CLASSROOM Y2 V9 Chapitre 4


Comment passer son temps libre

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Chapitre 4 : Comment passer son temps libre

Nous étions dimanche, le lendemain de la rencontre avec Kanzaki. Kei était encore un peu froide mais il était finalement temps de rencontrer Ichinose à qui j’avais fixé un rendez-vous. Je descendis dans le hall, en avance, mais je ne la vis pas encore. Je pensais qu’il était possible de se croiser par hasard, mais cela ne fut pas le cas. Je fixai l’ascenseur qui ne semblait pas bouger. Il était peu probable que Kei la suive car même si elle n’était pas très enchantée de mon rendez-vous avec Ichinose, elle n’aurait pas osé.

Quoiqu’on ne sait jamais… Au moment où j’y réfléchissais, elle scrutait peut-être déjà la chambre d’Ichinose, si elle ne décidait pas de me rejoindre avant ou alors nous rejoindre « par hasard » au cours de la journée. En fait, en y repensant bien, Kei en était tout à fait capable. Restait à voir, mais je ne l’imaginais pas agir de façon inconsidérée compte-tenu de ses propos de la veille. En effet, il faut du courage pour voir ce que l’on ne veut pas voir.

Je quittai ainsi le dortoir. Le ciel était dégagé jusqu’à présent, mais malheureusement on annonçait de la pluie pour l’après-midi. J’avais donc pris un parapluie. Je me demandai à quoi pensait Ichinose ce matin. Ce qu’elle désirait… Quoi qu’il en soit, il était clair qu’il y avait plus d’une chose. Être un grand leader, réussir côté cœur, avoir un esprit fort… Nous avons plus de désirs que de doigts que nous pouvons compter sur nos mains.

Cette nuit-là, pendant le voyage scolaire, ne devait pas être suffisante pour changer concrètement notre relation. Je devais voir Ichinose en personne pour savoir ce qu’elle pensait car elle était encore instable à l’heure actuelle. J’arrivai un peu avant l’heure prévue et vis qu’Ichinose m’attendait déjà, un parapluie à la main. Elle me remarqua avant que je ne l’appelle et leva lentement la main.

Ichinose — Bonjour, Ayanokôji-kun !

Je ne ressentis pas d’atmosphère tendue. Au contraire, elle semblait fraîche et innocente. Contrairement à ce soir-là du voyage, Ichinose s’était probablement préparée. Si elle établissait un contact visuel avec moi au départ, elle détourna rapidement le regard à mesure que je la regardais dans les yeux pour connaître ses véritables intentions. Je pouvais voir qu’elle regardait plutôt au niveau de ma bouche, mon nez et mon cou pour éviter d’être remarquée.

Moi — Je suis désolé encore, cela a dû te sembler soudain.

Ichinose — Ce n’est pas grave. Je n’avais rien de prévu, de toute façon.

Si j’avais été dans le cas inverse, j’aurais apprécié qu’on me dise ça en tout cas, même par pur formalisme. Il restait encore un peu de temps avant l’ouverture du Keyaki et comme nous n’étions pas encore autorisés à entrer, nous fîmes la queue devant l’entrée. Nous nous tenions l’un à côté de l’autre, mais ni trop près ni trop loin. Pour un tiers non informé, il aurait été difficile de déterminer si nous attendions ensemble ou séparément l’ouverture du centre commercial.

Ichinose — Il est rare que je vienne ici avant l’ouverture, mais étonnamment, il n’y a encore personne.

Moi — Il fait particulièrement froid aujourd’hui. Je suppose que  le temps est plus propice à se reposer tranquillement, dans sa chambre.

Cela ne faisait aucun doute. À moins qu’il ne s’agisse d’une journée de soldes, généralement personne ne se bouscule au portillon le matin.

Ichinose — Il fait vraiment froid.

Marmonna-t-elle en répétant les mêmes mots, encore et encore. La conversation s’arrêta là car j’attendais plutôt d’être à l’intérieur du centre commercial pour parler. Il fallait dire aussi que mon quotidien consistait à passer de plus en plus de temps avec Kei, ma petite amie, ce qui n’était pas toujours riche en conversations. Dans les couples, les silences de 10 à 20 minutes ne sont pas rares. Au début, j’avais le même sentiment de gêne que maintenant, mais il avait disparu et j’avais même commencé à me sentir à l’aise avec le silence. Ou c’est ce que je pensais… La vérité est que le moindre moment de silence est étrangement pesant avec une personne dont on n’est pas encore assez proche. Mais là n’était pas le problème en soit. En vérité, je me demandais si je devais être celui qui abordais le sujet directement puisque j’étais à l’origine de l’invitation. Ichinose se demandait peut-être la même chose et aucun de nous deux ne semblait faire le premier pas. Un sujet commun est parfois tout ce qu’il faut pour lancer une petite conversation. En y pensant, un garçon me vint à l’esprit.

Moi— J’étais dans le même groupe que Watanabe lors du voyage scolaire, l’autre jour.

Ichinose — Je vois.

Moi — Je ne le connaissais pas avant car je n’avais jamais eu d’opportunité d’interagir avec lui, mais Watanabe était sympathique et bien sociable. C’est un bon gars.

Lorsque je lui dis honnêtement ce que je pensais, Ichinose fut ravie comme s’il s’agissait de sa propre famille.

Ichinose — Oui, il est apprécié par ses camarades de classe, autant par les garçons que par les filles.

Il n’était pas aussi autoritaire qu’Ike, ni aussi sociable que Yôsuke, mais il savait assez bien s’adapter à son interlocuteur. Je n’avais vu qu’une partie de Watanabe, mais j’étais sûr qu’il était pareil au sein de sa classe.

Moi— Cela fait presque deux ans que je suis ici. Il y a encore tant de choses que je ne connais pas.

