CLASSROOM Y2 V9 Chapitre 5


L’approche de l’examen spécial

—————————————-
Traduction : Nova
Correction : Raitei
———————————————–

Quelques jours s’écoulèrent depuis la fin du problème Ichinose avec le Conseil. Les 1ère étudiaient d’arrache-pied pour l’examen spécial à venir. Cette fois-ci, les élèves ayant des capacités académiques plus faibles devaient mettre les bouchées doubles, ce qui leur changeait un peu des derniers examens spéciaux. Si beaucoup d’élèves vont à la cafétéria, beaucoup mangent juste des plats à emporter ou simplement des paniers fait-maison. Et sur leur pupitre, un mélange indigeste de tablettes, livres, cahiers et autres. 

Ugh… J’ai besoin d’une bonne nuit de sommeil…

— Je veux m’amuser, m’amuser, m’amuser…

— Le couloir est trop bruyant non ? Ça me déconcentre. Quelqu’un peut leur demander de se taire ?

Des envies diverses emplissaient la salle de classe, et de plus en plus de personnes se mettaient à verbaliser leurs pensées. Mais surtout, de nombreux élèves semblaient manquer de sommeil. Sonoda semblait en faire partie.

Sonoda — Je veux dormir…

Elle se prit la tête dans les mains et la secoua, essayant désespérément de faire disparaître la somnolence.

Wang — Essayons encore un peu. Nous ferons une bonne pause ensuite !!

Mii-chan, qui faisait réviser Sonoda, l’encouragea. Certains élèves avaient vraiment fait des progrès surprenants.

Ike — Satsuki, tu as déjà fini ?

Shinohara — Je suis soudainement motivée et je surfe sur la vague. Je suis de bonne humeur.

Un couple, Ike et Shinohara, étudiait ensemble sur des chaises. Shinohara semblait avoir une réaction qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant.

Ike— Tu as participé à pas mal de groupes d’étude ces derniers jours.

Shinohara  — C’est dur, j’ai l’impression de payer pour tout le temps que j’ai passé à me relâcher… Ah, j’ai soif !

Shinohara bâilla, mais sembla positive.

Shinohara — J’ai l’impression de m’améliorer petit à petit.

Ike — Oh, je n’y arrive toujours pas…

Shinohara — T’inquiète, on forme une équipe !

Ike— T’es super impressionnante ! C’est ma copine, ça !!

Lorsque Ike dit la chose en essayant de la serrer dans les bras, le manuel de Shinohara lui tomba sur la tête.

Shinohara — On verra plus tard, quand tu auras fini.

Ike — Ugh…

Shinohara — Allez, ou on va passer 10 ans sur ce problème débile ! Concentre-toi !

Hirata — Shinohara-san, tu as l’air super motivée !

Yôsuke, qui observait la situation non loin de là, l’interpela.

Shinohara — L’examen spécial de cette fois est l’occasion d’utiliser les élèves de la classe qui n’ont été que des fardeaux. Nous devons apporter notre contribution à la classe, au moins un peu. Et puis, je ne veux pas être renvoyée…

En réalité, les élèves qui ne s’améliorent pas jouent leur place dans la classe. Nous l’avons compris il n’y a pas si longtemps, avec Sakura.  

Hirata — Tu as l’air de travailler dur toi aussi, Ike. Mais attention à ne pas trop en faire. Cela ne servira à rien si tu t’effondres avant l’examen.

Ike — Oh.

Yôsuke complimenta Ike et lui conseilla d’être prudent. Naturellement, ceux qui ne sont pas motivés pour étudier ne veulent pas perdre leur temps à le faire, mais faire des efforts est important et ce, peu importe les motivations. Après tout, Sudou avait bien été motivé par Horikita tout ce temps.  Jusqu’à présent, il était difficile pour de nombreux élèves de faire cet effort, mais maintenant que la classe était unie, cela devenait de plus en plus une réalité.

Hirata — Mais quand même… les couloirs sont particulièrement bruyants aujourd’hui.

Pendant que tout le monde voulait se concentrer, il y avait beaucoup de gens qui passaient dans les couloirs, ou bien des conversations constantes et des bruits d’élèves qui courraient. Au moment où ils essayaient de se concentrer, ce tapage sonnait comme un invité indésirable.

Moi — Je vais voir, si ça vous préoccupe autant.

Même si je ne pouvais pas arrêter la perturbation, je pouvais au moins en trouver la cause. Le fait d’au moins savoir ce qui se passait allait peut-être calmer tout le monde

Hirata — Si tu peux faire ça pour moi, ce serait super !

Si possible, je pouvais leur demander de faire moins de bruit.

1

Lorsque je sortis dans le couloir, les élèves de la classe d’Ichinose passèrent en courant, paniqués. Certains élèves de la classe de Ryuuen allaient dans la même direction. Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir l’origine de l’agitation car une foule s’était rassemblée devant une classe. Ishizaki et Albert se frayaient un chemin dans la foule, criant à Ichinose de sortir parce que Ryuuen était là. Mais Shibata, déjà engagé dans le couloir, les en empêcha.

Shibata — Pourquoi vous débarquez comme ça ? On est occupés.

Ryuuen — Ah ? Je savais pas. Allez, grouillez-vous de la faire sortir !

Ryuuen se tenait derrière eux, un sourire suffisant sur le visage, donnant des ordres à Ishizaki. Cependant, il n’était pas judicieux de faire un chahut à la vue de tous, dont des caméras, en pleine pause déjeuner et dans un couloir bondé. Se pouvait-il que ceux qui ont senti les actions de Ryuuen cachaient Ichinose dans la salle de classe ? La situation, qui semblait figée depuis un moment, changea rapidement. La porte de la classe s’ouvrit et Ichinose apparue, accompagnée de plusieurs filles semblant lui conseiller d’arrêter. De plus, des élèves importants comme Kanzaki et Hamaguchi apparurent également

Ryuuen — Eh bien, eh bien, eh bien. Enfin sortie de ton trou la cruche en costume de chef. Tu aurais donc quitté le Conseil !

Ryuuen était fidèle à lui-même. L’annonce de la restructuration du Conseil venait d’être publiée ce jour-là. La démission d’Ichinose n’était donc pas une surprise en soi. La raison de sa démission était ostensiblement de se concentrer sur ses études, mais que cela soit vrai ou faux ne regardait pas Ryuuen : il était simplement venu la secouer au plus vite, pensant pouvoir utiliser cette situation comme une faiblesse. Agir publiquement était donc volontaire, afin d’attirer le plus d’attention possible. Et cela a marché : de nombreux élèves d’autres classes entendirent l’agitation et se déplacèrent.  Je vis Hashimoto, de la classe A, qui m’avait regardé dans les yeux avant de se fondre rapidement dans la foule des autres élèves.

Ishizaki — Il y en a du bruit !!

Ishizaki commenta l’agitation dont sa classe était responsable.

Ryuuen — Normal. Tu t’étais immiscée très vite dans le Conseil pour bien sucer et avoir de bonnes notes. Il est tout à fait naturel que la foule veuille des détails sur la difficulté de faire cet exercice trop longtemps.

Ishizaki — Uh-huh.

Répondit Ishizaki, écartant légèrement les bras en réponse à ce que venait de dire Ryuuen.

Ichinose — Il s’agit simplement de se concentrer sur les cours.

Ichinose, semblant un peu troublée, expliqua à nouveau la raison de sa démission. Cependant, Ryuuen ne se souciait pas vraiment de ses explications

Ryuuen — T’as été virée, non ? Ou alors on t’a fait comprendre qu’une bonne à rien comme toi ne pouvait plus y siéger ?

Ichinose — Si c’est ainsi que tu vois les choses, alors soit.

Ichinose, réalisant qu’il était inutile de répondre sérieusement, changea de ton.

Ryuuen — Kukuku. Ou peut-être que tes petites carabistouilles te rattrapent ? Ce serait drôle d’avoir un président qui « péta des trucs » à l’épicerie, mais bon… Ce ne serait pas bien vu !

La pression verbale de Ryuuen, qui avait depuis le début l’intention de lui rentrer dedans, s’intensifia. Si la mention du vol a pu susciter quelques réactions, Ichinose ne semblait pas plus perturbée que cela. Ces paroles lui glissaient totalement dessus.

Ichinose — Je ne sais pas quoi dire, mais ce n’est pas bien de causer des problèmes aux autres.

Ryuuen — Pourtant, beaucoup de gens veulent savoir, tu ne crois pas ? La vérité sur la raison pour laquelle tu as quitté le Conseil.

Ne voulant pas rester les bras croisés face à un camarade de classe, Kanzaki s’interposa entre les deux.

Kanzaki — Arrête, Ryuuen. La raison du retrait d’Ichinose du Conseil a été annoncée par ce dernier.

