

En temps normal Sakayanagi était toujours accompagnée, mais cette fois-ci, je ne voyais personne autour d’elle.

Sakayanagi — Je suis venue ici pour jouer avec Masumi-san, mais elle n’est pas encore arrivée.

Sakayanagi remarqua alors le sac plastique dans mes mains.

Sakayanagi — Est-ce que tu es malade ?

Moi — Non, pas du tout. Comme tu peux le voir, je suis en pleine forme. 

Montrant mes deux mains, je lui suggérais que j’allais bien. Et dans le même temps, je rangeai le petit sac plastique dans ma poche.

Sakayanagi — Et bien, j’en suis ravie. Si ça ne te dérange pas, tu ne voudrais pas venir jouer un peu avec moi ?

Elle me fit alors cette proposition totalement inattendue et déplaisante. Je n’eus même pas besoin d’y réfléchir pour lui donner ma réponse.

Moi — Je dois refuser, désolé. Tu es quelqu’un qui se démarque un peu trop du lot, après tout. 

Traîner avec Sakayanagi, c’était prendre un risque inutile. Si on nous voyait ensemble, ça allait certainement faire du bruit.

Sakayanagi — Fufu. C’est bien dommage.

C’était évident que si elle avait voulu que tout le monde sache qui j’étais vraiment, elle l’aurait fait savoir depuis bien longtemps. Mais même à Ryuuen, elle n’en avait pas dit un mot. En partant de ce fait-là, je pouvais supposer sans trop me mouiller que Sakayanagi avait l’intention de me parler seule à seul.

Sakayanagi — Mais du coup, cela veut dire que ça ne pose pas de problème si on ne fait que discuter, comme on le fait maintenant, non ? 

Moi —  C’est étrange que tu veuilles discuter comme ça avec moi.

Sakayanagi — Bon, je ne vais pas l’appeler par son surnom, sait-on jamais d’où il peut bondir, mais Ryuuen te cherche n’est-ce pas ? Ou plutôt, pour être plus précise, il recherche qui est l’éminence grise derrière la classe D. Qu’est-ce qu’il s’est passé à ce sujet ?

Pour le moment, à part les gens impliqués là-dedans, personne n’avait eu connaissance de l’incident qui avait eu lieu sur le toit, ni comment cela s’était terminé. Cependant, il n’aurait pas été étonnant si elle avait réussi d’une manière ou d’une autre à avoir eu vent d’une partie des événements. Par exemple—

Sakayanagi — La classe C a subi un gros coup dur apparemment, et il semblerait que ce soit assez sérieux. Étais-tu au courant ?

Tout juste. Ryuuen et tout son groupe avaient été blessés après un combat qui avait dégénéré. Voilà les faits qui étaient apparents pour tous, et à partir de là, il était facile d’imaginer plusieurs hypothèses sur ce qui s’était passé. D’après la rumeur, il y aurait eu une dispute interne à la classe C. C’était sans doute ce qu’avait entendu Sakayanagi.

Moi — J’en ai aussi entendu parler, mais je n’ai pas plus de détails.

Sakayanagi — Notre Dragon du campus s’est disputé avec ses sous-fifres. Mais ça ne colle pas du tout si tu veux mon avis. Je pense même que tu es impliqué.

Moi — Pourquoi je serais impliqué ? Parce que tu as décidé sur un coup de tête que celui qui agit dans l’ombre, c’est moi ? Si tu veux mon avis, c’est un incident qui prouve juste que la classe C n’est pas si unie.

Sakayanagi — Tu la pensais unie ?

Moi — Que ce soit par la terreur ou non, dans les faits, elle l’était.

Sakayanagi — Je vois, c’est peut-être le cas. Il semble que tu ne sois pas impliqué dans tout ça, vu que tu n’as même pas une égratignure… 

Elle avait observé minutieusement mes gestes ou mon expression, mais ce n’était pas ainsi qu’elle aurait pu découvrir quoi que ce soit.

Sakayanagi — Ça ressemble beaucoup à une simple dispute interne, c’est vrai. C’est juste que je n’arrive pas à expliquer ses actions et pourquoi il était si intéressé par la classe D.

Moi — Il y a pas mal d’élèves assez talentueux dans la classe D, après tout. Par exemple Kôenji.

Sakayanagi — C’est vrai. Il pourrait être un adversaire à la mesure de notre Dragon.

Voilà ce que Sakayanagi finit par conclure.

Sakayanagi — Très bien, si c’est tout ce que tu veux bien me dire, ça me va. Quand le 3e trimestre commencera, je finirais par savoir ce qu’il en est vraiment, de toute façon.

Moi — On peut changer de sujet, maintenant ? 

Au lieu de faire cela subtilement, je décidai de le faire ouvertement.

Sakayanagi — Bien sûr, vas-y

Et sans une seule objection, Sakayanagi accepta.

Moi — Ça a attisé ma curiosité depuis un moment déjà, mais depuis quelques jours, tu sembles très bien t’entendre avec Ichinose. Même en laissant de côté toute cette histoire de lutte entre classes, je ne savais pas que c’était ton genre de sociabiliser avec des gens qui n’étaient même pas dans la tienne.

Je me remémorai Sakayanagi et Ichinose, toutes deux en train de marcher. Pour aller jusqu’à passer du temps ensemble pendant leurs vacances, cela signifiait forcément qu’il y avait eu un rapprochement entre elles.

SakayanagiFufu, arrête ce genre de blagues, s’il te plaît.

Peut-être que ma remarque avait attiré l’attention de Sakayanagi, en tout cas, cela la fit rire.

Sakayanagi — Nous ne sommes pas du tout amies, tu sais ?

Moi — C’est-à-dire ? 

Sakayanagi — Par contre, elle pense que toi et moi le sommes.

Après avoir dit ça, elle marqua une pause.

Sakayanagi — Avec la Classe C, totalement obsédée par la classe D, j’étais un peu jalouse, vois-tu. Alors pour calmer un peu mon ennui, j’ai juste décidé de m’amuser un peu avec la classe B. 

Il semblerait qu’ils étaient pour elle simplement des jouets, une petite distraction passagère.

Sakayanagi — Mais parlons de quelque chose de plus intéressant, veux-tu. Au trimestre prochain, est-ce que tu voudrais bien jouer un peu avec moi ?

Moi — Désolé, mais ce n’est pas dans mes intentions. Par contre, si tu en as l’envie, fais-toi plaisir et va jouer un peu avec Horikita et les autres. 

Sakayanagi — Elle n’est pas digne d’être mon adversaire, et tu le sais bien. 

Moi — Alors pourquoi pas Ryuuen, ou alors des premières ou terminales. J’aimerais que tu arrêtes un peu avec ton obsession pour moi. 

Sakayanagi — Ce que tu me demandes là est impossible. Parce qu’il ne se passe pas un seul jour sans que je ne rêve de t’affronter, Ayanokouji-kun. 

Evidemment qu’elle n’allait pas laisser tomber simplement car je le lui demandais. Ce n’était pas le genre de Sakayanagi. En continuant à agir aussi nonchalamment, je n’allais donc rien obtenir du tout. Vu qu’elle avait connaissance de la White room, elle n’allait pas arrêter de me pourchasser à cause de cela.

Moi — Si je continue de t’ignorer, qu’est-ce que tu vas faire ?

Sakayanagi — Ça ne m’embêterait pas plus que ça… mais je me demande si ça t’irait par contre.  Car si tu n’es pas mon adversaire, Ayanokôji-kun, ça signifie que quelqu’un d’autre prendra ta place. Alors ne m’en tiens pas pour responsable si la classe B avec qui vous avez noués des liens et qui semble unie venait à s’effondrer tout à coup. 

Moi — Alors ces petits rendez-vous avec elle prépare quelque chose.

Il semblait que derrière le rapprochement entre Sakayanagi et Ichinose, il y avait la planification d’une attaque contre la classe B. Mais jusqu’où tout ce qu’elle me disait si ouvertement était vrai ? Je la sentis légèrement moqueuse.

Sakayanagi — Puisque tu ne veux pas être mon adversaire, je vais jouer un peu avec les gens de la classe B en attendant. Un gros fossé risque de s’ouvrir, et ainsi, les classes du dessous vont monter d’un cran, naturellement.

Elle me dit ainsi ouvertement ses intentions. Mais malgré ça, à ce stade, il valait mieux ne rien en conclure du tout. Elle n’allait peut-être pas vraiment lancer une attaque. Il y avait des chances que ce ne soit qu’une de ses provocations, ou alors peut-être jouait-elle simplement avec les mots. Cependant, dans tous les cas, c’était une chance pour moi. Car si le regard de Sakayanagi se tournait bien vers Ichinose, alors pendant un moment, j’allais pouvoir être tranquille tant que je ne me trouvais pas pris inutilement au milieu du conflit.

Moi — Mais es-tu sûre de pouvoir gagner face à Ichinose et les autres ? 

Sakayanagi — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Moi — Depuis la rentrée jusqu’à la fin du 2e trimestre, la classe B semble avoir considérablement renforcé sa cohésion de groupe. De l’autre côté, la classe A traîne plutôt des pieds et n’a fait que perdre du terrain. Même si tu es là, à me prétendre que tes aptitudes sont de loin supérieures aux autres, ta crédibilité laisse un peu à désirer.

Sakayanagi — Je vois. Donc tu dis qu’il est facile pour moi de dire tout ça, tant que c’est juste des mots, huh ? 

Bien qu’elle essayait de donner l’impression d’accepter ma remise en cause de ses capacités bien calmement, son visage laissait tout de même filtrer un brin de contrariété. Je décidai alors de lui lancer à nouveau une petite pique.

Moi — En plus, j’ai compris depuis peu qui tu étais. Tu es juste la fille du proviseur de ce lycée.

Sakayanagi — Donc tu es au courant… Et puis-je savoir comment ?

Sakayanagi ne put s’empêcher de répondre au quart de tour. Ce sujet la touchait visiblement.

Moi — Peu importe comment. Par contre, une chose m’est devenue clair, c’est que le fait que ton père soit le proviseur du lycée n’est pas anodin à propos de ton affectation en classe A. Autrement dit, même si tu as bien été choisie grâce à tes capacités, c’est impossible d’être certain que ce soit vraiment le cas. Alors tu peux bien te vanter de pouvoir mettre Ichinose à terre sans problème, c’est facile à dire, mais ça reste dur à prendre au sérieux.

Personne, mis à part les élèves de la classe A, peut-être, n’avait pu apercevoir réellement les capacités de cette élève connue sous le nom de Sakayanagi Arisu. Alors tout ça n’était objectivement, pour l’instant, qu’une rumeur.

Sakayanagi — Dans ce cas, comment expliques-tu que j’ai soumis la majorité de ma classe à mon autorité ?

Moi — Tu contrôles ta classe ? Ça n’a rien à voir avec une prétendue supériorité de tes capacités. Même Ryuuen et Ichinose, que tu considères comme inférieurs à toi, ont été capables de la même chose. Et si l’on parle de la classe D, Hirata a aussi réussi à faire de même. Je dirais même que si l’on parlait de la capacité à rassembler tout le monde, Hirata est de loin supérieur, mais tout ça n’est en rien une preuve d’une prétendue capacité supérieure.

Sclach ! Faisant siffler sa canne dans le vide soudainement, Sakayanagi changea d’approche subitement en optant un angle d’attaque complètement différent.

Sakayanagi — J’aurais dû me douter, qu’étant mon seul opposant un minimum à ma hauteur, ce genre de petites mesquineries enfantines n’aurait aucun effet sur toi. Je te prie de m’excuser pour cette soudaine brutalité. 

Me disant cela, elle s’inclina pour s’excuser plus encore.

Sakayanagi — Cependant, Ayanokôji-kun, je me demande si, à toi aussi, ton arrogance ne te joue pas quelques tours. Est-ce que le fait d’avoir été la première réussite de la white room ne te serait pas monté à la tête ? 

En regardant les choses du point de vue de Sakayanagi, je devais effectivement lui paraître ainsi. Je n’avais pas fait attention à ça jusqu’à maintenant, mais même si je voulais faire quelque chose pour ne pas être perçu ainsi, je n’avais pas vraiment de marge de manœuvre. S’il fallait choisir uniquement entre si j’étais un succès ou un échec, il était évident que sans le moindre doute, on me classerait plutôt comme étant une réussite. Car si ce n’était pas le cas, alors cette personne… mon père, n’aurait pas été si obsédé par moi.

Sakayanagi — Comme je m’y attendais, Ayanokôji-kun, tu sembles avoir mal compris quelque chose. Penses-tu que le fait d’avoir été derrière ces vitres transparentes est remarquable ? En effet, la quantité de connaissances que tu as accumulées depuis ton enfance est sans nul doute bien au-delà de l’ordinaire. Et bien que tu sembles tout faire pour le cacher, je n’ai aucun doute sur ton excellence en ce qui concerne les capacités académiques ou les capacités physiques. Cependant, cet endroit a été conçu pour ceux qui ont des lacunes. Des gens nés avec le talent et le génie n’ont aucune raison d’intégrer un lieu comme celui-ci, tu ne trouves pas ? 

Moi — Peut-être bien. 

Je n’allais pas la contredire. Il fallait dire que les convictions de mon père allaient aussi dans ce sens. La question de la génétique ou de la naissance en général ne comptaient pas pour lui. C’était la manière dont on était éduqué qui expliquait la valeur d’un individu. Que ce soit le temps qu’on lui accordait à dormir, ce qu’il était autorisé à manger, en régulant parfaitement chaque petit détail ainsi, depuis sa naissance, on pouvait sculpter un être humain parfait. C’était la méthode qui était la seule valable pour pouvoir améliorer le talent de ceux qui allaient porter le Japon dans le futur. Voilà l’idéologie auquel mon père croyait dur comme fer.

Moi — Est-ce pour ça que tu éprouves une telle hostilité à mon égard ? 

Sakayanagi — En effet. En te faisant goûter à la défaite, Ayanokôji-kun, je vais ainsi pouvoir prouver que rien ne peut vaincre la supériorité innée, conférée à la naissance. Peu importe les efforts fournis par quelqu’un, ou les méthodes utilisées, il y a des écarts qui ne peuvent pas si facilement être effacés. Voilà en quoi je crois. 

Elle pensait donc, sans le moindre doute, qu’elle était elle-même une de ces génies de naissance. Ce fut à ce moment-là que Kamuro approcha lentement de derrière Sakayanagi, visiblement à sa recherche.

Kamuro — Ah, c’est donc ici que tu étais….hah. Ne t’éloigne pas du lieu de rendez-vous fixé juste sur un coup de tête. J’me doute que tes jambes t’ont amenée là, vu le pitoyable état dans lequel elles sont. 

