CLASSROOM Y2 V9 Chapitre 3

Avec les camarades d’Ichinose

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Traduction : Raitei &Nova
Correction :Nova & Raitei
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Nous étions début décembre. Il était 14h, un samedi après-midi. J’avais reçu un appel de Kanzaki deux jours auparavant et m’étais rendu au centre commercial Keyaki, comme convenu. Nous n’avions pas prévu de lieu de rendez-vous précis là-bas, mais je vis Kanzaki et son groupe non loin de l’entrée. Kanzaki, qui surveillait les allées et venues, me remarqua immédiatement et s’approcha de moi en levant légèrement la main.

Kanzaki — Désolé de te faire faire ça le weekend…

Moi — Ho, pas de soucis !   

Je lui avais fait comprendre qu’il n’avait pas à se sentir mal. Himeno, Watanabe et Amikura étaient également avec lui.

Moi — Je pensais voir seulement Himeno, en dehors de toi.

Kanzaki — Effectivement. Je m’excuse. Mais il y a plusieurs raisons.

Kanzaki tenta d’expliquer le pourquoi du comment,  mais Watanabe et les autres prirent la parole en premier.

Watanabe — Hey, Ayanokôji, il fait toujours aussi froid, non ? 

Amikura — Salut, Ayanokôji-kun ! 

Watanabe et Amikura s’adressèrent à moi en souriant, comme lors du voyage scolaire. J’acquiesçai en guise de réponse. Kanzaki m’avait déjà expliqué la raison de la présence de Himeno, mais voir ces quatre-là en même temps était quelque peu surprenant. Je n’arrivais pas à comprendre l’objectif de cette grosse réunion. Ces deux-là étaient-ils des élèves susceptibles de joindre leur cause ? Comment une telle coïncidence avait-elle pu se produire dans la mesure où je m’étais retrouvé avec eux lors du voyage scolaire ?

Himeno — Pas étonnant que tu aies l’air perplexe, Ayanokôji-kun. Moi non plus, je ne m’attendais pas à tomber sur ces deux-là.

Himeno semblait également troublée et opina du chef, bien que légèrement.

Moi — Comment ça ?

J’avais de plus en plus de doutes, mais Kanzaki semblait plus préoccupé par le fait d’être vu. J’avais pensé que le keyaki était moins fréquenté que d’habitude, mais les élèves entraient les uns après les autres.

Amikura — Le marketing de Noël a commencé !

Amikura indiqua un magasin tout en regardant le centre commercial animé. La devanture était en effet déjà décorée, et le terme « ventes de Noël » était affiché sur les étalages des différents produits.

Kanzaki — Pour l’instant, j’aimerais qu’on aille dans un endroit plus discret. Je ne veux pas que des éléments extérieurs connaissent l’existence de ce groupe. Surtout ceux qui sont dans les classes de Sakayanagi et de Ryuuen.

Il n’y avait aucune raison de refuser, la demande était légitime : je faisais « tâche » dans leur groupe, difficile d’éviter les soupçons. D’ailleurs, je préférais dans tous les cas discuter dans un endroit calme plutôt qu’à la vue de cette foule de gens.

Amikura — Alors pourquoi ne pas aller au karaoké ?

Amikura proposa une salle de karaoké, souvent utilisée pour des réunions stratégiques ou d’étude. Sur le campus, les endroits fermés de ce genre étaient plutôt rares. Et puis, c’était à trois minutes de marche.

Kanzaki — Allons-y.

Kanzaki prit l’initiative et commença à marcher. Je le suivis de près.

Amikura — C’est une conv’ sérieuse ? Désolée, je ne pensais pas…

Amikura, qui m’accompagnait, s’excusa à voix basse. D’après la façon dont elle parlait, il semblait qu’elle avait soudainement décidé de se joindre à la réunion. Watanabe, qui se tenait à côté d’Amikura, expliqua ce qui s’était passé.

Watanabe — On a vu que Kanzaki allait te capter aujourd’hui, alors on lui a demandé si on pouvait être de la partie !

Amikura — Oui. À l’origine, on avait prévu d’aller faire du shopping, avec Watanabe-kun.

Lorsqu’Amikura poursuivit son explication, Watanabe eut l’air un peu gêné. Heureux et triste à la fois, il détourna le regard.

Moi — Et vous êtes sûr de ne pas vouloir faire les boutiques ?

Tous deux avaient les mains vides, ne semblant avoir rien acheté.

Watanabe — Ce n’est pas si grave. Nous pourrons le faire plus tard.

Je me retournai lorsque Kanzaki, qui marchait devant moi, entendit ce dont nous parlions. Il s’expliqua de nouveau.

Kanzaki — À l’origine c’était juste moi et Himeno. J’ai changé d’avis quand ils m’ont dit que tu les avais bien traités durant le voyage.

C’était plutôt à moi de dire ça. Watanabe et Amikura m’avaient beaucoup aidé à divers égards pendant le voyage scolaire. Je leur en étais reconnaissant, mais je n’avais rien fait pour mériter ces éloges.

Moi — Tu t’es donc dit qu’il fallait les inviter ?

Lorsque je posai la question à Kanzaki, il hocha mystérieusement la tête.

Moi — Alors, de quoi allons-nous discuter ?

Kanzaki — Je te donnerai les détails plus tard.

La vitesse à laquelle il marchait me permit d’entrevoir son agitation.

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Nous arrivâmes au karaoké. J’entrai dans la salle désignée avec les quatre autres. En tant qu’invité, on me plaça au fond avant que Watanabe, Kanzaki et les autres ne prirent place. Nous commandâmes seulement des boissons.

Watanabe — Et si nous chantions quelque chose ?

Watanabe prit un micro sur la table et le pointa vers Kanzaki en plaisantant, comme s’il menait une interview. Kanzaki, qui n’était pas aussi doué que lui pour maintenir une atmosphère détendue, eut l’air ennuyé, avant de légèrement balayer le micro de la main.

Watanabe — Désolé, on fera ça plus tard.

Kanzaki — …Bien.

Watanabe s’excusa et haussa les épaules en retirant le micro.

Kanzaki — J’ai fait part à Himeno du sujet d’aujourd’hui, mais vous deux ne savez encore rien. J’insiste, mais pouvez-vous me promettre que rien ne sortira d’ici ?

Kanzaki leur avait dit à l’avance qu’il s’agissait d’une conversation confidentielle avant de les autoriser à nous accompagner.

Amikura — Oui, pas de soucis.

Watanabe — Bouche cousue, promis !

Kanzaki sembla tout de même se méfier d’eux.

Kanzaki — Je suis désolé, mais j’ai encore des doutes.

Comme je le pensais, Kanzaki dit les choses sincèrement.

Watanabe — Hé, hé… Que faire, alors ?

Kanzaki avait eu raison de faire ça. Il aurait pu directement refuser leur venue, mais il préféra les laisser suivre leur curiosité. Il voulait du coup vérifier qu’ils prenaient bien cette réunion au sérieux. Je me méfiais aussi mais je voulais leur faire confiance.

Watanabe — Je ne peux pas juste signer un contrat ou quelque chose comme ça ? Je ne le dirai à personne.

Kanzaki — Je vois. Un contrat signé. Ce n’est pas une mauvaise idée. On peut aussi l’enregistrer avec un portable.

Les faire jurer devant la caméra de ne rien dire à personne et les punir en cas de non-respect du contrat. Une telle approche était une façon de les tenir à l’écart. Sans hésiter, Kanzaki sortit son téléphone portable et le posa sur la table comme pour le montrer.

Amikura — T’es sérieux ? C’est assez embarrassant.

Amikura montra une certaine aversion pour cette proposition, pensant au début que c’était une blague de son camarade au départ.

Kanzaki — Je vous ai dit que c’était une conversation importante que nous allions avoir avec Ayanokôji. Je pense que si tout ce que nous disons ici est divulgué, les répercussions seront incommensurables.

Watanabe — C’est donc vraiment sérieux.

Kanzaki n’était pas le seul à regarder Watanabe avec intensité. Himeno également.

Kanzaki — Tu peux promettre de ne rien dire à personne ?

Kanzaki posa sa main sur le téléphone et demanda une nouvelle fois confirmation, acceptant les réactions négatives qu’il allait subir en raison de ses méthodes.

Kanzaki — Si vous ne voulez pas prendre vos responsabilités tous les deux, alors il est encore temps de partir.

La détermination avait atteint les deux personnes.

Watanabe — Je te le promets. Je ne dirai rien à personne.

Amikura — …Moi aussi. Puis ce serait dommage de partir maintenant… Allez, file ton portable, qu’on en finisse !

S’ils manquaient à leur parole, ils étaient sûrs d’être mal vus, du moins par Kanzaki et Himeno. Ils n’étaient certes pas amis proches, mais la camaraderie caractéristique de leur classe se faisait ressentir. Convaincu, Kanzaki rangea son téléphone. Il détourna son regard pour le tourner vers moi.

Kanzaki — Watanabe et Amikura resteront.

Moi — Je n’ai pas d’objection. C’est votre classe que cela regarde.

En effet, Kanzaki était le seul responsable en cas soucis entre eux.

Kanzaki — Je voudrais te demander une chose avant d’aborder le sujet principal. Pas mal d’élèves, y compris Watanabe et les autres, ont entendu une rumeur selon laquelle Ichinose avait quitté le Conseil.

La question n’avait clairement pas été posée par hasard. Rien d’officiel n’avait encore été annoncé, mais au fur et à mesure du processus de recrutement la rumeur se répandit au sein de la classe de Kanzaki.

Moi — Et en quoi suis-je concerné ?

Kanzaki — Parce que ton nom figure parmi les rumeurs.

Je fus un peu surpris par la chose, mais ma confusion fut dissipée par la déclaration de Watanabe immédiatement après.

Kanzaki — Dans ces rumeurs, tu allais rejoindre le Conseil.

C’était intéressant. Quelqu’un m’avait vu interagir avec Horikita, future présidente du Conseil. La rumeur avait dû partir de là.

Moi — Tu le sauras bientôt mais oui, elle démissionne du Conseil.

Kanzaki — C’était donc vrai.

Ichinose n’aurait pas nié la chose si Kanzaki lui avait posé la question, mais lui et ses camarades n’en avaient pas eu le courage. En effet, le pourquoi du comment de sa démission n’était pas aussi simple, et la brusquer risquait de créer des tensions dans la classe.