Ryuuen — Je me fiche de la raison apparente. Tu dois déjà avoir beaucoup de choses en tête depuis que tu es partie ! Si tu perds contre moi au prochain examen spécial, tu vas tomber d’une falaise.

C’était une déclaration typique de Ryuuen, qui était persuadé qu’il ne perdrait pas contre Ichinose. La classe de cette dernière, en déclin, n’aurait ainsi aucune chance de se hisser au sommet car l’écart avec la classe A pouvait être doublé, ce qui les rendait plus désespérés que jamais. Les camarades de classe d’Ichinose allaient vite s’en rendre compte.

Ryuuen — C’est trop compliqué de s’occuper de chaque examen, alors nous suggérons que votre classe déclare forfait !

Ichinose — Nous n’allons pas abandonner la classe A. Et nous bossons à fond pour ne pas perdre aussi cet examen spécial, ne t’inquiète pas.

Ryuuen — Travailler dur ? C’est vrai que c’est tout ce qui vous reste, donc oui, vous avez vos chances avec vos manuels.

Il était impossible que la classe d’Ichinose abandonne à cause de cette altercation. L’objectif était probablement de les secouer un peu. Selon Kanzaki et les autres, de nombreux sabotages contre eux avaient déjà eu lieu. Ichinose resta silencieuse depuis l’apparition de Kanzaki. On aurait dit qu’il n’avait rien à dire, mais son expression ne montrait aucun signe de morosité.

Kanzaki — Ryuuen-kun… tu n’en as pas eu assez ?

Voyant son attitude inchangée, Ichinose sourit à Kanzaki, se détendant.

Ichinose — Tu peux dire ce que tu veux, mais je ne veux pas que tu gênes les personnes qui révisent à fond. Et pense aux élèves qui vont manger en ce moment.

Elle avertit Ryuuen et les autres qui bloquaient le couloir. La question de savoir s’il fallait considérer cette situation comme du bluff ou non était délicate, mais Ryuuen décida qu’elle avait été suffisamment efficace pour accroître l’intérêt et la suspicion de son entourage quant à son départ du Conseil. Les coins de sa bouche se retroussèrent légèrement.

Ryuuen — Je commence à avoir faim moi aussi.

Cela n’avait duré que quelques minutes, mais il est étonnant de voir à quel point la simple apparition de Ryuuen pouvait provoquer une agitation. Sa réputation n’était décidément plus à démontrer auprès des première. Lorsque Ryuuen et les autres partirent, les deux tiers des élèves qui s’étaient rassemblés se dispersèrent d’un seul coup.

Hashimoto n’était plus là, et la pause déjeuner habituelle se poursuivit dans le calme. La classe allait maintenant pouvoir manger et réviser dans une atmosphère plus détendue.

Ichinose — Oh. Ayanokôji-kun !

Ichinose, qui me remarqua après que les gens se soient dispersés, s’approcha en souriant.

Ichinose — Je suis désolée. C’était ma faute, n’est-ce pas ?

Moi —Non, juste Ryuuen qui abuse. Comme d’habitude. Tu vas bien ?

Ichinose — Je vais bien. Cela fait nos affaires.

Moi — Cette provocation flagrante ?

Ichinose — Ryuuen-kun continuera à nous saboter jusqu’à ce que l’examen spécial commence. C’est parce que les avantages l’emportent sur les inconvénients pour nous.

Elle ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’il interfère avec leurs études. En fait, elle semblait vouloir que sa classe les interrompe.

Kanzaki — Ichinose, je crois qu’il est temps…

Tout en gardant un œil sur la situation, Kanzaki prit la parole d’un air réticent, disant qu’ils n’avaient pas le temps pour une longue conversation. Ils étaient probablement aussi en train de discuter et d’étudier pour l’examen spécial.

Ichinose — À plus tard, Ayanokôji-kun.

En disant cela, Ichinose retourna dans la salle de classe normalement, sans aucun signe d’agitation.

Moi  — À plus tard ?

Je n’avais pas tout compris… Enfin, la première chose à faire était de retourner dans la classe et d’expliquer la situation à Horikita.

2

Après avoir été témoin de l’agitation, Hashimoto traversa rapidement le couloir pour se rendre à la cafétéria. Il entra en contact avec un groupe de trois personnes déjà assises et en train de déjeuner.

Hashimoto — Hé, tu es sûre qu’on n’a rien à faire cette fois-ci ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de procéder comme ça.

Sakayanagi — Tu sembles très préoccupé par eux, Hashimoto-kun.

Posant les baguettes dans sa main, Sakayanagi regarda Hashimoto.

Hashimoto — Même s’ils étaient auparavant en D, ils sont maintenant en classe B. Et l’écart entre nous n’est pas si grand que nous puissions nous la couler douce. Si nous perdons cette fois-ci, l’écart sera inférieur à 200 points. Un grand examen spécial pourrait tout faire basculer.

Sakayanagi ne semblait pas du tout perturbée, mais il en était autrement pour Kamuro, assise en face d’elle. L’idée de Hashimoto était plus facile à comprendre et à accepter.

Sakayanagi — Y a-t-il un lien entre ce que tu me dis et ce que tu as vu juste tout à l’heure ?

Hashimoto — Ryuuen fait continuellement de nouveaux mouvements pour asseoir sa domination sur la classe d’Ichinose.

Sakayanagi — De nouveaux mouvements ? Je ne crois pas. C’est la même chose, avec un emballage différent.

Hashimoto —  Tout de même. Je dois dire que je suis admiratif.

Hashimoto exprima ses véritables sentiments, y compris ses critiques à l’égard de Sakayanagi. Cependant, elle ne sembla pas gênée par les véritables pensées de Hashimoto et répondit avec un sourire.

Sakayanagi — Dans un examen spécial comme celui-ci, notre champ d’action est limité.  Il n’y a pas grand-chose à faire, si ce n’est s’asseoir à son bureau, regarder son manuel et se retrouver avec soi-même.

Hashimoto  — Je le sais, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres options qui s’offrent à vous.

Sakayanagi — Notre classe est pleine à craquer d’élèves qui n’ont pas peur d’étudier, qui travaillent de leur propre initiative et ayant un esprit d’équipe. Je n’ai pas besoin de leur dire ce qu’ils doivent faire, non ? Parfois, « less is more[1] », comme on dit.

Hashimoto se mordit légèrement la lèvre, ce qui trahissait son point de vue.

Sakayanagi — Tu sembles juger nos actions insuffisantes. Alors, veux-tu être comme Ryuuen-kun, faire de la surveillance 24h/24 et 7j/7, du sabotage et de la mise en pression constante ? Pas sûre que ce soit efficace.

Hashimoto poussa un imperceptible soupir et répondit à Sakayanagi.

Hashimoto — En effet, ce n’est pas forcément efficace. Et si l’on considère qu’il s’agit d’une copie de l’arme de Ryuuen, la probabilité que tu l’adoptes est faible… Mais n’est-ce pas beaucoup mieux que de ne rien faire ? C’est embêtant d’être interrompu dans nos études, vu que cela demande de la concentration.

Hashimoto appuya cette action comme s’il s’agissait d’une façon d’imiter la stratégie de Ryuuen.

Kamuro — Mais si Ichinose et les autres sont dérangés par les interruptions, ne resteront-ils pas tout simplement dans leurs dortoirs ? Pourquoi étudier ailleurs ?

Demanda-t-elle avec curiosité, en déchirant un morceau de pain.

Hashimoto — Personnellement, je trouve qu’étudier à l’extérieur est plus facile car moins de distractions.

Sakayanagi — En effet, étudier n’est pas toujours synonyme d’enfermement. En particulier pour ceux qui n’ont pas l’habitude de le faire régulièrement, étudier dans un endroit où les gens peuvent vous aider peut faciliter l’apprentissage.

Kamuro — C’est pourquoi Ichinose et d’autres persistent.

Kamuro acquiesça en tartinant un bout de pain de confiture avant de l’engloutir.

Sakayanagi — Mais tu as oublié l’essentiel, Hashimoto-kun.

Hashimoto — L’essentiel ?

Sakayanagi — Il faut beaucoup de main-d’œuvre pour du sabotage. De plus, le faire à la vue de tous ne donne pas une bonne impression.

Hashimoto —…C’est…

Kamuro — Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce comportement est loin d’être celui des champions de la classe A.

Sakayanagi — De plus, le temps qu’ils passent à faire ça, c’est du temps qu’ils passent en moins à réviser. Et je doute que ça aura autant d’impact que ça sur les notes des autres. Une idée intéressante aurait pu être d’embaucher des seconde ou des terminale pour ce travail, mais rien n’est gratuit. Et comme on dit : « on est jamais mieux servi que par soi-même », impliquant donc au moins d’avoir quelques personnes pour superviser. Bref, ils ne sont pas gagnants globalement.