Ichinose — C’est la même chose pour moi. Je ne sais pas grand-chose des autres classes, même si j’en ai l’impression. C’est totalement différent de la primaire ou du collège… Bon, je pense aussi que c’est ce qui arrive quand on est vraiment en compétition les uns avec les autres.

Dans un contexte normal, les gens se montrent mutuellement leurs faiblesses et s’entraident. Cependant, cette école était un lieu où cette normalité ne s’appliquait pas. C’est du moins ce que pensaient Ichinose et les autres élèves.

Moi — La socialisation est difficile. Je ne peux pas encore dire que je m’entends bien avec mes camarades de classe. En comparaison, toi, qui a su te lier d’amitié avec tout le monde très tôt, tu es incroyable.

Ichinose — Eh ? Tu exagères !

Plutôt que d’être modeste, elle ne semblait pas se rendre compte de ses compétences.

Moi — Alors, tu as des conseils pour t’entendre avec tout le monde ?

La capacité à se faire des amis est un sujet si complexe. Je sais déjà ce que je dois faire. Je sais quoi dire. J’ai les mots… Mais je n’ai pas encore acquis les compétences de personnes comme Ichinose ou Kushida. La moindre différence dans le ton ou dans le langage corporel peut tout changer.

Ichinose — Je me demande si cela existe. Si c’est le cas, je ne sais pas.

Il n’est pas possible d’en parler théoriquement parce qu’il s’agit d’une compétence innée. Par conséquent, même si vous observez et apprenez, vous ne pouvez pas facilement la comprendre, l’assimiler et l’utiliser. La conversation se poursuivit d’une manière ou d’une autre. Peu après, à dix heures pétantes, la porte automatique s’ouvrit.

Moi — On entre ?

Ichinose — D’accord.

Nous fûmes donc les premiers à entrer au Keyaki. Qu’il était bon d’être enveloppé par la chaleur du centre commercial chauffé.

Moi — Tu as jusqu’à quelle heure, à peu près ?

Ichinose — Qu’importe. Je n’ai rien de prévu après ça.

C’était parfait car une limite de temps est assez stressante tout de même. Il était particulièrement important d’en savoir plus sur les raisons l’ayant poussée à quitter le Conseil à la demande de Kanzaki et des autres. Certes, nous avions la journée pour nous, mais cela avait presque un côté angoissant… Puis, Ichinose n’était pas sotte. Elle pouvait parfois être à côté de la plaque, mais elle était plus perspicace que la moyenne des élèves. Sinon, elle n’aurait jamais dirigé sa classe. Au fond, elle devait avoir bien conscience de ce que les autres pensaient d’elle actuellement. Ainsi, il ne fallait pas croire à la chance. Elle savait peut-être déjà pourquoi je l’avais invitée. Elle soupçonnait peut-être même ses camarades d’être derrière tout ça. Je devais garder ça à l’esprit.

Ichinose — Qu’est-ce que tu veux faire, là ?

Le but de cette réunion était de lui soutirer des informations, mais le but apparent n’avait pas encore été établi. J’avais donc réfléchi à une façon classique de passer du temps avec Ichinose aujourd’hui.

Moi — Je n’ai rien de précis en tête mais… je suppose que je pourrais te demander comment tu occupes ton temps libre, d’habitude.

Ichinose — Mon temps libre ?

Moi — Oui, j’aimerais savoir quel type de routine je dois mener pour être populaire.

Ichinose — Quoi ? Est-ce que c’est vraiment comme ça que ça marche ?

Moi — C’est ce qui m’est venu à l’esprit, spontanément. Ça te va ?

Comme elle n’avait pas répondu immédiatement, j’avais pensé poser une autre question. Néanmoins, Ichinose hocha la tête sans déplaisir.

Ichinose — Je ne sais pas si je peux t’aider, mais pourquoi pas !

Elle accepta volontiers. Le début de cette journée semblait donc fructueux.

Ichinose — Alors, peut-on vraiment faire ce que je fais habituellement ?

Moi — Bien sûr. Shopping, cinéma, cafés, etc. Je te suivrai !

Ichinose — Tu seras peut-être déçu… Tu es prêt ?

Ichinose sourit, comme si rien de ce que j’avais cité ne s’appliquait à elle. Elle avait l’air un peu gênée depuis qu’elle m’avait rejoint le matin, mais je vis enfin un sourire naturel sur son visage.

Ichinose — Eh bien, allons-y.

Dit-elle en se mettant à marcher.

Elle se dirigea vers le deuxième étage via l’escalator sans la moindre hésitation.

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Le centre commercial Keyaki abritait de nombreuses enseignes. Si j’avais pu tester la plupart depuis le temps, je n’avais pas encore visité certains endroits. La salle de sport située au deuxième étage en faisait partie.

Ichinose — Je viens surtout ici les week-ends et les vacances. Je ne suis pas très athlétique, alors j’espère m’améliorer un peu.

Nous arrivâmes devant le gymnase et Ichinose sortit sa carte étudiant.

Ichinose — Ayanokôji-kun, tu n’es jamais venu ici, non ?

Moi — Effectivement, je ne suis pas adhérent. 

Ichinose — Eh bien, parfait !

Moi — Je suis surpris que tu ailles à la salle. Depuis combien de temps ?

Ichinose — J’ai fait un essai gratuit à la mi-septembre et je suis devenue membre à part entière vers octobre, je crois.

Moi — Cela fait donc plus de deux mois. Je n’en savais rien. Tu as commencé seule ? Je ne connais pas trop ce genre d’endroits. Sur le principe, ça m’intéresserait, mais il me faudrait un coup de pouce.

Ichinose — Moi aussi. C’est pourquoi j’ai commencé avec mes amis… On est toujours plus motivés à deux ! Tu vas t’entraîner avec moi aujourd’hui, n’est-ce pas ?

