CLASSROOM Y2 V9.5 Chapitre 5


Temps restant

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Traduction : Raitei
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Je m’étais disputé avec Kei à cause d’Ichinose alors nous prîmes du recul dans notre relation quelque temps. Sa grippe n’aida pas et nous dûmes rater Noël. Nous étions déjà le 29 décembre, autrement dit, la fin de l’année. Nous avions convenu de nous voir vers 15h alors en entendant, je me contentai d’activités quotidiennes telles que regarder la télé, lire des livres, écouter de la musique ainsi que des recherches sur internet. Ce fut à ma grande surprise assez entraînant. Il restait 20 min alors je commençai à partir.

Nous devions nous voir au Keyaki, mais on pouvait se croiser en chemin. Comme je ne la voyais pas dans les environs, elle avait dû partir bien tôt. Je repensais dans ma tête à ce qu’était d’avoir une relation et ce qu’était l’amour au sens large. Parmi toutes les définitions du terme « relation » dans le dictionnaire, celle qui correspondait le mieux à la réalité était « être en couple avec quelqu’un ». Mais pour « amour » ce n’était pas aussi évident. On avait « Sentiment d’affection mutuel entre un homme et une femme ». La première chose à prendre en compte était de savoir si j’avais bien intériorisé ces choses au fur et à mesure.

Ma venue ici m’a fait apprendre beaucoup de choses sur les émotions. Que ce soit durant les cours, à travers les discussions avec les professeurs et les amis, en faisant du shopping ou en jouant. J’ai pu trier ce qui était intéressant, amusant ou délicieux et plein d’autres choses. Cette relation avec Kei m’en a appris beaucoup sur la vie de couple. J’ai pu expérimenter cette intimité qui ne se vit que dans ce cadre strict, ainsi que les diverses sorties et discussions en tête à tête. J’ai ainsi collecté un large éventail de données types.

Avais-je du coup compris ce qu’était l’amour ? La réponse était probablement bien plus complexe que ça, car ce n’était pas aussi simple que de se familiariser avec les émotions. Depuis que Kei et moi sortons ensemble, mon cœur n’a jamais connu de changement d’état. Cela m’avait toujours troublé, mais j’avais un élément de réponse. Puisque Kei était comme une sorte de livre pour comprendre l’amour, j’ai privilégié inconsciemment l’expérience plutôt que les sentiments. Je ne regrette en aucun cas la chose, car Kei m’avait beaucoup appris, mais le moment de décider combien de temps cela allait encore durer approchait. Kei était l’élève avec la plus grande part d’ombre dans la classe de Horikita. Elle essaie d’être forte, mais sa dépendance envers les autres en a fait un parfait sujet pour moi.

Mais je ne pouvais pas atteindre mon objectif si cette dépendance persistait. Maintenant que je voyais les choses autrement, je devais me libérer de son parasitisme. Il fallait que je sois sûr d’une chose avant de décider de me séparer d’elle ou non. Si jamais j’avais une once d’hésitation dans le fait de vouloir la quitter, alors c’était peut-être de l’amour. Il restait cinq minutes avant l’heure fatidique, mais elle m’attendait déjà, regardant le sol. Il aurait été logique de la voir regarder dans toutes les directions pour me voir arriver, mais peut-être qu’elle avait peur d’affronter mon regard.

Moi — Tu es en avance.

Pour ne pas trop la surprendre, je restai à bonne distance.

Karuizawa — Ah !

Kei leva la tête après m’avoir entendu. Ce rendez-vous était pour rattraper celui de Noël qui n’avait pas eu lieu, mais elle ne montrait aucun signe d’agitation. Était-ce l’effet de l’anxiété ? En tout cas je ne voyais aucune colère ou répulsion dans ses yeux.

Moi — Ça fait un petit bail.

Karuizawa — Ouais. Trois semaines.

Nous échangeâmes tout de même quelques mots tandis que nous nous faisions face. Même si nous étions très proches, ces trois semaines avaient creusé un fossé entre nous responsable de l’atmosphère pesante.

Moi — Tu es complètement rétablie ?

Karuizawa — Ouaip. On te l’a dit ?

Moi — Hier soir par Satô. Elle m’a appelé, car elle s’inquiétait pour toi.

Nous étions toujours assez distants. Même si jusque-là nous étions complices, il suffisait d’être gagné par l’anxiété pour montrer un tout autre visage.

Moi — Allons plutôt à l’intérieur.

Karuizawa — Ouais…

Il faisait froid dehors, alors nous entrâmes dans le centre Keyaki.

Karuizawa — On fait quoi du coup ?

Moi — En théorie, on aurait dû voir le sapin de Noël.

Karuizawa — Ouais.