Hashimoto, resté dans le déni, continua à réfléchir à ce qu’il pouvait faire, en évitant de penser à abandonner.

Hashimoto — Alors il n’y a pas de problème si j’opère seul ?

Sakayanagi — Je ne le recommande pas. Sa façon de faire est une stratégie qui correspond très bien à l’expression « mettre la charrue avant les bœufs ».

En clair, il se donnait du mal à saboter pour un résultat discutable.

Sakayanagi — De plus, que cela concerne une ou dix personnes… Si  tu te fais attraper pour harcèlement, ce sera la dignité de l’entièreté de la classe A qui en prendra un coup. Tu ne crois pas ?

Même si Hashimoto prétendait avoir agi seul, combien de personnes le croiraient ? S’il frappait vraiment avec une stratégie efficace, les gens penseraient sûrement à l’implication de Sakayanagi.

Hashimoto  — Alors, selon ta logique, ce que fait Ryuuen ne sert à rien, n’est-ce pas ?

Sakayanagi — Ce n’est pas tout à fait vrai. Même si c’est une stratégie inutile pour nous, la classe de Ryuuen-kun adopte la stratégie de l’obstruction. Cela leur est bénéfique dans la mesure où ce sont les élèves les moins motivés et les moins studieux des quatre classes de première. Même s’ils commençaient à étudier sérieusement maintenant, ils n’arriveraient pas à la cheville de la classe d’Ichinose-san. C’est pourquoi ils misent sur le sabotage au lieu de bosser.

Alors que Hashimoto continuait d’insister sur la nécessité de faire quelque chose, Sakayanagi proposait une explication théorique solide.

Hashimoto  — Nous pouvons donc déjà gagner, n’est-ce pas ?

Sakayanagi — Si tout se passe bien, nous gagnerons cet examen spécial. Cependant, d’après les règles, c’est notre adversaire qui a le dessus pour déterminer l’issue du combat. Il semble que la règle ait été établie pour que les classes inférieures puissent également se battre contre les classes supérieures, mais contrairement à nous, la classe supérieure, les classes inférieures obtiennent plus de points. Nous ne pouvons pas garantir que nous serons en mesure de concourir dans ce format.

Même si la classe de Sakayanagi obtenait une note parfaite, elle ne pourrait pas égaler la note parfaite de la classe de Horikita en raison des règles.

Sakayanagi — La défaite n’est pas un problème non plus, bien qu’elle soit peu probable. Si la classe de Horikita-san obtient un score supérieur au nôtre et gagne, ce sera l’occasion de collecter des informations.

Kamuro — …Collecte d’informations ?

Sakayanagi— Parmi les élèves de faible niveau, il peut y en avoir qui ont du potentiel. Si nous pouvons le déterminer, nous pourrons améliorer la précision de nos priorités et donc savoir qui doit être éliminé. En ce sens, la stratégie de Ryuuen-kun reste stupide car elle brouille les pistes.

Les résultats de l’examen spécial devaient être annoncés en détail à la classe opposée. Si un élève avait des résultats remarquables, il était inévitable qu’il ne passe pas inaperçu.

Kitô — Tu n’as toujours pas l’air content.

Kitô, qui était resté silencieux jusqu’à présent, lança une remarque ferme à l’encontre de Hashimoto.

Hashimoto — Non, je comprends… Cependant… je me méfie de la classe B. Ce n’est pas une mauvaise chose de penser qu’ils pourraient nous rattraper si nous ne sommes pas prudents, n’est-ce pas ?

Hashimoto ne dit rien d’autre, mais le premier problème en tête était sans aucun doute Ayanokôji Kiyotaka. Ils ne pouvaient pas non plus ignorer des adversaires tels que Kôenji, dont le potentiel était de premier ordre.

Hashimoto  — Perdre cet examen est une chose. Mais la fluctuation de points qui risquerait d’en résulter pourrait être un autre problème. Alors nous devons être sûrs de ne pas le perdre, n’est-ce pas ?

Sakayanagi — L’examen de fin d’année exige une certaine stratégie. Je ne peux pas perdre à moins qu’il y ait une condition spéciale comme celle-ci qui donne l’avantage à une certaine classe. Ryuuen-kun réagirait sûrement comme moi, dans ma position.

Personne ne s’y voyait, mais à la fin de cette année, l’un des leaders allait être battu. Et cela allait avoir un impact sur la stratégie de la classe A.

Hashimoto  — Je suis désolé, j’ai un peu dépassé les bornes. Je vais aller me rafraîchir.

Hashimoto s’excusa auprès de Sakayanagi et partit. Il enleva  ensuite sa veste, mit ses chaussures et sortit par la porte d’entrée en direction du dortoir. Un élève s’approcha de Hashimoto. Aucun d’eux n’appela l’autre, et ils commencèrent à marcher côte à côte.

— Il semble que tu aies eu beaucoup de mal.

L’homme qui répondit d’un ton amusé comprenait la situation car il avait observé la cafétéria à travers la vitre.

Hashimoto — Je suis réaliste, mais j’aime aussi rêver.

— C’est très contradictoire, non ?

Hashimoto — Un réaliste est pragmatique. Si on réfléchit logiquement, on ne pense pas que Sakayanagi puisse se faire avoir par Ryuuen. Nous sommes censés être au-dessus de ses ruses et la domination de la classe A ne saurait être remise en cause.

— Oui, c’est probablement ce que la plupart des gens pensent.

Hashimoto — Cependant, dans le monde des mangas, des romans et des dramas, les choses ne se passeraient pas ainsi, n’est-ce pas ?

  • Tu veux dire que Sakayanagi va perdre ?

Hashimoto — Il n’est pas réaliste que la classe A, qui est en tête, continue à gagner. Cela ne ferait pas une bonne histoire. Il serait plus intéressant de les mettre toutes au même niveau lors de l’examen de fin d’année. Ensuite, la dernière année consisterait en un match à trois batailles entre les classes de Ryuuen, Horikita et Sakayanagi. Le gagnant sera le vainqueur de ce combat d’anthologie !

Pour les élèves de la classe A, un tel fantasme était tout à fait inacceptable.

— Je vois, tu es en effet un grand rêveur.

Hashimoto  — Nous devons être prêts à affronter Horikita ou Ryuuen.

— C’est une idée très Hashimoto-esque !

Heureusement, Hashimoto était conscient de son entourage.

Hashimoto — Cependant, je dois faire attention de toute part. Je ne peux pas te faire confiance gratuitement non plus, n’est-ce pas ? Kaneda.

Kaneda sourit ironiquement et posa un doigt sur le bord de ses lunettes à l’appel de son nom.

Hashimoto — Il est tout à fait naturel de te soupçonner d’être la marionnette de Ryuuen. Tu l’as été et tu continueras à l’être. Que j’aie raison ou tort importe peu.

Kaneda — Je travaille pour moi et tu travailles pour toi. C’est la meilleure des relations.

Kaneda montra à Hashimoto les mots qu’il avait tapés sur son téléphone portable, et lorsque Hashimoto hocha la tête, il effaça tout. Kaneda cessa d’avancer et s’éloigna naturellement de Hashimoto.

Hashimoto — Je me demande si je dois suivre la classe de Sakayanagi, Ryuuen ou Horikita. Il est temps de prendre une décision.

En attendant la fin de l’année scolaire et l’année d’après, Hashimoto continuait à réfléchir à ce qu’il pouvait faire pour lui-même.

Après les cours, la même journée, Horikita m’invita comme d’habitude à un groupe d’étude, mais je décidai de refuser. De plus, Kei m’avait fixé toute la journée sans me parler. J’avais ainsi pas mal de temps libre pour penser à d’autres problèmes…

Tout d’abord, beaucoup d’élèves parlaient de vol à l’étalage. Pourquoi Kiryûin Fûka avait-elle failli être accusée de vol ? Certes, elle n’avait pas beaucoup d’ami que ce soit parmi ses camarades mais également parmi tous les terminale en général. Cependant, l’incriminer était tout de même osé.  Si Kiryûin avait été reconnue comme un obstacle à l’ascension en classe A en 2nde, cela aurait pu se comprendre… Mais maintenant que tout était joué, quel était l’intérêt de prendre un tel risque ? Le scénario le plus probable était que Nagumo harcèle les participants en leur donnant des instructions indirectes.

Nagumo, qui avait envie d’une compétition acharnée, essayait d’harceler Kiryûin pour qu’elle le prenne au sérieux. Cependant, à en juger par la façon dont il l’avait repoussée lors de la réunion de l’autre jour, nous ne pouvions pas en être absolument sûrs. C’était peut-être le bon moment pour révéler ses intentions et défier Kiryûin.