Bien qu’elle avait remarqué ma présence, Kamuro ne porta aucune attention à mon égard et se contenta de lancer des sarcasmes à Sakayanagi.

Sakayanagi — Je dois te demander pardon. Je suis arrivée en avance, et j’ai juste un peu bavardé en marchant. 

Kamuro — Dans ce cas, prend au moins la peine de me contacter.

Vu son échange avec Kamuro, je pouvais voir que Sakayanagi faisait attention à ce que le sujet ne se tourne pas vers moi. Il semblait qu’elle n’avait absolument pas intérêt à ce que mes capacités tombent dans le domaine public. Et c’était sans doute parce qu’elle détestait l’idée que des rumeurs sur moi ne se répandent et que quelqu’un ne veuille alors lui voler sa proie.

Sakayanagi — Désolé de changer de sujet aussi abruptement, Masumi-san mais qu’est-ce que tu penses de Ichinose Honami ?

Kamuro — Tss… tu passes vraiment du coq à l’âne… 

Venant juste d’arriver, Kamuro sembla un peu désorientée de se voir lancer dans un sujet sans aucun contexte. Surtout que ma présence devait contribuer à son inconfort.

Sakayanagi — J’étais tout simplement en train de discuter avec lui, de ma stratégie pour pouvoir vaincre Ichinose-san.

Kamuro — Vaincre….huh. Même si tu me demandes ça, j’vois pas trop c’que j’peux dire…. Ichinose est une élève émérite qui n’hésite pas à offrir son aide lorsqu’il y a des problèmes. Une brave fille en gros.

Sakayanagi — C’est tout à fait cela. Le fait qu’elle soit une élève de premier ordre est incontestable. Elle est toujours dans le haut du classement durant les examens et a un talent à fédérer les gens. Et toi, qu’est-ce que tu en penses, Ayanokôji-kun ?

Voilà qu’elle m’adressait maintenant cette question.

Moi —  Je pense pareil.

Je répondis cela aussitôt.

Sakayanagi — Alors, penses-tu que ce serait chose aisée de pouvoir vaincre une élève comme Ichinose-san, Masumi-san ? 

Kamuro — Hmm, ça risque pas d’être plutôt dur ? Je veux dire, l’unité de la classe B est plutôt forte, elle ne risque pas de s’écrouler avec une simple attaque. Les coups bas, la corruption ou ce genre de choses ne marchent pas avec Ichinose. L’attaque frontale me semble la seule option, mais dans ce cas, il faudrait que toute notre classe y soit totalement préparée, et même ainsi, l’issue resterait hasardeuse. 

Sakayanagi — En effet, vaincre Ichinose-san semble être une tâche plutôt ardue, à première vue. 

Kamuro — T’es en train de sous-entendre que c’est pas le cas ?

Sakayanagi — Oui. En vérité, ce n’est pas bien difficile. Tout le monde a ses faiblesses. Même Ichinose-san en a. Et un point faible fort malencontreusement bien compromettant, je dois dire, mufufu.

Et Sakayanagi ne put s’empêcher de rire.

Sakayanagi — Le fait qu’elle soit une élève aussi émérite est quelque chose que vous reconnaissez tous les deux et c’est incontestable. Cependant, le fait qu’elle vient en aide aux autres et cette aura de sainte qu’elle dégage, est-ce vraiment ce qu’elle est au fond ? Ne pensez-vous pas qu’au plus profond de son cœur, elle prend les autres de haut ? 

Kamuro — J’sais pas… On porte tous un masque, c’est pas exclusif à elle. Mais je ne vois pas ça comme une mauvaise chose. Il est évident que tout le monde agit pour son propre intérêt. Mais Ichinose fait vraiment exception. Cette sainte innocence, c’est quelque chose. 

Comme Kamuro l’avait très bien dit, la majorité des personnes avait une face cachée. En laissant de côté les cas exceptionnels avec une facette totalement opposée et violente comme Kushida, avoir une partie plus sombre que celle qu’on ose afficher en public était une chose naturelle. Cependant, l’élève connue sous le nom de Ichinose Honami agissait de telle sorte que personne ne pouvait se laisser aller à penser ça d’elle. Or, Sakayanagi nous avait parlé de ce sujet, juste après avoir évoqué la supposée faiblesse de Ichinose. Est-ce que ça voulait dire que c’était lié à tout ça ?

Kamuro — C’est pas ce que tu crois ?

Sakayanagi — Si. C’est une fille pure, plus blanche que la neige. Pour être plus précise, je dirais qu’il n’y a pas une once de malhonnêteté ou de mensonge en elle. C’est la vertu incarnée. 

Kamuro — Donc, c’est vraiment une de ces filles à être idiote au point de se prendre pour une sainte, c’est ça ? 

Sakayanagi — Tout à fait. Tu as vu parfaitement juste.

Répondit-elle ainsi, avec un sourire aux lèvres.

Sakayanagi —Mais je me demande si Ichinose-san et toi ne pourraient pas aussi être plus similaires qu’on ne le pense à première vue.

Kamuro — Huh ? Ça veut dire quoi, ça ? Y a tout qui nous sépare. Tu te fous de moi, c’est ça ?

Sakayanagi — Pas du tout. Aussi surprenant que cela puisse paraître,  Ichinose-san et toi êtes bien plus semblables que tu ne le penses.

Cependant Kamuro continua à nier, exaspérée. Elle s’exclama en disant qu’elles étaient opposées alors Sakayanagi poursuivit.

Sakayanagi — Vous êtes similaires dans le sens où sa « faiblesse » et ta « faiblesse » sont « exactement » de la même nature.

Kamuro — De même nature… ? Attends, tu veux dire que… ? 

« Est-ce que tu comprends, Ayanokôji-kun ? » Voilà ce que ses yeux semblaient me demander. Mais vu qu’il n’y avait aucun moyen pour moi de comprendre quoi que ce soit avec si peu d’éléments, je hochai juste la tête pour lui indiquer que non.

Sakayanagi — Tu comprends maintenant ? Cela signifie que le secret qui fait que je te tiens dans le creux de ma main et le secret qu’elle cache à tous sont les mêmes au fond. Bien entendu, seule la prémisse est identique et il en résulte quelque chose de tout à fait différent.

Après lui avoir expliqué tout ça, il semblait qu’une chose s’était soudain éclaircie dans l’esprit de Kamuro.

Kamuro — Donc, cette Ichinose, aurait aussi… ?

Arrivant à peine à croire à ses propres mots, Kamuro semblait encore toute interloquée au point de ne pas arriver à finir sa phrase.

Sakayanagi — Il semblerait que ça ne soit pas quelque chose de si rare, apparemment. 

Kamuro — Ichinose te l’a dit d’elle-même ? Sur quoi tu te bases pour dire ça ?

La manière dont Kamuro répondit brusquement n’était pas naturelle. Je la concevais comme étant une fille plus ou moins rationnelle, mais elle semblait incapable de garder la tête froide en face de cette prétendue « faiblesse » que portait Ichinose en elle.

Sakayanagi — Bien évidemment. Elle m’a laissée l’apprendre, et avec tout plein de petits détails. Elle m’a bien gentiment laissée lui ouvrir son cœur qu’elle avait pourtant scellé à tout jamais. Je n’ai eu qu’à observer et à en faire une lecture à froid.

Il était bien courtois de sa part de m’expliquer tout ceci en détail. Observer et analyser froidement les données faisaient partie de l’art de la conversation. En utilisant cette capacité avec précaution, on pouvait extraire des informations de notre cible, pour la comprendre, à son insu. Strictement parlant, elle avait sans doute ajouté à cela également de l’analyse à chaud, pour pouvoir arriver à toutes ses conclusions sur Ichinose.

Sakayanagi — Les Hommes, dans le but de paraître meilleurs qu’ils ne le sont réellement racontent et se racontent des petits mensonges ça et là. Voilà ce qu’est la nature humaine. Ichinose et toi n’êtes que le sommet de cet immense iceberg. Bien entendu, il y en a bien d’autres qui cachent des choses bien plus profondes et sombres. En cela, les humains sont vraiment des créatures fascinantes. Peu importe combien ils sont talentueux, ils en arrivent toujours à commettre des erreurs.

Elle tourna ainsi à nouveau son regard vers moi avant de conclure.

Sakayanagi — Il y a aussi bien d’autres aspects que je peux pointer mais je n’aurai pas besoin de ça pour la mettre à terre. Je la ferai traîner à mes pieds, cette si talentueuse et admirable Ichinose Honami. J’espère que cela te suffira comme preuve de mes capacités. 

Il semblait qu’elle voulait vraiment que je reconnaisse sa valeur puis que je rentre dans son jeu, mais malheureusement pour elle, je n’étais pas le moins du monde intéressé. Je cherchais surtout à ce que Sakayanagi se déchaîne quelque temps de tout son saoul sur une autre personne que moi, afin qu’elle en soit satisfaite pendant un petit moment, pour qu’elle me laisse tranquille. Et il semblait que j’avais plutôt bien réussi à l’orienter. Bien entendu, Sakayanagi devait être bien consciente de tout cela, mais elle ne pouvait s’empêcher de vouloir répondre à mes provocations puériles.

Sakayanagi — Très bien, est-ce qu’on peut y aller maintenant, Masumi-san ?

Et sans attendre réellement sa réponse, Sakayanagi commença à avancer, suivie par Kamuro. Moi aussi, afin de m’éloigner un peu d’elles, je me mis en route. Mais avant que nous ne soyons trop éloignés pour que je ne l’entende, elle demanda subitement.

Sakayanagi — Mais au fait, tu n’as vraiment rien à me demander, Masumi-san ?

Kamuro — Huh ? À propos de quoi ?

Sakayanagi — Tu m’as bien vu parler avec Ayanokôji-kun de la future stratégie que j’allais adopter. Mais malgré ça, tu n’as posé aucune question sur une chose pourtant si surréaliste. Je pensais que tu aurais eu quelques questions à me poser non ?

Kamuro — Huh ? Tu sous-entends quoi, là ? C’est juste que ça m’intéresse pas du tout, toutes tes manigances. 

Sakayanagi — Je me demande si c’est vraiment vrai…. Tu as plutôt la fâcheuse tendance à ne pas te gêner pour lâcher quelques mots sur tout ce qui attire ton attention, non ? Et pourtant, ici, tu n’as même pas dit un mot. Je me demande pourquoi ?

Comme Kamuro ne répondit pas, Sakayanagi poursuivit.

Sakayanagi — Est-ce qu’il se pourrait que tu aies connaissance de quelques informations sur Ayanokôji-kun ? Et si c’est bien le cas, je me demande d’où tu les as tirées…. Est-ce que par hasard, vous vous êtes déjà rencontrés tous les deux en privé derrière mon dos ?

Ayant flairé quelque chose d’étrange dans l’air, Sakayanagi me fixa avec des yeux perçants. Mais en retour, je ne lui répondis ni par des mots, ni même en lui retournant un regard. S’il y avait une faute commise dans tout ça, cela tenait de la responsabilité de Kamuro, je n’avais rien à voir dans tout ça.

Sakayanagi — Fufu. Je suppose que ce n’est pas bien grave. Comme je suis vraiment de bonne humeur aujourd’hui, je vais laisser passer ce petit détail à la trappe, pour cette fois. Sur ce, passe une bonne journée, Ayanokôji-kun 

Après avoir dit cela, elle partit accompagnée de Kamuro. Même pendant ces vacances d’hiver, d’être utilisée ainsi par Sakayanag… Kamuro avait vraiment la vie dure. La faiblesse que  Sakayanagi avait pu lire en elle devait être extrêmement compromettante. Enfin bref, tout cela fut tout de même un minimum utile, car j’avais pu apprendre qu’Ichinose et Kamuro partageaient le même problème, ne serait-ce qu’en petite partie. Sakayanagi n’avait rien à gagner en me mentant mais je ne pouvais pas non plus prendre tout ce qu’elle m’avait dit pour argent comptant. Pouvoir connaître toute la vérité après qu’Ichinose ne tombe promettait d’être super !  

Moi — Ne devrais-je pas au moins prévenir Horikita de tout ça ?

Vu qu’elles étaient actuellement alliées, Horikita pourrait bien vouloir faire quelque chose pour aider Ichinose. Personnellement, je trouve que le mieux serait de laisser les choses comme ça, mais la personne qui avait pour rôle de décider cela était celle qui menait la classe, soit Horikita. Je lui parlerai de tout ça, un de ces jours, durant ces vacances. Comme cela n’avait rien d’urgent selon moi, je m’étais décidé à ne pas la contacter tout de suite.

Après le passage de cette tempête, j’affichai un visage innocent et me mis en route pour retourner chez moi. Je devais maintenant retourner à objectif initial, à savoir, m’occuper de ce que j’avais acheté. Mais mon projet tomba à l’eau. Sur le chemin, je passai par l’entrée du centre commercial Keyaki où je vis une certaine fille passer. Elle semblait bien se porter. Elle n’avait pas remarqué ma présence probablement parce qu’elle était pressée d’aller quelque part. Je la poursuivis un peu juste au cas où et vis qu’elle parlait avec un ami à elle. J’observai la scène jusqu’à ce qu’ils entrent dans une boutique. J’avais finalement renoncé à retourner au dortoir.

Moi — Bon, je vais plutôt aller au cinéma, alors.

Je me dirigeai alors vers la salle de cinéma.

1

Aller au cinéma n’était pas du tout une chose inhabituelle pour moi. C’est quelque chose que je faisais de temps en temps pendant les vacances. Certains diraient que c’était du gâchis en termes de points privés, mais moi je trouvais cela important de varier ses intérêts de temps en temps. Analyser un film était devenu avec le temps un de mes loisirs. En plus d’être idéal pour se relaxer, cela me permettait dans le même temps d’apprendre aussi de nouvelles choses. Il arrivait souvent que ma curiosité se trouve piquée par un film qui traitait d’un sujet particulier de façon intéressante.

Mais bon, le film que j’allais regarder aujourd’hui n’était pas vraiment un film fait pour cela. Ce n’était pas non plus un de ces films à l’eau de rose insupportables qui passait pendant la période de Noël, surtout destinés à être vus par les couples pris dans l’euphorie de la fête. C’était un simple film d’action centré autour d’un conflit entre plusieurs mafias. Il y avait des jours comme celui-là où je voulais simplement pouvoir me vider la tête et apprécier l’histoire. Et puis c’était le dernier jour où il passait sur grand écran, donc raison de plus pour le regarder. Même si bon, ce n’était pas un de ces chefs d’œuvres qu’il fallait absolument voir, mais voilà, j’avais déjà réservé une place pour ce film, alors maintenant que j’étais là, pourquoi renoncer à le voir ?