Le grand sapin laissa une énorme place vide. Il fallait attendre Halloween ou Noël de l’an prochain pour installer une grande décoration ici.

Moi — C’est dommage d’avoir raté ça.

Karuizawa — Ouais.

Elle restait toujours un peu distante, se contentant de répéter des « Ouais », mais c’était prévisible. J’étais tout de même le responsable de la situation. Il est normal de refuser toute sortie avec quelqu’un du sexe opposé en situation de couple. Certains auraient pu même se dire que je la trompais alors je pris les devants, car il lui fallait du courage pour parler de ça.

Moi — Je tiens à m’excuser pour le malentendu avec Ichinose. Je veux vraiment te faire de sincères excuses et m’incliner s’il le faut.

Karuizawa — Kiyotaka…

Moi — Tu n’as rien à te reprocher. Je suis le fautif ici.

Karuizawa — Non, j’ai dit des choses que je n’aurais pas dû.

Moi — Non, tu as réagi comme il le fallait.

Elle ne me fit aucun reproche malgré son mécontentement.

Moi — Je voulais vraiment m’excuser plus tôt, mais on a été retardé.

Je sortis une boite de la poche.

Karuizawa — Qu’est-ce que c’est ?

Moi — C’est un cadeau de Noël en retard. S’il te plait, accepte-le.

Kei approcha ses mains pour saisir la boite, mais les éloigna ensuite. Même si ça n’avait pas suffi à lui ôter son anxiété, cela avait eu le mérite de la faire changer un peu d’état d’esprit. Je finis par les saisir doucement afin qu’elle puisse presser ses doigts autour de la boite. Je lui pris ensuite son manteau avant de lui demander d’ouvrir le cadeau.

Karuizawa — Je peux vraiment ?

Moi — Oui.

Elle finit par accepter et commença à ouvrir le dessus. Ce qu’il y avait dedans était un collier brillant. Surprise, elle le fixa un instant avant de lever la tête.

Karuizawa — Kiyotaka… Je t’ai dit que je voulais ce collier ?

Moi — En fait, je t’ai vu faire pas mal de recherches sur ton téléphone. Tu regardais d’autres articles aussi, mais celui-là plus que les autres.

Il y avait des bijoux bien plus chers, mais ce n’était pas raisonnable. Pour moi, c’était le meilleur choix.  Kei resta figé, tout en tenant le collier.

Moi — Ce n’était pas ce que tu voulais ?

Si je m’étais trompé alors cela voulait dire que je m’étais fait des films, mais Kei agita la tête à l’horizontale pour me signifier que j’avais bien fait tout en serrant encore plus le collier.

Karuizawa — Non, tu as visé juste.

Moi — Je vois, alors je suis soulagé.

Karuizawa — Je…Je ne rêve pas, hein ?

C’était une Kei avec des larmes de joie que je voyais, ne se souciant de personne dans les parages pouvant la voir dans cet état. Je finis par considérer qu’elle avait atteint le niveau de dépendance maximum à tel point, que je pouvais lui faire faire n’importe quoi, et ce, même des choses macabres. Si je n’ai pas voulu stopper notre relation ici c’est parce l’issue n’aurait pas été appropriée

Karuizawa — Kiyotaka ?

Perdu dans mes pensées, Kei me regarda avec ses yeux larmoyants.

Moi — Tu restes avec moi ce soir ?

Avec un grand sourire, elle s’enroula autour de mon bras.

Karuizawa — Je pensais que j’étais devenue inutile.

Moi — Tu me pardonnes alors ?

Karuizawa — Bien sûr, c’est évident, non ?

Karuizawa — Alors on peut repartir à zéro ?

Moi — Oui, ça redevient comme avant.

Karuizawa — Je peux vraiment…vraiment te faire confiance ?

Moi — Oui, tu le peux.

Je la pris dans mes bras, lui donnant une réponse ferme après ses questions.

Karuizawa — Je suis heureuse…Vraiment…Je le suis.

Moi — Noël est fini, mais on ne va pas rater ton anniversaire.

Karuizawa — Oui, oui !

Elle était née un 8 mars ce qui signifiait un anniversaire avant les examens finaux. D’ici là, rien n’allait vraiment changer, me contentant de la protéger en cas de besoin. C’était le quotidien d’un hôte accueillant un parasite après tout. Elle mit le collier avant de m’entourer délicatement le bras.

Karuizawa — Ça faisait longtemps…

Moi — En effet. Tu veux aller où ?

Karuizawa — N’importe où, ça ira. Tant que je suis avec toi !

Elle ne souhaitait rien de plus tandis qu’elle se collait à moi.

Karuizawa — Je peux venir chez toi du coup quand je veux ?

Moi — Je n’ai pas de raison de refuser.

Karuizawa — Et si on prenait un bain ?