C’est pourquoi Kiryûin n’était pas sûre de sa décision exacte. Plusieurs options s’offraient à moi dans le cadre de mon enquête. L’une d’entre elles consistait à confronter Nagumo, le principal candidat à propos de cette affaire. Une autre, à parler à Yamanaka, la personne qui avait tenté de placer les articles dans le sac de Kiryûin. La dernière consistait à rechercher des informations auprès d’un tiers de confiance afin de mieux comprendre la situation des terminale.

Je n’ai pas trop interagi avec les terminale. Les seules personnes dont j’avais les coordonnées étaient d’anciens membres du Conseil comme Nagumo et Kiriyama. Je n’avais donc pas eu d’autre choix que de me rendre sur place pour obtenir des informations. Bien sûr, je n’avais pas l’intention de perdre mon temps, j’avais mes propres raisons de faire ce job. Il me fallait une personne qui semblait avoir les informations les plus utiles pour moi en ce moment, et qui n’était pas susceptible d’avoir un lien avec les gens impliqués dans l’affaire avec Kiryûin…

Je tombai sur des terminale en train de réviser, et essayai de recueillir des informations.  D’après ce que je savais déjà, la personne que je cherchais s’était rendue au gymnase. Je m’y rendis donc sans perdre un instant. Cependant, je ne vis personne en chemin, et les activités de club semblaient avoir déjà commencé… Je pouvais d’ailleurs voir Sudou s’échauffer soigneusement tout en criant plus fort que les autres.

Moi — Personne ici…

Comme les membres du club commençaient à se rassembler les uns après les autres dans le gymnase, je décidai de partir pour ne pas les déranger. Je demandai à certains élèves passant par là, mais je ne pus avoir aucune réponse probante. Pourtant, à l’entrée, je vis toujours les chaussures de cette personne ce qui signifiait qu’elle était encore dans le secteur. Il était presque 17h et il ne restait plus beaucoup d’élèves à l’intérieur, à l’exception des membres d’un club.

Au risque de me faire remarquer, je décidai de me rendre dans la zone où se trouvaient les classes de terminale. Je jetai un œil dans les quatre salles de classe, mais rien. Il aurait peut-être été plus sage d’attendre près de l’entrée. À ce moment-là, j’entendis que la personne que je cherchais s’était rendue en salle des professeurs. Et bingo, elle y était effectivement. Je la vis parler avec un enseignant depuis le couloir. Comme les professeurs allaient et venaient souvent à cette heure-là après les cours, je décidai d’attendre relativement loin pour qu’ils ne me remarquent pas. Au bout d’une dizaine de minutes, la personne que j’attendais sortit enfin de la salle.

J’avais toujours pensé qu’il s’agissait d’une personne joyeuse, mais aujourd’hui, son expression était plutôt sombre et elle marchait avec un air abattu. Elle traversa le couloir sans remarquer ma présence alors que je surveillais la salle des profs. Après quelques hésitations, je décidai de suivre la personne en question et de l’interpeller vers l’entrée. Sauf qu’elle ne semblait pas vouloir sortir du lycée, mais plutôt monter vers le toit. Avait-elle un rendez-vous ?

Alors que je pensais cela, la personne s’arrêta et j’entendis un faible sanglot. Elle semblait vouloir non pas rencontrer mais éviter les gens. Le bâtiment de l’école était étrangement silencieux. Le bruit des pleurs était perceptible, même si elle tentait de les retenir. Si quelqu’un qui ne savait pas ce qui se passait venait ici, il aurait pu penser que je l’avais fait pleurer.

J’aurais pu m’éloigner sans me faire remarquer, mais je devais m’occuper de mes propres affaires.

Moi — Umm.

Je tentais une approche naturelle, mais dans tous les cas elle ne devait pas s’attendre à voir quelqu’un. Son inquiétude excessive était visible.

Asahina — Huh !? E-eh, Ayanokôji-kun !?

Moi — Je suis désolé de te surprendre comme ça…

Asahina — Désolé, désolé. Attends, attends une minute !

Moi — Inutile de t’excuser…

La personne en question était encore surprise, mais elle se cacha le visage trop tard et essuya à la hâte les larmes qui coulaient sur ses joues.

Moi —Je reviendrai plus tard si le moment est mal choisi, mais…

Asahina — C’est bon, c’est bon. Tout va bien !

Elle tira sur ma manche pour m’empêcher de partir. Je ne m’attendais pas à une telle réaction. Peut-être avait-elle instinctivement senti le risque que je parte et que je dise aux autres qu’elle pleurait. C’est pourquoi elle tentait de me retenir ici.

Nous attendîmes en silence quelques minutes, jusqu’à ce qu’elle se calme.

Asahina —…Oui. Je vais bien maintenant.

Asahina répondit en toussant une fois et en marmonnant timidement.

Asahina — Je suis désolée.

Moi — Encore une fois, ne t’excuse pas. C’est un peu ma faute aussi… 

Asahina — Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je t’ai montré un visage un peu pathétique, quoi.

Je ne cherchais pas à savoir pourquoi elle avait pleuré car je ne voulais pas m’étendre sur un sujet annexe. Cependant, Asahina avait peut-être besoin d’en parler puisqu’elle le fit instantanément. 

Asahina — Ce matin, Succhii[2] …Enfin Moeka, a quitté le campus. Suchi Moeka de la classe C.

Moi — En cette période de l’année ? Ce n’est pas une sanction pour un examen spécial, n’est-ce pas ? S’est-elle retirée volontairement ?

Il n’y avait rien de tel de prévu pour les terminale, à ma connaissance. Cependant, Asahina secoua la tête en guise de négation.

Asahina — Elle prétend avoir commis une infraction grave. Elle a dit qu’elle était punie pour son comportement perturbateur. Je voulais connaître les détails alors j’ai demandé à l’enseignante. Mais elle a insisté sur le fait qu’elle ne pouvait rien me communiquer. 

C’est donc pour cela qu’elle s’était rendue dans la salle des professeurs. Quant à Asahina, qui était en classe A, peu lui importait que quelqu’un de la classe C soit expulsée de l’école. Cependant, il était inutile de dire qu’elles étaient amies au-delà des limites de leurs classes, à en juger par la façon dont elle parlait.

Moi  — Et tu n’as pas pu lui parler ?

Asahina — Moeka s’est retirée hier, et lorsque j’ai été prévenue ce matin, elle n’était plus dans le dortoir. Je me suis renseignée depuis pour savoir si l’un des élèves de la classe C savait quelque chose, mais en fin de compte, je n’ai rien appris.

Soit personne ne connaissait la raison du départ de Suchi, soit quelqu’un la connaissait et la cachait. La génération de Horikita Manabu, la génération de Nagumo, la génération de Horikita Suzune, et les seconde comme Nanase et Amasawa… Je ne savais que peu de choses sur chacune des générations, mais il était évident que celle de Nagumo semblait être la plus susceptible d’avoir des gens quittant subitement l’établissement. Néanmoins, il était un peu inquiétant de voir des élèves abandonner pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec l’examen spécial. Le lycée ne donnait pas de détail, par confidentialité ou parce qu’il jugeait la violation réellement grave. 

Asahina — Je ne fais que supposer car je n’ai aucune idée de la règle enfreinte, mais j’ai l’impression de savoir pourquoi. Tous les élèves des classes B et inférieures réfléchissent constamment à des moyens d’arriver en A. Elle a dû faire quelque chose qu’elle n’aurait pas dû.

Moi — Asahina-senpai… Est-ce que Nagumo-senpai s’occupe de beaucoup de chose à l’échelle de votre année ? 

Si Nagumo reconnaissait leurs capacités, ils étaient en classe A. Sinon, ils étaient éliminés. Telle était la règle en terminale.

Asahina — Hein ?

Cependant, le visage confus d’Asahina laissait penser qu’il y avait autre chose.

Moi — Il y a donc un autre moyen pour les terminales d’être en classe A.

Asahina — …Je dirais plutôt que c’est une échappatoire. Quelle est ta relation avec Nagumo… Ayanokôji-kun ?

Moi  — C’est-à-dire ? Comme toujours, c’est mauvais.

Asahina — Alors, personne n’est au courant de ce que je vais dire…

Moi — Oh, je vois. Je n’en parlerai à personne.

Lorsque je dis cela pour la rassurer, elle fut soulagée et commença à parler de la situation. Elle ressentait probablement le besoin de se confier.   

Asahina — L’année dernière, quand Nagumo est devenu président, on a dit que la classe A était sûre de gagner, et qu’il n’y avait aucun espoir pour les classes B et inférieures de remonter. C’est pourquoi tout le monde avait été heureux quand Nagumo a promis de faire passer tous les autres en classe A s’ils en avaient les capacités.