Après un court échange avec la réceptionniste, je reçus mon ticket avec le numéro du siège qui m’était attribué. Je pus apercevoir qu’il y avait eu alors une erreur. Les places dans la rangée du fond que je prenais d’habitude semblaient être toutes occupées. En fait, à cause d’un retard dans la diffusion d’un des films en tête d’affiche, beaucoup de spectateurs avaient changé leur ticket pour pouvoir regarder mon film à la place. Et en plus de ça, peut-être était-ce l’effet Noël approchant, mais la plupart des sièges réservés l’étaient par groupe de deux, comme s’il n’y avait que des couples qui étaient là.

Sentant qu’il m’allait être bien plus simple de suivre le film au premier rang, je demandais à la réceptionniste de me changer de place. Par chance, il semblait qu’il restait de nombreuses places vacantes dans cette zone. Je me demandais si la popularité des sièges du fond était corrélée ou non à la forte présence ou absence de couples ? Une question qui risquait de rester un long moment sans réponse.

Puisqu’il restait environ 20 minutes avant le début du film, je décidais de tuer un peu le temps en allant dans le coin où se trouvaient les affiches et prospectus. Puis, dix minutes après l’ouverture des salles, je partis m’installer, seul. Les sièges du premier rang étaient encore pour la plupart tous vides, tandis que ceux du fond, étaient déjà bien remplis par des couples qui faisaient un boucan assez impressionnant. Je dirigeai de suite mon regard vers l’écran, ne faisant pas attention aux personnes s’installant autour de moi. J’aimais bien regarder les bandes-annonces des films qui allaient paraître prochainement, c’est pourquoi je faisais toujours en sorte d’être déjà installé à ce moment-là. Plutôt que de les regarder devant mon écran de TV dans ma chambre, je préférais voir ça sur grand écran, cela attisait bien plus mon intérêt. C’était ce qui faisait tout le charme d’être au cinéma, et il n’était pas exagéré de dire que c’était l’unique raison pour laquelle j’étais là. Cependant, ce n’était pas les bandes annonces des prochains films qui passaient mais juste des publicités pour de la nourriture des konbini du coin. On y voyait des scènes où l’on retournait du riz dans tous les sens avec une cuillère ou bien de la mousse croquante de mer qui était chauffée tout en haut de filets. Et il y avait aussi une séquence où l’on voyait des enfants manger des onigiris.

Alors que les publicités se terminaient et que les places se remplissaient peu à peu, je commençai à m’intéresser à ce qui était autour de moi. La rangée dans laquelle j’étais était principalement remplie de couples. À ma gauche, un couple profitait de la pénombre pour se tenir les mains. Donc même un film B de ce genre amenait des couples dans les salles. J’étais séparé d’eux par une place juste à ma gauche, qui allait sans doute rester libre jusqu’à la fin. Quelle idée de regarder un film pareil tout seul, surtout la veille de noël.

Au même moment où je mettais mon portable en mode silencieux, la lumière s’éteignit et le début du film commença. Le début partait directement sur les chapeaux de roue, par une scène d’action. Juste avec le parfait timing pour ne pas manquer ce départ, une ombre s’assit à côté de moi. Il semblait donc qu’il y avait une autre personne étrange comme moi, qui était venue regarder un film d’action seule, la veille de Noël. Rien que pour le fait d’avoir choisi de regarder ce film, je voulais lui faire des éloges. Alors que j’étais en train de penser cela, je me tournai vers cette personne.

Moi — …

Ma bouche fut grandement et stupidement ouverte, n’arrivant plus à penser. L’identité de cette personne n’était autre que celle de l’élève de la classe C, Ibuki Mio. La veille à peine elle tâtait de mon poing, je crois même qu’elle l’avait trouvé à tomber ! Se retrouver ainsi, aussi peu de temps après, était légèrement gênant.

Heureusement que les lumières du cinéma s’étaient éteintes. Ne m’ayant pas remarqué, Ibuki avait son regard dirigé vers l’écran. J’étais de ceux qui regardaient un film jusqu’à la fin du générique final, mais si je faisais cela ici, la lumière allait se rallumer et… Je comptais ainsi ne pas assister au générique de fin. Mais en réfléchissant à tout ça, je fis une erreur de calcul. C’était un incident arrivant fréquemment dans les cinémas, le ‘‘problème des accoudoirs’’. Si je me trouvais au bord d’une rangée, le problème n’avait pas lieu d’être car j’aurais pu me garantir l’exclusivité d’un des accoudoirs. Cependant pour les autres sièges, c’était toujours une bataille entre les différents spectateurs pour pouvoir se l’accaparer. Malgré ce problème évident, il n’y avait pourtant aucune règle qui avait été instaurée pour éviter ce conflit, ainsi on n’avait pas l’assurance d’avoir au moins un accoudoir à notre disposition, et c’était la règle du premier arrivé, premier servi qui s’appliquait. Comme le couple à ma droite occupait déjà l’accoudoir de droite, je m’étais installé sur celle de gauche, mais voilà qu’Ibuki plaçait à présent, comme si de rien était, son coude sur celui-ci également.

Ce n’était pas comme s’il n’y avait pas assez de place pour pouvoir partager un accoudoir, mais bon, dans le feu de l’action du film, il était fort probable que nos deux coudes se touchent. Peut-être était-ce parce qu’elle aussi était consciente de cette possibilité, mais Ibuki, comme pour confirmer que cela ne gênait pas la partie adverse, tourna son regard vers moi.

Ibuki — Geh…

Le son qui sortit d’elle, de suite, fut celui exprimant un fort dégoût. Et parce que tout à coup, le film se fit miraculeusement enfin plus silencieux, j’eus la chance de pouvoir l’entendre bien distinctement.

Moi — C’est juste une coïncidence. 

Sentant que ne rien dire aurait semblé encore plus étrange, je lui dis cela pour la rassurer. Cependant, cela ne sembla pas nécessaire, car sans même me répondre, Ibuki détourna son regard et revint vers le film. Elle devait avoir décidé de simplement m’ignorer. Voilà une décision qui me facilitait bien les choses. Soulagé, je tournai de nouveau ma concentration sur le film. Cependant…Quelques minutes plus tard, je pus sentir le regard d’Ibuki se fixer sur moi. Peut-être qu’elle était curieuse de ma présence ici, mais ce qui était certain, c’était qu’elle n’était pas vraiment concentrée sur le film.

« Pourquoi ne pas regarder le film, alors que tu as payé pour le voir ? » C’était ce que je voulais lui demander, mais le film en était à une scène d’action avec plein d’explosions et de bruits, donc parler à ce moment-là aurait été difficile. Peut-être aurais-je dû alors le lui souffler à l’oreille ? Non, si je faisais une telle chose, nul doute qu’Ibuki allait me frapper. Le mieux à faire était tout simplement d’endurer le regard appuyé d’Ibuki, en faisant semblant de ne pas l’avoir remarquée. Heureusement, depuis ma plus tendre enfance, j’avais eu l’habitude d’être sous constante ‘‘surveillance’’.

Ne laissant rien transparaître, je continuai alors de regarder le film bien tranquillement. Le seul problème fut qu’il ne s’avéra finalement pas vraiment bon, digne d’un film B. Cela faisait à peine 20 minutes qu’il avait commencé, il était déjà répétitif et en manque d’idée. Nous en étions déjà au climax qui durait depuis un moment, où le protagoniste était arrivé en territoire ennemi, pour tout saccager. Et juste à l’instant où la tension était supposée être à son comble, l’écran devint subitement noir. Au début, j’avais cru que cela faisait partie du film, que c’était juste un parti pris scénaristique audacieux, et tous les autres élèves avaient dû penser de même car ils étaient restés assis à leur siège, continuant de regarder l’écran. Cependant, au bout de 10 à 20 secondes, force était de constater qu’il y avait eu un problème. C’était étrange, non ? J’eus à peine le temps de le penser qu’une annonce se diffusa dans la salle.

— Veuillez nous excuser pour ce dérangement. À cause à quelques problèmes techniques, le film doit malheureusement être interrompu temporairement. Cela prendra quelques minutes, alors je vous prie de vouloir patienter quelques instants. 

Alors que pas mal d’élèves se plaignaient tous en même temps, la majorité d’entre eux décida finalement d’attendre en bavardant.

Ibuki — Tsss, j’ai vraiment pas de peau en c’moment. 

Toujours son regard fixé sur moi, Ibuki lâcha un soupir. Est-ce qu’elle voulait dire par là que tout ceci était de ma faute, une nouvelle fois ?

Moi — C’est un malencontreux imprévu pour moi aussi. Je n’aurai jamais pensé que tu viendrais voir ce film aujourd’hui. 

Ibuki — Ce que je viens regarder, et quand je viens le regarder, ça ne te regarde pas, ok ?!!

Peut-être n’aimait-elle pas ce que j’avais dit, car elle me rétorqua ainsi, visiblement énervée.

Moi — Je suis tout à fait d’accord avec toi.

C’est pourquoi je répondis ainsi, pour m’accorder avec elle.

Ibuki — Tu…

Réagissant de suite, elle se ravisa alors et se tut, avant de rouvrir la bouche à nouveau, en me lançant un regard virulent.

Ibuki — Jusqu’à maintenant, tu t’es bien foutu de ma gueule en cachette, tout au fond de toi.  Ça je te l’pardonnerai jamais !

Ce n’était pas comme si je n’arrivais pas du tout à comprendre la colère d’Ibuki, mais elle n’avait aucune raison valable de ressentir de la rancœur envers moi. Même si je voulais la réconforter, même si je lui disais que ce n’était pas du tout le cas, ce n’était en rien mon intention, ce genre de choses n’allait jamais marcher avec Ibuki. C’est pourquoi, j’optais plutôt pour une manœuvre bien mieux adaptée dans son cas.

Moi — C’est ça d’avoir du pouvoir, Ibuki.

Ibuki — Huh… ?

Une atmosphère intenable emplit l’air d’une partie de la salle. Bien entendu, cela provenait de là où se trouvait Ibuki. Elle me lançait un regard rempli de haine, bouillant de rage. Mais sans y prêter la moindre intention, je poursuivis.

Moi — Peu importe la situation, si tu possèdes le pouvoir d’écraser ton adversaire, alors il n’y a aucun problème, non ? Ce n’est pas le fait que ton adversaire garde des cartes cachées dans sa main, le problème en soi. Si tu avais pu m’arrêter à ce moment-là, Ryuuen et toute votre classe auraient gagné. Au pire, vous auriez pu faire match nul. 

Lui cracher au visage ces mots bien corrosifs pour sa fierté, et ce juste après l’avoir mise à mes pieds sur le toit de l’école. Il n’y avait rien qui pouvait être encore plus insupportable pour elle !

Ibuki — C’est…

Il semblait qu’Ibuki fut totalement incapable de rétorquer quoi que soit à mes paroles. C’était ça. Peu importe ce que faisait l’adversaire, qu’il utilise la ruse ou cache certaines choses, ça aurait dû être insignifiant.

Moi — Mais bon, contrairement à Ryuuen ou Sakayanagi, je n’ai aucune intention de faire monter ma classe, ni l’envie d’attirer l’attention. Alors forcément, puisque je ne veux pas me faire remarquer, je ne vais pas montrer mes capacités pour rien, tu comprends. Le fait que j’ai dû me battre contre Ryuuen aussi, c’était un choix que j’avais fait après avoir pesé le pour et le contre, et avoir calculé que c’était la meilleure option pour être tranquille. Des trucs comme me foutre de ta gueule, c’est vraiment totalement en dehors de mes préoccupations, tu vois.

Ce n’était pas quelque chose que j’avais dit dans le but de réconforter Ibuki. Au contraire, il était probable qu’Ibuki se sente encore plus humiliée qu’auparavant. C’était une humiliation totale pour elle de comprendre que je ne la considérais même pas comme une menace. Ce que j’étais en train de lui faire comprendre, c’était que pour moi, elle n’était rien d’autre qu’une pierre sur la route, sur laquelle on marche.

Ibuki — …….Je déteste ça. 

Peu importe comment on tournait la chose, il était évident que c’était difficile à accepter, émotionnellement parlant.

Ibuki — T’as beau dire que tu ne veux pas te faire remarquer, j’ai du mal à y croire. Si t’avais pas fait des trucs bizarres pendant le test sur l’île déserte, Ryuuen n’aurait pas été tout excité et alors rien ne se serait passé. Tu as même agi lors de l’affaire avec Sudou, bien avant. 

Moi — C’est vrai. Tu touches là un point tout à fait pertinent.

Si j’avais tout simplement laissé Sudou se faire expulser et laissé Ibuki appliquer son plan pour pouvoir mettre à terre la classe D durant le test sur l’île déserte, je n’aurais jamais attiré le regard de Ryuuen sur la classe D. J’aurai dû me cacher, surtout avec le test de la croisière, contre la classe B.

Ibuki — Bien que tes mots disent une chose, tes actions disent le contraire. Tu as employé tes capacités à maintes et maintes reprises. Bien que tu les caches, tu les utilises toujours. 

J’avais tout simplement le droit d’utiliser mes capacités. Mais, pour Ibuki, cela lui était une réalité inacceptable. Sans doute Ibuki pensait-elle que poursuivre la conversation plus loin aurait été une perte de temps, car elle se retourna alors vers l’écran, pourtant toujours noir. Cela me convenait très bien aussi. Laissons les choses telles qu’elles étaient. Dès que ce film allait se terminer, mon temps à devoir passer avec Ibuki allait se terminer également.

2

Je comptais quitter le film sans même regarder les crédits, ça c’était certain. Depuis ce matin, tous mes espoirs avaient été réduits à néant, en un rien de temps, par un coup du sort. Il fallait dire que les situations étaient à chaque fois pour le moins inattendues, alors il était naturel pour moi de ne pas avoir pu les prévoir.

J’attendis encore et encore que le film reprenne, mais celui-ci semblait aimer se faire attendre. Peut-être que le problème matériel qu’ils avaient eu était plus sérieux que prévu, ou alors que le technicien chargé de le réparer était incompétent. En tout cas, une chose était sûre : que ce soit Ibuki ou moi, nous étions tous deux autant mal à l’aise. J’aurais vraiment voulu que tout ça se finisse au plus vite.

Ibuki — Hah…. 

Des soupirs poussés très ouvertement de la part d’Ibuki se répétèrent encore et encore. Mais dans cette situation, je pouvais comprendre son comportement. J’avais en tout cas totalement perdu mon intérêt pour le film.

Moi — Ahh… Tu penses qu’il se passe quoi là ?