J’hochai la tête et la laissai me conduire à l’intérieur de l’établissement. Ichinose salua une employée sympathique qui se tenait à la réception et présenta sa carte. Elle lui expliqua notre situation pendant que je me tenais derrière elle.

— Avez-vous votre carte étudiant ?

Moi — Oui.

Apparemment, la présentation de notre carte nous permettait d’obtenir un essai gratuit sans avoir à remplir de formulaire.

Ichinose — À tout à l’heure, Ayanokôji-kun. Le personnel sera en charge de t’expliquer à partir d’ici !

Un coach masculin me guida vers le vestiaire, et je fus  invité à me changer après une brève explication sur l’utilisation des casiers, des vestiaires et des douches. Il semblait que la salle ait été conçu pour que l’on puisse y entrer les mains vides, sans apporter d’affaires. J’enlevai mes vêtements, les rangeai dans un casier, enfilai la tenue d’entraînement de location et me rendis dans la salle d’entraînement située au fond de l’établissement.

Ichinose n’avait pas encore fini de se changer, et il n’y avait encore personne. Logique, cela venait à peine d’ouvrir. Mais sans raison, j’étais tout de même un peu gêné d’être seul pour un essai gratuit. Un autre coach semblait disposé à m’apprendre quelques trucs, mais je déclinai en me disant qu’il valait mieux apprendre auprès d’Ichinose. Ne sachant pas comment me comporter, je contemplai aléatoirement les équipements. Le matériel en lui-même m’était bien familier d’ailleurs, « merci » la White Room où nous disposions de ce qui avait de plus avancé en la matière. Ici, tout n’était pas dernier cri, mais cela semblait assez bien pour pouvoir être utilisé en toute sécurité. Étonnamment, alors que j’étais en train de réfléchir, les membres commencèrent à affluer les uns après les autres. Je m’attendais à ce que cela reste vide un moment.  

Ichinose — Oh, on dirait que certains garçons sont déjà là !

Je fus peu surpris par la tenue d’Ichinose, qui arriva en tenue d’entraînement, mais je fis aucun commentaire.

Ichinose — Il y avait quelques personnes dans les vestiaires des femmes.

Moi — J’ai vu des adultes dans les vestiaires, donc je suppose que les infrastructures ne sont pas réservées à nous.

Je savais que les cinémas et les supermarchés n’étaient pas tous exclusivement réservés aux lycéens, et cette salle ne semblait pas faire exception à la règle.

Ichinose — Je vois souvent Mashima-sensei ici, aussi.

Je vois. Les enseignants font partie du lot. Pour nous autres vivant dans l’enceinte de l’école, il était important de disposer d’un endroit où s’entraîner. J’avais longtemps boudé ce genre d’endroits, mais y voir des élèves familiers comme Ichinose allait peut-être me faire changer d’avis. Alors que j’étais dans mes pensées, Ichinose commença à me présenter soigneusement l’équipement. Elle m’expliqua comment l’utiliser tout en le testant devant moi. Je ne voulais pas faire semblant de poser des questions, me contentant d’écouter ses explications sans broncher.

Ichinose avait acquis une bonne quantité de connaissances, mais elle semblait avoir peu d’expérience pratique de l’équipement, probablement parce qu’elle ne fréquentait la salle de sport que depuis peu. Après une dizaine de minutes « d’apprentissage » concernant l’utilisation de l’équipement, le nombre de personnes dans les lieux augmentait progressivement. Il y avait environ sept hommes et femmes, sans me compter qui s’entraînaient. Il était temps pour nous de nous y mettre, aussi…

Ichinose — Oh, Mako-chan, salut !

Alors que nous étions sur le point de commencer l’entraînement, Ichinose vit un visage familier et l’appela.

Amikura — Ah, Honami-chan !

C’était Amikura, qui venait de sortir des vestiaires après s’être changée. Elle semblait sincèrement surprise de voir Ichinose ici, dans la mesure où elle savait que nous avions convenu de nous voir elle et moi.

Amikura — Qu’est-ce que tu fais ici ?

Elle était visiblement déstabilisée.

Ichinose — Tu te souviens quand tu m’avais présenté la salle ? Eh bien, je m’étais dit que j’allais initier Ayanokôji-kun !

Ichinose répondit d’un air décontracté.

Amikura — Oh, je vois.

Amikura n’aurait pas pu imaginer que nous nous retrouverions à la salle, et Ichinose ne pouvait pas savoir ce qu’elle avait en tête… Alors elle se contenta de couper court à la conversation.

Amikura — Eh bien, je ne vais pas vous gêner alors !

Moi — …Hein, de quoi tu parles ?

Amikura me jeta un regard acéré qui semblait dire : « ne dis rien d’inutile ». Elle faisait probablement référence à notre discussion de la veille. Je lui répondis d’un signe des yeux, sans savoir si elle avait compris.

Ichinose — Ayanokôji-kun et la salle, ça fait deux !

Amikura — C’est vrai ?

Moi — Je ne me vois pas faire ce genre de choses. Je n’aime pas les endroits bondés.

Cela semblait une phrase toute faite, mais c’était vrai. J’hésitais à m’entraîner devant des élèves ordinaires. De plus, j’avais l’impression que ce type de salle de sport n’était pas fait pour s’entraîner en silence mais avec des amis. Il m’était donc difficile de venir ici. Je devais bien admettre que c’était surtout cette dernière raison qui me gênait un peu.

Amikura — Une minute… viens ici, Honami-chan.

Amikura remarqua un truc et éloigna Ichinose de moi. Elle lui murmura ensuite quelque chose. Leurs regards se rivèrent sur moi pour je ne sais quelle raison.

Ichinose — …?

Ichinose sursauta et se cacha derrière Amikura aussitôt.

Amikura — Je viens d’y penser, Honami-chan.