Cependant, ce n’était pas une si bonne chose. Dans ce système, très peu d’élèves pouvaient changer de classe, même avec suffisamment de points. Au milieu de la conversation, Asahina expira et secoua légèrement son corps en même temps. Elle espérait obtenir son diplôme en même temps que Moeka en classe A. Ce rêve n’allait pas devenir réalité.

Moi  — Qu’a dit Nagumo-senpai à propos de l’abandon de Suchi ?

Asahina  — Rien. En fait, il pourrait même ne pas s’en soucier. Il y a eu une annonce du professeur, mais il est possible qu’il ne l’ait même pas remarquée.

Il ne prêtait donc pas attention au menu fretin qui s’en allait. Bon, je n’allais pas lui jeter la première pierre à ce niveau.

Asahina — Si cela ne te dérange pas, pouvons-nous changer d’endroit ? Il commence à faire froid.

Il semble que l’adrénaline soit retombée et qu’elle se remette à ressentir le froid. Contrairement aux salles de classe chauffées et à la salle des professeurs, le couloir était froid. La température commençait à baisser à l’approche du soir.

Comme j’avais beaucoup de questions à poser à Asahina, nous avions décidé d’aller dans un café du centre commercial Keyaki, même si c’était un peu loin.

4

Asahina, qui avait commandé du thé, tint la tasse chaude à deux mains et la porta délicieusement à sa bouche.

Moi — Donc, pour continuer… Tu dis que le mécontentement et l’opposition à Nagumo-senpai deviennent croissants, c’est ça ?

Asahina — Oui. Je ne sais pas exactement combien de personnes sont impliquées. En principe, de telles informations ne sont pas révélées à la classe A. Tu n’es pas au courant du contrat que Nagumo a passé avec les élèves de notre année, n’est-ce pas ?

Moi — Je me disais bien qu’il avait fait quelque chose pour lier tout le monde, mais je n’avais rien de concret.

Asahina — Alors commençons par cela.

Cela dit, Asahina avait pris le temps de regarder autour d’elle, pour s’assurer qu’il n’y avait personne dans les parages avant d’expliquer les détails. Pour la première fois, le contrat de Nagumo Miyabi avec de nombreux élèves de terminale fut révélé : le transfert de 75% des points privés gagnés chaque mois à Nagumo Miyabi personnellement, en échange de se conformer à ses consignes sans discussion.

Pour avoir le droit d’acquérir un billet de transfert, il fallait être reconnu par Nagumo et accumuler un certain nombre de points gagnés. Les fonds à transférer devaient être remis la veille de la finalisation de la classe. Si une personne désobéissait à Nagumo même après avoir gagné son billet, son droit était révoqué. Si toutes ces conditions étaient réunies, les élèves pouvaient concourir pour des billets d’une valeur de 20 millions de points. Ce n’était pas tout.

Asahina — Nagumo va également laisser des dizaines de millions de points en réserve afin que des élèves ayant signé le contrat soient tirés au sort à la fin.

Cela signifiait que même s’ils n’obtenaient pas de billet par le biais de ce contrat, ils avaient toujours une chance d’accéder à la classe A via une loterie. Le contrat que Nagumo avait passé avec les élèves des classes inférieures était sans danger parce que la classe A dirigé par Nagumo avait trop creusé l’écart. Comme il était impossible pour un individu d’accumuler 20 millions de points, les points privés étaient collectés auprès de nombreuses personnes afin de les convertir en billet de transfert. Les élèves de la classe B et des classes inférieures avaient quasiment 0% de chance d’obtenir leur diplôme en classe A, mais grâce à cette redistribution des richesses, leurs chances augmentaient, même si ce n’était que de quelques pour cent.

Le fait que certains comme Kiriyama, aient déjà gagné le droit de monter en classe A suggère que cela a un certain effet. Donner 75 % de ses points était conséquent… mais il était important de promettre un billet au plus grand nombre possible. En même temps, c’était un avantage pour Nagumo : en les empêchant de manipuler de grosses sommes d’argent, il les dissuadait de se rebeller.

Moi — Il a donc imposé cela aux autres classes.

Asahina — Oui. Seul Nagumo sait exactement combien d’élèves ont signé le contrat. Mais je pense que la majorité a accepté. Et nous, en classe A, lui avons aussi donné 50 % de nos points. Mais ce n’était pas sur la base d’un contrat.

Les élèves de la classe A, qui étaient sûrs de gagner, pouvaient utiliser librement la totalité de leurs points privés chaque mois. Il s’agissait d’un droit naturel, mais les élèves des classes inférieures pouvaient trouver ça injuste. Nagumo avait compris cet aspect de la situation, c’est pourquoi il avait dû s’adapter. Au cours de la troisième année, la classe A était quasi seule en tête, sans concurrence. Par conséquent, malgré la « taxe » de 50%, les élèves de la classe A restaient toujours mieux lotis. Nagumo, qui avait le pouvoir de décider à sa guise des résultats des examens spéciaux, était le roi qui contrôlait tout.

Asahina — Il se trouve que j’avais été placée dans la même classe B que Nagumo. Il a travaillé dur pour me faire passer en classe A et a créé l’environnement dans lequel je me trouve aujourd’hui. Je sais que je ne suis pas qualifiée pour dire cela, j’en ai profité pendant tout ce temps…

Elle semblait avoir peur de le dire, mais elle sortit ces mots lourds du fond de sa gorge.

Asahina — J’ai entendu dire que Moeka avait été contrainte de quitter lycée à cause de ce système, même si c’était de façon indirecte. Quand j’y ai pensé, je n’ai pas pu me retenir…

C’était probablement la raison pour laquelle Asahina avait les larmes aux yeux tout à l’heure. Je ne pensais pas qu’il y avait une relation directe entre Suchi et Kiryûin, mais ce qu’Asahina disait sur le fait que Nagumo en était « indirectement » la cause aurait pu le laisser entendre.

Moi —  Asahina-senpai, peux-tu m’aider ?

Asahina — De l’aide ? Pour quoi faire ?

Moi— Quelle est ta relation avec Yamanaka-senpai, en Tle D ?

Asahina — Yamanaka-san ? J’ai parlé avec elle, mais nous ne nous entendons pas particulièrement bien. Je ne pense pas pouvoir t’aider…

« Pas particulièrement bien »… Ces mots me convenaient tout à fait.

Moi — Cela me va. J’aimerais avoir des informations objectives sur Yamanaka. Quoi de mieux que quelqu’un en terminale.

Asahina — Ah oui ?

Je sortis mon téléphone portable et affichai l’OAA d’Ikuko Yamanaka. C’était une élève typique de la classe D, en dessous de la moyenne dans tous les points. Rien d’anormal.

Moi — A-t-elle un large cercle social ?

Asahina — Eh bien, je ne sais pas. Je pense qu’elle s’entend bien avec ses camarades de classe, mais elle n’est pas du genre à être très extravertie. Elle n’est pas LA fille populaire, quoi.

Asahina semblait ne pas apporter plus que ce que l’OAA indiquait.

Moi — Ce que je vais te dire est confidentiel…

Asahina — C’est assez drôle, cette double discussion secrète.

Moi — Oui.

Je racontai à Asahina la situation de Kiryûin, accusée à tort de vol. Asahina fut d’abord surprise, mais elle comprit vite la situation.

Asahina — Je vois. Tu voulais évoquer une enquête sur les terminale.

Moi — Tu es la seule personne en qui je pense pouvoir avoir confiance.

Asahina — J’en suis honorée. Vu ma proximité avec Nagumo, c’est plutôt l’effet inverse que je fais.

En y réfléchissant bien, c’était logique ; elle était sa camarade.

Moi — Quel est ton avis là-dessus ?

Asahina — Je n’ai parlé à Kiryûin-san qu’à quelques reprises au cours des trois dernières années, donc je ne sais pas grand-chose d’elle. Cependant, elle est probablement exactement comme tu l’imagines.

Moi — Oui, c’est vrai.

Asahina— Je ne dis pas qu’il n’y a absolument aucune chance que Kiryûin-san et Yamanaka-san aient une dent l’une contre l’autre, mais c’est autre histoire de penser à la piéger pour vol par vengeance. Une telle chose serait sanctionnée par un renvoi immédiat.

Moi — Kiryûin-senpai l’a remarqué tout de suite, et Yamanaka-senpai a échoué. Si cela avait été immédiatement signalé à l’école, comme tu le dis, la question d’un renvoi aurait été mise sur la table.

Autrement dit, quelque chose d’inexplicable s’est produit.

Asahina — Mais… Je vois. Je crois que je me souviens de quelque chose.

Moi — Un truc te revient ?