Ne pouvant plus supporter ce silence, je décidais d’essayer d’engager la conversation par cette question. Elle aussi devait se demander ce qu’il pouvait bien se passer, car sinon elle aurait quitté son siège depuis longtemps. Ou alors, vu que personne d’autre n’était parti, peut-être se disait-elle qu’elle ne pouvait pas partir ? Cependant, posant son menton sur la paume de sa main, et installée le plus loin possible de moi, Ibuki ne dénia même pas tourner son regard vers moi. C’était comme si une épaisse vitre opaque avait été placée entre nous. Il en allait sans dire que toute son attitude était là pour me dire « tu m’énerves, alors ne m’parles pas, ok ?! »

En tout cas, voilà comment je l’interprétais. Je me dis alors qu’il était sans doute mieux de ne pas chercher à aller plus loin. J’avais vraiment l’impression d’avoir à côté de moi un serpent venimeux, prêt à sauter sur moi pour me mordre le bras. Ainsi, j’optai pour le silence. Mais encore combien de temps fallait-il attendre avant que le film ne reprenne ? Ça restait un mystère. Même si ce n’était qu’une petite minorité, les premiers élèves étaient en train de quitter la salle. Je pensais qu’Ibuki en profiterait pour s’échapper elle aussi, mais elle ne montra aucun signe permettant de croire qu’elle allait le faire. Peut-être voulait-elle simplement voir la fin du film, ou alors—

Enfin bon, dans tous les cas, moi aussi, je voulais voir le film jusqu’à la fin. Sinon, tous mes efforts, à commencer par venir ici, jusqu’à cet interminable temps d’attente auraient été vains. Je suppose que c’était le moment de tester ma persévérance. Je regardai l’heure sur mon téléphone, environ 20 minutes s’étaient écoulées. L’incident risquait d’avoir des répercussions sur la diffusion des films suivants, à ce compte-là. Alors que je regardai tout autour de la salle, je pus constater que le nombre de personnes à être restées avait fortement chuté. Il ne restait plus que quelques personnes, Ibuki et moi compris. Il était logique que la plupart des gens à être restés étaient ceux venus seuls. Dans le cas des couples, ils ne pouvaient pas se permettre ainsi de faire attendre leur chère et tendre. Ils n’avaient pas vraiment l’envie de perdre leur précieux temps ici. C’était sans doute quand l’ennui commença à arriver pour eux qu’ils décidèrent de partir.

Ibuki —  ………Hé, tu comptes encore rester longtemps ?

Alors que je m’étais replongé sur mon téléphone, Ibuki m’avait demandé cela. Elle détourna de suite son visage, de sorte que je ne pus voir l’expression de celui-ci. Il semblait qu’elle trouvait le fait que je ne sois pas parti très suspect, ce qui l’avait poussé à me demander ceci.

Moi — On en est déjà à 80 % du film, alors honnêtement, je suis curieux de voir comment ça va finir. En plus, j’ai déjà attendu 20 minutes, alors ça ne devrait pas tarder à reprendre.

Ayant patienté jusque-là, ça aurait été du gâchis de rentrer maintenant. Une bien étrange logique s’était forgée dans ma tête.

Ibuki — Si tu veux juste voir la fin, t’as qu’à la regarder sur le net. En plus ça t’indiquera tous les tenants et aboutissants, te prive pas ! 

Moi — Je ne suis pas sûr qu’en regardant des reviews, ça me permette de me faire ma propre opinion.

La qualité du film, le fait qu’il soit bon ou non, ce n’était pas des choses que je pouvais juger sans le regarder moi-même. Les critiques pouvaient jouer un peu dans la motivation à aller voir le film, mais ça ne voulait pas dire que c’était une chose utile pour l’évaluer. Si deux lignes explicatives sur le climax étaient susceptibles de vous faire le même effet qu’un visionnage, alors à quoi servaient les cinémas ?

Ibuki —  Je m’en fous du film à présent. Je veux juste pas partir avant toi, c’est tout. 

Moi — C’est plutôt direct.

Ainsi, la raison de sa persévérance était totalement décarrelée au film. Malheureusement pour elle, Ibuki ne pouvait pas gagner à ce jeu-là. Nous ferions match nul. Je n’avais pas l’intention de partir avant la fin. Je suppose que c’était l’avantage d’être un garçon qui n’avait rien de prévu pour le jour de Noël ou le lendemain. Finalement, ce qui mit un terme à notre compétition d’infortune fut une triste annonce. L’équipement ne pouvait être réparé, alors il n’y avait d’autre solution que d’annuler le film. La suite de l’annonce concernait alors les démarches à suivre pour se faire rembourser.

Moi — J’ai vraiment pas de chance, aujourd’hui 

Car autrement dit, si je voulais connaître la fin, il me fallait attendre jusqu’à ce que celui-ci sorte en DVD, ou alors simplement aller regarder les spoilers sur les sites de reviews. Même après cette annonce, sans même me regarder, Ibuki ne montra toujours aucun signe de vouloir se mouvoir. Alors je décidai de m’en aller de là, vu que je n’avais plus rien à y faire.

3

Peut-être était-ce dû à tout ce temps d’attente très désagréable, mais je ressentais à présent que mes épaules étaient étrangement tendues. J’en avais eu bien assez de ces altercations avec Sakayanagi et Ibuki que je n’avais vraiment pas vues venir. Alors une fois parti du cinéma, je me dirigeai sans détour vers chez moi mais c’était sans compter cette voix qui m’appela de derrière moi.

Ibuki — Eh, attend. Tu crois vraiment que tu peux cacher tes capacités à tout le monde, comme ça ? 

C’était Ibuki. Pour m’avoir poursuivi jusqu’ici, je me demandais ce qu’elle avait bien à me dire, mais si c’était juste pour ça.

Moi — T’étais sur la lune pendant que j’avais dicté les règles auxquelles vous deviez vous soumettre ? Tu es censée garder tout ce qui s’est passé cette fois-là, bien caché au fond de toi.

Ibuki — Je rigole pas. Depuis tout ce temps, tu n’as fait que te foutre de ma gueule alors tu peux toujours rêver pour que je suive tes ordres !

« Je ne peux pas t’le pardonner ». Elle n’avait pas besoin de me le dire, c’était écrit sur son visage. Il semblait que sa rage envers ma conduite, mes mots et mes idées de tout à l’heure, avait encore pris de l’ampleur.

Moi — Du coup, tu comptes faire quoi ? Tu vas essayer de l’ébruiter, tout autour de toi ?

Ibuki —  …Je vais pas faire ça. Je serais pas la seule à trinquer pour ça, non ?

Moi — En effet. Selon les circonstances, il n’y pas que ceux qui étaient présents lors de cette altercation sur le toit, mais aussi Manabe et compagnie qui seront prises dans les représailles. 

S’il poursuivait la chaîne jusqu’à son origine, il était fort possible que le lycée parvienne à revenir jusqu’à moi. Cependant, je pouvais toujours leur sortir une excuse pour me sortir de tout ça, si nécessaire. Au pire, il ne pouvait que me suspendre de l’établissement.

Moi — De base, la lutte entre les classes est un des fondements de cet établissement. Tu te plains à la mauvaise personne en me blâmant moi.

Si elle voulait se la jouer juste et équitable, elle se mettrait dans le pétrin.

Ibuki — Ça j’ai bien compris, merci… C’est jusque que j’arrive pas à accepter ce que tu es, ça me prend dans les tripes. 

Au vu de la manière dont je me représentais la fille qui se nommait Ibuki Mio, je pouvais dire qu’elle avait encore à faire un pas vers l’âge adulte. Il était très probable qu’Ibuki ait pratiqué les arts martiaux depuis toute petite, vu son niveau, et qu’elle y avait trouvé là de la fierté de se sentir forte. Durant l’enfance, la différence entre un garçon et une fille en termes de force physique était marginale. Ainsi, tant qu’une personne possédait la technique nécessaire, il était toujours possible de pouvoir vaincre n’importe quel adversaire, même celui du sexe opposé. Cependant, à partir d’un certain âge, cela commençait à devenir de plus en plus dur, et arrivé au collège, la différence de potentiel entre le corps d’un homme et d’une femme devenait déterminante. Si on ne considérait que la force brute, on pouvait dire alors que celle des hommes était bien supérieure à celle des femmes.

Ce n’était pas de la discrimination, juste un fait bien réel. Bien sûr, comparé à un lycéen moyen, on pouvait dire qu’Ibuki était plutôt forte. Un garçon sans la moindre connaissance des arts martiaux ne pouvait pas tenir tête face à elle. Cependant, contre un garçon qui avait acquis la même maitrise qu’elle, c’était malheureux à dire, mais contre une telle personne, elle n’avait juste aucune chance. C’était un fait qu’on apprenait naturellement au fil du temps. Mais Ibuki n’était encore qu’une élève de seconde. Elle avait encore à prendre conscience de ce mur inébranlable qu’elle cherchait à détruire.

Ibuki — T’es muet d’puis tout à l’heure. Tu réfléchis à quoi, là ?

Moi — Je cherchais un moyen de pouvoir résoudre ça, pacifiquement. 

Ibuki — Et donc ? T’as trouvé quelque chose ?

Moi — Malheureusement, je n’ai rien trouvé. Peu importe ce que je dirais, tu n’es pas prête à l’accepter.

Pour la première fois de la journée, presque imperceptiblement, Ibuki desserra le coin de ses lèvres.

Ibuki — T’as vu juste. Jamais je ne pourrai l’accepter, et je ne battrai pas en retraite.

C’était exactement ce à quoi je m’attendais… Dans le but de pouvoir démêler ce nœud inextricable, l’attaque frontale était la meilleure solution.

Moi —  Mais au fait… Est-ce que par hasard tu ne serais pas cinéphile ? 

Ibuki —  Huh ?

Il était bien naturel qu’Ibuki prendrait cette posture de « putain, mais qu’est-ce que tu m’racontes ? ». Cependant, je restai naturel et poursuivis. Mon but était d’essayer de l’emmener dans une conversation tout ce qu’il y avait de plus banale.

Moi — D’aller voir un film toute seule, c’est quand même quelque chose. Surtout un film aussi quelconque que celui-là.

Ibuki — Quoi, ça te pose problème ? J’ai mes propres objectifs, c’est tout. 

J’étais plutôt interloqué par cette bien mystérieuse formulation.

Moi — Objectif ?

Ibuki — Voir tous les films qui seront diffusés au lycée… C’est pas un objectif important, mais c’est le mien.

Non, c’était plutôt quelque chose de tout à fait remarquable. Tout le monde avait des envies, des espoirs et des buts fixés, concernant sa vie, en entrant au lycée. Se faire des amis, sortir tous les jours pendant les vacances, passer l’année tout en ne travaillant pas en dehors des cours, être toujours dans le haut du classement dans une matière… Ça allait des choses les plus triviales à réaliser, à des objectifs bien plus difficiles. Même parmi ces derniers, celui qu’avait Ibuki, de regarder tous les films qui diffusés ici, pouvait sembler facile à première vue. Mais pour moi c’était certainement très difficile à gérer. Naturellement, il est facile d’aller regarder les films d’un genre qu’on aime par exemple, mais dans le cas contraire ça peut vite devenir une corvée. La majorité des gens verraient cet objectif uniquement comme un passe-temps banal. Cependant, peu importe ce que l’on se fixe, si on parvient à trouver la détermination nécessaire pour pouvoir tenir sa résolution jusqu’au bout, alors c’est que c’était quelque chose de définitivement important.

Ibuki — …Tsss, tu te fous encore de moi ? 

Moi —  Je ne sais pas. 

Ayant interprété mon silence dans le mauvais sens, Ibuki me dévisagea. J’aurais pu honnêtement lui faire des éloges, mais je n’osai pas. C’était quelque peu ennuyant pour moi, il fallait dire. Dans tous les cas, il valait mieux pour moi de me débarrasser d’Ibuki le plus rapidement possible. Si j’étais encore coincé ici plus longtemps, des personnes pouvaient finir par nous voir.

Moi — Bon, qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? On va boire un thé ensemble ?

Ibuki — Arrête ton cinéma. J’me casse. 

Évidemment, elle n’accepta pas mon invitation. C’était bien entendu ce que j’avais prévu. Et pour continuer sur cette lancée, je poursuivis ainsi.

Moi — Dans ce cas, pars à droite, et moi j’irai à gauche. Et comme ça, on en restera là pour aujourd’hui.

Et en disant cela, je montrais le chemin de droite et de gauche, avec mon index. Si nous prenions deux chemins opposés, il n’y aurait plus de problème. C’était la solution idéale.

Ibuki — Quoi ? J’veux aussi me casser d’ici, sans perdre une seconde, tu sais ? T’as pas besoin de m’le dire.

Notre amour semblait parfaitement mutuel, comme le montrait Ibuki qui prit de suite le chemin de droite. Moi aussi, je me retournai et pris le chemin de gauche. Cependant—

Je sentis quelque chose, retenir ma manche par derrière. C’était Ibuki qui me tirait ainsi.

Moi — Oi, qu’est-ce qu’il y a encore ?

Ibuki — La ferme. Ishizaki et les autres arrivent par là.

Alors que je songeais à me cacher, elle me tira pour m’amener dans l’ombre, et alors, très calmement, nous observâmes la situation. Je pouvais voir Komiya et Kondou accompagnés d’Ishizaki au centre. Il y a deux jours à peine, Ryuuen aurait dû être parmi eux, mais bien sûr, aujourd’hui, il n’était pas là.

Moi — Est-ce qu’Ishizaki va bien ? Il semble toujours avoir du mal avec sa jambe.

Ibuki — La ferme. Il s’en est déjà remis.

Cependant, elle avait beau dire, l’ensemble du corps d’Ishizaki semblait le faire souffrir, son visage se tordant de douleur de temps à autre. Le voyant ainsi, Komiya regarda autour de lui, avant de dire.

Komiya — En parlant de ça, il parait que tu te serais battu avec Ryuuen-san, c’est vrai ?

Ishizaki — …….Ouais. Albert et Ibuki étaient avec moi à ce moment-là. Le temps de Ryuuen-san…….non, de Ryuuen est venu. À partir de maintenant, ce bâtard de Ryuuen ne sera plus celui qui donne des ordres à qui que ce soit. 

Komiya — D’un côté, j’suis bien plus tranquille maintenant, mais alors… Qui est-ce qui va élaborer nos stratégies à partir de maintenant ? 

Ishizaki — Comme je vois le truc, ça sera sans doute Kaneda qui va s’en charger. 

Alors qu’ils échangeaient ces quelques mots, ces trois-là passèrent juste devant nous.

Ibuki — Pffuu. Heureusement qu’ils ne nous ont pas vus.

