VIOLET EVER CHAPITRE 3

Le soldat et la Poupée de souvenirs automatiques

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Traduction : Raitei
Correction : Nova
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Depuis l’enfance, Aiden field déclara à ses parents qu’il deviendrait un joueur de baseball. Il était mince, avait les cheveux blonds foncés et les muscles souples. Bien qu’il n’ait rien d’un beau garçon, il était plutôt agréable à regarder quand on l’observait de plus près. Il avait assez de talent pour le sport au point d’ambitionner de faire carrière dans le monde pro. Après l’obtention de son diplôme, il comptait intégrer une équipe de baseball prestigieuse ce qui rendait fiers ses parents. Malgré son statut d’enfant du village, il était certain d’avoir la capacité de réaliser ce grand rêve. Cependant, la vie lui destina un autre chemin.

Aiden avait grandi et au lieu de devenir une star de baseball, il finit sur un champ de bataille au beau milieu d’une forêt dense dans un continent loin de sa patrie bien-aimée. La nation ennemie que son pays avait combattue dans la guerre auparavant avait laissé fonctionner une installation de forage pétrolier dans le plus grand secret. La mission du 34e régiment auquel Aiden appartenait était de trouver ladite installation pour y reprendre le contrôle. L’équipe était constituée d’une centaine de personnes au total. Leur stratégie était de se diviser en quatre groupes pour frapper de tous les côtés simultanément. Ce devait être une opération assez aisée mais à la surprise générale, les groupes se désorganisèrent et prirent la poudre d’escampette.

—   Courez, courez, courez ! Hurla un des survivants de l’un des groupes.

L’armée ennemie avait-elle bien anticipé le coup ou alors avaient-ils une taupe en leur sein ?  Quoi qu’il en soit, l’attaque surprise du 34e régiment s’était retournée contre eux et les raids simultanés furent réduits au silence par une pluie de balles dans la pénombre. De base, ce n’était que des jeunes soldats inexpérimentés formés sur le tas qui nourrissaient d’autres ambitions que d’aller au combat. Il y avait un jeune qui ne savait que travailler la terre, un autre qui ambitionnait de devenir romancier et un qui avait une femme, enceinte de son deuxième enfant. Aucun d’entre eux ne voulait venir ici se battre mais bien qu’amère, la réalité était celle-là. Après avoir observé la débandade de ses yeux, Aiden se précipita aussitôt dans la forêt à bout de souffle. La terreur d’être abattu par un sniper le fit courir de toutes ses forces tandis qu’il entendit des cris d’agonie pendant sa course haletante. Le bruit des coups de feu qui retentissaient au point de couvrir le chant des oiseaux ou des insectes lui avait comprendre que ses camarades se faisaient exterminer. Le sentiment d’être le chasseur devenu proie, de pouvoir être tué en quelques secondes, eut un énorme ascendant psychologique. Dans le premier cas de figure, il avait le meurtre sur la conscience et dans l’autre, il perdait la vie. Aucunes des situations n’étaient bonnes, mais s’il fallait tuer pour survivre, alors l’être humain opterait pour cette solution. Ainsi, Aiden était pour le moment menacé de mort par ceux qui voulaient survivre.

—   Attends ! Cria une voix derrière. Une petite silhouette sortit de l’obscurité et un homme sortit et se dirigea vers Aiden, une arme à feu à la main. C’était un petit garçon, le soldat le plus jeune du groupe.

 

—   Ale ? Aiden attrapa la main du garçon qui avait cessé de bouger ses jambes et reprit la course.

 

—   Je suis soulagé ! S’il te plaît, ne m’abandonne pas ! Ne m’abandonne pas ! Ne me laisse pas tout seul !, cria-t-il, les larmes aux yeux.

Ale avait dix ans et venait de la même région qu’Aiden. Les deux se connaissaient. Comme il était le plus faible de l’équipe, on se servait seulement de lui pour apporter le ravitaillement. Selon le décret national, tous les hommes de plus de seize ans étaient enrôlés obligatoirement dans l’armée. Ceux qui n’avaient pas encore l’âge pouvaient faire du bénévolat moyennant finance. Le petit garçon avait déjà expliqué sur un ton grossier la raison pour laquelle il s’était engagé. Il l’avait fait pour payer les frais médicaux de sa mère, dont le corps était trop fragile. Avant d’emmener le garçon avec lui, les jambes d’Aiden s’étaient déplacées toutes seules privilégiant ainsi sa survie sur ce dernier.

Ah, et dire que pendant un instant j’ai failli l’abandonner pour sauver ma peau.

—   Comme si j’allais te lâcher !

Les deux accélèrent à l’intérieur de la forêt. Tout en courant, ils pouvaient entendre de nombreux cris provenant de différentes directions. S’ils tombaient au mauvais endroit, la mort les attendrait de façon certaine.

—   Je ne veux pas … Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir !

Les complaintes d’Ale et les cris de terreur alentour déchirèrent les oreilles d’Aiden.

 Je ne … veux pas mourir non plus. Il y a beaucoup de gens que je veux voir et qui m’attendent. J’ai aussi encore beaucoup de choses à faire.

—   Tout va bien, Ale. Tout va bien. Il suffit juste de courir !

 

Il voulait calmer le garçon, mais ne put dire plus que cela.  Ale était un des officiers supérieurs, mais malgré son statut, arriverait-il à garder son sang-froid alors qu’une telle situation se déroulait ? La réalité, cependant, est qu’il était un jeune garçon. Comme il allait sur la fin de ses dix ans, on ne pouvait le considérer comme un adulte ;

-Ah, que quelqu’un nous sauve ! Je ne veux pas mourir dans un endroit comme celui-ci. Je ne veux pas mourir ! Je veux rester en vie à tout prix.

Les coups de feu résonnaient encore, plus que jamais. Aiden put apercevoir la chute des feuilles des arbres dans une certaine direction et devina que l’ennemi approchait par-derrière. Il voulait arrêter sa propre respiration afin de stabiliser son rythme cardiaque.

—   Cours ! Cours ! Cours !

Alors que mentalement, il réprimanda Ale pour ne pas être en mesure de le suivre, il s’en voulut à lui-même par la suite.