Asahina — Oui. Juste après qu’elle ait failli être accusée de vol, j’avais vu Kiryûin-san piétiner un garçon sur le chemin du retour après l’avoir fait tomber.

Moi — « Piétiner », carrément ?

Asahina — Elle était habituellement élégante et posée. C’était difficile à conceptualiser. Mais ils avaient probablement gêné Kiryûin-san alors qu’elle poursuivait Yamanaka-san. Elle était très en colère et se défoulait sur le gars au sol, comme pour l’interroger. Je ne savais pas pourquoi ce dernier essayait de couvrir Yamanaka-san, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir mal. Il doit être traumatisé, le pauvre !

Moi — Et le garçon en question au sol, c’était qui ?

Asahina  — C’était Anazai-kun de la classe D, il me semble.

Un nouveau nom. Manipulait-il Yamanaka et essayait-il de la saboter, ou essayait-il simplement de la protéger de Kiryûin en tant que camarade de classe ? Encore d’autres questions…

Moi — Je veux parler à Yamanaka-senpai, tu peux la contacter pour moi ?

Asahina — Quoi ? Euh, oui. Ce n’est rien…

Moi — Alors, s’il te plaît…

Dès qu’elle contacta Yamanaka par chat, le message fut marqué en attente.

Asahina — Puis-je lui dire que tu veux la voir ?

J’acquiesçais en lui disant que ce n’était pas un problème, puis elle envoya un autre message.

Asahina — J’ai été lue mais elle n’a pas répondu.

Asahina-senpai regarda son téléphone pendant un moment, mais après quelques minutes, elle reçut un message.

Asahina — Si ça ne te dérange pas d’attendre, elle dit être là dans 30 minutes.

Moi— Pas de problème, je te remercie. J’ai envie de connaître le fin mot de l’histoire, après tout.

Comme j’avais du temps, je fis parler Asahina-senpai de sa vie scolaire, des examens spéciaux et tout ce qui concernait le lycée en général.

5

La personne attendue allait arriver d’une minute à l’autre.  Au moment où je n’avais plus de boisson dans mon gobelet, un élève s’approcha de nous.

Tachibana — Asahina, c’est bien Ayanokôji ?

Asahina — Quoi ?  Tachibana ?  Oui, mais…

Tachibana — Très bien, alors je vais vous déranger un peu.

Un élève nommé Tachibana tira une chaise et s’assit. Puis il posa immédiatement ses coudes sur la table et se pencha en avant pour me parler.

Tachibana — Yamanaka… Qu’est-ce que tu lui veux ?

Tachibana Kento était un camarade de classe de Yamanaka, en TleD. Je m’attendais à voir apparaître Anazai, à la limite, mais finalement je découvris un nouveau visage.

Asahina — Attend… Qu’est-ce qui t’arrive ?

Asahina-senpai était clairement confuse par cette apparition soudaine.

Moi — Je suppose que Yamanaka-senpai t’a prévenu, hein. Elle t’a demandé de vérifier les choses ?

Tachibana — C’est moi qui pose les questions ici.

Il ne montrait aucun signe de fléchissement dans sa posture agressive, peut- être parce qu’il était un aîné. Il était probablement supérieur à Anazai au niveau de la force physique et mentale.

Moi — C’est à propos de Kiryûin-senpai…

Tachibana — Qu’est-ce que ça a à voir avec toi ?

Moi — Je ne suis pas directement impliqué, mais Kiryûin-senpai m’a demandé d’établir la vérité.

Tachibana — Es-tu une sorte de détective, ou un truc dans le genre ?

Asahina — Du coup, c’est quoi toute cette histoire avec Yamanaka-san ?

Moi — Nagumo-senpai l’a envoyée pour la piéger pour vol, c’est ça ?

Tachibana — En effet.

Asahina — Vraiment ? Je ne peux pas croire que Nagumo fasse des choses pareilles…

Tachibana — Sérieusement ? Il est comme ça depuis le début, pourtant. Il nous asservit et nous utilise comme des pantins.

À première vue, ils ne semblaient pas tout à fait cautionner les actions de Nagumo. Cela dit, difficile de se déclarer ouvertement contre lui.

Tachibana — Je n’ai pas d’autre choix que de le suivre, même si cela me déplaît. Comme Yamanaka.

Tachibana expira d’un air ennuyé et pencha légèrement la tête.

Tachibana — Si tu comprends, ne t’implique plus avec Yamanaka. Pigé ?

Moi — Désolé, mais je ne peux pas faire ça non plus. Nagumo-senpai n’a pas répondu de cette affaire.

Tachibana — C’est toi qui vois, mais nous ne pouvons pas nous opposer à Nagumo.

Moi — À cause d’un contrat, c’est ça ?

Tachibana fixa Asahina et lui lança un regard comme s’il lui demandait : « tu lui as parlé de ça aussi ? ».

Tachibana — C’est bien, donc tu comprends d’autant mieux la situation.

Moi — Je suis sûr que vous auriez pu, à votre échelle, faire un système de collecte et redistribution de points privés similaire.  Pourquoi tant de gens ont suivi Nagumo ?

Tachibana — Tu ne comprends pas. Nous, les classes D et C, n’avions plus rien. Même si toute la classe avait été solidaire pendant un an, nous n’aurions jamais récolté 20 millions de points. Mais ce contrat avec lui nous a permis d’obtenir des résultats satisfaisants lors de quelques examens spéciaux, donc d’augmenter notre gain de points de classe. Quitte à mordre la poussière, autant s’allier à lui non ?

Saisissant l’occasion, Nagumo profita pleinement de sa force et de l’avantage de sa classe.

Tachibana — On nous a offert une vie scolaire stable et une opportunité de finir en classe A. Seule une idiote comme Kiryûin pouvait refuser.

Quand bien même 75% des points privés étaient vampirisés par Nagumo, le fait que la classe ait un revenu minimal garantissait une rente décente pour les élèves. Difficile de rompre un tel contrat. Et quand bien même une ou deux personnes le voulaient, elles se feraient très rapidement démasquer.

Asahina — Même si Nagumo gardait tout, personne ne s’en plaindrait. Hein ?

Tachibana — Eh bien… Je ne dis pas que tout est super. Mais pour les gens, comme moi, qui n’ont aucun espoir d’atteindre la classe A, cela reste intéressant ne serait-ce qu’à cause de cette loterie.

Malgré la réquisition de points privés, les élèves pouvaient toujours compter sur la chance. Même avec un seul billet, cela faisait toujours une chance sur 100 de gagner. Ce n’était pas négligeable finalement.

Moi — L’une de ses instructions était-elle de piéger Kiryûin-senpai pour vol ?

Tachibana garda les yeux baissés un instant, puis acquiesça silencieusement.

Tachibana — Je suis l’un des intermédiaires. On me promet un billet de transfert si j’arrive à faire avouer à Kiryûin un prétendu vol.

Moi — Je ne comprends pas cette histoire d’intermédiaire. Le nombre de fuites augmente proportionnellement au nombre de personnes impliquées dans un coup. D’autant que la récompense finale serait forcément divisée selon le nombre d’agents.

Il aurait été plus rapide et moins risqué pour Nagumo d’approcher directement Yamanaka. Pourquoi faire un détour via Tachibana ? Je n’arrivais pas à comprendre. Et ne parlons pas de Tachibana lui-même. Oui, il semblait dire des vérités, mais sa grosse franchise paraissait presque suspecte.

Moi — Et Nagumo-senpai t’a sûrement ordonné de ne rien dire, pas vrai ?

Tachibana — Bien sûr. Cependant, en cas de pépin, utiliser son nom nous protège aussi. Je veux dire, Yamanaka et moi ne sommes pas…

En poussant un tout petit peu, il avait avoué un peu facilement. Cela contrastait un peu avec sa rigidité de tout à l’heure. Ou cela n’était-il qu’une carapace ?

Moi — Tachibana-senpai, tu n’es peut-être pas l’auteur direct. Mais si cela se sait, ne penses pas que l’établissement te laissera t’en tirer.

Tachibana — Hein ? Il n’y a aucune chance que Nagumo-san rende cela public.

Moi — Outre la responsabilité, Kiryûin-senpai est en colère. Inutile de te dire qu’elle risquerait de ne pas être très commode avec toi…

Tachibana — Heu… Anazai peut confirmer, je pense.

Moi — Tu as reçu des instructions du président Nagumo et tu as consulté Yamanaka-senpai, une fille qui pouvait se rapprocher de Kiryûin-senpai. Il t’a dit que si tu réussissais, il te donnerait une récompense. Ce sont les faits. Peux-tu me jurer que c’est le cas ?

Je mis mon portable en mode vidéo et fis un zoom sur les yeux de Tachibana.