Moi — Ichinose aurait aimé vous le dire dès le début, mais Nagumo lui a sommé de garder le silence jusqu’à son remplacement.

Je veillai à ce que ce point soit clair afin de me faire bien comprendre.

Kanzaki — C’est à Ichinose de décider si elle veut continuer à faire partie du Conseil. Je sais que je n’ai pas mon mot à dire même si je suis son camarade, mais je n’arrive pas à me débarrasser de ce sentiment inquiétant.

Himeno — Je suppose qu’Ichinose-san a renoncé à passer en classe A.

Contrairement à Kanzaki, qui exprimait ses sentiments de manière indirecte, Himeno ne chercha pas à édulcorer. Après tout, elle délaissait le Conseil dans un moment critique pour sa classe, encore dans la course au classement. Si encore elle avait prétendu le faire pour se concentrer sur la lutte des classes, ses camarades auraient pu être rassurés. Mais elle ne montrait plus de volonté particulière à continuer le combat, ce qui expliquait l’inquiétude ambiante. C’était clairement le signe qu’Ichinose voulait tout abandonner. Kanzaki et Himeno avaient en tout cas cette vision des choses.

Amikura — Ce n’est pas un peu gros, Himeno ? Je ne pense pas que Honami-chan abandonnerait l’objectif d’aller en classe A si facilement.

Amikura voulu garder le bon soupçon, et répliqua.

Himeno — Alors pourquoi a-t-elle quitté le Conseil ?

Amikura — On ne sait rien de ses motivations. Peut-être qu’elle veut juste se concentrer sur la compétition interclasses.

Elle refusait de croire qu’Ichinose avait abandonné. Watanabe, qui semblait également partager l’avis d’Amikura, hocha la tête à plusieurs reprises.

Himeno — Alors pourquoi ne s’est-elle pas expliquée ? On aurait été au moins soulagé de ce côté.

Amikura — Le président lui a demandé de ne rien dire. Honami-chan n’est pas du genre à ne pas tenir parole.

Amikura réfuta Himeno avec logique. Il était naturel qu’Ichinose reste silencieuse si elle n’était pas autorisée à parler.

Amikura — En tout cas, personne dans notre classe ne pense qu’Ichinose a abandonné cet objectif de passer en classe A.

Watanabe — Kanzaki, tu penses qu’Ichinose a quitté le Conseil parce qu’elle renoncerait désormais à atteindre la classe A ?

Kanzaki — Ce n’est pas ce que je veux dire. La vérité restera inconnue tant que nous ne l’entendrons pas directement d’elle. Mais ce que je veux dire, c’est que vous la croyez trop aveuglément. Pourquoi personne n’a ne serait-ce qu’un peu envisagé le mauvais scénario auquel je pense ?

Amikura et les autres ici présents se mirent à marmonner.

Amikura — C’est évident. Honami-chan n’est pas ce genre de fille.

Watanabe — Je suis d’accord. Kanzaki, je pense que tu es bien seul à supposer qu’elle ait pu abandonner l’objectif de passer en classe A.

En entendant les commentaires d’Amikura et de Watanabe, qui semblaient résulter d’une croyance aveugle, Kanzaki ouvrit la bouche sans hésitation.

Kanzaki — Certes, il se pourrait qu’elle ait démissionné pour le bien de notre classe, mais pour moi c’est de l’ordre de 30% de chance.

Kanzaki était donc convaincu à 70 % qu’elle avait abandonné, ce qui n’était pas une mince affaire. En effet, le pourcentage était plutôt élevé.

Watanabe — Tu restes donc toujours sceptique.

Sans surprise, Watanabe répondit avec un ton exaspéré.

Himeno — Pour moi, ce n’est pas autant mais c’est du 50-50.

Watanabe — Himeno-san, tu es sérieuse ?

Himeno — Bien sûr. Pourquoi cette confiance aveugle ?

Amikura — On parle de Honami-chan. Ce n’est pas n’importe qui.

Himeno et Kanzaki échangèrent un regard. Ils voulaient croire que d’autres camarades de classe partageaient les mêmes doutes qu’eux. En réalité, les étudiants comme Amikura et Watanabe étaient clairement majoritaires. Ils n’avaient pas pris en compte la possibilité que le cœur d’Ichinose soit brisé.

Amikura — Je me sens mal pour Honami-chan… On la traite si mal juste parce qu’elle a quitté le Conseil.

Kanzaki — Mais nous perdrons définitivement les petits avantages pour notre classe si elle démissionne.

Watanabe — Je ne sais même pas si nous devrions nous plaindre étant donné que nous n’avons jamais rejoint le Conseil nous-mêmes.

L’objection de Watanabe n’était pas sans fondement. Personne ne pouvait blâmer Ichinose pour ses actes. Personne n’avait le droit de le faire. Si quelqu’un le faisait, il serait immédiatement réprimandé. Si quelqu’un  voulait les avantages du Conseil, alors qu’il fasse lui-même l’effort de s’y présenter. Après ces échanges, la salle devint calme.

Nous n’avions pas encore abordé le sujet principal, mais le fonctionnement interne de la classe d’Ichinose commença à émerger. Kanzaki n’était nullement incompétent, mais il avait fait quelques déclarations sans fondement.  C’était peut-être dû au décalage entre ses pensées et sa capacité à les exprimer. Son manque d’expérience en matière de prise de parole était flagrant. .

Kanzaki — Avançons un peu dans la conversation. Après tout, Ayanokôji ne sait pas vraiment pourquoi Ichinose a démissionné, n’est-ce pas ?

Désemparé, Kanzaki interrompit la discussion, cherchant mon approbation. Il était préférable de lui donner un petit coup de main. Ils avaient tous besoin de savoir pourquoi Ichinose avait démissionné.

Moi — Je suis désolé de dire ça, mais je ne sais pas à quoi pense Ichinose ces derniers temps. Je n’aurais jamais imaginé la voir démissionner.

Je décidai de continuer de m’exprimer avant que la réponse de quelqu’un d’autre n’arrive. Si je continuais à laisser l’initiative à Kanzaki, je risquais de ne pas pouvoir m’imposer. Bien que je sois un outsider, je devais minimiser les risques. De plus, cet échange pouvait m’être utile pour plus tard.

Moi — Puis, n’est-ce pas à ses camarades d’en savoir plus que moi ?

Watanabe — Heu, oui. Tu marques un point, Ayanokôji.

Watanabe et Amikura étaient prêts à faire confiance à Ichinose, mais ils n’étaient pas capables de saisir l’essence de la situation. Il en allait de même pour Kanzaki et Himeno. C’était une bonne chose qu’il y ait plusieurs points de vue au sein de la classe, mais jusqu’à présent, rien n’avait concrètement changé dans les faits pour eux.

Amikura — Oui. Que nous ne sachions rien est un problème.

Amikura avait ses propres idées sur la question, et elle y réfléchit. En attendant de voir leur réponse, le serveur vint nous apporter nos boissons. Il semblait que le karaoké était bondé depuis le matin et que les commandes prenaient plus de temps que d’habitude. Le serveur me demanda de commander un peu à l’avance  si je voulais autre chose, avant de partir.

Moi — Kanzaki. Avant de faire la leçon à Watanabe et aux autres, je pense que tu devrais toi-même t’assurer de la situation en allant la voir, tu ne crois pas ?

Kanzaki — Mais si j’agis maintenant…

Moi — Agir ? Il n’y a rien de mal à confirmer les véritables intentions d’Ichinose. Il y a de nombreuses façons de la contacter, que ce soit tôt le matin ou tard le soir, par téléphone ou en personne.

Pas seulement Kanzaki, mais aussi Himeno avait un visage impassible.

Moi — Tu te satisfais d’avoir quelques camarades compréhensifs alors que tu n’agis pas ?

Himeno — Mais… je ne suis pas non plus très proche d’Ichinose, et je ne peux pas imaginer qu’elle me dirait la vérité comme ça.

Le problème de la classe d’Ichinose ne se limitait pas à leur adoration aveugle.

Moi — Alors tu devrais te rapprocher d’elle plus que n’importe qui d’autre ici. Si tu avais été assez proche d’Ichinose pour que vous puissiez vous confier l’une à l’autre, le doute n’aurait pas été nourri.

Tout ce que Himeno devait faire était d’extraire l’info et de la partager vite avec Kanzaki. Son expression se figea et elle ne semblait pas savoir quoi répondre.

Watanabe — Attends, je comprends ce que tu essaies de dire Ayanokôji… Mais tu es parti un peu trop loin.

Watanabe prit leur défense suite aux reproches.

Watanabe — Ce n’est pas facile pour Ichinose de dire ce qu’elle pense. Si c’était facile de partager ses sentiments, personne n’aurait de difficultés.

Il sentit peut-être la tension devenir lourde dans la pièce. Ses propos témoignaient d’un haut niveau de conscience lorsqu’il s’agissait de protéger ses amis. Même dans cette situation en proie à la négativité, des discussions comme celle-ci permettaient de mettre en lumière certaines choses.

Moi — Je n’ai pas les détails de comment Ichinose se comporte avec ses camarades. C’est pourquoi certaines questions me viennent à l’esprit.

Watanabe — Comme ?

Moi — Si on ne peut pas lui demander directement, on peut l’observer et comprendre ses sentiments par soi-même. Si un élève ne se sent pas bien, n’importe qui le remarquera. Si Ichinose n’a pas toujours un visage impassible, il peut être utile d’observer ses changements d’expression.

Un aspect essentiel de la compréhension des émotions est l’observation des expressions faciales. Qu’ils connaissent ou non les détails, je voulais savoir s’il y avait eu des changements notables dans le comportement d’Ichinose avant et après son départ du Conseil. Tous les quatre étaient probablement en train de réfléchir sérieusement au temps qu’ils avaient passé avec Ichinose. Je voulais savoir s’il y avait eu des gestes, des expressions faciales ou des événements avant ou après le voyage scolaire qui avaient laissé entrevoir quelque chose. Avait-elle lancé un appel au secours ?

Watanabe — Je ne sais pas… Rien d’inhabituel pour moi.