Amikura, qui répondit ainsi, semblait aussi être quelque peu embarrassée.

Moi — J’ai un truc qui cloche ?

Amikura — Oh, non, je veux dire… Eh bien, tu sais, c’est un peu gênant de s’habiller comme ça devant les autres. N’est-ce pas ?

Je reçus un regard qui semblait dire : « Sois un peu subtil !! ».

Moi — Je vois.

Elle était peut-être gênée d’être vue par des garçons en tenue de sport. Or, la salle est un endroit où l’on doit restreindre ses vêtements afin de faciliter les mouvements et l’absorption de la sueur. Il est souvent préférable d’éviter d’introduire la notion de gêne, que ce soit en la mentionnant explicitement ou en l’évitant complètement. Ichinose n’avait même pas fait attention à ça, mais Amikura le lui avait fait remarquer. L’expression de cette dernière suggérait qu’elle avait fait une erreur en étant aussi directe. En tant que fille, il était compréhensible d’être un peu inquiète, mais il s’agit d’une salle de sport. Il valait mieux passer au-delà de ça.

Moi — Dans des lieux comme ça, il vaut mieux privilégier le confort pour mieux transpirer, non ? Montre-moi, j’aimerais bien essayer.

Je dis cela pour qu’elle pense à autre chose, parce qu’elle perdait la tête dès qu’elle se préoccupait du sexe opposé. Ichinose essaya donc d’agir, après mon commentaire.

Ichinose — Tu as raison. Voyons voir, que fait-on, Mako-chan ?

Amikura — Pourquoi tu me poses la question ?

Apparemment toujours en état de panique, elle demanda de l’aide à Amikura. Les deux filles se parlaient comme si elles se chuchotaient à l’oreille, et elles hochaient la tête presque simultanément pour montrer qu’elles communiquaient.

Ichinose — Nous sommes encore des novices en la matière. On peut commencer par le tapis roulant vu qu’on a plus l’habitude de ça.

Moi — Allons-y !

Les deux filles montèrent sur le tapis roulant, qui semblait être un grand classique des clubs de fitness et commencèrent à courir dans le mode qui leur convenait le mieux. Les machines provenaient naturellement de différents fabricants, mais je connaissais bien leur principe puisque je m’en étais servi longtemps quand j’étais enfant.  Il s’agissait d’un appareil cardio standard, indispensable pour l’entraînement en salle. Ichinose et Amikura avaient des paramètres similaires, je me mis donc à peu près au même niveau.

Amikura  — C’est la première fois que tu viens dans une salle de sport, n’est-ce pas ? Vas- y doucement, Ayanokôji-kun.

Amikura dit cela comme si elle s’inquiétait pour moi, et je répondis légèrement d’un signe de main que j’allais bien. Nous nous entraînâmes en silence sur le tapis roulant pendant un certain temps. Au début, Ichinose semblait nerveuse et embarrassée, mais ce sentiment semblait progressivement s’estomper et, au bout d’une trentaine de minutes, elle semblait s’être plus ou moins habituée au tapis roulant. Une fois les 30 minutes écoulées et le tapis roulant arrêté, Ichinose leva les yeux.

Ichinose — Ouf ! Je suis tellement fatiguée !!

Elle semblait plus épuisée qu’Amikura. Peut-être était-elle moins douée pour le sport. Elle expira profondément et bougea les épaules de haut en bas.

Ichinose — Je vais aller me réhydrater.

Dit-elle, en quittant brièvement les lieux après nous avoir salués. Si je me souvenais bien, il y avait une fontaine pour remplir les bouteilles d’eau à côté des vestiaires. Comme il ne restait plus qu’Amikura et moi, nous décidâmes de parler un peu.  

Moi — Tu viens ici depuis un moment, tu as l’air en forme.

Amikura — Ayanokôji-kun, tu n’es pas du tout fatigué alors que nous avons effectué la même session.

Moi — Je suis un garçon, donc j’ai plus de force physique.

Amikura — Je vois. Mais j’ai été surprise. J’avais imaginé qu’il y avait une chance que nous nous rencontrions par hasard au centre commercial, mais je ne pensais pas que nous verrions si tôt le matin, ici.

Comme je le pensais, Amikura était réellement surprise.

Amikura — Alors, comment ça s’est passé ? As-tu obtenu quelque chose de… Honami-chan ?

Moi — Rien pour l’instant. Notre journée a à peine commencé, nous sommes venus à la salle directement.

Amikura — Je vois. Bon, Honami-chan a l’air de s’amuser. C’est déjà ça.

Essuyant la sueur de son visage avec une serviette, les yeux d’Amikura se rétrécirent de plaisir.

Moi — Vu que tu la connais bien alors je te crois.

Amikura — En effet. D’habitude c’est agréable, mais aujourd’hui l’ambiance était particulièrement sympathique !

Maintenant que nous étions seuls, j’essayai, comme promis à Watanabe, d’obtenir des informations de Mako-chan.

Moi — C’est presque Noël, n’est-ce pas ?

Amikura — En effet. Tu le passes avec Karuizawa-san j’imagine ?

Avant que je ne puisse obtenir de détail, elle me posa cette question en retour.

Moi — Hmm ? Eh bien, c’est ce qui est prévu oui.

Amikura — Eh bien… laisse-moi te demander franchement… Que vas-tu faire pour Honami-chan ?

Moi— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Amikura— Parce que tu sais ce qu’elle ressent, n’est-ce pas ?

Amikura tenta de transmettre ses pensées de manière confuse, comme si elle hésitait à les exprimer franchement.

Amikura — Avec quel genre de gars penses-tu qu’elle devrait être ?

Moi — Quoi ? Pourquoi tu me demandes ça ?

Amikura — Tu as conscience que tu ne la laisse pas indifférente.

Elle avait l’air troublée et s’essuya légèrement le front avec la serviette autour du cou, comme si elle commençait à transpirer.