Je vais finir par mourir aussi ! Je vais y laisser ma peau !

Pourtant, il ne pensait pas à lâcher cette petite main. Il n’oserait jamais. Au contraire, Aiden la saisit encore plus fermement.

—    Ale, plus vite !

Alors qu’ils furent en mouvement, une explosion retentit. Sa vision fut complètement blanche pendant une seconde. Son corps voltigea, puis tomba immédiatement sur le sol. Il roula sur environ trois mètres jusqu’à se heurter à un arbre abattu. Sa bouche était en sang.

—   Ta…

Il perdit conscience l’espace de quelques secondes. Tout était flou bien qu’il avait les yeux grands ouverts, et ses membres pouvaient encore bouger. Le fait qu’il était toujours en vie tenait du miracle.

Ce n’était probablement pas un obus provenant d’une artillerie lourde. Il épousseta son corps, couvert de poussière due à l’impact, et confirma sa situation. Le chemin qu’il avait parcouru tout juste avant avait laissé place à un trou gigantesque. La végétation avait brûlé et tous les environs avaient noirci. Aiden n’avait aucune idée de ce qui avait causé l’explosion, mais il avait compris que leur position avait été découverte et que les ennemis n’auraient aucune pitié à les pourchasser.

—   A … Ale …

 

Bien qu’Aiden jeta un regard dans toutes les directions, il était toujours persuadé de ne pas avoir lâché la main du petit. Son corps se raidit quand il comprit la scène.

Il est nulle part … Ale … est nulle part …

Il avait toujours la main d’Ale dans ses mains, mais le reste du corps avait disparu. Il ne voyait rien d’autre que la moitié d’un bras avec des os qui sortait de sa chair déchiquetée

Non…Non…

Son cœur battait très fort au point qu’il sentait que ses tympans allaient éclater. Il se tourna en arrière. Dans un endroit un peu plus éloigné, il aperçut une petite tête inerte entre des arbres calcinés au sol.

—   Ale ! Hurla-t-il alors qu’il avait des spasmes dû à son envie de pleurer. Il se calma quand il la vit bouger avec sa bouche formant un sourire.

Dieu merci, il est vivant !

—   Attends-moi ! S’exclama Ale.

Il était soulagé d’avoir entendu la voix du garçon.

Il est vivant. Il est vivant !

La petite tête bougea un peu et se tourna vers lui. Il était couvert de sang et son bras avait été arraché, mais il était encore vivant. Aiden était sur le point de porter le garçon et de s’échapper avec lui, mais des coups de feu se firent entendre. Ce n’était pas les bruits sourds des snipers, mais de fusils. Aiden plongea désespérément pour esquiver les balles perdues et il entendit quelqu’un hurler dans les ténèbres.

Quelqu’un est …Ouais…

Les seules personnes dans les environs étaient Ale et lui-même. Il ne s’était pas levé jusqu’à ce que les tirs disparaissent. Son cœur battait à un rythme désagréable.

J’ai le cœur qui bat trop fort…faut que je me calme ! Tranquille, respire …

—   Pourquoi n’arrêtez-vous pas de tirer ? Vous prenez du plaisir à nous massacrer ?! Se plaignit Aiden après avoir assisté au brouhaha de cette pluie de balles.

Une fois que l’accalmie fut revenue, il leva la tête en direction du petit garçon et se rendit compte que sa petite tête avait cessé de bouger.

—   Ale…?

Les yeux qui le contemplaient montrant à quel point il comptait sur Aiden, le seul qui pouvait le sortir de là, lorgnaient comme s’ils étaient sur le point de sortir. La bouche du garçon qui gisait sur le dos était grande ouverte prouvant qu’il avait prononcé ses derniers mots. Ale avait péri en observant Aiden les yeux grands ouverts.

—   Ah … ah … aah …! Aah ! 

 

Des cris étranges s’échappèrent de la bouche d’Aiden. Il déguerpit de l’endroit à une vitesse folle sentant toujours le regard pesant du petit garçon qui le fixait. Son cœur martelait sa poitrine. Son esprit était dans le tumulte, comme s’il avait hurlé avec l’intensité d’une centaine de personnes. Était-ce dû aux coups de feu ? Ou bien au « Attends-moi » d’Ale ? Chaque partie de son corps chauffait énormément et il cuisait littéralement sur place.

Ale est mort. Ale est mort.

Il savait qu’il y avait plusieurs autres personnes dans ce champ de bataille qui avait subi le même sort. Entre les tirs et les mines, beaucoup de ses frères d’armes ont dû périr.

Ale est mort. Ale est mort. Le petit Ale est mort.

—   Ah … aah … aah … aah … ah … ah …

 

Ces petits cris continuaient de sortir de sa bouche et reflétaient bien ses sentiments qu’il n’arrivait pas à comprendre. Bien qu’il voulut crier de toutes ses forces, sa voix était trop faible et insignifiante dans cette mer d’innombrables autres voix.

 

—   Ah … Aah … Ah … Ah … Ah … AAAAAAAAAAAAAH !

 

Les larmes coulèrent à flots de son visage. Il semblait que sa respiration pouvait arrêter à tout moment au vu du catarrhe qui lui obstruait les voies nasales. Ses jambes se déplaçaient seules et elles ne cessaient de courir.

Non, je ne veux pas mourir …

Tels étaient la transcription de ses sentiments dans leur plus pure forme, l’instinct de survie, la terreur de la mort.

Je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas … Même si cela signifie ne plus jouer au baseball… Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir. Je ne suis pas venu ici parce que je le voulais.

—   Maman papa !

Une fois de plus… Je voudrais voir maman et papa une fois de plus. Je ne veux pas mourir. J’ai tant de gens que j’ai envie de revoir.

Les visages des gens de sa ville natale défilaient en permanence dans son esprit. Ce qu’il se remémora à la fin était le sourire d’une certaine fille, sa bien-aimée qu’il avait laissée sans pouvoir lui adresser un au revoir ou sans même avoir pu goûter à ses lèvres.

—   Maria…

Si j’avais su dans quoi je m’embarquais, je l’aurais embrassée et de force s’il le fallait.