Après une période de silence, Watanabe déclara qu’il n’y avait rien d’anormal. Nerveux, il regarda ses camarades comme pour chercher leur approbation. Amikura exprima également ses propres sentiments en réponse à Watanabe.

Amikura — Oui. Il n’y a pas eu de changement depuis les rumeurs sur sa démission. Même aujourd’hui, nous avons discuté du prochain examen spécial.

Kanzaki — Exact.

Kanzaki, qui était probablement le mieux placé pour comprendre le comportement d’Ichinose, ne nia pas la chose. La plupart des camarades de Kanzaki étaient hermétiques dans leur pensée et ne partageaient aucune information. Cependant, lorsque ces quatre personnes se réunirent et parlèrent, des portes jusqu’alors fermées s’ouvrirent.

Amikura — Après, comment dire… Depuis la fin de l’épreuve de l’île déserte, elle est devenue bizarre. Je ne crois pas que ce soit lié avec le fait d’atteindre la classe A ou non.

Dit-elle d’un ton hésitant, en jetant un coup d’œil désinvolte dans ma direction.

Watanabe — Vraiment ? Je n’avais pas du tout remarqué ça.

Non seulement Watanabe, mais aussi Kanzaki semblaient l’ignorer.

Himeno — Je confirme ce qu’elle dit.

Himeno finit par intervenir, acquiesçant. Je ne l’avais pas remarqué auparavant, mais les deux filles semblaient avoir une idée de ce qui se passait.

Amikura — Pas étonnant que Honami-chan soit si étrange…

Kanzaki — Tu as l’air d’avoir une idée. Tu peux nous en dire plus ?

Amikura — Eh bien, elle ne se sentait pas bien, mais ce n’est pas vraiment lié à sa démission du Conseil. Enfin je crois…

Kanzaki — Tu soupçonnes donc quelque chose ? Quoi qu’il en soit, j’aimerais connaître la raison dès que possible. C’est tout de même lié à la chaîne de commandement de notre classe.

Amikura — Je comprends ce que tu veux dire, mais…  Ayanokôji-kun, qu’est-ce que je dois faire ?

Elle dit cela, paniquée, pensant qu’elle avait peut-être dit quelque chose d’inutile. Contrairement à Amikura, bonne amie d’Ichinose, le reste du groupe ne semblait pas comprendre. Cependant, en voyant l’étrange pause et le fait qu’elle se tourne vers moi, Himeno eut une prise de conscience soudaine.

Himeno — Oh, c’est donc ça la cause ?

Amikura — Oui, tout juste !

Elle n’était pas une fille pour rien. Bien qu’elle soit l’une des trois personnes qui n’avaient pas conscience des circonstances, elle avait vite compris.

Himeno — Je n’étais pas trop au courant, mais… ça semble logique.

Kanzaki — Himeno, peux-tu nous expliquer ?

Kanzaki, qui avait été mis à l’écart, demanda en s’approchant.

Himeno — Je pense que l’état d’Ichinose-san est lié à Ayanokôji-kun.

Amikura hocha la tête d’un air hésitant à la remarque de Himeno.

Kanzaki — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Kanzaki fut surpris d’apprendre que j’étais à l’origine du comportement d’Ichinose. Si elles continuaient à rester vagues, Kanzaki et Watanabe ne feraient que s’embrouiller davantage.

Moi — Bon, c’est la vie privée d’Ichinose mais je préfère ne rien cacher au vu des circonstances. Sur l’île, Ichinose s’est déclarée à moi.

Lorsque je révélai cette information, Watanabe fut le plus choqué de tous.

Watanabe — Elle s…s’est déclarée ? Quoi ? Hein ? Elle t’aime ?

Moi — C’est bien ça.

Watanabe — Pour de vrai ? Toi ? Ça alors !

Amikura — Sérieusement ? Je ne savais pas non plus…

Elle était tellement choquée qu’elle se couvrit la bouche de ses deux mains.

Watanabe — Mais du coup, tu pensais à quoi Amikura ?!

La pièce fut saisie de panique. Chaque personne ayant des infos différentes.

Amikura — Je savais que Honami-chan aimait bien Ayanokôji-kun, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il sorte avec Karuizawa-san.

Bien qu’Amikura soit la meilleure amie d’Ichinose, je me doutais qu’elle n’ait rien dit quant à sa déclaration envers ma personne.

Amikura — C’est à peu près au même moment que j’ai appris pour Kei.

Watanabe sembla perplexe.

Watanabe — Shibata pleurerait s’il apprenait ça… Non, ça ne s’arrêterait pas à Shibata…

Kanzaki — De l’amour… Je vois…

Kanzaki secoua plusieurs fois la tête en se tenant le front, comme si le sujet lui donnait mal à la tête.

Kanzaki — Ça n’a pas l’air d’être la cause. Ça n’explique pas son état.

Tous trois tentèrent de dissocier sa démission et le fait de m’aimer, mais…

Himeno — Qui sait ? Je ne sais pas depuis combien de temps Ichinose-san aime Ayanokôji-kun, mais un cœur brisé est un problème. Peut- être qu’elle fait traîner les choses en longueur et qu’elle perd son sang-froid.

Elle pensait qu’il était possible que ce soit lié à son amour pour moi. Je voulais nier la chose mais je ne pouvais pas prouver qu’elle avait tort à 100 % au vu des informations actuelles.

Kanzaki — Si Ayanokôji rompt avec Karuizawa pour sortir avec Ichinose maintenant, y a-t- il une chance qu’elle s’en sorte… ?

Kanzaki marmonnait cela, espérant améliorer le cours des choses.

Kanzaki — C’est ridicule, n’est-ce pas… ?

Amikura — C’est assez osé, en fait.

En disant cela, le ton d’Amikura semblait me demander ce que j’en pensais.

Kanzaki — Je suis désolé, mais je ne peux pas accepter une telle proposition. Surtout qu’il n’est pas dans notre classe.

Amikura — …Tu as raison

L’amour et la compétition devaient être dissociés peu importe la situation.

Moi — J’ai partagé cette information avec vous mais je pense qu’il faut creuser ailleurs.

Watanabe — Pourquoi es-tu si calme, Ayanokôji ? Tu es super chanceux d’être apprécié par Ichinose ! Sois-en reconnaissant !

Je n’aimais pas qu’il parle de ça avec autant de passion. Quoi qu’il en soit, la première chose à faire maintenant était de les réorienter un peu car ils devenaient un peu désinvoltes dans leur manière de voir les choses. Nous devions en tout cas trouver les motifs plausibles de sa démission.

Moi — Est-ce qu’elle se sentait mal à l’aise à l’idée de se battre contre Ryuuen et sa classe par exemple ?

Personne ne répondit, comme s’ils ne pouvaient pas passer à autre chose. Après une courte pause, tout en prenant un verre, Amikura leva un peu la main.

Amikura — Jusqu’à présent, les choses sont vraiment comme d’habitude. On essaie de trouver un bon moyen pour gagner et puis voilà.

Watanabe — Oui, on fait ce qu’on a toujours fait.

Himeno — Oui. J’ai même entendu certaines stratégies.

Kanzaki fut le seul à ne pas prendre la parole, peut-être parce qu’il était d’accord avec eux. Il semblait penser à la suite.

Himeno — On peut supposer qu’elle subit un contre-coup. Elle est arrivée au pied du mur au point de vouloir quitter le Conseil et tente de garder la face pour ne pas accabler la classe.

Si on ne brise pas ses chaînes, on reste coincé dans un marécage de pensées infinies. Kanzaki et les autres devaient élargir leur réflexion et en pensant collectivement, ils pouvaient revitaliser la classe.

Moi — Je sais que vous voulez connaître la raison du départ d’Ichinose. Je comprends que Kanzaki et vous autres soient en proie aux doutes. Mais quelle est la véritable intention derrière tout ça ? Vous ne voulez pas qu’Ichinose se surmène, ou vous voulez qu’elle travaille encore plus dur pour la classe vu qu’elle démissionne du Conseil ?

Je leur avais dit ce que je voulais savoir et bus une gorgée de thé oolong. Tous semblaient hésitants. Ils restaient immobiles, n’échangeant que des regards. Cela en disait long sur l’état de leur classe. Beaucoup d’entre eux devaient s’inquiéter sincèrement de l’état mental d’Ichinose avant de se préoccuper de son statut de leader. Mais ce n’était pas tout pour Kanzaki et Himeno.

Kanzaki — Je vais répondre en premier. Naturellement, j’attends d’Ichinose qu’elle soit un leader. Le Conseil n’est pas ce qui importe. Si elle estime que c’est un fardeau, alors elle devrait démissionner sans hésiter. Ce qui importe en revanche, c’est de savoir si Ichinose a toujours la volonté de guider notre groupe en classe A. Si elle a perdu cette volonté de reconstruire la classe alors nous aurons des problèmes.

Watanabe — Je pense qu’Ichinose a toujours cette volonté. Mais si elle a renoncé à la classe A, que pouvons-nous lui reprocher ? C’est une question de choix personnel finalement.

Il n’était pas étonnant que Watanabe, qui avait montré une facette de lui soucieuse de ses amis soit de cet avis-là.

Amikura — Oui… on ne peut pas lui forcer la main, n’est-ce pas ?

Amikura ressentait la même chose et exprima son soutien. Lorsque quelqu’un perd l’envie, il n’est pas productif de l’impliquer dans une telle ambition.

Himeno — Certes mais en tant que leader, ce n’est pas acceptable. Elle doit faire part de ses sentiments à la classe dès que possible.

Au moins, ils espéraient seulement de sa part qu’elle les prévienne. À cet égard, ils n’avaient pas à s’inquiéter car c’était quelqu’un qui n’était pas du genre à causer du tort à ses camarades. Il était facile d’imaginer qu’elle ferait de son mieux pour aider ses amis.

Amikura — Ce serait la cata si elle se forçait à occuper la position de leader sans avoir l’intention de viser la classe A. Elle nous aurait clairement prévenus plus tôt.

Watanabe — Du coup on est bon, vu qu’Ichinose n’a rien dit, hein ?

Himeno — En fait, nous nous laissons aveugler par le bon soupçon. J’ai dit quelque chose de similaire tout à l’heure mais si elle cachait la vérité sur sa perte de motivation pour garder la face, alors notre classe en subirait bel et bien les conséquences.