Ibuki se détendit tout d’un coup. Elle ne voulait sans doute pas que des camarades de classes la voient seule avec moi. Surtout Ishizaki, vu qu’il était bien difficile de savoir comment il réagirait en voyait ça. Cependant, nous avions pu entendre tout ce qu’Ishizaki et les autres avaient dit.

Ibuki — ……J’ai reçu un message d’Ishizaki, y a pas longtemps. Ryuuen n’a pas quitté l’école finalement. 

Moi — Je vois.

Alors que je disais cela comme si c’était un fait qui ne me concernait en rien, Ibuki réagit brusquement.

Ibuki — T’as fait quelque chose. Sinon, je m’imagine mal Ryuuen changer d’avis.

Moi —  Même si j’avais vraiment fait quelque chose, t’as pas essayé de l’arrêter toi ? 

D’après son ton brusque ou toute son attitude en général, je pouvais sentir que c’était le cas, mais ce n’était pas comme si j’avais été témoin de la scène.

Ibuki — Je déteste Ryuuen, j’ai vraiment envie de le voir crever. Mais le fait est que quelqu’un comme toi, qui n’est même pas un de nos camarades, ait pu avoir une si grande influence sur lui, je déteste ça encore plus, je ne peux pas te le pardonner. 

Moi — C’est précisément parce que je ne fais pas partie des vôtres que je peux avoir autant d’impact sur lui. Et puis l’inverse est vrai, ce que moi je ne peux pas faire, vous en êtes sans doute capables. Comme par exemple, comment Ishizaki semble prêt à prendre en main ses responsabilités.

Même si nous n’avions entendu qu’une bribe de conversation, il ne m’était pas bien difficile de deviner ce qu’il s’était passé. Le sens du devoir, c’était ainsi qu’on devait sans doute l’appeler. Je pouvais dire que, bien qu’il haïsse Ryuuen, il faisait ça par respect pour lui.

Ibuki — ……C’est vraiment ce que tu crois ? C’est pas juste parce que tu peux te mettre au-dessus de Ryuuen que tu peux tourner les choses comme ça ?

Ibuki dit cela sans docilement se conformer à la volonté d’Ishizaki. Mais c’était juste des questions rhétoriques. Ibuki cherchait à me faire dire ce que je pensais vraiment dans cette affaire. C’était ce que ses yeux me disaient.

Moi — Et toi, qu’est-ce que tu crois ? Tu penses que Ryuuen est fini ?

C’était pourquoi j’avais opté de tout simplement lui retourner sa question.

Ibuki — ……Non mais faut dire qu’on était au bord du gouffre. Même si nous étions trois, le fait que l’on pense qu’Ishizaki a vaincu Ryuuen allait inévitablement le faire montrer dans l’estime de la classe et le légitimer en tant que nouveau leader.

Moi — Je vois. On peut aussi voir les choses comme ça. 

Alors que je hochai la tête, convaincu, elle me donna un faible coup de pied au genou.

Ibuki — Tu peux pas esquiver ça ?

Moi — Eh, je suis pas un expert ou un truc du genre, je te signale. Je ne peux pas tout esquiver. 

Bien qu’Ibuki soit suspicieuse, elle ne continua pas plus loin son investigation.

Ibuki — Et donc, qu’est-ce tu penses de ce qu’a dit Ishizaki ? 

Peut-être était-elle mécontente d’être la seule à dévoiler son opinion là-dessus, en tout cas, elle me demanda ceci.

Moi — Je suis pas fan de l’idée mais si Ishizaki a les compétences, pourquoi pas. 

Le fait que Ryuuen soit mis à l’écart, Ishizaki l’avait bien compris désormais grâce à son expérience. Jusqu’à maintenant il exécutait les plans de ce dernier sans sourciller mais officiellement il s’est rebellé. Aucun d’entre eux n’avait jusqu’à maintenant parlé ouvertement de moi et, bien sûr, cela faisait partie de mes calculs, mais je n’avais pas la garantie absolu que ça allait se passer comme prévu. Et même maintenant, il y avait toujours la possibilité qu’il finisse par changer d’avis et se mette à tout révéler. Même concernant le passé de Karuizawa, s’il en avait envie, il pouvait toujours le faire

Ibuki — Albert ne dira probablement rien, mais tu penses qu’Ishizaki gardera le silence encore combien de temps ?

Ibuki était aussi consciente de la situation, c’était pourquoi elle essaya de le confirmer par cette provocation.

Moi — S’il en parle, alors il en parlera, c’est tout. Je réfléchirai à ce que je ferai alors. 

Ibuki — ……Ahh, j’vois.

Comme je n’affichai ni surprise ni agitation, il sembla qu’Ibuki perdit alors immédiatement tout intérêt. Bon, le plus important, c’était qu’Ishizaki et les autres étaient partis. Alors maintenant, nous pouvions enfin nous sépar—–

Je m’agenouillai instantanément en baissant ma tête en arrière. Ibuki venait de m’envoyer un coup de pied sauté pile où il y avait mon visage avec une vitesse fulgurante.

Ibuki —Tu l’as bel et bien esquivé là, non ?

Moi — Ton coup de pied venait de face aussi. Et puis, t’y as mis toute ta force là, non ? 

Un coup de pied sauté d’une experte en arts martiaux. Nul doute que si je l’avais pris en pleine tête, je serais tombé dans les pommes.

Ibuki — Même si tu es si fort, tu ne laisses rien transparaître. Pourquoi ? 

Moi —  Car c’est normal de proclamer sa force à tout le monde ? 

Ibuki — Ce n’est….. 

Moi — Que ce soit pour les arts martiaux ou tout autre, tant qu’on a pas eu l’opportunité d’utiliser nos compétences, il n’y a aucune raison que quelqu’un soit au courant de ça. Contrairement à Sudou, Ishizaki et les autres, je ne suis pas du type très vigoureux ni enthousiaste.

Ibuki — Bats-toi contre moi. 

Moi — T’as dit quoi là ?

Ibuki — Je t’ai demandé de te battre contre moi à nouveau. Je veux que tu combattes contre moi en mode sérieux et en y allant à fond. 

Elle ne pouvait peut-être simplement pas jeter l’éponge sur ça, en tout cas, Ibuki se remit en position de combat. Si seulement Ishizaki et les autres ne s’étaient pas montrés, j’aurais pu éviter tout ça….

Moi — Comment on en est arrivé là ? 

Ibuki —  Je te déteste. Je déteste le fait que tu agisses différemment quand tu es devant moi ou derrière. 

Moi — Je vois. 

C’était parce que pour le meilleur et pour le pire, elle avait côtoyé des personnages comme Ryuuen et Ishizaki. Ibuki était pareil. Laissant de côté le fait qu’elle a été une espionne sur l’île abandonnée, la vraie Ibuki était pareil.

Moi — J’ai toujours eu une personnalité comme celle-ci, alors tu n’as aucun droit de me le reprocher. Et puis même si tu le faisais, qu’est-ce que ça change ?

Ibuki — Qu’est-ce que ça change ?

Et après s’être elle-même posé cette question, elle se répondit.

Ibuki —  Mettons de côté ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant, tant que j’aurai pas eu ma revanche pour ce qui s’est passé sur le toit, je ne serais pas satisfaite.

Elle ne compter pas écouter. Maintenant qu’elle s’était remise de ses blessures, elle cherchait un moyen de vaincre. J’aurais pu m’enfuir mais le 3e trimestre allait commencer et si elle continuait ainsi sur ce sujet, cela pouvait être ennuyant pour moi. Bien évidemment, elle l’avait parfaitement compris.

Ibuki — Une fois que le trimestre prochain commencera, si je viens interagir avec toi sans la moindre précaution, ça va te poser problème, non ?

Même si elle ne parlait pas de ce qu’elle savait à quiconque, si elle venait me voir, moi qui étais d’une classe différente de la sienne, cela allait suffir à nous rendre tous deux suspects auprès de tous. Est-ce que ça lui allait vraiment ? C’était une menace à double tranchant qu’elle me brandissait là. Pour moi, cela faisait partie du « répandre la rumeur », mais Ibuki voulait probablement faire comme si ce n’était pas le cas.

Ibuki — Si tu veux que je me tire de là, t’as pas d’autre choix que de te battre contre moi.

Même si elle me disait de se « battre » contre elle, cela pouvait dire bien des choses.

Moi — Je suppose que te battre au Go ou au Shōgi, ça ne compte pas, hein ? 

Ibuki —  J’connais même pas les règles de ces deux trucs. 

C’était vraiment malheureux. J’étais plutôt assez confiant de mon niveau sur ces deux jeux.

Ibuki — Le seul moyen de régler ça est évident, non ? 

En disant cela, elle se mit en position de combat, au plein milieu du centre commercial, avec tout un tas de piétons autour. Je n’avais même pas à réfléchir, dans ce cas-là. Elle avait sûrement décidé à l’avance ce qui était noir de ce qui était blanc.

Moi — …….Peut-être, que rien ne changera au final.

Ibuki — Hah. T’es en train de dire que tu sais déjà qu’au final, tu vas me battre ? 

Peut-être que mes mots l’avaient mis mal à l’aise, mais alors que la veine de sa tempe allait éclater, Ibuki se pinça les lèvres.

Ibuki — Pas simplement le résultat du duel. Aussi ta façon de penser.

Il semblerait qu’elle savait très bien au vu de comment elle avait perdu pendant notre confrontation sur le toit, que même en refaisant un duel, le résultat ne changerait pas. Cependant, peu importait la manière dont elle avait perdu, il était évident qu’elle n’allait pas se satisfaire avec ça. Ça n’avait rien à voir avec le fait d’être un homme ou une femme…. C‘était probablement parce qu’elle n’était pas capable d’admettre une défaite. ‘‘Très bien tu as gagné.’’ Même si je lui disais ça, cela ne ferait qu’ajouter de l’huile sur du feu.

Ibuki — Bon, tu refuses de te battre, c’est ça ?

Bien entendu, normalement, il était clair que je n’allais pas accepter. Surtout vu à quel point j’étais fatigué, je ne voulais vraiment pas m’embêter à faire quelque chose d’inutile. Mais–

Moi — T’as un peu de temps devant toi ? 

Cette soudaine question sembla prendre Ibuki de court.

Ibuki — ……Rien d’particulier. À part ce film, j’avais rien d’prévu. Ça veut dire que t’es d’accord ? 

Évidemment Ibuki ne s’attendait pas à ce que j’accepte, alors elle était quelque peu déboussolée. On aurait même dit qu’elle allait reculer.

Ibuki — C’est une blague ?

Moi — Pas du tout. Tu ne me laisses pas vraiment le choix, alors c’est la seule solution.

Bien que surprise, Ibuki se ressaisit de suite et se mit en position. Il semblait qu’elle comptait débuter le combat tout de suite et s’apprêtait à bondir sur moi. Mais je ne pouvais pas laisser passer ça, par contre. Il y avait trop de gens autour. Je voulais qu’on le fasse loin du regard des autres.

Ibuki — Bon alors, c’est parti, oui ou non ?

Moi — Je me demande où aller. Je veux dire, ici ça va pas le faire, tu saisis ? Même si j’ai accepté qu’on se batte, je ne le ferais pas n’importe où.

Et certainement pas dans le centre commercial Keyaki. Et à l’intérieur du bâtiment des cours, ce n’était pas bien mieux. Vu qu’on était en vacances d’hiver, tout lieu extérieur était bien trop dangereux, alors on ne pouvait opter que pour une pièce d’intérieur. Je ne voyais que l’une de nos chambres, mais là-dedans, faire un combat était difficilement possible. Ibuki saisit également le problème.

Ibuki — On va se mettre à chercher à partir de maintenant 

Moi — On peut rien faire d’autre que d’abandonner l’idée plutôt, non ? 

Ibuki — En tombant sur moi, tu as déjà signé ta perte.

Disant cela, Ibuki se tourna et commença à marcher devant. Il semblait que je devais la suivre.

Moi — Qu’est-ce que tu feras si je me mets à m’enfuir ? »

Ibuki — Je te poursuivrai, te rattraperai et je te balancerai ensuite un high kick dans la tronche, direct. 

Donc c’était effectivement bien le cas. N’ayant plus aucune raison de m’enfuir, je la suivis.

Moi — Je l’ai déjà dit tout à l’heure, mais ce qu’on est censé faire c’est de trouver un endroit où personne ne nous verra en train de nous battre.

Ibuki — C’est bon, j’ai bien compris. 

Tant qu’elle avait bien ça en tête, j’acceptais de la suivre. Si elle ne parvenait pas à trouver un lieu convenable alors tout cela devait être reporté ad vitam æternam. Et ainsi, contrairement à si je refusais son duel de suite, Ibuki n’aurait rien à en redire. C’était pourquoi j’avais accepté de base. Même si j’étais à quelques mètres derrière elle en train de la suivre, je ne cherchais pas la même chose qu’elle.

Ibuki marchait donc désespérément autour du centre commercial Keyaki, à la recherche d’un endroit isolé des regards. Mais ce n’était pas chose aisée à trouver. Il y avait des salles dans le centre commercial auxquelles les élèves n’avaient pas le droit d’accès, mais les caméras de surveillance y étaient placées. Et puis, même sans ça, il y aurait toujours les employés qui y étaient présents. Même en cherchant à l’extérieur du centre commercial, cela aurait été la même chose. En entrant à l’intérieur du lycée en cette période, cela était jouable, mais comme nous ne pouvions pas y accéder sans notre uniforme, cela aussi était impossible. Cela aurait paru suspect si nous étions retournés chez nous pour mettre notre uniforme pour nous retrouver à nouveau ensuite, surtout qu’on attirerait forcément l’attention vêtus tous deux ainsi, alors il y avait de fortes chances qu’on nous voit rentrer ensemble dans le lycée, ce qui était déjà hors de question. J’avais répondu à sa provocation en ayant anticipé tout ça, et comme prévu, c’était la bonne décision.

Moi — Bon je pense que ça sert à rien de continuer. Abandonnons l’idée. Trouver un endroit sans surveillance dans cet établissement, c’était perdu d’av— 

Ibuki — Attends deux s’condes.

Elle m’interrompit. Peut-être avait-elle eu subitement une idée, car elle se retourna tout à coup vers moi, puis vers une certaine direction. Ce que me montra Ibuki du regard était une fenêtre sur laquelle était fixée une pancarte avec marquée dessus ‘‘accès réservé au personnel’’. C’était bien commode tout ça, mais bon, il n’en restait pas moins qu’il y avait peut-être des membres du staff à l’intérieur, donc c’était toujours hors de question. Je pus voir très distinctement l’un d’entre eux avec une étiquette sur sa veste marquée ‘Kimura’, et on pouvait également voir le logo de la pharmacie imprimé dessus. Ils se dirigeaient vers une camionnette où étaient entreposés des cartons. Tout portait à croire qu’il était en train de déplacer la pharmacie dans une des boutiques à l’intérieur du centre commercial. La camionnette démarra alors peu après.