—   Ah, Maria…

Même à un moment pareil, il ne put s’empêcher de penser tendrement à elle.

—   Maria !

Il continua à se laisser envahir par la frustration de ne pas avoir pu la serrer dans ses bras au point de pouvoir en mourir littéralement.

—   Maria ! Maria ! Maria !

Mais il s’en voudrait de mourir aussi bêtement tout en sachant qu’elle attendait son retour.

Non, je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! Ce serait une fin pathétique !

Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Non, je ne veux pas mourir! Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir dans la solitude et dans cette terre froide et inconnue dont je ne sais prononcer le nom correctement. Je ne sais encore rien de la vraie joie et du bonheur de la vie. Je n’ai vécu que dix-huit ans de ma vie seulement. J’aimerais vivre plus longtemps. Suis-je né pour mourir comme un chien errant ? Non. Je pense que l’on nait pour être heureux. Nous ne sommes pas nés pour souffrir n’est-ce pas ? Ne suis-je pas né de l’amour de mes parents? N’ai-je pas le droit d’être heureux ? C’est ça la vie non ? D’ailleurs, je ne veux tuer personne à la base. C’est le gouvernement qui a décidé de façon unilatérale de nous envoyer ici. Je ne veux pas faire du mal à qui que ce soit. Je ne veux pas faire du mal à qui que ce soit. Je ne veux pas être tué. Je ne veux pas tuer qui que ce soit. Né pour tuer, n’est-ce pas un non-sens ?  Pourquoi est-ce que nous devons nous combattre les uns des autres ? Juste parce que nous n’habitons pas à côté ? Que resterait-il après ce combat et après notre mort ? Qui a décidé que les choses devaient se terminer de cette façon? Je suis un humain. Je suis un être humain. Je suis un être humain et j’ai des parents adorés. J’ai une maison pour y retourner. J’ai des gens qui m’attendent. Pourquoi est-ce qu’un jeune comme moi doit prendre part à la guerre? Qui a commencé ? Ce n’était pas moi en tout cas. Je n’ai jamais souhaité ce combat. Je ne veux pas. Je veux rentrer à la maison. Je veux revenir dans ma ville natale. Je veux revenir dans ma ville natale. Aah, je veux revenir en arrière. Je veux quitter cet endroit et retourner dans ma belle campagne. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. MAINTENANT !

Il laissa échapper un « Ah » avec un timbre de voix différent, vraisemblablement abasourdi par le choc de l’impact. Son dos était incroyablement chaud et il dut s’accroupir. Ses genoux ne pouvaient pas supporter immédiatement son propre poids, et il tomba face première sur le sol.

Qu’est-ce que c’est ? On dirait qu’il y a de la lave qui coule dans ma colonne vertébrale … c’est trop … chaud.

Dans l’incapacité de se retenir, Aiden s’étala sur le sol et vomit. Il n’avait pourtant rien mangé et s’en étonna. Il avait en réalité vomi du sang.

Eh, sans déconner … Je vomis … du sang … Je … pourquoi …?

Aiden tourna la tête pour regarder derrière lui. Il observa une tache noire s’étalant malgré l’obscurité. Il n’y avait aucun moyen que cela soit de la sueur. C’était bien du sang. Il fut en mesure de confirmer qu’on lui avait tiré dessus lorsqu’il entendit le bruit de bottes s’approcher lentement. C’était un groupe de soldats, armés.

En voyant qu’Aiden pouvait encore bouger, les hommes se mirent à rire. La situation s’apparentait à un jeu, et les ennemis pariaient vraisemblablement sur lequel d’entre eux pourrait le tuer d’un seul coup. C’est dans ce jeu macabre qu’Ale et d’autres camarades avaient perdu la vie.

—   C’est le cinquième.

Ils avaient l’air d’avoir le même âge que lui. Ils exultaient à l’idée d’avoir mis dos au mur une personne. C’était sûrement les conséquences de l’ivresse de la guerre et s’ils étaient nés ailleurs et avaient rencontré des gens différents, ils n’auraient probablement pas tourné de cette manière.

Aiden avait tué beaucoup de gens sur les lignes de front de façon aléatoire, mais il venait tout juste de comprendre la réalité de la guerre. Ce n’était que du meurtre pur et simple et ces hommes s’en amusaient. Peu importait la grandeur de la justification de ces conflits, l’essence de la guerre ne changeait pas. Réaliser une telle chose seulement à l’article de la mort lui était risible.

Quelles que soient les raisons qu’avaient les pays pour se battre entre eux, il n’y avait plus de morale pendant la guerre. Ce fut le constat simple et cruel. Aiden était un meurtrier, les ennemis étaient des meurtriers et c’était tuer ou être tué. Il était de ceux qui allaient être éliminés.

Pourquoi les choses en sont arrivées là ?

Les hommes discutaient alors qu’Aiden était encore couché au sol.

—   C’est trente points si on touche le dos.

 

—   J’avais dit qu’il fallait viser la tête ! Idiot, nous allons perdre le pari.

—   Cherchons une autre cible. Il ne peut plus bouger de toute manière.

 

—   Vise mieux la prochaine fois.

Une fois la discussion terminée, il serait certainement exécuté. Peut-être qu’on l’abattrait de façon atroce en lui ôtant ses vêtements et en le trainant sur le sol.

Non…

Les larmes coulèrent à nouveau.

Non, non, Non.

Une fois que les hommes qui ricanaient ne le regardaient plus, il rampa, désespérément, tentant de fuir.

Je ne veux pas mourir comme Ale. Non, non, Non, Non, Non. Tout sauf ce genre de mort. Que quelqu’un me vienne en aide. Au secours… Dieu … Dieu … Dieu … Dieu …!

—   Hé, tu comptes aller où comme ça ?

 En plus de la voix froide, le bruit d’un coup de feu retentit à nouveau.

Sa jambe fut touchée. Vu que son dos avait été touché la première fois, il ne sentit pas la douleur pour le deuxième coup, mais seulement la sensation de chaleur. Pris de panique par le fait que sa jambe ne bougeait plus et que la douleur avait engourdi son corps, Aiden hurla.