Pour préserver ses amis, elle pouvait avoir décidé de tout garder pour elle. Si Ichinose avait vraiment le cœur brisé, il n’aurait pas été surprenant qu’elle fasse semblant d’être forte tout en se résignant secrètement.

Amikura — Je comprends un peu ce que tu veux dire, mais… est-il nécessaire d’opérer dans l’ombre comme ça, Himeno-san ?

Himeno — Ce n’est pas tout. Nous devons rassembler des gens qui peuvent faire part honnêtement de leur avis à Ichinose pour lui offrir une autre perspective. Il est important d’avoir une deuxième option au lieu de s’en remettre uniquement au leader.

Amikura — Ça ressemble un peu à une trahison, non ?

La classe dirigée par Ichinose ne faisait qu’un jusque-là. Enfin, c’était toujours le cas du point de vue d’Amikura. Il était inévitable que les actions de Kanzaki soient vues comme telles.

Amikura — Nous devons agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Nous devons nous préparer.

Watanabe — C’est ce que je dis. Comme l’a souligné Ayanokôji, il reste encore des petites choses à faire…

Watanabe et Amikura comprenaient maintenant la situation, contrairement au début. Cependant, la conversation restait vague. Kanzaki semblait en être parfaitement conscient. L’atmosphère gênante ne fut pas dissipée et nous étions arrivés à notre limite concernant le fait de chercher une raison à sa démission. Avec le peu d’informations à notre disposition, il était inutile de forcer plus longtemps pour chercher la vérité. Nous n’aurions fait que perdre du temps dans une discussion qui n’avait pas de réponse.

Moi — Kanzaki… il est temps que tu me dises ce que tu voulais dire.

Kanzaki — Hmm ? Ahh.

Il regarda son téléphone pour vérifier l’heure, comme s’il venait de se rappeler quelque chose.

Kanzaki — Si je t’ai fait venir ici aujourd’hui, c’était surtout pour te présenter un nouveau partenaire. Il avait d’autres choses à régler ce matin, d’où le retard, mais il peut maintenant venir à tout moment.

Nous bavardâmes de manière décontractée pendant une vingtaine de minute en meublant avec le voyage scolaire.

— Désolé pour le retard.

Kanzaki — Tu es enfin là, Hamaguchi.

Lorsque je tournai mon regard, Tetsuya Hamaguchi, de leur classe, apparut.

Amikura — Hamaguchi-kun vraiment… ? Wow… Ça pour une surprise.

Watanabe et Amikura échangèrent un regard. L’expression d’Amikura révéla clairement qu’elle ne s’attendait pas à le voir.

Hamaguchi — Hey, Ayanokôji-kun. Je crois que c’est la première fois qu’on se voit d’aussi près depuis l’épreuve sur l’île déserte.

Moi — Possible. Je te suis toujours reconnaissant pour cette fois-là.

J’ai encore en mémoire le fait qu’ils m’aient poliment accueilli à cette période, moi l’étranger, alors qu’il fallait faire des réserves de nourriture.

Hamaguchi — Ce n’était pas grand-chose. Je m’assois où ?

Kanzaki — Pour l’instant ici.

Kanzaki se leva et conduit Hamaguchi de l’autre côté de la pièce.

Moi — C’est bien Hamaguchi qui devait nous rejoindre plus tard ?

Kanzaki — Oui. C’est juste lui pour le moment.

Autrement dit, à l’exception de Watanabe et d’Amikura qui étaient là par coïncidence, ils étaient seulement trois à se mouiller.

Kanzaki — J’ai déjà parlé à Hamaguchi pour qu’il nous aide.

HImeno — C’est donc officiellement le troisième membre de l’équipe.

Kanzaki et Himeno avaient trouvé quelqu’un qui pouvait changer Ichinose. Bien sûr, Watanabe et Amikura ne comprenaient pas la situation, mais Kanzaki ne l’avait sûrement pas convié pour rien. Auquel cas, il aurait reporté la réunion.

Kanzaki — La situation est telle que nous ne pouvons plus reculer.

Himeno acquiesça silencieusement à la détermination de Kanzaki, qui avait augmenté d’un cran.

Himeno — Tu sais quoi de la situation, Hamaguchi-kun ? Je connais l’avis de Kanzaki-kun mais tu suis le mouvement comme ça ?

Hamaguchi — L’état mental d’Ichinose-san est au point mort. Ce n’est pas une bonne idée de laisser les choses comme ça. J’y pense depuis que l’année de première a commencé et non pas parce que Kanzaki-kun me l’a fait remarquer.

Apparemment, Hamaguchi avait déjà détecté l’anxiété d’Ichinose.

Himeno — Vraiment ? Tu n’avais rien montré avant.

Hamaguchi — C’est vrai. La classe n’aime pas ce genre d’atmosphère. Personne ne m’aurait suivi si je m’étais mis à contre-courant. On a tous vu comment Kanzaki-kun a souffert aussi longtemps.

Les détails étaient inconnus pour moi, membre d’une autre classe, mais le poids de la situation était évident dans leurs gestes et expressions.

Hamaguchi — Je ne veux pas qu’on retire à Ichinose-san son rôle de leader. Je veux la voir soutenir ses camarades en cas de problème. L’invitation de Kanzaki-kun est juste arrivée au bon moment.

Kanzaki — Même lorsque je me suis retrouvé isolé pendant l’examen spécial du consensus, Hamaguchi n’a cessé de prendre de mes nouvelles alors que personne n’était là. Je pouvais voir à son comportement et à son ton qu’il comprenait ce que je ressentais.

Vu son comportement, il était clair que l’on pouvait voir en Hamaguchi quelqu’un de fiable. On pouvait le comparer à Yôsuke, au niveau du potentiel.

Kanzaki — C’est un pari. Il est certes important d’agir sous les radars, mais avec son départ du Conseil, nous ne pouvons plus nous permettre de prendre notre temps. Si nous ne parvenons pas à vous convaincre Amikura et toi, alors nous serons dans une impasse.

Avec cette rencontre fortuite, il semblait que Kanzaki ait eu une illumination pour aller de l’avant. Les commentaires d’Amikura étaient toujours en faveur d’Ichinose, mais elle n’était pas non plus aveuglée.

Amikura — Je veux bien qu’on me fasse confiance, mais…

Watanabe — On a promis de ne rien révéler, non ?

Les deux semblaient confus, mais ne comptaient en rien les trahir.

Kanzaki — Je ne vous demande pas de prendre notre parti immédiatement. J’espère simplement que vous changerez d’avis, même si cela prend du temps. Jusqu’à présent, vous avez trop voulu laisser Ichinose décider de tout.

Watanabe — Cela aurait été une autre histoire si vous aviez l’intention de faire quelque chose de mal, mais je comprends que c’est pour le bien de la classe. Je vais y réfléchir, mais je ne me déciderai pas tout de suite.

Watanabe, qui avait fait preuve d’une certaine compréhension, répondit avec un léger mais large sourire.

Amikura — Je ne peux peut-être pas encore dire quoi que ce soit. Mais comme l’a dit Watanabe, on a promis de ne rien révéler à Honami-chan. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant…

Kanzaki — Ça me suffit.

Si Kanzaki leur avait forcé la main, ils n’auraient pas été aussi compréhensifs.

Moi — Du coup, qu’avez-vous l’intention de faire ?

Kanzaki — Concrètement, la première étape est de sauver la classe…

Alors que Kanzaki s’apprêtait à poursuivre sa déclaration, il regarda soudainement la porte qui s’ouvrit avec fracas.

— Oooooh ! Vas-y, c’est bon !

Ishizaki et Komiya entrèrent dans la salle avec force. Avaient-ils été appelés ? Cela n’avait pas l’air d’être le cas. De toute évidence, l’atmosphère était différente de ce qu’elle était tout à l’heure.

Ishizaki — Qu’est-ce que vous foutez ici ? On peut s’incruster ?

Les yeux d’Ishizaki se tournèrent vers moi pour la première fois, surpris.

Ishizaki — Pourquoi tu es là, Ayanokôji ?

Moi — Je te retourne la question. Tu fais quoi ici avec Komiya ?

Ishizaki — Eh bien, pour plusieurs raisons, tu vois…

Il sembla quelque peu agacé et laissa son regard se perdre vers Komiya.

Komiya — Oh, oh. On était tous les deux au karaoké et je vous ai vus. J’ai pensé que ce serait plus amusant d’être en groupe plutôt que tous les deux seuls.

Il répond en touchant bruyamment la porte vitrée de la salle de karaoké.

Amikura — C’est pas comme si on s’entendait, en fait.

Ishizaki — C’est… c’est… ce que tu crois ? Bah chanter ça va nous permettre de mieux se connaître.

Il était évident que ce n’étaient que des excuses. Ne voulant pas laisser la mascarade se poursuivre, Kanzaki révéla le but de l’opération.

Kanzaki — Depuis l’annonce de l’examen spécial, les mauvaises rencontres se sont multipliées jour après jour avec la classe de Ryuuen.

Amikura — Y’a eu encore des trucs ?

Amikura croisa les bras en dégoût, bien qu’elle ne semble pas en colère.

Ishizaki — En quoi c’est une mauvaise rencontre là ?

Kanzaki — Vous faites irruption comme ça sans permission peut-être ?

Ishizaki — On est juste venus prendre des nouvelles de camarades en première. On voulait voir ce que vous chantiez. Vous aviez l’air de bien vous amuser alors on s’était dit qu’on pouvait se joindre à vous.

Ishizaki comme Komiya, présenta de piètres excuses. Personne ne le croyait.

Kanzaki — Désolée pour vous mais ce n’est pas une réunion stratégique.

Ishizaki — Mais…

Ishizaki remarqua qu’il y avait aucun cahier ou feuille sur la table. Il se gratta la tête. La classe de Ryuuen était en concurrence avec celle d’Ichinose et Amikura avait eu l’air de sous-entendre qu’il y avait eu plusieurs échauffourées avec eux

Kanzaki — Vous pouvez donc partir.

Ils étaient probablement là pour perturber leurs plans et soutirer des infos. Si ce n’était pas une réunion stratégique, il n’y avait aucune raison de rester.

Ishizaki — Tsk. On se tire.

Ils quittèrent enfin la pièce, claquant leur langue en guise d’aveu.

Watanabe — Quelle bande d’idiots. Non… Ils ne font que suivre les ordres.