Ibuki — Suis-moi.

Moi — Oi, cet endroit est—

Alors qu’elle me disait de la suivre, Ibuki avait déjà posé sa main contre la porte. En l’ouvrant, nous nous rendîmes compte que c’était un entrepôt, qui avait été vidé de la majorité de son contenu. Les employés étaient tous partis apparemment, et il ne restait à l’intérieur que le minimum, c’est-à-dire que dans la pièce meublée il n’y avait que des étagères vides et encore quelques cartons contenant quelques compresses et sirops thérapeutiques. La pièce était à peine éclairée, avec un seul néon allumé. Le chauffage n’était plus fonctionnel et il y faisait un peu froid.

Ibuki — Ici, personne ne nous verra. Donc ça passe, non ?

En effet, dans une pièce comme celle-ci dont l’accès n’était autorisé qu’aux employés, il n’y avait pas de caméra de surveillance installée. Cependant, n’était-ce pas inhabituel qu’un endroit comme celui-là ne soit pas fermé à clé ? C’était pour le moins étrange de laisser la porte ainsi ouverte. Est-ce que ça voulait dire que les employés de tout à l’heure avaient oublié de la fermer ? Ou alors ça signifiait qu’ils avaient l’intention de revenir ici dans pas longtemps, et donc n’avaient pas pris la peine de fermer. Peu importe lequel des deux cas était vrai, rester là trop longtemps pouvait nous apporter des ennuis. Le fait que des élèves soient ici n’avait rien de normal, si nous étions découverts nous étions certains de nous faire réprimander.

Ibuki — Y a pas d’soucis à se faire, non ? Si on nous trouve là, on aura qu’à dire qu’on s’est trompé de porte, et puis voilà. Ça serait totalement différent si on nous voyait en train de voler quelque chose, mais vu qu’on a même pas un sac sur nous et que c’est presque vide ici, ils vont pas se l’imaginer.

Certainement, nous pourrions facilement sortir une excuse comme celle-là, mais il semblait que l’envie de régler ce différend d’Ibuki, et ce peu importe les conséquences, était vraiment forte. Cela signifiait qu’elle était prête à prendre des risques. Même si elle connaissait pourtant le résultat d’avance, il fallait peut-être que nous combattions concrètement pour qu’elle soit satisfaite.

Moi — Le truc c’est que cette pièce est vraiment petite. Est-ce qu’on a vraiment la place pour se battre ici ? 

Ce n’était pas vraiment bien différent d’une de nos chambres dans le dortoir.

Ibuki — Moi ça me va parfaitement.

Tant que la condition d’être vu par personne était remplie, Ibuki semblait pouvoir se satisfaire de n’importe quoi.

Moi — T’as beau dire ça…..et si les employés de tout à l’heure revenaient soudainement, qu’est-ce que tu ferais ?

Ibuki — Si on finit avant qu’il ne revienne, ça passe non ? Alors dépêchons-nous. 

N’écoutant même pas mon avis, elle était enfermée dans un bien inhabituel optimisme. Alors que je m’apprêtais désespérément à la raisonner pour changer d’endroit, un bruit retentit que je pus clairement identifier comme celle d’une porte qu’on ferme à clé.

Moi — Il y avait en effet cette possibilité qui nous mettrait dans une situation bien désagréable. Et il semble qu’elle se soit réalisée. 

Ibuki —  Pas besoin de paniquer. 

Moi — Regarde. 

Je tirai sur la poignée de la porte pour bien montrer le problème, mais Ibuki me regarda avec suspicion et comprit que nous étions bel et bien enfermés que lorsqu’elle essaya elle-même de tirer dessus.

Ibuki —  ……Hé, comment ça se fait qu’on puisse pas l’ouvrir de l’intérieur 

Moi — Dans le cas de porte avec une fenêtre en verre comme celui-là, c’est courant qu’il n’y ait pas de loquet à l’intérieur. Sinon il suffirait de briser la vitre et d’actionner le loquet depuis l’extérieur.

Ibuki — Donc en gros, on est coincé ici ?

Moi —  Exactement.

Ibuki — Putain, mais c’est pas possible ? À chaque fois que je suis avec toi, faut toujours qu’on se retrouve coincés tous les deux. Bordel, j’ai envie de vomir rien qu’à l’idée de repenser à cet enfer que j’ai vécu dans l’ascenseur.

Moi — Cette fois, j’y suis totalement pour rien. C’est toi qui nous as fait rentrer ici, non ?

Ibuki — Huh ? Tu dis qu’c’est ma faute ? 

Non mais vraiment, là, y avait qu’une personne à blâmer, c’était Ibuki. La dernière fois, c’était en plein milieu de l’été, maintenant en plein milieu de l’hiver. Des coïncidences bien malheureuses arrivaient donc parfois ainsi.

Moi — Mais bon, là, les circonstances sont totalement différentes. Vu la porte, même dans le pire des cas, on pourra toujours sortir en la défonçant. 

Ibuki — Donc y a vraiment pas à s’en faire pour sortir, hein ? 

Moi — En effet, mais ça voudrait dire que dans le pire des cas, ils vont découvrir que quelqu’un s’est introduit ici. 

Ibuki —  ……très bien. Dans ce cas, change ta façon de voir les choses, et envisage plutôt la suite de manière positive. 

Moi — Je le sens plutôt mal, personnellement.

Ibuki — Moi pas. L’essentiel reste qu’ici, personne ne nous gênera. 

Alors qu’Ibuki retourna son regard vers moi, elle se mit en position de combat.

Ibuki — Je te laisse choisir les règles. On ne s’arrête que lorsque l’autre admet sa défaite ? Perd conscience ? 

Au vu de cette situation sans échappatoire, il sembla qu’Ibuki ait décidé d’utiliser cela à son avantage. Car ici, même si je voulais refuser le combat et m’échapper, je ne pourrais pas.

Moi — Partons plutôt sur le premier alors. 

Ibuki — …..Attends. Finalement, c’est moi qui décide des règles. 

Moi — Oi. 

Ibuki — Si on part vraiment sur ça, alors tu vas déclarer avoir perdu alors qu’on aura même pas commencé le combat, avoue. 

Tout juste.

Ibuki — Dans ce cas, ça s’arrêtera uniquement lorsque j’aurai moi-même pensé que j’ai gagné ou perdu. Tant que ce ne sera pas parfaitement clair, je continuerai à me battre. 

Voilà des conditions bien autoritaires et absurdes. Mais bon, je n’avais pas vraiment le choix.

Moi — Compris. Ça me va. Cependant, si on part sur ça, je voudrais aussi ajouter une condition. 

Ibuki — Laquelle ? 

Moi — Une fois qu’on aura réglé ça, tu ne pourras plus jamais me provoquer en duel de nouveau. C’est bien clair ? Bien entendu, durant un examen ou quelque chose du genre, tu pourras bien évidemment faire ce que tu veux, mais en dehors de ça, ce sera le dernier combat fait pour des raisons personnelles que je mènerai contre toi, ok ?

Ibuki — …..De toute manière, c’était bien mon intention de régler tout ça, une fois pour toutes. »

Il semblait qu’elle n’avait rien à redire là-dessus, alors Ibuki hocha la tête et accepta la condition. Dans ce cas, tout ce que j’avais à faire c’était aussi d’en finir. Après l’incident sur le toit, je ne m’attendais pas à devoir me battre à nouveau de sitôt, mais bon, il n’y avait rien d’autre à faire. En fait, le vrai problème allait être quand j’allais mettre Ibuki par terre. Ce n’était qu’une question de temps, autant en finir le plus vite possible.

Ibuki — T’es vraiment chiant comme mec. Même là, tu ne fais que penser à comment sortir d’ici tout à l’heure.

Moi — C’est le plus important, après tout. S’il découvre que nous sommes entrés ici, ça va devenir un problème.

L’excuse du « on s’est trompé de porte » n’allait pas marcher si nous ne les contactions pas immédiatement. Sortir ça tout en restant ici un long moment n’allait pas jouer en notre faveur.

Peu importe si Ibuki avait bien deviné à quoi j’étais en train de penser ou non, elle me lançait des coups de pied pour m’obliger à me concentrer sur le combat tout en tenant sa garde. Comme je m’y attendais, son jeu de jambes était le cœur de son style de combat. Ce n’était pas une mince affaire d’esquiver ses coups dans un entrepôt aussi petit. Et puis, en plus de ça, je ne voulais éviter toute détérioration sur les cartons et les étagères, si possible. Je ne voulais pas dépenser des points privés pour rien, car en plus de mes achats habituels, je devais une somme assez importante à Karuizawa, également.

Cependant, je doutais qu’une petite contre-attaque allait suffire à briser l’esprit d’Ibuki. Dans un combat où elle mettait sa fierté en jeu, elle n’allait pas abandonner si facilement. Mais même lui fair perdre conscience risquait de ne pas suffire. Il fallait que je trouve un moyen pour que cette obstinée d’Ibuki reconnaisse sa défaite. Cette règle stipulant que c’était à elle seule de décider si elle avait perdu ou non, était vraiment ennuyeuse.

Pour gagner, je ne devais l’attaquer, mais je ne pouvais pas simplement lui faire mordre la poussière. Si c’était un combat à mort, cela aurait été plus simple, car je n’aurais pas eu besoin de faire tant de manières, même si pour le coup, pour un combat sans intérêt comme celui-ci, je n’y aurais eu aucun bénéfice. Et puis, que ce soit sur son visage ou son corps, je n’avais pas spécialement envie de lui laisser des cicatrices ou autres marques indélébiles. Avec toutes ces conditions cachées en plus, le nombre de techniques que j’avais dans ma manche était tout de suite bien plus limité. Pour la forcer à reconnaître sa défaite, tout en évitant de la blesser gravement, il fallait une méthode me permettant d’arriver à satisfaire ces deux conditions.

Bien entendu, je devais aussi m’assurer de gagner tout court, mais… Ce n’était pas comme si ça m’était bien difficile. J’évitais un coup de pied d’Ibuki en me déplaçant le moins possible. Puis de ma main la plus faible, c’est-à-dire la gauche… Paf ! Un bruit sourd comme celui-ci retentit lorsque la paume de ma main heurta le front d’Ibuki. C’était une technique utilisant la paume de la main pour causer des dégâts internes à la cible. Avec un cri de douleur, Ibuki s’effondra contre le mur de derrière, comme si elle avait été balayée par une tempête.

Ibuki — Ha——- 

Cette fille, qui avait reçu cette attaque frontale en contre, sans même pouvoir comprendre ce qui lui était arrivé, avait sa conscience qui vacillait, la douleur et la panique commençant à se répandre en elle. Si j’y étais allé de toutes mes forces, nul doute qu’elle serait déjà probablement évanouie. Sans prendre de précautions, Ibuki rassembla toutes les forces qui lui restaient pour pouvoir terrasser l’adversaire devant elle. Il m’était facile d’exterminer toute combativité en elle en l’assommant, par contre, c’était une tout autre affaire pour exterminer les raisons de sa combativité.

Ibuki —  …..T’es en train de te dire que t’as même pas à y aller sérieusement, là ?

Résistant à son sens de l’équilibre qui vacillait totalement, Ibuki luttait pour ne pas tomber, tout en me donnant des coups de pied.

Moi — En tant que pratiquante d’un art martial expérimentée, tu devrais pourtant le comprendre. 

Ibuki — J’ai bien saisi. Et je n’ai pas besoin qu’on le pointe comme ça, devant ma gueule….. Mais je peux juste pas l’accepter. 

Elle avait arrêté ses coups pour me lancer ça. Voilà ce que représentait ce combat contre moi, pour Ibuki. Elle me rugit alors des mots qui ne ressemblaient même plus à des mots, avant de recommencer à nouveau à enchaîner une série de coups de pied retournés, sur moi. L’ouverture dans sa garde qu’elle m’exposait n’était en aucun cas petite, même par rapport à tout à l’heure où elle essayait de me frapper alors qu’elle tenait à peine debout. Ce n’était que des coups qui ne reposaient plus que sur de la force. Bien entendu, si elle m’avait touché avec ça, j’aurais été K.O. sur le coup, mais il n’y avait aucune chance qu’elle me touche ainsi. Ou alors, voulait-elle provoquer un contre et d’essayer alors d’obtenir une double touche ? Peu importe si c’était le cas, je n’avais pas l’intention de me laisser toucher comme ça. J’utilisai ma main droite pour bloquer la jambe d’Ibuki avant qu’elle n’eût le temps de finir d’amorcer son coup, puis avec ma main gauche, je la saisis par la gorge et commençai à l’étrangler.

Ibuki — Garrh….… !

J’exerçais une pression l’empêchant de pouvoir respirer. Maintenant qu’elle luttait totalement pour reprendre un peu d’air, je pouvais lâcher sa jambe et utiliser mes deux mains pour l’étouffer totalement. Ibuki avait beau essayer de me faire lâcher prise avec ses deux mains, elle n’arriva pas à me faire bouger d’un poil. Elle se mit à me griffer futilement, un peu comme le chant du cygne dans sa résistance désespérée, avant de suffoquer totalement.

Moi — C’est à toi de décider, Ibuki. Tu veux qu’on continue encore un peu, ou on en reste là ? Choisis maintenant, avant que tu perdes la capacité de le faire.

Si de simples mots avaient suffi à lui faire entendre raison, nous n’en serions pas arrivés jusque-là. Cependant, une dernière fois, je décidai de lui donner sa chance.

Moi — Ryuuen, lui, il en avait de la volonté. Et toi, Ibuki ? Est-ce que tu es capable de m’en montrer un peu, aussi ?

Ibuki — Guh !

Ibuki me regarda avec des yeux écarquillés comme jamais auparavant. Cependant—

Les mains tremblantes, elle saisit de nouveau mes deux mains. Tap, tap tap. Elle donna de pitoyables coups ainsi à trois reprises. Elle ferma ensuite les yeux, la résignation habitant son visage. J’avais compris le signal. Je relâchai doucement mon emprise sur la gorge d’Ibuki et elle put enfin reprendre un peu d’air.

Ibuki — Hah……hah. Je ne pensais pas que tu y irais mollo parce que je suis une fille, mais là, tu n’as vraiment montré aucune pitié. 

Moi — Tu n’es pas vraiment une adversaire avec qui on peut avoir le luxe d’y aller mollo, tu sais ?

Car si j’y étais allé doucement, Ibuki aurait simplement été encore plus en rogne. Bon, il était vrai que j’avais à peine utilisé une partie de ma force, mais ça, c’était une autre histoire. L’important était qu’elle avait eu l’impression que je ne m’étais pas retenu.