Tachibana — C’est quoi ce…

Moi — Alors, peux-tu me certifier la chose ?

Lorsque j’approchai de nouveau le téléphone de lui, comme pour le lui rappeler, Tachibana le repoussa vivement. Il interrompit ensuite l’enregistrement, de force.

Tachibana — Je t’ai dit ce que je savais !

Moi — Oh, alors pourquoi paniquer ? Pourquoi refuser l’enregistrement ?  

Tachibana — C’est… que… Lâche-moi, bordel !

Asahina — Hé, Tachibana-kun !

Asahina tenta de l’arrêter, mais il partit sans se retourner.

Asahina — Je pense qu’il voulait dire autre chose, mais quoi ?

Moi — Ce n’est pas grave. J’ai pu me faire une idée grâce à sa réaction.

Asahina — Tu veux dire que tu sais qui est derrière tout ça, vraiment ? 

Tachibana n’avait fait qu’exécuter un ordre. Une fois que Kiryûin a enquêté suite à son échec, il avait mentionné le nom de Nagumo. Il campait sur cette position, envers et contre tout.

Moi — Merci beaucoup pour ton aide, Asahina-senpai.

Asahina — Ummm… Je suis contente que tu aies trouvé, Ayanokôji-kun… Si possible, peux-tu m’en parler ?

Moi — Pas maintenant. Je ne veux pas t’impliquer.

Elle semblait vraiment vouloir savoir, depuis le début, mais pour l’instant il valait mieux que je garde ça pour moi.

6

Bien que cela ait pris du temps, je pus obtenir des informations importantes m’ayant permis de découvrir la vérité sur cette affaire de vol. L’aide d’Asahina m’avait fait gagner un temps précieux, et pour cela je voulais faire une pause : après tout, j’étais sur le point de trouver une solution le jour même où j’avais commencé mon enquête. Bien sûr, je pouvais attribuer cela à ma chance, y compris à des coïncidences involontaires. Par conséquent, je n’étais pas totalement satisfait.

Outre la fiabilité des différents témoignages, qu’est-ce que Kiryûin allait faire de mes confidences ? Et quel était l’objectif de la personne ayant orchestré ce scénario ? Ce troisième trimestre risquait d’être totalement chamboulé pour certain. Je décidai tout de même de faire un petit récapitulatif par message à Kiryûin, en ne rentrant pas trop dans les détails. Je lui suggérai ensuite une petite ligne de conduite et attendai son approbation. Toutefois, c’était celle qui était venue me solliciter, j’étais donc assez confiant d’avoir sa pleine coopération. 

En revenant du centre commercial Keyaki, j’arrivai au dortoir. Comme je m’y attendais, je ne reçus aucun appel de Kei, et elle ne semblait pas m’attendre dans le hall. Je me demandais combien de temps elle allait être capable de garder ses distances avec moi. Non, inutile de trop réfléchir à ça, tant qu’elle agissait comme un parasite, elle n’allait probablement pas aller bien loin. L’ascenseur arriva, je choisis donc d’aller au quatrième étage. Même si j’avais l’intention de me concentrer sur l’affaire Kiryûin, je fus arrêté en chemin.

Ichinose — Salut, Ayanokôji-kun.

En sortant de l’ascenseur, je vis Ichinose qui portait un manteau et qui me souriait. Elle avait un peu froid et semblait m’attendre devant chez moi.

Moi — Hello. Quelque chose ne va pas ?

Ichinose — Hmm ? Je voulais juste te parler. Est-ce que je te dérange ?

Moi — Non, pas du tout. C’est juste que tu as dû attendre longtemps…

Normalement, j’aurais dû être là vers 17h mais il était déjà plus de 18h vu que j‘avais fait un détour pour aller voir Asahina et les autres terminale. Ichinose sortit curieusement son téléphone pour vérifier l’heure.

Ichinose — Hein ? Il est déjà si tard ? Je n’avais même pas remarqué !

Sa remarque semblait anodine, mais en lisant un peu entre les lignes…

Moi — Depuis combien de temps es-tu là ?

Ichinose — Euh, un peu après les cours. Donc vers 16h30 à peu près.

Elle était donc restée debout pendant au moins une heure et demie. Elle disait vouloir me parler, mais qu’elle n’avait pas voulu me déranger.

Moi — Tu aurais dû me le dire. 

Même si je n’étais pas libre, j’aurais au moins pu la prévenir.   

Ichinose — Non, vraiment, je ne voulais pas te déranger.

Bon, si elle n’était pas dérangée par le fait d’attendre, je n’avais rien à ajouter.

Ichinose — Ce n’est rien d’urgent, mais…

Demanda-t-elle en hésitant.

Ichinose — Tu t’es réconcilié avec Karuizawa-san ?

Moi — Non, pas encore.

Quand je répondis, Ichinose murmura : « Je vois. » Son expression était à la fois joyeuse, triste ou autre chose… Difficile de voir ses véritables sentiments.

Ichinose — Alors… puis-je être égoïste un instant ? J’aimerais avoir une petite conversation avec toi. Seulement si cela ne te dérange pas…

Elle avait tellement attendu… Ce n’était probablement pas pour me parler de ce qu’elle avait mangé à midi.

Moi — Aucun souci. Mais on pourrait continuer à l’intérieur ?

Ichinose — Tu es sûr ?

Il n’y avait aucune raison de refuser. Puisque Kei ne m’avait pas contacté, je n’avais nulle part où aller pour le reste de la journée. Puis continuer dans le couloir aurait été déraisonnable, elle avait sûrement froid. J’ouvris donc. 

Ichinose — Je suis un peu nerveuse. Désolée de te déranger…

Lorsqu’Ichinose entra dans la pièce, quelque chose devait lui sembler différent.

Moi — La dernière fois que tu es venue dans ma chambre, c’était un jour de pluie.

Ichinose — Merci pour cette fois. J’étais trempée jusqu’aux os…

J’enlevai mes chaussures en premier, puis Ichinose en fit de même avant d’entrer à l’intérieur. Lorsque les lumières s’allumèrent, elle s’exclama :

Ichinose — Oh, c’est trop mignon chez toi !!!

Les yeux d’Ichinose furent attirés par le pourtour du lit.  Il n’y avait pas eu de changements majeurs, tels que l’achat de meubles ou une nouvelle décoration. Juste des animaux en peluche, des mini miroirs, des coussins, et autres petits objets qui n’avaient à priori pas leur place dans une chambre d’homme. Il y avait beaucoup plus de petites choses apportées et laissées par Kei. Juste en voyant les affaires, on pouvait presque supposer que nous habitions ensemble. D’ailleurs, dans la cuisine, il y avait des tasses et des baguettes assorties de différentes couleurs. Ichinose sachant que Kei et moi sortions ensemble, elle ne semblait pas plus surprise que cela.

Moi — Allez, mets-toi à l’aise. Je vais te servir un truc chaud. Un chocolat chaud, ça te dit ?

Ichinose — Je veux bien, oui.

Ichinose sourit joyeusement lorsque je lui offris la même boisson que la dernière fois. Le meilleur moyen de réchauffer un corps froid était de le faire de l’intérieur. Cependant, il commençait à faire assez frisquet même dans la pièce, j’allumai donc le radiateur et activai l’humidificateur.

Moi — Cela ne devrait pas trop tarder à se réchauffer.

D’un signe de tête, Ichinose enleva son manteau et le déposa à ses pieds.

Moi — Je ne sais pas comment vous faites, les filles, avec des jupes aussi courtes…

Ichinose — Tu sais, c’est tellement une habitude…

Après avoir répondu, elle regarda un cadre avec une photo de Kei et moi. Elle s’en approcha puis continua de le regarder.

Ichinose — Puis-je te demander comment tu es tombé amoureux de Karuizawa-san ?

Moi — Ça t’intéresse ?

Ichinose — Oui. Je n’ai pas trop interagi avec elle, mais je savais qu’elle sortait avec Hirata-kun en 2nde. Je n’aurais jamais imaginé vous voir ensemble.

Je voulais bien la croire. Même ma propre classe était assez stupéfaite, alors j’imagine bien la surprise chez les autres…

Moi — Je veux bien répondre, mais c’est dur de poser des mots là-dessus… Je n’avais jamais été amoureux auparavant. Je dirais qu’on s’est juste rapprochés au fur et à mesure de l’année, quoi.

Je ne pouvais pas vraiment lui expliquer le pourquoi du comment. Donc je me contentais de généralités.

Ichinose — Karuizawa-san est mignonne, n’est-ce pas ?

Moi — Assurément.

L’eau de la casserole ayant bouilli, je versai l’eau chaude et mélangeai la poudre avec une cuillère pour faire du cacao.

Moi — Tiens.

Ichinose — C’est chaud.