Amikura — Je… n’aimerais rien de plus que de voir Honami-chan sourire, en tant qu’amie. Mais Ayanokôji-kun a Karuizawa-san maintenant. Et aux dernières nouvelles tu n’as pas prévu de rompre. Donc je pense que la meilleure chose à faire est que Honami-chan tombe amoureuse de quelqu’un d’autre et qu’elle soit heureuse avec cette personne.

Elle mit ainsi à plat ses réflexions et les conclusions qu’elle en avait tirées. Comme le disait Amikura, la situation actuelle dans laquelle Ichinose me témoignait de l’affection était plutôt gênante. Si cette affection était dirigée vers une tierce personne, le problème aurait pu être résolu.

Moi — Je suis d’accord. Je ne connais pas beaucoup de garçons non plus, mais Watanabe est facile à vivre et conviendrait bien à Ichinose.

Je lançai le nom de Watanabe dans la conversation, l’air de rien. En fonction de sa réaction, j’allais peut-être pouvoir avoir un indice. Amikura appréciait suffisamment Watanabe pour faire quelque sorties le week-end, après tout.

Amikura — Watanabe-kun, de notre classe ?

Moi — Oui. Nous avons eu beaucoup d’occasions de nous parler pendant le voyage scolaire.

Amikura —  Hmmm … Je suppose que oui…

Elle sembla réfléchir un instant. L’écart flou entre le positif et le négatif était difficile à discerner.

Amikura  — Quant à moi… Je pense que Honami-chan peut viser un peu plus haut.

Moi — Je vois. Watanabe n’est pas assez bon.

Amikura —  Je ne dis pas de mal de Watanabe-kun, d’accord ? Je pense qu’une fille normale ferait l’affaire pour lui.

Moi — Je vois. Au fait, et toi alors ?

Comme je n’étais pas sûr, je tentai le tout pour le tout avant qu’Ichinose ne revienne.

Amikura — Moi ?

Moi — Tu sembles en savoir beaucoup sur l’amour.

Amikura — Pas du tout. Mais j’ai déjà le béguin pour quelqu’un.

Moi— Ah. Alors tu as quelqu’un en vue.

Amikura — Bien sûr. Je suis une lycéenne tout de même.

Qui était-ce ? Ce serait mieux si je pouvais le savoir.

Amikura — J’ai le béguin pour lui depuis presque 5 ans. Quand est-ce que je passerai à autre chose ?

Elle marmonna ainsi la chose. Cinq ans ? Cela signifiait que l’amour durait depuis bien avant qu’elle n’entre dans ce lycée. Il ne semblait pas nécessaire d’aller plus loin, mais je me demandais si c’est une bonne nouvelle pour Watanabe. Au moins, son rival n’était pas de cette école… J’étais sur le point de demander à Amikura quel genre de type il était, mais Ichinose revint. Amikura s’empressa de s’éloigner de moi, ne voulant pas qu’Ichinose sache qu’elle avait parlé de sa vie amoureuse sans permission.

Ichinose — Désolée de vous avoir fait attendre.

Moi — Aucun souci. Tu vas un peu mieux, là ?

Je passai rapidement sur autre chose, histoire de ne pas donner l’impression à Ichinose que je m’attardais sur elle. Nous avions le temps d’explorer sa situation en profondeur.

2

Pendant une heure environ, je poursuivis mon expérience en salle de sport avec Ichinose et Amikura. Pendant que nous nous entraînions, Amikura a dit qu’elle resterait un peu après nous, alors Ichinose et moi partîmes nous changer. Nous nous retrouvâmes à la réception. En attendant Ichinose, je me procurai un dépliant de la salle afin de pouvoir envisager de m’y inscrire officiellement. C’était pénible de dépenser quelques milliers de points supplémentaires chaque mois, mais ce n’était pas une mauvaise idée de faire un peu d’exercice. D’autant que je m’étais fait la réflexion que mon corps s’était pas mal dégradé depuis que j’étais ici, et pour cause : je n’avais pratiquement pas fait d’exercice physique volontairement au cours des deux dernières années. J’en étais arrivé à la conclusion qu’il pouvait être bon d’augmenter quelque peu le niveau de mes capacités physiques, à défaut de les rétablir à leur état antérieur. Après nous être changés, Ichinose et moi quittâmes la salle de sport pour retourner au centre commercial.

Ichinose — Tu as reçu une brochure ?

Moi — Oui, j’ai envisagé d’aller plus sérieusement à la salle de sport.

Ichinose — Oh, eh bien, peut-être que nous nous verrons plus souvent alors…

Moi — Oui.

Ichinose —Voilà…

Moi — Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

Nous n’allions pas rester sur la salle de sport, alors je lui demandais ce qui se passait après.

Ichinose — Je vais souvent dans les librairies. J’ai aussi tendance à faire mes courses dans les épiceries. Mais aujourd’hui, je suis un peu plus fatiguée que d’habitude. Pouvons-nous nous asseoir sur un banc, ou quelque chose comme ça ?

Parfois, il vaut mieux se reposer que de suivre une routine coûte que coûte.

Moi — Tu es sûre que tu ne veux pas aller dans un café ?

Ichinose — Nous ne passerions pas inaperçus, tu sais.

Elle semblait avoir fait cette suggestion en pensant à moi.

Moi — J’apprécie. Mais ça ne me pose pas problème. Installons-nous dans un endroit sympa.

Ichinose — Ah oui ? Si… tu es d’accord, alors…

Se cacher nous donnerait l’air encore plus suspect. Il n’y a rien de bizarre à boire quelque chose avec quelqu’un du sexe opposé. Ainsi donc nous allions au café et faire comme tout le monde. Nous avions tout de même choisi un établissement au deuxième étage, là où il y avait relativement moins de monde. Après avoir choisi nos boissons, nous nous installâmes.