Les coups de feu continuèrent comme si Aiden n’était qu’un vulgaire jouet. Ses membres restants furent touchés un par un comme s’il fallait absolument que chaque membre soit touché de façon équitable. Les hommes ricanèrent et la honte, l’humiliation, le désespoir et le chagrin envahirent son corps.

—   On dirait une grenouille.

 

—   Ça ne se fait pas ce que tu dis. Allez, dépêche-toi de l’achever.

 

—   Ouais. Tue-le ! Tue-le !

 

—   Cette fois, ce sera la tête.

Aiden entendit le cliquetis d’une arme à feu. Aiden était pétrifié d’horreur par tout ce qu’il venait de subir et serra les poings en fermant les yeux. Il se prépara à la mort. Ce fut à ce moment que quelque chose d’énorme tomba du ciel comme un coup de tonnerre. Tourbillonnant de façon répétitive, elle perça la terre. Était-ce le signe annonciateur qu’une force allait mettre fin à cette guerre ? C’est ce que tout le monde pensa pendant une seconde sous l’effet de la surprise. Cependant, ce n’était pas une force surnaturelle qui fit son apparition, mais une hache géante. Sa lame d’argent avait valsé dans une pluie rouge de sang. Sa manche avait une extrémité pointue dont la forme ressemblait à un bourgeon de fleur.

La hache était le symbole de l’arme par excellence. Plus brutal que les armes à feu et plus efficace que les épées. Même si c’était au beau milieu d’un champ de bataille, une apparition pareille était salvatrice. La bizarrerie ne s’arrêtait pas là et un objet volant qui faisait grand bruit venait dans leur direction.

—   C’est un engoulevent !

Ce fut un monoplan qui avait été popularisé dans l’industrie de l’armement et distribué par la prospère partie nord du continent aux autres nations. C’était un genre d’avion de chasse à deux places, un petit peu plus grand qu’un bateau à une place. Sa principale caractéristique est sa forme semblable à un oiseau, l’engoulevent. Il avait de grandes ailes et un fuselage acéré comme ce dernier. Sa coque était mince, mais l’avion était utilisé seulement pour la surveillance au vu de sa vitesse exceptionnelle.

De quel côté ? De quel côté est-il ?

Ni Aiden ni les soldats qui étaient sur le point de lui tirer dessus ne pouvaient se mouvoir. Personne ne savait dans quel camp l’engoulevent était.

Quelqu’un descendit une longue corde de fer qui pendait de l’avion maintenant à basse altitude. Cette personne étendit le bras pour attraper la hache de guerre et la fit tournoyer à plusieurs reprises avant de la reposer sur le sol, fauchant les alentours au passage. Aiden prit une profonde inspiration après avoir vu le spectacle, mais sa respiration n’en fut devenue que plus chaotique.

Cette personne mystérieuse leva lentement la tête. Seul son visage d’un blanc immaculé resplendissait dans les ténèbres. Elle était semblable à une rose blanche qui fleurissait dans la nuit. Même avec sa vision légèrement déformée par les larmes, Aiden pouvait clairement observer à quel point elle était superbe. Ses iris bleus lui rappelaient les mers lointaines du Sud, ses lèvres rouges étaient semblables à la couleur du lever de lune dans le désert. Sa beauté aurait fait battre son cœur la chamade en temps normal, mais dans de telles circonstances, seule la peur se dégageait. Ses cheveux dorés brillaient dans la pénombre, ce qui contrastait avec son ruban rouge bordeaux en guise de décoration. Peu importe dans quel angle on la regardait, elle était aussi belle qu’une poupée.

—   Pardonnez-moi pour le dérangement, mais j’ai pris la liberté d’apparaitre depuis les airs, dit-elle d’une voix puissante.

 

—    Monsieur Aiden Field est ici ?

Sa beauté ainsi que son élégance laissait sans voix. Sa présence était un mystère et contrastait avec le champ de bataille. La situation était tellement décalée qu’il était légitime de se demander si on hallucinait. Aiden, soulagé depuis qu’il n’était plus le centre d’attention fut de nouveau frappé de terreur.

Pourquoi ?

Il se demandait pourquoi cette femme le cherchait. Ne sachant pas s’il devait répondre ou pas, Aiden finit par décliner son identité.

 

—    Je…c’est moi … Je suis Aiden.

Peut-être que révéler son nom était une erreur qui aurait pu empirer la situation. Cependant, les visages des gens de sa ville natale avaient refait surface dans son esprit.

—    Aidez… moi…demanda-t-il d’une voix rauque.

Alors que son regard impassible le fixait toujours, elle finit par le saluer gracieusement de la tête.

—   Ravie de faire votre connaissance. J’accours là où mes clients le désirent. Je suis du service des Poupées épistolières, Violet Evergarden.

Au moment où les soldats reprirent conscience et pointèrent leurs armes sur la poupée, elle tint fermement sa hache. Cette dernière était plus grande que la hauteur moyenne de l’être humain, mais elle la souleva avec les deux mains comme si de rien était. Le groupe d’hommes fut atterré par sa puissance.

—   Qu’est-ce c’est que ce monstre ? Tuez-là !

 

—   Cr … crève, crève, crève, crèveeee !

Des coups de feu résonnèrent avec les cris, mais la poupée se tenait toujours debout sans aucune égratignure, mais cette fois, prête à entrer en action avec sa hache.

—   J’y vais…major ! Chuchota-t-elle humblement.

Violet sauta en direction d’Aiden, dans le but de mettre ses assaillants hors d’état de nuire. Même si elle avait l’air petite et fragile, chacun de ses pas était puissant. Malgré l’état dans lequel fut Aiden, il se força à tourner la tête afin de ne rien rater de la lutte au point de voir la scène du coin de l’œil.

On aurait dit que la poupée dansait le rondo, mais elle ne faisait que balancer la hache vers les adversaires en la faisant tourbillonner. Ce fut une technique extrêmement étrange qui lui permettait aussi bien d’attaquer que de se défendre. Elle s’agrippa à la manche de la hache plantée dans le sol, la sortit puis tournoya sur ses talons. Quand les hommes comprirent qu’elle ne laissait aucune faille malgré son corps délicat, ils commencèrent à baisser les armes et à crier.