Ibuki — Ahh rrrrh. Pourquoi..?

Même si elle semblait toujours frustrée, cela semblait s’être tout de même un peu dissipé, alors qu’elle s’assit à même le sol.

Ibuki — Très bien. J’ai juste à le reconnaître, hein ? T’as gagné.

Je me fichais totalement de la question de perdre ou de gagner, mais si Ibuki était satisfaite avec ça, je n’allais pas la contredire. À vrai dire ce combat imprudent, avait une signification pour chacun de nous deux.

Ibuki — Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort que toi, même parmi les adultes. Comment est-ce que tu es devenu aussi fort ?

Moi — En m’entraînant encore et encore, chaque jour. C’est pourtant évident, quelqu’un comme toi qui pratiques les arts martiaux devrait déjà l’avoir compris, non ?

Ibuki — Ah, je vois.

Ayant compris que je ne lui avais pas répondu sérieusement, Ibuki lâcha un soupir, tout en abandonnant l’idée d’en savoir davantage.

Ibuki — Bon ? Et comment est-ce qu’on va faire pour sortir d’ici ? Je suis prête à coopérer s’il le faut. 

Moi — C’est assez simple.

Il me suffisait simplement d’appeler le centre commercial Keyaki, ou plutôt, la pharmacie dans celui-ci avec mon téléphone.

Moi — Excusez-moi, est-ce qu’il y a bien un vendeur au nom de Kimura-san ?…Oui, s’il est bien là, est-ce que vous pourriez me le passer ?

Peu de temps après, le vendeur du nom de Kimura vint répondre au téléphone. Je lui informais alors que nous étions enfermés dans l’entrepôt.

Ibuki — Mais comme ça, on va pas avoir des problèmes ?

Moi — En effet. Il n’y a aucune garantie qu’on s’en sorte sans rien. Et pour augmenter nos chances d’éviter toute sanction, je vais te demander de jouer le jeu avec moi, Ibuki

Quelques minutes après mon coup de fil, Kimura-san était venu nous ouvrir la porte et entra. Il nous vit alors à l’intérieur et commença à nous interroger sur pourquoi nous étions entrés ici et pourquoi nous ne l’avions pas directement contacté.

Moi — Désolé, on s’est juste laissé emporter par notre excitation dans notre rendez-vous en tête à tête, et on a fini par chercher une pièce pour être tranquille. Je ne pensais pas que nous allions être enfermés comme ça.

J’utilisais le fait que nous étions en plein dans le délire de Noël, et jouais la carte du couple d’idiots qui avaient fini par être pris dans le feu du moment. Bien entendu, même si l’on arrivait à faire croire ce mensonge, ça n’allait pas changer quoi que ce soit aux ennuis que l’on risquait si cet employé décidait de rapporter cela à ses supérieurs. Je n’allais donc pas lui indiquer cela directement et voulais juste lui présenter une raison plausible, expliquant ce que l’on faisait ici et pourquoi nous avions mis autant de temps avant d’appeler, et faire en sorte à ce qu’il y croit.

Moi — Bon, Mio ? Tu devrais aussi t’excuser.

Ibuki — H-Huh ? Qu’est-ce qu–

Ibuki s’entendant se faire appeler par son prénom, ne put s’empêcher de réagir, mais je la fis se taire avec mon regard. Maintenant le choc passait, elle devait avoir compris que tout acte suspect de sa part pouvait nous mettre tous deux dans l’embarras. Bien entendu, j’avais aussi imaginé la possibilité qu’elle décide de me trahir et m’étais préparé pour ça. Dans le pire des cas, j’allais moi-même devoir subir des conséquences, mais je pouvais faire en sorte qu’elle subisse le plus de dégâts. Je pouvais mettre la majorité de la responsabilité de tout ça sur le dos d’Ibuki, car malheureusement, je n’avais pas de quoi réussir à lui mettre l’entière responsabilité sur le dos.

Ibuki — ….Je suis désolée.

Bien qu’elle semblait détester ça, Ibuki finit tout de même par incliner sa tête. Pour profiter de ce moment où l’employé devait être plus enclin à se laisser amadouer, je lui informai qu’on avait pris soin de ne toucher à rien. Il pouvait certes très bien nous reprocher ce qu’on avait fait, mais la faute en revenait aussi à lui, de n’avoir pas oublié de fermer la porte à clé. C’était pourquoi j’avais bien pris soin d’appeler l’employé se nommant Kimura, car c’était lui qui avait oublié de faire cela. Ainsi, en voyant qu’il n’y avait aucune trace d’un quelconque incident, celui-ci avait tout à fait intérêt à ne pas le reporter pour ne pas se montrer en faute. Après nous avoir sermonnés pendant un moment, Kimura-san ferma la porte et repartit à son travail.

Moi — Bon bah on a réussi à s’en sortir sans rien finalement. 

Ibuki — Ne me dis pas que t’avais déjà prévu tout ça en faisant gaffe à voir et retenir le nom de ce type ?

Plus que le fait d’avoir été appelée par son prénom, c’était cela qui avait choqué Ibuki apparemment.

Moi — C’était pas intentionnel. C’est juste arrivé à mes yeux, c’tout.

Ibuki — Je vois… 

Bien que c’était elle qui me répondait ça, elle n’avait pas l’air très intéressée par ma réponse.

Ibuki — Bon, en tout cas, c’est la dernière fois que je me retrouve impliquée dans quoi que ce soit avec toi. On dirait bien qu’on est finalement parvenu à tomber d’accord.

Moi — J’en suis ravi.

Ibuki — Mais avant ça…. Laisse-moi écouter ton opinion sur une dernière chose. 

Moi —  Mon opinion ?

Ibuki — Pour aller en classe A, une personne peut accumuler 20 millions de points privés, tu es au courant de ça, non ? Ça veut dire que si on veut faire accéder toute la classe en classe A comme ça, il faudrait économiser 800 millions de points en tout. C’est une somme ridiculement trop importante pour y arriver avant la fin du lycée, tu ne crois pas ?

Moi — En effet. C’est totalement impossible. On y a tous réfléchi et fini par abandonner l’idée, je présume. 

Ibuki — Je vois. C’était évident, je suppose. 

Moi — C’était tout ce que tu voulais me demander ?

Ibuki — Ouais, c’est tout. Ciao !

N’ayant plus rien à nous dire, elle se tût et partit de son côté. Et avec cela, toute ma relation avec Ibuki Mio s’acheva… en tout cas c’était ce que j’espérais, mais durant les 3 années qu’il nous restait à passer tous les deux dans ce lycée, je n’étais pas certain que je pouvais l’affirmer.

En tout cas, j’en avais l’intuition.

4

Moi — De bien des manières, tout ça fut un désastre. 

Bien que mon planning avait été totalement chamboulé, j’avais tout de même fini par surmonter cette demi-journée et allais enfin pouvoir retourner à ma chambre. Durant les vacances d’hiver, une simple sortie pouvait devenir un véritable parcours du combattant apparemment. Tout d’abord, cette fâcheuse rencontre avec Sakayanagi et Kamuro, puis cette dispute avec Ibuki. Et encore je passais sur la venue d’Ishizaki et ses compères. Vérifiant l’heure sur mon téléphone je pus constater qu’il était presque 15h00.

 — Ahaha. Tu peux le redire encore—

Alors que je retraversais le centre commercial Keyaki pour revenir à mon appartement, je vis un groupe de trois filles, arrivant d’un carrefour juste devant moi. C’était Satô, Shinohara et également Matsushita, toutes des élèves de la classe D. Elles étaient en train de marcher en discutant joyeusement. Puisque j’avais prévu de sortir avec elle, demain, mon regard fut sans que je ne le contrôle, capturé par Satô.

Je masquai ma présence pour ne pas qu’elles me remarquent et gardai une certaine distance où je pouvais toujours entendre leur voix. Car toute information que je pouvais obtenir pouvait m’être utile pour le lendemain. Cette rencontre-là, je la considérai plutôt comme une chance.

Matsushita — Au final, Noël arrive et on a toujours pas trouvé de petit copain.

Matsushita dit cela en regardant les couples tout autour d’eux, puis soupira.

Shinohara — Tu pourrais en dénicher un direct, vu comment t’es mignonne. 

Shinohara ricana bruyamment en tapotant du bout du doigt l’aisselle de son amie.

Matsushita — Eh, je ne veux pas non plus être avec quelqu’un au point d’avoir à baisser mes critères.

Shinohara —  T’as trop raison~. Mais, en y réfléchissant bien, j’ai vraiment envie d’un p’tit copain. 

Matsushita —  Et t’as quelqu’un en tête pour ça ? 

Prise d’une curiosité malicieuse, Matsushita ne lui avait pas demandé cela innocemment. Shinohara croisa alors ses bras et son visage s’assombrit.

Shinohara — Pas du tout. Déjà, tous ceux de notre classe sont juste lamentables. 

Matsushita — C’est sûr. Le seul qui passait la barre du potable, et qui passait même celle du petit ami idéal, a déjà été pris par Karuizawa-san. 

Bien entendu, elle parlait ici de Hirata.

Matsushita — Et comme on doit se battre contre les autres classes durant chaque exam, c’est pas comme si on avait la possibilité de faire ami-ami avec ceux des autres classes. Au vu de tout ça, la seule chose à faire ce serait de sortir avec un senpai—voilà ce que je me disais. Même si bon, j’aurais préféré être avec un gars déjà à l’université, perso. 

Matsushita déclara que de sortir avec un garçon de la même année qu’elle était hors de question.

Shinohara — Un senpai, huh—. Pour moi c’est tout le contraire. J’aime pas du tout l’idée de sortir avec quelqu’un de plus vieux que moi. Si je veux découvrir l’amour avec quelqu’un, ça devra être avec une personne du même âge que moi, je suppose. 

De l’autre côté, Shinohara semblait préférer être avec quelqu’un de la même année qu’elle.

Matsushita — Et pour toi, Satô-san ? 

Satô — Ehh ? Moi ? Eh bien—. Comme Shinohara-san je pense, je préférerais que ce soit quelqu’un dans la même classe que moi. 

Shinohara — Eh, non, non, non. J’ai jamais dit quelqu’un de la classe, moi !

Shinohara réfuta de suite ses propos. C’était comme si elle en avait le besoin.

Matsushita — En parlant de ça, Satô-san, est-ce que tu as…..pu parler avec Ayanokôji-kun, dernièrement ?

Tout d’un coup, mon nom entra dans la conversation. Si jamais on me voyait alors, j’aurais été dans de beaux draps ! Je tournai mes yeux vers la librairie juste à ma droite. Changeant mes plans immédiatement, dans le but de mettre un peu plus de distance entre Satô, son groupe et moi, je me décidai de tuer un peu le temps ici.

Moi — Le classement des marchandises tendances de l’année…

Des produits de première nécessecité en allant à de l’électroménager, il y a avait de tout dans ce classement. Il y avait aussi des avis sur les différentes marques de détergents par exemple et d’autres choses. Je décidai de jeter un œil à ce magazine.

Moi — …..Ça me semble être une bonne idée de juste l’acheter, puis de reprendre la route. 

Les meilleures voitures de l’année en annexe n’étaient pas intéressantes mais, comme c’était un bonus, je l’avais pris. Ce qui m’intéressait surtout c’était tous les produits électroniques. Cela pouvait m’aider pour de futurs achats. Je levai la tête quand je sentis que Satô et les autres étaient partis.

Cependant, pour une raison ou une autre, juste dans mon champ de vision, Shinohara se tenait là, toute seule. Il semblait que les deux autres étaient allées aux toilettes et que Shinohara les attendait ici. Bon, un autre tour du côté de la librairie s’imposait ! Je cherchais donc un nouveau magazine qui pouvait m’intéresser. Il y avait un certain nombre de clients dans l’échoppe, mais je remarquai directement la présence de l’un d’entre eux que je ne m’attendais pas voir ici. En effet, c’était un individu dont le comportement donnait l’impression qu’il allait toujours commettre un méfait. C’était Ryuuen Kakeru. Il était en train de regarder du côté de l’étal des  livres scolaires. Puisque j’étais dos à lui, je ne pus voir l’expression de son visage.

Moi — Ça colle vraiment pas à son personnage…

Il n’y avait pas son entourage habituel avec lui, et le voir ainsi dégageait vraiment un sentiment de solitude. N’empêche, pour quelqu’un qui hier à peine avait pris une raclée, sortir comme si de rien était le lendemain lui ressemblait bien. Même s’il remarquait ma présence, nous n’étions pas vraiment enclins à discuter alors je me décidais de ne pas m’approcher de lui.

 — Eh, t’es en seconde, pas vrai ? 

Shinohara — Ehh ? 

 — T’as fait exprès de nous rentrer dedans, ou quoi là ?

Shinohara — N-Non, j’ai pas… C’était vraiment pas mon attention…

Alors que j’étais en train de regarder d’autres magazines, j’entendis la voix déconcertée de Shinohara. Alors que je levais mon regard de la page que j’étais en train de lire, pour une raison que j’ignorais, un garçon et une fille qui semblaient être des senpais étaient en train de dévisager Shinohara, comme pour la mettre au coin du mur. Je ne reconnaissais pas la fille, mais le garçon m’était familier. C’était un élève de la terminale D, et peu après mon arrivée dans le lycée, j’avais négocié avec lui afin qu’il me vende les réponses des tests passées. J’avais entendu dire que parmi les premières et terminales, il y avait eu pas mal d’expulsions, mais bien qu’il était contraint de se contenter de plats de légumes à tous les repas, il avait tout de même réussi à rester dans ce lycée jusqu’à maintenant. Les deux senpais étaient assortis dans leur façon de s’habiller, avec tous deux des vêtements à pois et à rayures. En plus de ça, vu la distance quasi inexistante entre eux, où l’on pouvait dire que leurs bras étaient presque collés, il était bien probable que ces deux-là étaient en couple.

— T’étais trop absorbée dans tes pensées pour calculer qu’on était là, c’est ça ? Bah vas-y, raconte-nous c’qui trottait dans ta tête ? 

— Allez, laisse tomber meuf, on s’en fout d’elle. 

Le garçon ne semblait pas s’en soucier plus que ça, mais sa petite amie, elle, était furieuse.

La fille — J’peux pas laisser passer ça. T’es qu’en seconde, c’est ça ? Et en classe D en plus ? 

Shinohara — C’est, mmhh, vrai, mais…Je pensais à rien… 

— Alors fais pas genre. Tu t’es délibérément jetée sur nous pour nous faire chier.

A en juger par leurs dires, on dirait qu’aucun des deux parties n’avait fait attention à là où il marchait et ils avaient fini par se heurter d’une certaine manière. Mais vu que personne ne semblait avoir été blessé et que personne n’était tombé, il était clair que ce n’était pas grand-chose.