Amikura — C’est vrai. Ils devraient étudier sérieusement de leur côté, mais ils ne pensent qu’à nous provoquer.

Watanabe — C’est comme l’examen final de l’an dernier.

À l’époque, Ryuuen avait également adopté une stratégie très agressive. Je ne savais pas quel était sa stratégie actuelle mais je doute qu’il aille trop loin.

Moi — Ryuuen met la pression pour vous faire signer un accord défavorable ?

Kanzaki — Nous avons déjà pris des contre-mesures fermes à ce sujet. Bien sûr, nous ne pouvons pas dire qu’il n’y aura pas de problèmes à l’avenir alors nous resterons vigilants.

Il se leva et reprit sa place après s’être assuré du départ d’Ishizaki et Komiya.

Kanzaki — Je vais revenir à notre sujet. La première étape pour sauver la classe est de déterminer rapidement dans quel état d’esprit se trouve Ichinose. Si nous ne la ramenons pas, nous resterons immobiles.

En effet, personne ne connaissait le véritable état d’esprit d’Ichinose.

Kanzaki — J’aimerais qu’il y ait un moyen d’avoir une vision complète de ce qui se passe…

Amikura — Le seul moyen serait d’être là pour Honami-chan je pense.

Kanzaki — En quoi ça changerait quelque chose ?

Amikura — Quoi ? Eh bien, je ne sais pas vraiment le dire…

Kanzaki — C’est parce que nous sommes restés statiques que nous en sommes là aujourd’hui.

Watanabe — Hé, Kanzaki, sois un peu plus calme. On est autorisés à parler librement ou ce n’est pas le cas ?

Watanabe interrompit la joute verbale d’un ton légèrement énervé et poursuivit.

Watanabe — Nous devons avoir le courage d’avancer des idées, mais si elles sont supprimées et écrasées de la sorte, il sera plus difficile pour une autre opinion d’émerger, n’est-ce pas ?

Kanzaki — …Mais…

Hamaguchi — Je suis d’accord avec Watanabe-san. Je me suis abstenu de m’exprimer jusqu’à présent, mais Ichinose-san n’est pas le seul gros problème à régler.

Hamaguchi fit part de son opinion à Kanzaki en défendant Watanabe.

Kanzaki — J’apprécie ce que tu fais pour la classe, mais quel est l’intérêt si cela devient incontrôlable ?

Bien qu’il s’agisse d’un petit groupe, il y avait plus de fortes individualités que je ne le pensais. Alors que la plupart croyaient aveuglément en Ichinose, certains avaient des doutes. Mais Hamaguchi et Watanabe n’avaient pas su se démarquer quand la situation l’exigeait. Ils ont pu parler librement grâce à Kanzaki qui avait pris l’initiative de s’exprimer.

Hamaguchi — Ce n’est pas une mauvaise idée d’être là pour elle. Je ne pense pas qu’Ichinose-san nous répondrait facilement si nous lui forçons la main. Il est important d’y aller naturellement et d’observer.

Kanzaki — Vous voulez prendre le temps d’évaluer les choses alors qu’il n’y a plus une minute à perdre ? Ce serait bien trop long.

Hamaguchi — Non. Ça dépend de la façon dont on l’aborde. Nous ne connaissons Ichinose-san qu’en tant que leader, mais pour Amikura-san c’est différent. Je pense qu’elle a beaucoup d’occasions de passer du temps avec elle et ses amis durant les temps libres. Cela devrait nous ouvrir plus d’opportunités.

Amikura hocha tête.

Hamaguchi — Le fait d’avoir plus d’opportunités est un avantage mais il peut aussi y avoir des inconvénients. Il est parfois plus difficile de se confier à des gens proches, paradoxalement.

Même entre amis proches, il fallait respecter l’étiquette. Amikura ne pouvait pas demander n’importe quoi sans discrétion. Himeno, que je pensais être la moins encline à parler, leva la main avant que les autres ne le fassent.

Kanzaki — Je t’écoute.

Himeno — Et si Ayanokôji-kun allait voir Ichinose-san pendant les vacances ? Il pourra alors la questionner. Les élèves ne font en général pas confiance à ceux des autres classes mais c’est différent avec quelqu’un qu’on apprécie. Elle pourra être plus détendue.

Hamaguchi — Cela pourrait marcher. Même Ichinose-san ne serait pas contre le fait d’être invitée par quelqu’un qu’elle aime. Comme le suggère Himeno, sa garde pourrait être baissée.

Hamaguchi semblait savoir qu’Ichinose était amoureuse de moi.

Kanzaki — Mais Ayanokôji est d’une autre classe. C’est quand même source d’inquiét…

Himeno — Mais tu lui fais confiance ? Tu ne l’aurais pas invité sinon.

Le retour en force de Himeno interrompit Kanzaki.

Himeno — C’est l’occasion à ne pas rater pour avancer.

Kanzaki — Je comprends ce que tu veux dire, mais Ayanokôji a une petite amie. Karuizawa, non ? C’est un problème à bien des égards.

Amikura — Honami-chan se distingue. Si elle s’isole avec un garçon, des rumeurs pourraient naître. Il doit au minimum obtenir la permission de Karuizawa-san en prouvant qu’il ne s’agit pas d’un rencard. Mais comme Honami-chan aime Ayanokôji-kun, ce n’est pas gagné.

L’excitation les gagnait alors que j’étais inclus dans leur plan sans autorisation.

Amikura — Déjà, est-il possible de procéder sans Honami-chan ? Je sais que c’est pour le bien de la classe, mais… je n’aime pas ça. C’est comme si j’essayais de lui planter un couteau dans le dos.

Il n’était pas surprenant qu’Amikura, ayant une relation particulièrement étroite avec Honami-chan, se plaigne de cela. La classe D fut jusque-là centrée sur Ichinose, dans les bons comme dans les mauvais moments.

Kanzaki — Nous ne prenons pas cette initiative uniquement pour l’examen spécial mais pour le bien d’Ichinose. Il serait absurde de lui dire que nous nous inquiétons de son état mental.

Kanzaki essaya de convaincre Amikura, mais elle ne se laissait pas faire.

Amikura — Je sais que tu voulais changer la classe lors de l’examen spécial du consensus. Je ne dirai pas que c’est une mauvaise chose mais je ne pense pas que consulter secrètement Ayanokôji-kun et rester en coulisses avec Himeno-san soit louable.

C’était une pensée naturelle pour un élève de la classe d’Ichinose, censée valoriser la transparence.

Kanzaki — Agir ouvertement nous confronte forcément à une opposition. C’est pourquoi j’ai demandé la coopération de Himeno et Hamaguchi afin de renforcer mes positions.

Il est vrai que plus de la moitié des personnes présentes ici étaient du côté de Kanzaki. S’il était seul, il aurait dû se battre à un contre quatre, mais maintenant, c’était pratiquement trois contre deux. Avec des alliés de son côté, il pouvait espérer l’aide de renforts.

Himeno — Je suppose qu’organiser un rendez-vous avec Ayanokôji-kun est la meilleure solution.

Elle essaya de conclure mais Amikura gardait toujours une expression ferme.

Amikura — Tu ne sembles avoir aucune hésitation. Es-tu si insatisfaite de la façon dont Honami-chan gère les choses ?

Himeno — Je le suis…

Amikura — Kanzaki peut comprendre. Il donnait toujours son avis avec celui de Honami, même si parfois il divergeait avec elle. Mais toi Himeno, je ne t’ai jamais entendue exprimer une opinion.

Kanzaki — Himeno-chan…

Kanzaki tenta d’argumenter en sa faveur, mais Hamaguchi l’arrêta de sa main.

Hamaguchi — Ce n’est pas une raison pour esquiver les gros sujets.

Sa capacité à juger les choses objectivement avec une bonne vue d’ensemble était un atout de taille. Je découvrais ce côté-là de lui.

Himeno — Je n’aime pas ce côté où tout le monde doit se tenir la main et bien s’entendre. Ce côté bisounours est là depuis notre venue dans cette école. Pour moi qui n’aime pas trop socialiser c’est un peu trop.  Je me sens plutôt à l’aise seule.

Jusqu’à présent, Amikura n’avais jamais su ce que Himeno pensait.

Himeno — Je ne suis pas douée pour exprimer mon opinion et j’ai pensé qu’il était plus facile de suivre le courant. Du coup, à chaque fois que l’on m’invitait à faire quelque chose en groupe, je me contentais d’accepter passivement car tout le monde allait finir par suivre Ichinose-san dans tous les cas. Voilà tout.

Himeno n’avait jamais exprimé ses propres opinions, se contentant d’être influencée par l’avis de ses camarades.

Himeno — En revanche, j’ai toujours pensé que je ne pourrais jamais atteindre la classe A avec les seules méthodes d’Ichinose-san. Mais je ne peux rien y faire si tout le monde la suit comme des moutons. Je n’ai pas d’autre choix que de suivre.

Elle, qui avait probablement encore du mal à établir un contact visuel avec les autres, continuait à parler tout en fixant l’écran avec les paroles qui défilaient.

Himeno — Mais j’ai appris que Kanzaki-kun voulait changer les choses. Qu’il ne voulait pas renoncer à la classe A. Alors j’ai tenté ma chance.

Watanabe — C’est donc comme choisir entre le confort de la classe B ou l’effort et la difficulté pour le passage en classe A.

Il marmonna cela après avoir entendu ces pensées verbalisées inédites.

Amikura — Je comprends mieux ce que tu ressens Himeno-san. Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, avant.

Himeno — Ce n’est pas étonnant. Nous n’en avons jamais vraiment parlé.

On pouvait dire la même chose pour Ichinose. Il était difficile de savoir ce qu’elle pensait vraiment. Même si Amikura n’aimait pas parler dans le dos, elle fit preuve d’une certaine compréhension.

Kanzaki — Je te le demande en tant que représentant de la classe. Je veux savoir pourquoi Ichinose a démissionné et ce qu’elle compte faire. Pense-t-elle toujours que l’on peut arriver en classe A ? Je dois être fixé.

Arrivé à une conclusion, Kanzaki dit cela en inclinant la tête devant moi.

Moi — Je n’ai aucune raison particulière de refuser…

Kanzaki, qui d’habitude ne souriait pas beaucoup, inclina la tête en signe de gratitude avec une expression joyeuse.