Même si ses mouvements avaient l’air d’être légers, ses prouesses disaient le contraire. Elle maîtrisait une sorte d’art martial classique de précision qu’Aiden n’avait jamais vu auparavant. Les armes à feu furent brisées par la pointe de la hache, comme si elles furent de simples jouets en plastique. Ils tombèrent à genoux après avoir été frappés par le manche sur leurs épaules.

—    C’est … un monstre ! Cria l’un d’entre eux en fuyant. Il ne fut pas poursuivi.

La Poupée se concentra uniquement sur l’attaque des soldats en face d’elle de façon mécanique. Il était évident qu’elle avait l’habitude des situations extrêmes à tel point que le mot « habitude » lui-même était un euphémisme.

—   Maudite sois-tu ! Crève ! Crève !

La femme continua rapidement à échanger des coups avec les hommes qui tirèrent à l’aveuglette dans l’obscurité en faisant balancer sa hache sans hésitation pour s’approcher d’eux en esquivant les balles. Un des soldats prit une arme dans sa poche et alla tirer en direction de son ventre.

Elle pivota une de ses jambes élancées et lui assena un coup de pied en pleine figure. Elle ne fit aucun mouvement inutile et sa fluidité lui permettait d’attaquer constamment. La différence de puissance était écrasante. Sans aucun doute, la situation n’aurait pas changé même s’il y avait eu plus de soldats. On aurait dit que la force de la Poupée était inébranlable tandis qu’elle brandissait son imposante hache fièrement.

Pourquoi … ne pas avoir utilisé le tranchant de la hache ? pensa Aiden perplexe.

Avec une hache de ce calibre, elle aurait pu facilement mettre fin à tout ça. Il était évident qu’elle s’était retenue d’infliger des coups mortels. La bataille fut de courte durée. Après avoir battu tout le monde, la femme s’approcha d’Aiden et s’accroupit en fixant son visage.

—   Je suis désolée de vous avoir fait attendre

Ce fut alors à ce moment même qu’Aiden remarqua comment celle nommée Violet Evergarden avait un visage aux caractéristiques enfantines. Sa beauté exacerbée lui donnait l’impression d’être une femme mature, mais elle avait la silhouette d’une jeune fille.

Elle n’a pas l’air d’être plus vieille que moi finalement.

—   Monsieur…

 

Violet inspira profondément après avoir observé à quel point Aiden était blessé.

 

—   Me … Merci … de m’avoir sauvé. Hum … comment … me connaissez-vous ?

Quand Aiden s’exprima, un filet de sang sortit de sa bouche. Violet prit un des bandages dans sac et commença à les envelopper autour de ses blessures.

—   Monsieur, vous m’avez demandé de venir. Vous avez contacté le service des Poupées épistolières après avoir consulté notre publicité, n’est-ce pas ? Vous nous avez payés.

Aiden chercha aussitôt dans sa mémoire malgré ses pensées floues en raison de la perte de sang. En se creusant les méninges, il se souvenait qu’un soldat de son unité lui avait montré un tract au bar de la ville d’à côté. Le tableau d’affichage du bar était rempli d’annonces variées, de dépliants et de mémos. Cet homme avait trouvé la publicité sur ce tableau.

—   C’était donc vrai. Votre service de Poupées épistolières agit en tout lieu et en tout temps conformément au souhait du client.

 

Il sourit après avoir cité la phrase d’accroche de la publicité. C’était ensuite qu’Aiden se souvint avoir bien contacté le service comme punition pour avoir perdu à un jeu de cartes qui lui avait coûté pas mal d’argent.

 

—   Quel type de Poupée souhaitez-vous ? Nous prenons en compte toutes les demandes, précisa un jeune homme au bout du fil.

Sans vraiment trop réfléchir, Aiden répondit qu’il voulait une beauté fatale pouvant se déplacer sur la ligne de front et qu’il fallait absolument que ce soit une femme.

—   Les poupées qui viennent jusque dans les zones dangereuses sont particulièrement chères.

 

—   N’y a-t-il pas moyen d’avoir un prix ?

 

—   Si vous voulez réduire les coûts alors elle ne pourra rester qu’un jour à vos côtés.

 

—   Soit, on fait comme ça. Mon numéro de compte en banque est le…

Il avait oublié d’annuler la commande après, et n’avait probablement pas parlé très distinctement au téléphone vu qu’à ce moment-là il était alcoolisé. Parmi les personnes qui avaient fait la fête avec lui comme des idiots, personne ne se souvenait de ce qu’il avait fait en raison de leur gueule de bois le lendemain.

Jamais je n’aurais pensé qu’elle viendrait … De plus, une femme aussi délicate qu’elle en pleine zone de combat … C’est exactement comme je l’avais demandé.

Le visage de Violet se reflétait dans les yeux d’Aiden et elle n’avait rien d’angélique.

—   Comment … saviez-vous où j’étais ?

 

—   Secret professionnel. Je ne peux pas répondre à cela, répondit-elle sèchement, ne pouvant que le faire taire.

Le fait qu’une simple société d’écrivains publics avait les moyens d’envoyer dans des zones de guerre des Poupées de ce calibre et qu’elle était tenue au secret professionnel faisait penser à Aiden qu’il y avait sûrement des choses louches derrière.

—   Pour l’instant, monsieur, il vaut mieux partir d’ici. Est-ce que vos blessures vous font mal ? S’il vous plaît, supportez-le.

 

—   Non, je n’ai pas mal … je me sens juste vraiment chaud. J’imagine que ce n’est pas bon signe ?

A la question larmoyante d’Aiden, Violet ravala ce qu’elle allait dire. Après un moment de silence, elle logea la hache dans un fourreau fixé autour d’elle et enroula ses bras autour d’Aiden.

—   Je vais devoir vous traiter comme un bagage pendant un petit moment. Tenez bon !