Ichinose — Puis-je te poser une question ?

Moi — Oui, bien sûr, n’importe quoi.

Ichinose — …La raison pour laquelle tu m’as invitée… Est-ce que ça a un lien avec ma démission du Conseil ?

Elle semblait hésitante mais, au fond, j’étais sûr qu’elle se doutait de la chose.

Moi — Je mentirais si je disais que ça n’a rien à voir avec ça.

Ichinose — J’apprécie ta franchise.

La bouche d’Ichinose se détendit en disant cela, même si son regard était toujours détourné de moi.

Moi — J’ai été surpris que tu démissionnes du Conseil. Je pensais qu’il y avait de bonnes chances que tu gagnes l’élection contre Horikita.

La personnalité et les capacités d’Ichinose ont contribué à son entrée au Conseil dès la première année. Horikita, quant à elle, y est entrée un trimestre plus tard. Son frère aîné était le précédent président et elle était actuellement en classe B. En bref, leurs profils étaient tous deux intéressants.

Ichinose — S’il y avait eu une élection, qui aurais-tu soutenu ? Désolée, c’était une question stupide…

Que je le veuille ou non, Horikita était actuellement ma camarade. Pour le bien de la classe, il était plus bénéfique de l’avoir en présidente.

Moi — Je ne ressens pas le besoin de soutenir Horikita juste parce que nous sommes camarades de classe. Si Nagumo avait dit soutenir Horikita, je t’aurais quand même soutenue.

C’était aussi une réponse honnête, mais Ichinose a dû la prendre pour de la flatterie. Elle semblait plus s’excuser que se réjouir.

Ichinose — Mais si je l’avais fait… je n’aurais pas gagné. Je ne suis pas à la hauteur de Horikita-san.

Il semblait qu’Ichinose ne se sentait pas capable de gagner contre Horikita avant même d’essayer. Mais c’était parce qu’elle avait été vaincue non seulement sur le plan des capacités, mais aussi sur celui de l’esprit.

Ichinose — C’est probablement une bonne chose que j’aie démissionné après tout, car cela m’a évité d’être humiliée.

Moi — On ne connaît pas le résultat tant qu’on n’a pas essayé.

Ichinose — Je suis content que tu aies dit ça. Merci.

Moi— Mais, en vérité, tu avais pris ta décision bien avant. Non ?

Ichinose — Oui.

Moi — Est-il possible que l’incident survenu lors du voyage scolaire ait quelque chose à voir avec cela ? Si c’est le cas…

Ichinose — Ce n’est pas vrai.

Ichinose interrompit mes paroles et les démentit d’un ton ferme. Le gobelet en papier qu’elle tenait dans sa main fut compressé avec une telle force qu’il semblait s’effriter.

Ichinose — Je pensais déjà à démissionner avant cela. Je ne suis pas faite pour le Conseil. Je ne suis pas assez bonne, je n’ai pas de talent, et surtout… J’ai un passé que je ne peux pas effacer.

Le profil d’Ichinose m’avait rappelé un instant la nuit du voyage scolaire, mais cette fois-ci elle ne pleurait pas. Mais elle n’avait pas l’intention de continuer à être faible.

Ichinose — Mais tu sais, je n’ai pas tout abandonné. Je sais que certaines personnes de la classe craignent que je renonce à notre ambition à entrer en classe A, mais ce n’est pas vrai.

Moi — Donc c’est toujours un objectif pour toi ?

Ichinose — Tu m’as bien dit que tu me donnerais un coup de main si je n’avais pas le courage de faire le premier pas… En entendant ces mots, j’ai pu prendre ma décision le soir du voyage scolaire.

Ichinose, qui m’avait regardé dans les yeux, se mit à rire.

Ichinose — Je peux encore me battre. Mais j’ai pensé que ce n’était pas une bataille que je pouvais gagner avec ma façon d’être actuelle. J’ai pensé que continuer à être membre du Conseil des élèves serait soit un luxe, soit un fardeau inutile.

Moi — C’est donc pour ça que tu es partie, alors…

Ichinose — Oh… ce qu’il s’est passé au cours du voyage scolaire a peut-être été le déclencheur, si j’ose dire.

Ichinose gloussa légèrement, et plissa les yeux.

Ichinose — Je vais dire à ma classe ce que je viens de te dire, Ayanokôji-kun. Il faut que je sois bien comprise pour le coup.

Moi — C’est une bonne chose.

Que ses camarades continuent à la sonder sans connaître ses véritables intentions allait se révéler contreproductif dans la lutte contre Ryuuen. Je supposais pouvoir prendre ce qu’Ichinose me disait pour argent comptant. Bien qu’elle ait perdu sa place au sein du conseil des élèves, qui était l’une de ses armes, elle semblait avancer dans le bon sens. Elle s’était temporairement sortie de la situation que je craignais. J’allais maintenant pouvoir faire un bon rapport à Kanzaki.

Moi — Au fait, cela n’a rien à voir… Mais j’ai une question.

Ichinose — Bien sûr. Je t’écoute !

Je voulais enquêter un peu plus pour le bien de Watanabe.

Moi — Quel type d’homme aime Amikura ?

Ichinose — Quoi ?

Ichinose, qui avait porté la tasse à sa bouche, se figea. Ses yeux, qui évitaient les miens il y a quelques minutes à peine, les fixaient maintenant directement et ne les lâchaient plus. En fait, j’avais plutôt envie de m’enfuir.

Ichinose — Pourquoi cette question, d’un coup ?

Sa voix était la même. Elle ne semblait pas en colère, mais l’atmosphère autour d’Ichinose était différente subitement.

Moi — Eh bien… je ne sais pas trop quoi dire…

Ichinose — Pourquoi veux-tu le savoir ? Tu n’es pas son genre en tout cas.