Kanzaki — Mais comment vas-tu faire avec Karuizawa ?

Moi — Je ne vais rien faire de spécial. Je vais juste lui expliquer la situation et lui faire comprendre.

Kanzaki — C’est tout de même une affaire qui concerne une classe rivale. Je me demande si Karuizawa-san acceptera que tu nous aides même si tu es honnête avec elle.  Tu penses qu’elle n’aura aucun soupçon ?

Moi — Ne t’en fais pas pour ça.

Bien qu’il s’agisse d’une demande soudaine, c’était une bonne occasion pour eux d’avoir le fin mot de l’histoire.

2

Amikura proposa que nous fassions un petit karaoké, mais je dus me rendre aux toilettes avant. Bien que la réunion ait pris une tournure inattendue, Kanzaki et les autres montrèrent des signes d’évolution au cours de la discussion. C’était positif ! La seule chose qui restait à faire était donc d’inviter Ichinose à se confier sur sa situation actuelle, son départ du Conseil…

Dans l’idéal, Kanzaki et les autres s’en seraient chargés. Néanmoins, pour le bien de leur cohésion de classe, il valait mieux qu’un tiers comme moi s’en charge. Et faire accepter l’invitation à Ichinose allait se révéler compliqué. Après tout, le timing était particulier : entre la révélation d’un examen spécial important et son départ du Conseil, elle allait bien se douter qu’on voulait en savoir plus sur elle. Devais-je lui dire franco pourquoi je voulais la voir ? Non, il valait mieux la ménager avant, au risque de se montrer contre-productif.

Watanabe — Hé, Ayanokôji.

Watanabe m’avait suivi en toute hâte jusqu’aux toilettes pour hommes. Je pensais qu’il avait eu une « envie pressante », mais cela ne semblait pas être le cas.

Watanabe — Tu sais, tant que tu es sur l’affaire Ichinose…  Je voudrais te demander une petite faveur sur autre chose

Moi — Une faveur ? J’espère que c’est quelque chose de simple.

Je fis ce que j’avais à faire, me lavai les mains et retournai dans le couloir.

Watanabe — C’est probablement simple, mais je ne suis pas sûr… Euh…

Watanabe, qui s’exprimait habituellement clairement, devint très confus.  Cependant, il savait sûrement qu’il n’était pas bon de s’absenter trop longtemps du groupe, il commença donc à parler.

Moi — Alors, qu’est-ce que c’est ?

Watanabe — Hum… c’est à propos d’Amikura.

Moi  — Amikura ? Tu as senti quelque chose de bizarre ?

J’étais persuadé qu’Amikura était la plus contrariée par notre précédente discussion, mais qu’elle allait sûrement s’en remettre. Mais Watanabe avait peut-être senti quelque chose.

Watanabe — Non, ce n’est pas ça. Autre chose me préoccupe…

Ses paroles étaient incohérentes, mais je le laissai s’exprimer.

Watanabe — Je me demandais s’il y avait un garçon qui lui plaisait en ce moment. Ichinose est peut-être au courant… Si tu veux bien, tu peux le lui demander… ?

Moi — Je vois.

D’un seul coup, tout prenait sens.

Moi — Tu as le béguin pour Amikura.

Watanabe — Hé, hé, hé ! Sois plus discret !!!

Moi — C’est bon. Il n’y a personne ici pour le moment.

La seule chose qui s’échappait dans le couloir était la musique d’ambiance de l’établissement ainsi que les chants des salles de karaoké. Watanabe, paniqué, attirait bien plus l’attention.

Watanabe — Quand bien même !!

Mais on ne sait jamais. Je n’avais pas réalisé que Watanabe aimait Amikura.

Watanabe — J’ai fait ce que j’ai pu pour que ça ne transparaisse pas trop pendant le voyage scolaire, quand on était dans le même groupe.

Moi  — Nous ne sommes plus au cours élémentaire, en même temps… J’ose espérer que tu sais faire preuve de maîtrise !

En y réfléchissant, n’avait-il pas dit qu’il devait faire du shopping avec Amikura aujourd’hui ? Un lien commençait donc à se dessiner. C’était intéressant.

Moi — C’est toi qui l’avais invitée à sortir aujourd’hui, par hasard ?

Si c’était le cas, Watanabe gérait son affaire.

Watanabe — Quoi ? Ah… Eh bien, plus ou moins. Je m’étais réveillé et préparé si tôt. Ensuite, nous nous sommes retrouvés dans le hall du dortoir. J’étais si nerveux.

En repensant à leur rencontre, Watanabe parla avec un visage amer.

Watanabe — Mais quand nous avons commencé à marcher ensemble, nous ne pouvions plus parler du tout. Quand il y a du monde avec nous, ça va… Mais là les mots ne sortaient plus. C’était un peu le chaos jusqu’à ce qu’on arrive au centre commercial Keyaki.

Tout allait bien jusqu’à ce qu’il lui propose une sortie, quoi.

Moi — Tu n’aimes pas te retrouver seul avec elle ?

Watanabe — Cela ne me dérange pas. Mais je me suis énervé contre moi-même parce que je n’arrivais pas à bien parler, et j’ai pensé à des choses désagréables du genre « Amikura doit s’ennuyer avec moi ». Puis j’ai entendu Kanzaki et Himeno parler de toi en passant.

Au final, la situation tombait bien pour lui.

Watanabe — Nous étions dans le même groupe lors du voyage scolaire, toi et moi, du coup j’ai négocié pour les accompagner.

Il avait ainsi pu se mettre en retrait sans se retirer complètement.

Moi — Je vois, je comprends un peu mieux.

Il aurait été dommage de les perdre tous les deux, mais il n’y a rien de pire qu’un rencard qui ne se passe pas bien. Non, je ne pense pas qu’Amikura ait même considéré cela comme tel.

Watanabe — J’ai eu un peu peur. Je ne pensais pas que nous allions parler de quelque chose de si important, mais… Je suis content de l’avoir découvert à la fin. Je crois que je comprends ce que pensent Kanzaki et Himeno.

Avec ce que j’avais vu du personnage de Watanabe jusqu’à présent, si Kanzaki et les autres avaient agi plus tôt, ils auraient pu le mettre de leur côté plus rapidement, tout comme Hamaguchi. Peut-être que de tels élèves étaient encore en sommeil dans la classe d’Ichinose.

Watanabe — Alors… Peux-tu lui parler d’Amikura ?

Moi  — Moi ?

Watanabe — Tu la vois prochainement… Ce serait  sympa si tu pouvais lui en toucher deux mots !

Moi —Pas sûr qu’elle soit au courant de la vie amoureuse d’Amikura.

Watanabe — Je pense que si. Si Amikura aimait ou sortait avec quelqu’un, Ichinose le saurait certainement.

Watanabe répondit avec beaucoup d’assurance, c’était surprenant.

Moi  — Est-ce qu’Ichinose est une sorte de réseau d’information pour les filles ?

Watanabe — Je ne pense pas qu’Amikura soit le genre de personne à sortir avec un garçon sans consulter quelqu’un sur sa vie amoureuse. Si Ichinose est au courant, cela me donnera une chance.

Moi — Je vois. Il est donc confirmé qu’Amikura n’a pas quelqu’un de particulier qu’elle aime ?

Watanabe acquiesça en souriant.

Watanabe — Eh bien… En fait, ce que je veux vraiment, c’est que mon nom soit mentionné d’une manière ou d’une autre, mais il n’y a aucun signe en ce sens. Je suppose que je vais devoir persévérer puisque je n’ai pas de rivaux pour le moment.

Il analysa la situation et conclut qu’elle était mi-figue mi-raisin. Watanabe lui-même n’arrivait pas à saisir ses propres sentiments, il ne pouvait donc pas être sûr de quoi que ce soit. Cependant, il se sentait redevable envers Amikura d’avoir pris soin de lui pendant le voyage scolaire. Je comprenais, dans un sens, qu’il n’osait pas demander à des camarades de classe. D’une certaine manière, j’étais admiratif de sa motivation.

Moi — Je vais essayer d’en savoir plus, mais ne te fais pas trop d’illusions. Si j’en fais trop et que je la rends méfiante, ce sera désavantageux pour nous deux.

Watanabe — Oh, super !!

Watanabe avait l’air embarrassé, mais en même temps, heureux et satisfait.

3

Il était plus de 16h et j’étais assis, seul, sur un banc au deuxième étage du centre commercial Keyaki. La réunion au karaoké s’était terminée il y a peu,  mon rôle d’oreille attentive avec. J’aurais bien fini par me retirer de moi-même, si naturellement notre moment n’avait pas pris fin.

N’ayant rien à faire, je tuais un peu le temps sur mon téléphone. Kei m’envoya une photo. Elle et Satô semblaient s’amuser, se câlinant l’une et l’autre tout en faisant le signe de la paix. Elles avaient prévu de se réunir dans le dortoir des filles jusqu’à ce soir pour discuter, elles-deux et les autres : Satô, Mori, Ishikura et Maezono. Sa capacité à avoir une vie en dehors de moi était l’une des forces de Kei. Elle me demandait quand je comptais rentrer et après une courte réflexion, je lui donnai l’horaire de 20 h. Si je lui disais que je rentrais tôt, il y avait une chance que Kei laisse ses amies. Il valait mieux les laisser profiter de la journée tranquillement.

Moi — Eh bien…

Il n’y avait personne d’autre à proximité pour le moment, et il ne semblait pas y avoir de risque que le téléphone soit entendu. Je le pris donc et appelai Ichinose, en observant de temps en temps les élèves au loin. J’aurais aimé qu’on se voie demain alors il n’y avait aucune raison d’attendre. L’appel résonna dans mon oreille pendant un moment, mais Ichinose ne répondit pas. Ou elle était occupée, avec du monde, ou elle dormait. Il se pouvait aussi qu’elle ait intentionnellement ignoré l’appel.  Mon tête à tête avec elle la veille de la fin du voyage scolaire en serait la cause ? Alors que je regardais l’historique de mes appels avec diverses pensées en tête, je reçus un appel en retour.

Ichinose — Allô ? Je suis désolée, je n’ai pas pu décrocher…

Sa voix semblait nerveuse, mais elle semblait sincère.

Moi —Tu es occupée ?