Après avoir l’enveloppé solidement, elle le souleva. Plus qu’un bagage, il avait plutôt le rôle d’une princesse. Il arriva à sentir l’embarras même dans un moment pareil au point qu’il voulut rire malgré les larmes. À partir de ce moment-là, les actions de Violet furent rapides. Comme elle avait couru à travers la forêt en le portant malgré son poids, il s’inquiéta de tomber sur des ennemis, mais ce ne fut pas le cas. Apparemment, Violet recevait des instructions de quelqu’un. Une voix de temps en temps pouvait se faire entendre depuis ses grandes boucles d’oreille de perles. Elle se déplaçait tout en répondant faiblement. Ils arrivèrent peu de temps après près d’une maison abandonnée avec l’intention de l’utiliser comme planque temporaire.

Cet endroit est vraiment sûr ? De toute manière ce n’est pas comme si nous pouvions nous cacher pour toujours.

Aiden devina qu’avec l’état de son corps, il n’en avait plus pour très longtemps. Violet lui avait prodigué les premiers soins, mais son saignement n’avait pas cessé. S’il y avait encore une quelque chance de s’en sortir, le saignement aurait déjà arrêté.

—   Nous allons nous cacher ici le plus longtemps possible.

L’intérieur de la maison était couvert de toiles d’araignée et la poussière. Laissant Aiden sur le sol, Violet fouilla dans son sac et en tira une couverture.

—   J’ai…pas mal de choses dans ce petit sac n’est-ce pas ?

Les coins des lèvres de Violet se levèrent légèrement à la remarque d’Aiden. Étalant la couverture, elle plaça Aiden en son centre et la referma sur lui.

—    J’ai l’impression de suffoquer. Il fait chaud !

 

—   Il fera plus frais plus tard.

 

—   Vraiment ?

 

—   Probablement. C’est ce que l’on m’a dit en tout cas.

 

Ce furent les mots de quelqu’un qui avait vu un nombre incalculable de personnes mourir. Aiden se sentait encore plus intrigué par Violet. Quel train de vie avait-elle eu ? Comment était-elle si forte? De nombreuses questions traversaient son esprit, mais ce qui sortit de sa bouche était quelque chose de complètement différent.

 

—   Pouvez-vous écrire des lettres … à ma place ?

L’expression de Violet se raidit aux paroles d’Aiden.

—   Ou bien, votre dispositif de télécommunication a-t-il une portée assez forte pour atteindre ma ville natale ?

 

—    Non, malheureusement.

—    Alors, s’il vous plaît … écrivez des lettres pour moi.

—   Vous êtes venue ici … parce que je vous ai engagé, non ? S’il vous plaît, écrivez-les. Après tout je… je vais bientôt mourir … donc je veux … écrire ces lettres.  

 

Sa gorge  commença à se dessécher et il toussa après avoir parlé. Tout en regardant le sang craché, Violet frotta ses épaules et hocha la tête.

 

—   Qu’il en soit ainsi, monsieur.

 

Elle fut dubitative. Elle retira ce qui semblait être du papier de bonne qualité et un stylo de son sac, plaça le papier sur ses genoux et demanda à Aiden de commencer la diction.

 

—    La première est … pour maman et papa, je suppose…

Il parla de l’amour que ses parents lui avaient donné quand ils l’avaient élevé ou bien de comment ils lui avaient appris à jouer au baseball. Il mentionna aussi le fait qu’ils devaient mourir d’inquiétude parce que les lettres avaient du mal à parvenir sur les zones de guerre. Il précisa aussi les circonstances de comment ces lettres devinrent ses dernières volontés. Il finit par remercier ses parents pour tout et par s’excuser. Avec une vitesse d’écriture impressionnante, Violet capturait ses sentiments avec précision. Chaque fois que les mots s’enchaînaient, elle demandait si les termes utilisés étaient assez bons, afin de proposer un contenu optimal. Aiden n’avait pas été en mesure d’écrire à ses parents très souvent en partie parce qu’il avait du mal à organiser ses pensées. Mais avec la Poupée, c’était différent. Les mots florissaient dans sa tête et il a pu dicter tout ce qu’il avait voulu dire.

—   Maman … Je t’avais dit que je deviendrais un joueur de baseball … pour obtenir de l’argent afin de restaurer notre maison … Je suis désolé de ne pas pouvoir tenir ma promesse. Papa … Papa, je voulais que tu regardes plus de mes matchs. J’étais vraiment heureux …surtout quand on m’a dit que vous aimiez me voir frapper la balle. Je … J’avais en réalité commencé le baseball parce que je voulais que vous me félicitiez. J’aurais pu faire autre chose tant qu’il y avait cette finalité. Il n’y a rien de plus heureux pour moi que d’avoir été votre fils. J’avais jusqu’à maintenant vécu dans le bonheur. Bien que je sois passé par quelques passes difficiles, je ne pensais vraiment pas que je mourrais comme ça.

Bien que ses parents ne lui avaient pas enseigné l’art du combat ou de tuer…

—   Je ne pensais pas que cela arriverait. Normalement … normalement … les gens s’imaginent devenir adultes, trouver un ou une partenaire, se marier, avoir des enfants … Je … Je … Je pensais que je serais en mesure de prendre soin de vous. Je ne pensais pas qu’on me tirerait dessus sans que je ne sache pourquoi… et finalement je meurs dans un pays si loin du nôtre, si loin de vous. Je suis désolé. Je suis aussi triste … mais je sais que pour vous deux, la peine n’en sera que plus forte. Je devais … revenir à vous en toute sécurité … vu que je suis votre fils unique. J’étais … censé revenir. Mais … je n’en serai pas capable. Je suis désolé. Désolé.

Il avait la haine de ne pas pouvoir voir ses parents à nouveau et se sentait si coupable que ses larmes stoppaient de manière récurrente sa diction.

—    Si … nous avons l’occasion de nous revoir dans une autre vie … alors j’aimerais vous revoir en tant que fils. Je ne voulais pas que les choses se finissent comme ça. Je voulais … devenir plus heureux … j’étais censé vous montrer que j’étais comblé…mais sachez que je l’ai vraiment été. Papa, maman, priez pour moi. Priez pour que l’on puisse se revoir un jour.

Violet écrivit chaque mot qu’il prononçait.

—    Je pourrais la peaufiner plus, mais je pense qu’il vaut mieux conserver votre manière de parler.

 

—   Sérieusement ? On n’a pas besoin de rajouter de belles tournures ?