—  Déjà, la première chose à faire quand on rentre dans quelqu’un, un senpai en plus, c’est de s’excuser ! Nan mais c’est quoi c’t’attitude !!

Shinohara — M-mais celle qui regardait pas devant elle, c’est…

— Huh ? T’essaye de dire qu’c’est ma faute, là ?

Shinohara avait essayé de plaider pour sa légitimité, mais elle semblait incapable de résister à la pression exercée par la senpai furibonde juste en face d’elle, car elle se mit à s’incliner devant elle, visiblement à contrecœur.

Shinohara — …..Non. Je suis vraiment désolée.

Cependant, la non-sincérité de son attitude n’avait pas juste été perçue par moi, mais également par la senpai. C’était comme si Shinohara venait de souffler encore un peu plus sur les braises de la colère de celle-ci, qui se transforma alors en véritable fournaise.

— Huh. T’as beau t’excuser, après l’attitude que t’as montrée, j’peux lire aucune sincérité dans tes excuses, là. 

Shinohara — S-Sincérité… Mais, celle qui ne regardait pas où elle mettait les pieds, je pense que c’était toi, senpai. 

Il semblait que du point de vue de Shinohara, la faute en revenait à ce couple, trop occupé à fricoter pour regarder là où ils allaient.

— Va te faire. T’es celle qui nous a foncés dessus, avoue-le ! 

Shinohara — Mais, c’est… 

Au contraire, du point de vue de la senpai, celle qui n’avait pas fait assez attention, c’était Shinohara. Ce qui s’était réellement passé, nul ne pouvait le dire, à part les personnes concernées et les témoins de la scène. Cela allait être difficile pour Shinohara de s’en sortir par elle-même. Peut-être devais-je intervenir pour lui prêter main-forte, mais vu que je n’avais pas vraiment vu la collision, je n’étais pas bien placé pour faire l’arbitre….Il fallait essayer, ça pouvait marcher. Juste après avoir pensé cela, en remettant le magazine dans son étal, l’apparition d’une certaine personne se fit sentir. Il semblait qu’il avait remarqué dans quel pétrin s’était empêtrée Shinohara et c’était pourquoi il s’était approché, puis héla Shinohara.

— Qu’est-ce que tu fous, Shinohara ? 

Ignorant totalement les senpais, ce garçon, Ike Kanji, l’appela comme si de rien était.

Shinohara — Ahh…..Ike-kun…..ummm. 

C’était loin d’être une réaction de type ‘ouf, sauvée’. Elle avait plutôt l’air d’attendre la fin de la tempête mais d’apercevoir un ouragan. Voilà ce qui ressortait de l’expression décontenancée de Shinohara. D’habitude, Ike créait toujours des ennuis sur son passage, alors c’était plutôt compréhensible comme réaction.

— T’es qui toi ? Mêle toi pas d’ça, ok ?!

Face à cette interruption, la senpai montra encore plus les crocs.

Ike — «Ahh, désolé senpai, mais c’est une de mes camarades de classe. Est-ce qu’elle a fait quelque chose ?

Au vu de son ton très sérieux, il semblait qu’Ike avait bien saisi l’ampleur de la situation. Il avait sans doute observé la scène de loin, tout comme moi.

— T’es avec elle c’est ça ? Cette fille nous a foncés dessus. Et par-dessus le marché, elle nous tient pour responsables et nous a lancés un regard plein de mépris. 

Ike — Ahh~ je vois, je vois. Elle me lance souvent ce genre de regards, à moi aussi. 

Ricanant bêtement, Ike pointa Shinohara du doigt. Shinohara aurait normalement été furieuse pour bien moins que ça, mais elle semblait si abasourdie par ce qu’était en train de faire Ike qu’elle ne savait pas comment réagir.

Ike — Mais c’est un truc naturel chez elle. Elle est juste née avec ce regard hautain, c’est pas pour autant qu’elle pense à mal. De toute manière, c’est une lâche, alors elle aurait jamais osé ne serait-ce qu’émettre une seule pensée contre toi, senpai. C’est plutôt quelqu’un du genre à se coucher. 

Tout en énonçant plein de défauts sur Shinohara, il essayait ainsi de pousser les senpais à enterrer la hache de guerre. Ainsi, il évitait totalement la question de cette collision, et par conséquent de qui était en tort ou non.

Ike — Oh et puis, j’pense que le mieux serait de ne pas faire du raffut pour rien. J’ai croisé un prof, pas loin d’ici, y a même pas une minute.

Si on les trouvait ainsi, ils risquaient d’avoir des problèmes. Voilà ce qu’Ike leur faisait comprendre implicitement. Et surtout, ce point-là était spécialement dirigé, non pas à la senpai, mais au garçon. « Tu comprends, c’que j’veux dire ? », voilà le regard qu’il lui lançait, et cela semblait avoir fonctionné.

— …..Bon allez, on y va maintenant. 

Avec Noël pointant le bout de son nez, il y avait des façons bien plus intéressantes de passer son temps. En tant que garçon, Ike avait parfaitement compris cela, et avait joué sur ce point pour en tirer avantage. La senpai sembla plutôt mécontente de cette conclusion, mais assez rapidement, sa colère sembla peu à peu se dissiper. Et ils finirent tous deux par reprendre leur marche

Ike — Pffouaaaa !!  

Lâchant un gros soupir de soulagement, Ike sembla laisser s’échapper un lourd poids de ses épaules.  Shinohara également, soupira de soulagement.

Shinohara — Merci….

Je m’étais dit qu’Ike aurait été heureux de se voir remercier ainsi, mais tout au contraire, il eut plutôt une attitude assez froide.

Ike — Pas besoin… C’était que dalle. 

Il répondit simplement par ces quelques mots.

Shinohara — Mais tout à l’heure, t’en as trop dit. D’abord, mon regard n’a rien de spécial… 

Ike — Eh, si j’ai dit ça, c’était juste pour t’aider, hein. T’as pas à le prendre mal. 

Shinohara — T’aurais pas pu trouver un moyen plus sympa ? 

Ike — Désolé, c’est le seul truc qui m’est venu en tête. 

Shinohara — Bon, malgré tout…Hmm… Mer— 

Ike — À-à plus. Passe un bon Noël sans p’tit copain ! 

Shinohara —H-Huh !? Même dans trente ans t’auras pas de copine toi !! 

Pour une raison inconnue, Ike avait décidé de partir sur cette dernière joute verbale. Et c’était sans doute parce qu’il avait vu Satô et Matsushita au loin, derrière, revenant des toilettes. La rejoignant, ces deux-là lui lancèrent un regard empli de suspicion.

Satô — Hmm ? C’était Ike-kun à l’instant, pas vrai ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? 

Matsushita — Il a encore voulu te faire chier, hein ? Franchement, pourquoi est-ce que notre classe est remplie d’abrutis comme lui ?

Shinohara —N-Non, c’est pas ça. C’est pas ça du tout…

J’avais imaginé qu’elle aurait reporté sa colère à ses deux amies, mais il semblait que ce ne fut pas le cas, et qu’elle ne leur dit rien au sujet de l’incident. Shinohara se contenta alors de regarder le dos d’Ike au loin. Il semblait que le problème était clos, il était tant pour moi d’y aller. Ce n’était visiblement pas le moment propice pour récolter des informations sur Satô.

5

Sur le chemin du retour avec dans mes mains mon sac de course contenant le magazine, je reçus un coup de fil. Après avoir aperçu le nom de Haruka Hasebe s’afficher, je répondis à l’appel.

Hasebe — Ahh, c’est moi. Je sais que c’est un peu soudain, mais demain, ça te dirait qu’on se réunisse tous ensemble pour une paripi 

Moi — Ehh ? Se réunir pour un quoi ? 

Mon emploi du temps était déjà complet pour le lendemain, mais malgré moi, j’avais fini par demander ce qu’était ce mot dont je n’avais jamais entendu parler.

Hasebe — Tu n’as jamais entendu ce mot ? C’est pour « party people ». En version contractée ça donne parapi.

Je n’avais aucune idée qu’un néologisme comme celui-là avait vu le jour. Mais il était vrai que maintenant que je l’avais en tête, il me semblait l’avoir déjà entendu en classe plus d’une fois. Une façon un peu branchée pour simplement dire qu’on réunit sa bande pour faire la fête quoi.

Hasebe — Noël c’est pas que pour les amoureux, voilà ce que sera le thème de la soirée. 

Je vois. L’influence de Noël n’affectait pas que les couples. Ça touchait également tous ceux qui étaient célibataires.

Moi — Désolé. J’ai déjà prévu quelque chose pour demain…

Je sentais que ça aurait été vraiment sympa, mais je n’avais d’autre choix que de refuser.

Hasebe — Ah bon ? Demain c’est Noël pourtant, tu sais au moins ce que ça veut dire ?

C’était déjà problématique qu’elle demande ce que je voulais dire par là, et il fallait aussi compter sur le fait qu’il était toujours possible que Haruka et les autres me croisent lors de mon rendez-vous de demain. Alors le mieux c’était de tout simplement lui répondre honnêtement.

Moi — J’ai fini par promettre à Satô d’aller sortir avec elle demain. 

Hasebe — Satô ? Tu veux dire Satô[1], comme un carré de sucre ? Tu vas sortir avec ça dans ta poche ?

Elle le faisait exprès là, non ?

Hasebe — Ehh ? Ehh ? Quoi, ça veut bien dire que tu vas à un rencard avec Satô-san ? Et à Noël en plus ? 

Je n’avais même pas besoin de lui expliquer, Haruka avait bien compris ce que cela signifiait. Cependant, je devais rectifier là où une correction était nécessaire.

Moi — Ce n’est pas vraiment un rencard. On va juste sortir pour s’amuser tous les deux.

Hasebe — C’est ce que tout le monde sur cette terre désigne par le terme « rencard », tu sais ?

C’était peut-être le cas, mais moi, je n’avais pas l’intention d’employer le mot rencard pour ça.

Moi — J’avais déjà décliné ses invitations plusieurs fois avant, alors elle m’a demandé si je voulais sortir avec elle le 25.

Hasebe — Nooon, non, non. C’est vraiment pas bon, tu trouves pas ? 

Bien entendu, depuis le temps que j’avais intégré ce lycée, j’avais appris ce qu’était la chose connue sous le nom de « société ». Alors ce n’était pas comme si je ne comprenais pas le sens qu’il y avait derrière le fait qu’un garçon et une fille sortaient ensemble le jour de Noël.  Mais la seule et unique raison pour laquelle j’avais malgré tout accepté l’invitation de Satô c’était tout simplement parce qu’elle avait choisi le 25 comme date pour ça, et rien d’autre.

Hasebe — Bon, c’est juste pour confirmer, mais c’est pas comme si vous sortiez ensemble, pas vrai ?

Moi — C’est exactement la même chose qu’avec Shiina la dernière fois. Je ne vais en rencard avec personne.

Hasebe — Bon, alors ça va, je suppose. Bon, c’est pas vraiment à moi de te le dire… mais tu sais, Airi. 

Moi — Airi ?

Hasebe — Si demain, Kiyopon, tu n’es pas avec nous, je pense qu’elle va se mettre à s’imaginer tout un tas de choses. Et tu pourras pas le lui cacher en prétendant être malade ou un truc comme ça.

Je n’avais qu’à tout simplement lui dire la vérité, alors. Il aurait été bien plus simple pour moi de lui répondre cela, mais je ne pouvais pas le faire cependant.

Hasebe — J’ai compris. Je ferais quelque chose pour ça. Demain, vous allez où exactement ?

Moi — Est-ce que ça signifie que vous allez décider où vous allez aller en fonction de ça ?

Hasebe — Il n’y a rien d’autre à faire, non ? Si jamais elle te voyait toi, Kiyopon et Satô-san sortir ensemble le jour de Noël, cette fille, c’est quasi-sûr qu’elle tomberait dans les pommes.

C’était totalement une exagération de sa part de présenter les choses comme ça. C’était ce que je pensais mais, d’un autre côté, c’était d’Airi qu’on parlait. Selon les circonstances, elle pouvait même plonger dans une forte dépression.  Comme je le pensais, de l’autre côté du téléphone, le comportement de Haruka changea tout à coup.

Hasebe — Est-ce que t’aurais remarqué ses sentiments ?

Moi — Laissant de côté ce que tu as exactement en tête, Haruka, je peux au moins dire que j’ai remarqué que ses sentiments envers moi sont légèrement différents de ceux que les autres ont envers moi.

Hasebe — C—c’est une façon bien étrange de présenter la chose, mais je vois. Ça veut dire que t’es pas aussi bigleux que ça, finalement. Bon, puisque t’as au moins compris ça, je vais rien dire d’autre d’inutile.

Inutile. Autrement dit, elle n’allait pas me demander « Et tu comptes répondre aux sentiments d’Airi ? ». Si on me posait la question, pour moi Airi était tout simplement comme un oisillon qui venait de faire ses premiers pas. Dans son état, elle ne connaissait encore que très peu de gens, alors le fait qu’elle s’accroche à l’une des personnes du sexe opposé dont elle était intime, qu’elle y déverse en lui son affection était quelque chose d’inévitable. La première chose qu’il fallait, c’était qu’elle passe bien plus de temps en compagnie d’autres personnes et que, grâce à cela, elle gagne en maturité. En faisant cela, un nouveau sentiment pourrait naître en elle, bien différent de celui d’être amoureuse. Cela posait de nombreuses questions… Qu’est-ce qu’était ce lycée, qu’est-ce qu’étaient des amis et qu’est-ce qu’aimer voulait dire ? Autant de questions que je ne comprenais pas totalement et au sujet desquelles je ne pouvais pas prendre de décisions trop hâtivement.

Hasebe — Bon, dans tous les cas, je te recontacterai, ok ?

Moi — Désolé de ne pas pouvoir être avec vous.

À mes excuses, Haruka répondit immédiatement.

Hasebe — Eh, de base, on est un groupe qui s’est formé pour être libre de toutes ces règles et restrictions, hein ? Y a pas à culpabiliser. Qu’on soit ensemble quand on le veut et qu’on puisse faire d’autres choses si on le veut, c’est ce qui fait tout le charme de notre groupe pour moi. C’est sa raison d’être !

Et après avoir répondu ça, Haruka raccrocha.

Moi — C’est vrai, tu as raison. 

Si quelque chose comme le sentiment d’obligation avait été présent lorsqu’on invitait quelqu’un, alors la raison de notre groupe n’était plus. Voilà une chose pour laquelle j’étais reconnaissant envers ce groupe.


[1] Satô veut aussi dire sucre en japonais.


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