Ichinose — Euh, non. J’allais juste commencer à réfléchir au dîner. 

Vu l’heure, c’était plausible. J’entendais ce qui semblait être une conversation autour d’elle, mais en écoutant plus attentivement ce n’était que la télévision.

Moi — C’est un peu soudain, mais es-tu libre demain ?

Pour aller droit au but, je lui proposai sans détour. .

Ichinose — Quoi…? Avec moi ?

Moi  — Tu voudrais quelqu’un d’autre ?

Ichinose — Eh bien, non, mais… Mais… Deux personnes, euh, juste nous deux… ?

Moi — Juste nous deux, si possible.

Il n’était pas nécessaire de le dire de manière détournée, j’ai donc transmis mon message directement. Ichinose ne  répondit  pas,  et  un silence  assez  pesant se fit entendre pendant quelques secondes.

Ichinose — Je n’ai rien de prévu… Que puis-je faire pour toi ?

En fonction de ma réponse, elle allait donc venir ou non. S’il s’agissait d’une consultation ou d’un problème quelconque, Ichinose aurait accepté sans broncher. Cependant, je ne pouvais pas révéler que Kanzaki et les autres m’avaient demandé d’enquêter sans éveiller les soupçons. Ils avaient réclamé la stricte confidentialité.  

Moi — Et si je te disais que je n’ai aucune raison particulière… Tu accepterais quand même ?

Ichinose — C’est juste que… Mais, hum, être seule avec toi…

Moi — Je voudrais te voir…

Ichinose — … !?

Moi — Enfin, ne te mets pas la pression pour dire oui…

Je fis un pas en arrière après ma prise de risque. J’essayais de comprendre où se situaient les émotions d’Ichinose.

Ichinose — …Attend. Non… c’est bon !

Je devais paraître le plus naturel possible.

Moi — Tu es sûre ? Ne te sens pas obligée !

Ichinose — Je ne me force pas… Je veux te voir aussi…

Moi — D’accord. Alors retrouvons-nous devant le centre commercial Keyaki demain à 10h.

Je ne savais pas combien de temps cela allait prendre, il était donc préférable d’en avoir le plus possible.

Ichinose — 10h, c’est ça ?

Moi — Oui. Bon, on part là-dessus. En cas de pépin ou d’empêchement, n’hésite pas à me prévenir ! 

Nous aurions pu avoir une conversation plus longue, mais il valait mieux l’éviter.

Moi — Allez, à demain !

Sur ces mots, la conversation prit fin de manière un peu gênante. Ainsi, le rendez-vous était plié. Le plus dur allait être à faire demain car il allait falloir en apprendre le plus possible sur son état.

Je pensai m’attarder dans une librairie après car il me restait encore beaucoup de temps à passer seul. Mais ce temps était différent de quand je n’avais pas d’amis…

Cette fois-ci, je savourais ces moments de quiétude.

4

Après m’être amusé jusqu’au soir, je m’arrêtai au supermarché pour acheter un dîner tardif. Je dis à Kei que je rentrais chez moi et quittai le Keyaki. La température avait bien chuté mais comme j’étais resté longtemps au chaud, la différence de température était tout à fait supportable.

Le téléphone portable dans ma poche vibra. Lorsque je lus le message, Kei me précisa qu’elle était avec son amie pour le dîner et qu’elles venaient de se séparer. Je lui répondis que j’étais content qu’elle ait passé une bonne journée et je marchai seul dans la rue jusqu’à mon dortoir.

Sur le chemin du retour, j’aperçu une élève de dos. Visiblement immobile, ses yeux semblaient fixer le ciel. Il faisait sombre alors j’avais du mal à cerner son identité.

Cependant, en m’approchant d’elle vu que la silhouette me semblait familière, je la reconnus tout de suite. Il n’y avait pas d’autres élèves dans les parages et j’étais seul.

Moi — Je suis surpris. Je pensais que tu étais rentrée chez toi.

Himeno se retourna entendant mon commentaire.

Himeno — Quoi ? Tu n’étais pas censé être rentré toi aussi ?

Moi — Je croyais avoir bien précisé que j’allais faire des courses avant.

Himeno — Je vois, peut-être. Mais il n’est pas un peu tard ?

Apparemment, elle ne m’avait pas vraiment écouté mais cela faisait presque quatre heures que nous nous étions séparés alors sa présence ici me rendait curieux.

Himeno — Tu ne rentres chez toi que maintenant ?

Demanda-t-elle en voyant mes sacs plastiques. J’hochai la tête.

Moi — Qu’est-ce que tu faisais jusqu’à cette heure-ci ?

Himeno — Hmm… J’ai été un peu perdue dans mes pensées. Je suis allée à l’épicerie puis au cinoche sur un coup de tête.

Elle semblait être comme moi sur le coup.

Moi — Peut-être que tu voulais juste te retrouver avec toi-même.

Elle était un peu surprise par ma remarque ce qui ne lui ressemblait pas, mais il n’y avait aucune raison pour elle de nier.

Himeno — Il fait toujours aussi froid le soir, pas vrai ? Vu qu’on va dans la même direction, on peut faire le chemin ensemble si tu veux.

Elle frissonna comme si elle n’avait pas remarqué la chose jusque-là.

Himeno — En fait, après notre départ, Kanzaki-kun et les autres m’ont demandé si je voulais passer un peu plus de temps avec eux.

Moi — Oh, je vois.

Himeno — C’est important d’avoir cette possibilité de parler avec des camarades en petit comité mais j’ai refusé.

Moi — Pourquoi ?

Himeno — Pour être honnête, je n’aimais pas l’ambiance alors je voulais fuir. Oh, ce n’est pas que je n’aime pas le groupe ou quoi que ce soit mais je n’aime pas l’idée de faire partie de quelque chose.

Bien qu’elle apprît à socialiser, il y avait encore du chemin à faire.

Himeno — Je me disais que j’étais à l’aise toute seule, et puis il faisait nuit.

Moi — Je vois.

Himeno — Mais plus je passe de temps seule, plus je pense à ce que tu as dit. Ça m’a vraiment touché là où ça fait mal.

Elle était préoccupée par mon reproche lors de la réunion au karaoké.

Himeno — Je me suis rendue compte que je n’avais rien accompli. J’étais convaincue que je faisais quelque chose de spécial en faisant équipe avec Kanzaki-kun, et que j’étais en quelque sorte géniale pour avoir réalisé qu’Ichinose-san avait des problèmes alors que personne d’autre ne l’avait remarqué. C’est comme si tu m’avais cassé le nez.

Moi — Je suis désolé.

Himeno — Tu n’as pas à l’être. Tu as juste raison.

Exhalant un souffle blanc, Himeno se tourna vers moi et sourit amèrement.

Himeno — Je pensais qu’il serait plus facile de faire de bonnes choses, mais ce n’est pas évident d’agir.

Moi — C’est le cas pour tout le monde tu sais.

Je n’avais pas l’intention de la réconforter, mais je ne voulais pas qu’elle s’inquiète trop non plus sur son cas.

Himeno — J’essaie de trouver un moyen d’avancer, mais je ne suis pas sûre de pouvoir m’améliorer en agissant avec Kanzaki-kun et Hamaguchi-kun.

Moi — Douter n’est pas quelque chose de mauvais en soi. Mais ce n’est pas un problème que l’on peut résoudre en restant inactif.

Himeno — Je sais, mais… Je pensais finalement commencer à sauver la classe, mais les rouages invisibles se détachent peu à peu. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir ce sentiment.

Les rouages invisibles se détachent ? Lorsque l’on essaie de faire quelque chose d’inédit, il est inévitable que l’anxiété se manifeste.

Himeno — Je ne suis pas dans le déni non plus mais je ne peux pas dire que tout roule dans notre classe malgré les bonnes apparences.

Moi — Eh bien… c’est vrai.

Il y a eu une bonne gestion de classe jusque-là mais sans résultats. Cela signifie que les rouages ne fonctionnaient pas correctement.

Moi — C’est un fait qu’un changement est en train de s’opérer dans votre classe.

Je ne pouvais heureusement ou malheureusement pas savoir comment tout cela allait finir pour eux mais il n’y avait pas seulement la variable du groupe de Kanzaki. Il y avait aussi la démission d’Ichinose. Je n’avais pas le contrôle sur plusieurs aspects alors l’avenir était flou. Mais il y avait clairement deux issues. La vie ou la mort. La classe d’Ichinose serait sauvée ou ne serait pas sauvée. Le déroulement de ce processus commençait cependant à être entouré d’un épais brouillard que personne ne pouvait prévoir. Mars, la fin de la deuxième année, allait bientôt arriver. D’ici là, Himeno allait assister de ses propres yeux à la chute ou au retour de sa classe.

Himeno — Ayanokôji-kun, penses-tu qu’il y a encore une chance pour nous d’atteindre la classe A si notre classe change ?

Moi — Tu veux un avis objectif ?

Himeno — Oui. Si possible.

Moi — Je dirais que oui mais c’est conditionné.

Himeno — Heh… Je pensais te voir dire que nous étions condamnés.

Moi — La bataille des première n’est pas si facile pour qu’un simple changement de système suffise à passer en A. En fait, l’écart entre votre classe et la classe A est de plus en plus important. Pour réduire l’écart, il faudra beaucoup souffrir et avoir de la détermination. Si toute la classe dans son ensemble ne l’a pas alors ce sera clairement la fin.

Himeno — Souffrir et être déterminé… ? Comment ça ?

Moi — Désolé, je ne peux pas répondre à cette question pour l’instant.

Himeno — Hein ? Je ne m’attendais pas à une telle réponse. Je pensais t’entendre dire que tu n’avais pas réfléchi ou que tu as dit ça au hasard.

Moi — C’est normal. Ça fait un peu réponse bateau.

Himeno — Parce qu’il s’agit des problèmes d’une classe rivale, et que nous aider n’est pas à l’avantage de votre classe, n’est-ce pas ?

Moi — En effet.

Himeno — Et pourtant, tu as l’air quand même de nous soutenir.

Moi — Parce que je suis impatient de voir comment votre classe finira avant de la considérer comme un allié ou un ennemi.

Himeno — Quelle est l’issue que tu attends ? On dirait que tu sais ce qu’il va se passer.

Personne ne pouvait prévoir l’avenir mais on pouvait y faire des conjectures et s’y préparer.