Elle enveloppa la tasse de ses mains, qui étaient froides, et expira.

Ichinose — L’autre jour, je t’ai traîné à la salle de sport égoïstement. Ça ne t’a pas gêné ?

Moi — C’est moi qui t’ai proposé de me montrer ta routine habituelle.

 J’ouvris le tiroir de mon bureau et en sortis un papier.

Moi — D’ailleurs, l’expérience a été tellement bonne que j’envisage de la réitérer.

Ichinose — Oh, un abonnement…

J’avais déjà rempli le formulaire avec mon nom, mon numéro étudiant et la formule choisie.

Moi — J’aime flâner, alors je m’étais dit que faire un peu d’exercice n’allait pas me faire de mal.

Ichinose — Je vois. Je suis heureuse de l’entendre.

Jusqu’au voyage scolaire, Ichinose affichait souvent un visage abattu. Cependant, depuis notre rendez-vous de l’autre jour, elle semblait bien.

Ichinose — Nous allons probablement nous voir plus souvent alors. Je compte sur toi !

Moi — Oui, moi aussi… Ah oui, en effet, on pourra se voir là-bas !

Tout en buvant sa boisson, Ichinose plissa les yeux de bonheur.

Ichinose — En fait, tu sais, je… ?

Moi — Hmm ?

Ichinose me regarda dans les yeux, comme si elle s’était souvenue de quelque chose.  

Ichinose — J’avais quelque chose à te dire… Tu peux t’asseoir à côté de moi ?

Elle tapota légèrement l’espace vide du lit avec sa main. Je savais qu’elle était sérieuse, alors je m’exécutai et m’assis à côté d’Ichinose.

Ichinose — Initialement, l’autre jour, je voulais te voir pour mettre un terme à tout ça. 

Moi — Un terme… ?

Ichinose — À mes sentiments pour toi.

Déterminée, Ichinose ne détourna pas le regard.

Ichinose — Tu as quelqu’un que tu aimes, Karuizawa-san, alors j’ai pensé que ce jour serait notre premier et dernier rendez-vous.

Il n’y avait aucune trace de tristesse sur le visage d’Ichinose lorsqu’elle disait cela. Avait-elle réellement tout ça en tête l’autre fois ?

Moi — Alors, c’est terminé ?

Ichinose hocha la tête avec insistance.

Ichinose — Nous ne nous verrons plus en privé. J’ai pensé que c’était la bonne chose à faire à faire.

Moi — Pourtant, nous sommes-là, tous les deux…

Ichinose — Toutefois, j’avais tort sur un point… Le raisonnement derrière cette idée n’était pas le bon.

Je n’arrivais pas trop à la suivre, honnêtement. Mais je supposais que cette résolution était la véritable raison de sa venue ici.

Ichinose — Je ne savais pas trop ce que je devais faire, au départ.

Le sourire semblait être le même que d’habitude, mais il semblait aussi être différent. Jusqu’à présent, je considérais Ichinose comme une personne relativement facile à comprendre, dont la joie se lisait avec évidence sur le visage. Bien sûr, il lui arrivait d’être de marbre, notamment lors des examens, mais je ne la pensais pas comme ça en privé. Mais ces derniers temps, Ichinose montrait souvent un visage totalement impassible. 

Ichinose — Ce jour-là, j’avais pris la décision de ne jamais te poser de questions au sujet de ta petite amie, Karuizawa-san.

Moi — Pourquoi cela ?

Ichinose — Parce que cela me serrait la poitrine, me faisait du mal.

Ichinose marmonna cela, choisissant ses mots avec soin comme si elle se mettait à nu devant moi.

Ichinose — Mais après le sport, je n’ai pas pu résister à l’envie de savoir lequel des deux était tombé sous le charme de l’autre en premier.

Je l’avais un peu vu venir sur ce coup, d’ailleurs. 

Moi — La réponse était désagréable ?

Ichinose — Curieusement, non. Mais cela m’a fait comprendre que…

Moi — Qu’as-tu compris, au juste ?

Ichinose — Tu veux le savoir ? Je vais te le dire…

Ichinose prit une lente inspiration et me regarda dans les yeux alors que je m’asseyais à côté d’elle.

Ichinose — Je t’aime toujours.

Ichinose me regardait avec des yeux prédateurs.

Ichinose — À ce moment-là, j’ai réalisé à quel point je t’aimais.

Elle voulait mettre un terme à tout ça, mais notre rendez-vous avait finalement produit l’effet inverse.

Ichinose — En même temps, j’ai pensé que je ne pouvais pas rester ainsi. Je devais me réformer.

Se réformer, hein ?

Ichinose — Hé… Je peux toucher ton visage ?

Moi — Tu penses gagner des points ?

Lorsque je dis cela en plaisantant, Ichinose rit doucement et hocha la tête. Puis elle tendit sa main droite et me toucha la joue. Avec un léger effort, elle tourna mon visage vers elle.

Ichinose — Je n’ai jamais fait ça à personne. Je n’ai jamais ressenti cela pour quelqu’un. J’étais nerveuse, tout ce temps, et quelque part à l’intérieur de moi, je souffrais… mais je suis tellement heureuse en ce moment. Le simple fait d’avoir la personne que j’aime à mes côtés me réchauffe le cœur.

Ichinose me coupa l’herbe sous le pied et me confia tout honnêtement.

Moi — Je t’ai posé la question lors du voyage scolaire, n’est-ce pas ? Je t’ai demandé si tu voulais quelque chose.

Ichinose — Oui. Ce que je voulais… c’était aller en classe A. Un objectif que je pouvais atteindre avec mes amis. Je l’ai perdu de vue, et j’ai failli m’effondrer et abandonner. Non, j’étais brisée. J’avais même pensé à quitter ce lycée.

Moi — Plus maintenant, hein ?

Ichinose — Plus maintenant. Je veux rester. Je veux viser la classe A. Et puis…

Une main sur ma joue.

Ichinose — Je veux encore une chose. Celui que j’aime… Ayanokôji-kun.

Moi — Je pense que tu le sais, mais je…

Ichinose — Oui, c’est vrai. Tu as déjà Karuizawa-san. Je le sais, donc je ne te demanderai rien de plus pour l’instant, mais…

Moi — Mais ?

Ichinose — Les choses seront différentes à partir de maintenant. Je vais devenir le genre de personne que tu regarderas.

Même si ses joues rougissaient, son regard inébranlable restait fixé sur moi. Elle n’avait pas franchi le dernier pas allant à l’encontre de sa morale, bien qu’elle soit amoureuse de quelqu’un ayant déjà un partenaire. Si elle avait franchi cette limite, j’aurais dû l’arrêter, mais elle a su se retenir. C’était l’essence même d’Ichinose Honami.

Ichinose — Ayanokôji-kun, garde un œil sur moi à partir de maintenant.

Moi — Je l’aurais fait, même sans que tu ne me le demandes.

Ichinose — C’est… alors à la fin de l’année scolaire, je…

Moi — Oui. Alors quand nous nous reverrons, je t’écouterai.

Ichinose — Ma résolution a été brisée une fois, mais je l’ai retrouvée.

Moi — Je vois ça !

Assis à côté d’elle, je pouvais ressentir la passion et la force qu’Ichinose dégageait. Je ne savais pas comment les choses allaient se passer, mais elle avait définitivement changé. Elle fonctionnait sur cette idée de dépendance intense, toutefois différente de celle de Karuizawa Kei. Cette dépendance, qui pouvait être une arme à double tranchant, avait indéniablement donné une grande force à Ichinose.

Puis, il est naturel de vouloir être remarqué par la personne qu’on aime : l’entendre nous dire « je t’aime », la toucher et puis le dénouement classique… Mais Ichinose n’était pas pathétique, elle m’avait au contraire montré à quel point elle était prête à me « voler ».

Lentement, sa main me quitta.

Ichinose — Bien. Je vais rentrer. 

Moi — À plus tard, alors ?

Ichinose — Tu dois te réconcilier avec Karuizawa-san.

Moi — Je m’en occupe !

Ichinose, son manteau à la main, enfila ses chaussures et ouvrit la porte d’entrée d’un pas léger. Puis elle fit un petit signe de la main et la porte se referma.

Le silence et une légère odeur de cacao et d’agrumes persistaient. Je me demandais quel genre de monde Ichinose allait créer. Comment cela allait affecter les gens autour d’elle, et comment cela allait m’affecter moi-même ?

Magnifique…

Les choses devenaient de plus en plus palpitantes.


[1]De l’anglais « Moins, c’est plus ». En gros, la simplicité est préférable à la complexité.

[2] Succhii s’écrit avec le Katakana ( スッチー), ce qui implique qu’il s’agit d’un surnom.

—————————————————
<= Précédent // Suivant =>
———————————————