Si elle le disait alors je la croyais… Mais l’ambiance devenait de plus en plus pesante. Je ne savais pas quoi dire. Cependant, je ne pouvais pas facilement faire allusion à Watanabe ici.

Moi — Je me disais juste qu’Amikura était mignonne et assez populaire.

Ichinose — Oui, je sais que Mako-chan est mignonne. Et alors ? C’est ton genre ?

Moi — Je ne pense pas.

Ichinose — Ça ne te ressemble pas, Ayanokôji-kun.

Il semblait que je ne sois pas du genre à poser ce genre de question, du moins d’après elle. Elle ne semblait pas non plus détourner le regard.

Moi — Non…, enfin, peut-être…

Où était passée l’atmosphère calme que j’avais connue ? Ichinose, la tasse toujours dans la bouche, me fixait avec la même expression de tension.

Ichinose — Pourquoi veux-tu connaître son genre à Mako-chan ?

Moi — Aucune raison particulière…

Ichinose — C’est vrai ce mensonge ?

Moi — En fait, pour tout te dire…

Je renonçai à établir un contact visuel avec elle et essayai de parler de l’employé du café à la place.

Moi — Oh, on dirait qu’une commande est prête. Ou peut-être que la boisson chocolatée est en cours de préparation.

Ichinose — As-tu rencontré Mako-chan ailleurs, auparavant ?

Ichinose n’en démordit pas, malgré ma tentative de changer de sujet.

Moi — C’est-à-dire ?

Ichinose — Quand vous vous êtes vus à la salle de sport aujourd’hui, vos regards se sont croisés d’une manière étrange. N’est-ce pas ce qu’on appelle « converser avec les yeux » ?

Elle paraissait si convaincue, c’était très tendu.

Moi — Tu as remarqué.

Ichinose — Bien sûr. Parce que je suis… toujours en train de te regarder et de penser à toi, tout le temps…

C’est à ce moment-là qu’Ichinose rompit enfin son regard. Elle s’était sûrement rendu compte qu’elle avait dit une phrase embarrassante.

Ichinose — Voici ce que je pense. Mako-chan et le reste de la classe ont dû s’inquiéter lorsqu’ils ont entendu la rumeur selon laquelle je quittais le Conseil. Alors ils sont venus te voir c’est ça ?

Comme pour prouver qu’elle avait récupéré mentalement, Ichinose montra qu’elle comprenait bien la situation. Elle était donc réellement consciente de son environnement.

Moi— Tu as raison.

J’aurais aimé l’applaudir, mais je préférais m’abstenir.

Ichinose — Mais je ne comprends pas… pourquoi voulais-tu savoir le type de garçon qu’elle aime ?

Même si nous pouvions déduire que j’avais pu parler à Amikura, ce n’était effectivement pas une raison pour lui demander son genre de gars.

Moi — D’après toi ?

Je lui suggérai d’y penser et de deviner. C’était le seul moyen de dissimuler l’existence de Watanabe. Il valait mieux partir de l’intuition d’Ichinose et d’inventer une réponse en fonction de ça.

Ichinose — Ce n’est pas parce que tu t’intéresses à Mako-chan, n’est-ce pas ? Oui, je n’aime pas ça, alors j’exclue cette possibilité.

Elle en avait fait une option, mais la balaya d’un revers de main. C’était une chose très audacieuse à dire, même dans un endroit relativement privé.

Elle m’aimait toujours, et elle n’essayait même pas de le cacher. Ou bien fit-elle cela instinctivement ? J’avais du mal à lire en elle en tout cas.

Ichinose — Si c’est autre chose, il se peut qu’un garçon aime… Mako-chan, et qu’il t’ait demandé d’enquêter. Oui, ce serait logique de penser que je sois au courant.

Son pouvoir de déduction et de reconstitution était effrayant.

Ichinose — Donc quelqu’un qui connaît la relation entre Mako-chan et moi… et un élève de ma classe qui te connait…

Moi — D’accord. Je vais être honnête avec toi

Je suis désolé, Watanabe, notre petit tour de passe-passe n’avait aucun effet sur quelqu’un d’aussi pointu. Si  je ne l’avais pas arrêtée ici, elle m’aurait donné le nom en une seconde.

Moi — Il y a bien un garçon qui m’a demandé de découvrir si quelqu’un plaisait à Amikura. Mais ce n’est pas très loyal de te dire qui.

Dans l’absolu, il n’y avait rien de mal à ça. Il valait mieux juste que ça ne remonte pas à Amikura, directement.

Moi — Je suis désolé. Oublions tout ça.

Ichinose — C’est normal que tout le monde veuille en savoir plus sur la personne aimée et je sais combien il faut de courage pour demander directement. Mako-chan est une fille très gentille. Honnêtement, je ne sais pas quel est son genre. Je ne lui ai jamais demandé. Mais d’après ce qu’elle m’a dit, je ne pense pas qu’elle aime qui que ce soit au lycée.

Cela corroborait un peu les dires d’Amikura elle-même, plus tôt.

Ichinose — Il semble qu’elle avait un camarade qu’elle aimait bien au collège. Je ne pense pas qu’elle sortait avec lui, mais elle y pense depuis longtemps. Je ne crois pas qu’elle soit tombée amoureuse de quelqu’un d’autre pour l’instant.

C’était une situation que Watanabe n’avait probablement pas envisagée. Gagner l’affection d’une personne dont l’amour n’a jamais été partagé depuis le collège peut s’avérer un obstacle étonnamment difficile à franchir. Cela ne signifiait pas pour autant que c’était impossible. Il avait toutes ses chances s’il réussissait à établir un bon rapprochement le temps qu’il était là.

Ichinose — C’est tout ce que je peux te dire. Ça ira ?

Moi — C’est suffisant. Merci, Ichinose.