 

—    En effet … on perdrait en authenticité sinon.

 

—   Quand vous dites ça, je me sens un peu … plus motivé !

 

  Il se mit à rire aussitôt, mais la toux cracha plus de sang qu’à l’accoutumée.

Violet essuya ses lèvres avec un mouchoir déjà imbibé de sang.

—    Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre à qui souhaitez écrire ?

Comme elle le pressa avec sa question, Aiden resta silencieux un petit moment. Sa vue était trouble, même si les larmes ne sortaient plus. La voix de Violet était aussi un peu lointaine. Si elle le pressa, c’est que son état était critique, qu’il était sur le point de mourir. Le sourire d’une jeune fille modeste avec les cheveux tressés lui vint à l’esprit.

—   Pour … Maria.

 

Alors qu’il murmura son nom, son amour l’engloutit au point de lui donner envie de mordre quelque chose.

 

—   Mademoiselle Maria c’est cela ? Elle est de votre ville ?

 

—   Ouais. Si vous livrez ces lettres à mes parents, vous devriez être en mesure de savoir qui elle est. C’est mon amie d’enfance. Nous vivions dans le même quartier depuis toujours… et elle était comme une petite sœur … mais après qu’elle m’ait avoué ses sentiments, je me suis aperçu que je l’aimais … aussi. Mais …comme notre relation était récente… je suis venu ici … sans rien avoir concrétisé avec elle.  C’est vrai que c’est un peu gênant de sortir avec son amie d’enfance… Haha, mais quoi qu’il en soit… nous ne nous sommes même pas embrassés … J’aurais aimé en connaître la sensation, car je ne l’avais jamais fait avant …

—   Je vais mettre des mots à ces sentiments dans une lettre. Monsieur, un peu de courage. Tenez bon encore un peu, je vous en prie…

 

Comme si elle tentait de faire un vœu, Violet serra la main d’Aiden.

Incapable de sentir sa chaleur ou même son toucher, il se mit à pleurer à nouveau.

—   Oui ! répondit Aiden après avoir organisé ses pensées brumeuses. Il ajouta ensuite :

—   Maria, tout va bien pour toi ?

La raison pour laquelle je commence cette lettre avec une formulation aussi basique c’est parce que je ne veux pas que tu me sentes mourir.

Je me demande … si tu te sens… seule … vu que je ne suis pas là. Ce serait problématique si … tu venais à pleurer tous les jours… mais j’ai … toujours vu ton visage en pleurs … depuis notre tendre enfance… et il est vraiment mignon…alors je te suggère de ne pas pleurer …devant les hommes de crainte que tu ne les séduis.

Les souvenirs du temps qu’il avait passé avec elle refaisaient surface.

—    Tu te souviens de quand tu m’avais avoué tes sentiments … Tu m’avais dit de ne pas en parler, car c’était gênant, mais…tu sais…j’étais vraiment heureux à ce moment-là.

Ton sourire quand tu étais dans mes bras et tes joues toutes rouges.

—   J’étais vraiment heureux…vraiment heureux

Son visage quand elle était encore enfant. Le moment où elle avait laissé pousser ses cheveux. Cette femme qu’il aimait sincèrement rien qu’en pensant aux moments qu’ils avaient passés ensemble. Tout était gravé au plus profond de lui.

—   C’était probablement les meilleurs moments … … de ma vie … vraiment. Je veux dire, rien d’autre n’a été aussi fort. C’était encore mieux que quand j’avais gagné mon tournoi de baseball ou quand j’avais été félicité par mon père.

Ma Maria. Ma Maria. Ma Maria.

—   Le fait que tu m’aies révélé tes sentiments…

C’était la première fois qu’il recevait une preuve d’amour aussi grande de la part de quelqu’un qui n’était pas de la famille.

—   Pour te dire la vérité … je … te voyais seulement comme une petite sœur … mais tu es … tellement adorable, qu’il m’ait fallu pas longtemps… pour… succomber. Tu deviendras encore plus belle ! Aah, je suis jaloux des gars qui pourront te voir. J’aurais tellement voulu…que…tu deviennes ma femme…construire une petite maison avec toi…et vivre dans notre campagne paisible. Je t’ai aimé, je t’aime, Maria. Maria … Maria …

Aah, ma bien-aimée. Tu es si ravissante. Si seulement tu étais à mes côtés.

—   Maria, je ne veux pas mourir …

La respiration de Violet résonna bruyamment dans ses oreilles.

—   Maria, je veux … être auprès de toi…

Aah … ma tête … est en train de fondre …petit à petit.

—   Je veux … retourner …auprès … de toi …

 

Il ne pouvait pas garder les yeux ouverts. Mais s’il les fermait, il pensait que les mots cesseraient.

 

—   Maria …  patiente … peut-être que …nos âmes se …retrouveront dans l’au-delà … quand bien même … je ne serai… plus exclusivement tien… ne m’oublie pas… n’oublie pas le premier amour que je suis… Moi non plus…je ne t’oublierai pas…Maria…même si la mort nous sépare un temps…

Violet, a-t-elle tout écrit ?

Ah … c’est mauvais … mes yeux ne …s’ouvriront …plus. Violet … Je … je vous confie … mes… sentiments … mer … ci … de …m’avoir sauvé … et … d’être venue. Je ne suis pas seul. Je ne suis pas seul.

 

—   Je suis là. Je suis juste là. Je suis à vos côtés.

—   S’il vous plaît … s’il vous plaît …prenez ma main …

—   J’ai saisi votre main.

—   Ah … vous aviez… raison. C’est vrai …. qu’il fait… froid. J’ai froid. J’ai froid…

—   Je vous caresse la main un peu. Ne vous inquiétez pas, il fera froid seulement un petit moment. Bientôt, vous vous trouverez dans un endroit chaud.

—   Je suis seul…

—   Tout va bien. Tout va bien.

La voix de Violet semblait un peu peinée. Aiden perdit progressivement la raison. Il ne savait plus où il était et pourquoi ses pensées étaient troubles.

 

—   Papa…

Hey … J’ai peur …Maman, je ne sais pas pourquoi, mais… je ne vois rien … Ça fait peur …

—   Maman…

J’ai peur. C’est effrayant, effrayant, effrayant.