Moi — Pour le moment, je vais me contenter de donner un coup de main dans cette période trouble si ça te va.

Himeno — Je suis sûr que Kanzaki-kun sera satisfait. Me voilà rassurée.

Himeno, qui avait bien accepté la chose, fit une petite pose de la victoire avec ses deux bras.

Moi — J’espère que tu seras capable de montrer ouvertement ce genre de confiance un jour.

Himeno — Quoi ? Oh, je me sens soudainement embarrassée…

En disant cela, elle laissa ses mains s’enfoncer dans ses poches avant que ses yeux ne se détournent des miens.

5

Alors que je retournais au dortoir avec Himeno, je trouvai Kei assise sur un banc, son téléphone portable à la main.

Himeno — À plus tard.

Himeno, lisant l’humeur du moment, me quitta et commença à marcher rapidement. Elle s’inclina légèrement devant Kei en retournant au dortoir.

Moi — Qu’est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu étais retourné dans ta chambre.

Karuizawa — Qu’est-ce que j’ai l’air de faire d’après toi ?

Moi — Tu attends quelqu’un.

Karuizawa — C’est exact. Alors qui d’après toi ?  1 : Ike-kun. 2 : Minami-kun. 3 : Kiyotaka.

À chaque option, elle levait un doigt de manière bien sarcastique.

Moi — C’est une question extrêmement difficile. Mais j’ai ma petite idée.

Karuizawa — Si tu te trompes, il y aura une punition.

Moi — Avant de répondre, puis-je savoir ce que c’est ?

Karuizawa — J’écrirai au marqueur « Bisous de Kei-chan » sur ton front avant que l’on aille en cours.

Moi — D’accord. Alors va pour la réponse 3.

Karuizawa — Quoi ? Tu ne veux pas être puni à ce point ?

Un peu fâchée, elle se leva du banc pour venir à côté de moi.

Karuizawa — Alors ? La fille que je viens de voir, c’était Himeno-san, n’est-ce pas ? Pourquoi est-elle venue avec toi ?

Elle souriait, mais une forte pression s’exerçait.

Moi — Je t’ai dit que je voyais Kanzaki. Himeno faisait partie du groupe.

Karuizawa — Himeno était dans le groupe ? Mais Kanzaki-kun et les autres sont passés où du coup ?

Moi — J’ai quitté le groupe seul. J’ai juste rencontré Himeno sur le chemin du retour et nous avons eu une petite conversation.

Karuizawa — Hmm ? Hmm ? Eh bien, puisque je suis ta petite amie, je vais te croire pour l’instant, d’accord ?

Bien qu’elle ait dit ça, elle semblait quand même suspicieuse.

Karuizawa — Vous aviez l’air de bien vous entendre

Moi — Et tu as réussi à voir tout ça alors qu’il fait sombre ?

Karuizawa — Oui mais… c’est un pressentiment ! C’est comme ça !

Elle passa son bras autour du mien, comme si elle voulait marquer son territoire.

Karuizawa — Parlons de quelque chose d’amusant.

Moi — Je suis d’accord.

Karuizawa — Allons ensemble au centre commercial Keyaki demain. C’est bientôt Noël.

Elle m’invita à l’accompagner avec un sourire qui semblait signifier « Tu vois ce que je veux dire, n’est-ce pas ? »

Moi — Puisque la déclaration de Sudou n’a pas marché, il est normal qu’il reçoive un cadeau de Noël, n’est-ce pas ?

Karuizawa — C’est vrai. Un cadeau pour un ami n’est pas une mauvaise idée, mais aller faire du shopping avec son mec pour lui donner une idée de cadeau pour sa petite amie n’est pas mal non plus.

C’était en effet bien mieux que de lui offrir quelque chose qu’elle n’aime pas en réfléchissant de mon côté. Ça m’arrangeait bien.

Moi — J’aimerais beaucoup répondre à tes attentes, mais je ne peux pas le faire demain. La semaine prochaine, ça te va ?

Karuizawa — Quoi ? Tu as un autre rendez-vous ?

Kei avait été informée à l’avance de ma réunion avec Kanzaki et les autres.

Comme Kei n’était pas liée à eux, elle ne connaissait pas la teneur de ma relation avec ces derniers. Elle était curieuse mais n’y avait pas prêté attention plus que ça…

Moi — Oui.

Karuizawa — Tu ne peux pas prendre un peu de temps pour toi ? Qu’est-ce que tu as à faire demain de toute façon ?

Passer du temps avec Ichinose

Il était facile de ne rien lui dire mais l’inconvénient de garder le secret était aussi grand que celui de révéler les détails du groupe de Kanzaki. Ichinose attirait trop les regards pour que cela ne s’ébruite pas et puis Kei avait beaucoup d’amies qui étaient ses yeux et ses oreilles.

Moi — Je dois voir Ichinose.

Karuizawa — …Ichinose-san ?

Kei s’arrêta dans son élan, avec une réaction bien différente de celle qu’elle avait eue lorsque je lui avais dit que je partais voir Kanzaki.

Karuizawa — Qui d’autre est là ? Kanzaki-kun ou Himeno-san ?

Moi — Il n’y a personne d’autre pour l’instant. Juste Ichinose.

Karuizawa — Juste Ichinose ? Je suis un peu perturbée là. Tu vas passer ta journée de libre avec une autre fille ?

Je pouvais voir qu’elle était devenue plus amère mais c’était compréhensible. Dans la situation inverse, un garçon normal aurait réagi de la même façon.

Moi — Eh bien, oui.

J’observai attentivement sa réaction et répondis à son regard par le mien.

Karuizawa — Alors ?

Moi — Alors quoi ?

Karuizawa — En général on s’explique, non ? Tu devrais me dire la raison de votre rendez-vous en disant que je ne dois pas me faire des films. Ce n’est pas bien de rendre anxieuse sa partenaire.

Moi — Je dois la voir pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est que Kanzaki et les autres me l’ont demandé.

Karuizawa — Kanzaki-kun et les autres te l’ont demandé ? Ah bon ?

Elle était un peu soulagée d’entendre le nom de Kanzaki.

Moi — Ce n’est pas encore public, mais Ichinose a démissionné du Conseil. Il y a beaucoup de confusion à ce sujet en ce moment.

Karuizawa — Attends, attends. Sérieusement ? Je comprends pas.

Moi — Etonnant, n’est-ce pas ? Kanzaki et les autres veulent connaître la vérité. Appartenir au Conseil a un effet positif sur la classe, il est donc compréhensible que ses camarades soient contrariés alors que chaque point est bon à prendre.

Même avec cette explication, Kei ne pouvait pas comprendre l’anxiété de Kanzaki et de ses camarades de classe.

Moi —Kanzaki et les autres n’osent pas lui demander directement car ils ne supporteraient pas d’entendre leur leader dire qu’elle a abandonné l’idée de viser la classe A.

Karuizawa — Alors c’est toi qui te charges de ça ?

Moi — C’est ça.

Karuizawa — Je comprends la situation, mais… pourquoi es-tu autant impliqué dans la classe d’Ichinose-san ? Pourquoi ne pas les laisser tranquilles ? Même s’ils sont en D, ils peuvent un moment devenirs nos rivaux.

Il était naturel de se poser la question.  Ce n’était pas quelque chose que Horikita et les autres pouvaient comprendre.

Moi — J’ai mes raisons pour me montrer aussi aidant mais je ne peux rien te révéler.

Karuizawa — Quoi ? Tu penses que je ne pas garder un secret ?

Moi — Non, je sais que tu es très discrete. C’est juste que je ne pense pas être prêt à parler à qui que ce soit de ce que j’essaie de faire.

L’expression de Kei se crispa à mon ton sévère et dédaigneux. Mais Kei était Kei, et il était normal qu’elle ne puisse pas tout encaisser calmement. Pendant un moment, elle essaya de se retenir, mais ses pensées affluèrent.

Karuizawa — Je sais que tu as beaucoup de choses en tête. Je sais que tu aides notre classe en secret et que tu essaies d’avoir des infos sur Ichinose-san pour Kanzaki-kun et les autres. Mais tu sais, ce n’est pas sain d’aller voir une fille seule durant son temps libre comme ça. Ce n’est pas comme si c’était durant les cours, ou une pause déjeuner.

Les lèvres de Kei firent la moue et elle tourna la tête dans la direction opposée, comme si elle boudait. Cela aurait été plus facile si je lui disais que j’étais désolé et qu’elle était la seule qui comptait. J’avais déjà appris qu’il était important, dans une relation, de dire à quelqu’un de ne pas s’inquiéter. Mais et si c’était le contraire ? Même si nous avons une idée de la réponse, on ne pas dire l’avoir comprise si nous n’avons essayé de la trouver.

Moi — Alors tu veux m’en empêcher ? Tu n’as qu’à faire irruption un moment pendant que je serai avec elle.

Karuizawa — C’est…

Moi — Tu ne le ferais pas, n’est-ce pas ? Il n’y a aucun intérêt à le faire. Alors nous en avons terminé. Nous irons acheter les cadeaux de Noël ensemble la semaine prochaine, et il n’y aura pas de problème.

L’atmosphère pouvait changer du tout au tout rien qu’en ne prononçant rien de chaleureux. La Kei heureuse qui m’attendait dans le froid avait disparu.

Karuizawa — Tu as tes propres idées. Je n’ai pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet.

Non seulement l’expression de son visage, mais même ses émotions s’étaient évaporées.

Karuizawa — Je vais à la supérette. Tu peux rentrer chez toi.

Sur ces mots, elle se dirigea en courant vers la supérette sans se retourner. Cependant, les pas de Kei semblaient à la fois rapides et lents comme si elle voulait que je la poursuive.

Tout ce que j’avais à faire était de courir immédiatement après elle et de lui dire que j’étais désolé. Que je trouverais un autre moyen de régler la situation avec Ichinose.

Je n’avais que ça à faire pour retrouver la Kei d’avant.

Mais j’avais décidé de détacher mon regard de son dos et de retourner au dortoir.

Cela allait approfondir le fossé qui nous sépare.

Je me demandais comment Kei allait réagir.

Je voulais savoir aussi ce que j’allais ressentir et comment j’allais me comporter en retour.

C’était une bonne occasion d’expérimenter tout cela.

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