Ichinose — Ayanokôji-kun, Watanabe-kun compte beaucoup sur toi, n’est-ce pas ?

Moi — Je n’ai jamais parlé de Watanabe.

Ichinose — Oh, je vois. Désolée, désolée !!!

En réalité, nous étions grillés dans la mesure où j’avais trop peu de relations sociales autres que lui dans sa classe.

3

Ensuite, nous nous mîmes à profiter du Keyaki. Comme l’avait proposé Ichinose, nous flânions sans but précis plutôt que de faire du shopping. Nous passâmes la moitié de la journée ensemble tandis qu’elle me montrait ses habitudes. Puis nous quittâmes le centre commercial à l’heure du déjeuner.

Moi — Il pleut déjà ?

Je ne dirais pas qu’il pleuvait beaucoup, mais le temps semblait humide depuis un certain temps.

Ichinose — On dirait bien.

Comme nous avions tous les deux apporté nos parapluies, nous les ouvrîmes et commençâmes à marcher.

Moi — Je suis désolé, cela faisait un peu invitation par intérêt.

Ichinose — Ce n’est pas grave. Maintenant, je sais qu’il y a des gens qui se soucient encore de moi.

Tout ce que j’avais fait, c’était obtenir des informations d’Ichinose. Je n’aurais pas pu lui reprocher d’être en colère, surtout vu sa situation actuelle.

Ichinose — Merci Ayanokôji-kun.

Mais cela ne la dérangeait pas, apparemment. Elle était plutôt reconnaissante.

Moi — Pas besoin de me remercier. Je suis désolé, j’aurais dû te demander plus tôt au lieu de tourner autour du pot.

Ichinose — Allez, on a passé du temps tous les deux… Ça valait le coup !

Murmura-t-elle, en rougissant timidement.

Ichinose — Tu es sûr que Karuizawa-san ne sera pas en colère ? Quelles que soient les circonstances, je suis certaine qu’elle s’est sentie mal à l’aise à l’idée que son petit ami passe la journée seul avec une autre fille.

Ichinose s’inquiétait pour Kei, sa rivale. Était-elle sincère ?

Moi — Peut-être bien.

Sur le chemin du retour, des flaques d’eau commencèrent à se former et l’eau  éclaboussa le sol pendant que nous marchions. Le silence s’installa de manière inattendue. Cependant, contrairement à ce matin, le sentiment de malaise provoqué par le silence s’était atténué.

Ichinose — Question indiscrète… Qui s’est déclaré entre vous deux ? Karuizawa-san ou toi ?

Elle me fixait.  Hélas, je ne pouvais pas lui donner la réponse qu’elle voulait.

Moi — C’était moi.

Ichinose — Je vois…, Ayanokôji-kun. Je suis jalouse…

Par le passé, je n’aurais jamais pensé avoir ce genre de discussion avec Ichinose. Cependant, elle, qui marchait à côté de moi, était plutôt mesurée, ou du moins elle était prête à l’accepter. En général, ce genre de situation se produit lorsque la personne a déjà abandonné ses sentiments pour l’autre.

Mais… l’amour d’Ichinose pour moi semblait toujours aussi fort. Alors, quel est l’état psychologique actuel d’Ichinose ? S’agissait-il simplement d’un entêtement ? Ou était-elle sur le point d’abandonner ? Peu importe, je n’arrivais pas à une conclusion logique dans ma tête. Curieusement, les yeux d’Ichinose semblaient plus étincelants juste après avoir entendu parler de Kei.

Ichinose — Notre journée a-t-elle été source de malentendus ? 

Moi — Ça ne s’est pas très bien passé, honnêtement. J’ai essayé de lui expliquer, mais je pense qu’elle s’est vexée.

Ichinose — Je vois. Si tu veux, je peux lui toucher deux mots…

Moi — Ce n’est pas quelque chose dont tu devrais t’inquiéter. C’est de ma faute d’avoir programmé ça si soudainement.

Ichinose — Mais…

Le silence fut de retour, et il dura jusqu’à la fin. Une fois finalement arrivés dans le hall du dortoir, nous attendîmes l’ascenseur qui descendait.

Ichinose — J’ai passé un excellent moment aujourd’hui. Merci, Ayanokôji-kun.

Lorsque nous arrivâmes au quatrième étage et que je suis descendu, elle me fit un signe d’au revoir.

Moi — À plus tard, Ichinose.

Ichinose et moi restâmes en contact visuel pendant quelques secondes, jusqu’à ce que la porte se referme. Finalement, Ichinose disparut. Sur le chemin de ma chambre, j’envoyai un message à Kanzaki et lui fit un petit résumé.

Moi : Ichinose n’a pas perdu espoir d’accéder à la classe A… Elle a démissionné du Conseil pour pouvoir se concentrer davantage sur autre chose. Elle comptait vous le dire demain ou lundi.

Par la suite, je reçus un message de Kanzaki me demandant si elle semblait sincère. En tout cas, pour autant que j’aie pu le constater, elle m’avait convaincu. Surtout, j’avais pu entrevoir une agressivité inhabituelle qu’Ichinose n’avait jamais montrée auparavant.  Restait à savoir si c’était une bonne ou une mauvaise chose, mais j’avais le sentiment que nous allions voir une autre facette d’Ichinose.

J’avais annoncé à Ichinose vouloir veiller sur elle et la soutenir, tout en lui disant qu’elle devait avoir plus de personnes avec lesquelles elle pourrait exprimer ses opinions. Kanzaki m’envoya un message de profonde gratitude, peut-être accompagné d’un sentiment de soulagement.

Moi — Pas de nouvelles de Kei, hein ?

J’aurais pu lui dire que c’était fini, mais nous allions nous voir en cours de toute façon. Il était toujours mieux de s’expliquer en vrai.

Je décidais donc de ne pas la contacter plus que cela.

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