—   Tout va bien ! répondit Violet

Comme quelqu’un le rassura avec douceur, Aiden se calma et sourit légèrement. En fin de compte, malgré la difficulté qu’il avait à faire des phrases, ses derniers mots furent, « Mari…a…embrasse…moi… »

J’ai toujours voulu … t’embrasser. Mais … J’étais toujours trop embarrassé pour le faire … alors je voulais savoir si tu étais d’accord pour prendre l’initiative.

Peu de temps après avoir pensé ça, il entendit le son d’un contact de lèvres.

Aah, je pars tout de même de ce monde avec mon premier baiser…celle de la fille que je l’aime… … Maria, merci du fond du cœur. J’espère que l’on se reverra.

—   Bonne nuit, Monsieur 

 

Ces mots eurent un lointain écho dans ses oreilles. Il n’était plus trop sûr de qui les avait prononcés, mais dans un dernier élan, il répondit.

 

—    Mer…ci …

 

Violet étreint les lettres du jeune homme désormais mort avec les yeux alors en pleurs et les emballa soigneusement dans son sac. Debout fermement, elle répondit au dispositif de communication.

 

—   Je vais partir de la zone à risque. Transmettez les coordonnées du rendez-vous prévu à l’unité de transport. J’ai aussi une requête personnelle. Permettez-moi d’emmener avec moi un cadavre. Ce sera à mes frais.

 

Pas une seule larme ne coulait de son visage.

 

—   Eh bien, je comprends que cela soit un poids, mais il ne peut pas en être autrement… j’entends bien. Je ne fais pas toujours ce genre de chose en effet, mais je vous en prie… Oui…merci beaucoup.

 

Elle parlait de façon désintéressée comme une fonctionnaire, mais elle portait le corps d’Aiden Field une fois de plus en le tenant cette fois avec plus de légèreté que la première fois, et sans être gênée par les taches de sang qui tombaient sur sa robe blanche.

 

—    Monsieur, je vais vous ramener chez vous.  

 

Elle s’adressa au garçon inerte qui avait certes les yeux fermés, mais le sourire aux lèvres.

 

—    Je vais tout faire pour vous ramener à la maison.

 

Dans son visage inexpressif, seules ses lèvres rouges tremblaient légèrement.

 

—   Ainsi… vous ne serez plus seul.

Le jeune homme dans les bras, elle quitta la maison en silence. Dans la forêt, des coups de feu et des cris pouvaient encore être entendus, mais Violet ne tourna pas le dos.


L’activité des compagnies postales ainsi que de celle des Poupées épistolières était liée. Leur étroite collaboration faisait que les lettres qu’elles écrivaient étaient livrées par des postiers. Ce fut ici un cas particulier, car la demande de livraison des lettres provenait d’un pays lointain en proie à la guerre. C’est pourquoi dans ce genre de situation, la Poupée épistolière s’occupait elle-même de les faire arriver à bon port.

C’était une belle zone agricole entourée de champs de riz dorés. C’était une petite ville splendide où il faisait bon vivre qui correspondait parfaitement à ce qu’avait décrit le jeune homme. Elle comprit ainsi que son ardent désir de faire sa vie ici  n’était pas surfait. Bien qu’elle fut une étrangère, à chaque fois que Violet jetait un œil en dehors de la charrette, elle trouvait des passants la saluer. Bien que l’ambiance fût chaleureuse, elle était pourtant annonciatrice d’une nouvelle bien triste. Elle était en direction de l’endroit où était né Aiden Field. Violet arriva et raconta la situation aux parents âgés de la victime qui avaient bien voulu lui ouvrir la porte. Elle leur remit les lettres ainsi que le corps. Elle les informa ensuite de ses derniers instants, sans omettre aucun détail. Maria, la jeune fille qui apparaissait dans les souvenirs du jeune Aiden était présente. Ils écoutèrent Violet sans dire un mot tout en versant des larmes. L’image et la vision du jeune homme laissèrent ainsi une marque indélébile dans leur cœur à tout jamais.

La jeune fille avait le visage tout rouge et fut dépitée après avoir lu la lettre d’Aiden.

—   Pourquoi lui ? Pourquoi devait-il mourir ? Demanda Maria en pleurs, tirant le bras de Violet alors qu’elle était sur le point de partir.

La Poupée resta silencieuse, et ne put répondre à ses questions. Bien qu’elle fût normalement inexpressive et qu’elle était du genre à dire franchement les choses, elle ne trouva pas les mots.

—   Je vous remercie.

Violet ne s’attendait pas à entendre un remerciement.

—   Nous n’oublierons jamais votre gentillesse, précisa la mère alors qu’elle la serra dans les bras.

Comme Violet n’avait pas l’habitude des étreintes, son corps se contracta et bougea bizarrement.

—   Merci …d’avoir ramené notre fils.

 

Violet fut stupéfaite de tant de chaleur chez les parents d’Aiden.

 

—   Je vous remercie du fond du cœur,  ajouta la mère d’Aiden en pleurs, témoignant sa gratitude.

 

Violet fut très embarrassée et ne put répliquer qu’avec un faible « Non … Non … »

Un flot de larmes s’écoula doucement depuis les orbes bleus de la poupée.

—   Non, c’était le moins que je puisse faire.

 Seule une goutte de larme réussit à atteindre  ses joues blanches.

—    Je suis désolée … de ne pas être arrivée à temps pour le sauver.

 Ce n’était pas les mots d’une Poupée épistolière, mais d’une jeune fille

—    Je suis désolée de l’avoir laissé mourir.

Personne ne lui fit de reproches. Pas même Maria, qui se lamentait avec ses  « Pourquoi», ne rejeta pas la faute sur elle. Tout le monde se prit seulement dans les bras à tour de rôle et restait digne.

—   Je suis désolée

Violet continua à présenter ses excuses à plusieurs reprises avec une petite voix.

—   Je suis désolée de l’avoir laissé mourir.

 

—   Merci pour tout, répliquèrent encore une fois les proches d’Aiden Field.

Personne ne te reproche quoi que ce soit, Violet Evergarden.

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