Moi — Pas de soucis.

Karuizawa — Héhéhé…

Après avoir joyeusement relaxé ses joues, elle essuya du bout des doigts les larmes qui débordaient du coin de ses yeux. Le rétablissement de ma relation avec elle. C’était une démarche joyeuse. Pourtant, pourquoi mon cœur n’a-t-il même pas tremblé ? Ne devrais-je pas être plus joyeux, frissonnant et me réjouissant à la fois ? Je ne sais pas.

Moi — Ça me soulage d’être de nouveau à tes côtés.

Ce furent des mots bien superficiels de ma part, mais cela lui procurait de la joie. Je ne ressentais aucune tristesse dans l’idée de ne pas comprendre de tels sentiments. En effet, si je ne comprenais pas, je n’avais qu’à recommencer plusieurs fois et si c’était vain alors je n’avais qu’à tenter de comprendre avec quelqu’un d’autre. En multipliant les relations, je pouvais finir par apprendre le concept d’amour. Finirai-je même abandonné par une partenaire, me livrant aux pleurs et à la douleur ? C’était cette curiosité sans fond qui me faisait aller de l’avant, car l’apprentissage était infini.

Moi — Et si on se faisait un karaoké ? Ça fait un bail.

Mais chaque chose en son temps. Il fallait que je me concentre sur ma relation avec Kei pour ne pas la perturber de nouveau.

Karuizawa — Ah ouais ! C’est rare de te voir proposer ça.

Je me rendais assez souvent dans les salles de karaoké, mais je ne chantais pas vraiment. Comme elle l’avait stipulé, c’était rare que je propose la chose.

Moi — Récemment, j’ai entendu plus de chansons a succès à la télévision.

Kei allait me servir de test pour savoir si j’étais fait pour le karaoké afin d’éviter l’embarras dans le cas où je ne serais pas bon. Elle leva la main pour dire qu’elle était ok tout en affichant un sourire. Nous commençâmes ainsi à marcher tous les deux. En chemin, je remarquai un distributeur automatique dans l’aire de repos. Peut-être que Yamamura se trouvait là.

Karuizawa — Ça ne va pas ?

Comme je m’étais arrêté net, elle pencha la tête et regarda les distributeurs, vu que je regardais dans cette direction.

Karuizawa — Tu veux boire un truc ?

Moi — Pas vraiment.

Je pensais à ce qui était arrivé à Yamamura suite à son rapport. Avait-elle été contrainte d’arrêter l’espionnage ? Ou bien ciblait-elle un autre que Ryuuen ?

Karuizawa — Oh, je peux appeler Maya-chan ?

Ok avec ça, je la fis assoir sur un banc côté pour qu’elle se concentre.

Karuizawa — Tu veux venir à côté de moi ?

Moi — Je vais voir s’il y a des nouvelles boissons au distributeur.

Karuizawa — Ok !

Kei balançait gaiement ses jambes tout en discutant avec Satô lui expliquant que nous n’étions plus en froid.  Je me dirigeai vers les distributeurs même s’il était peu probable qu’elle soit là et lorsque je jetai un coup d’œil…

Moi — Qu… !?

À ma grande surprise, elle se trouvait là. Comme une sensation de déjà vu, elle était assise tout en tenant une bouteille à la main. La seule chose en plus par rapport à la dernière fois était un sac biodégradable sur le sol.

Moi — On se revoit de nouveau. Tu squattes toujours ici à ce que je vois.

Yamamura — Pas tout le temps.

Dit-elle avec un regard quelque peu coupable.

Moi — C’est quoi ?

Yamamura — Ah, ça ? Une serviette. Je l’ai achetée pour me féliciter.

Moi — Comment ça ?

Yamamura — …Bref, oublie ça. Vous vous êtes réconciliés du coup ?

Moi — Tu nous as entendus ?

Yamamura — C’est ce que je fais de mieux.

Elle disait être doué pour épier les conversations.

Yamamura — Tu devrais y aller. Même si tu fais semblant d’être curieux à propos d’une nouvelle boisson c’est quand même bizarre.

Elle avait tout écouté. Je voulais connaître la réaction de Sakayanagi, mais c’était lié à sa classe. Elle n’allait pas me donner l’info et risquer plus d’ennuis.

Moi — À plus.

Yamamura — Oui.

Je partis pour éviter que Kei ne me voie parler seul. À mon retour, elle sembla avoir terminé sa discussion avec Satô. Elle avait bien fait de finir vite.

Karuizawa — Alors, du nouveau ?

Moi — Rien du tout. Allons-y.

Karuizawa — Ok !

Kei se leva avec dynamisme et s’approcha de moi en me prenant par le bras. Elle était d’une humeur bien joviale, comme si sa dépendance était pire qu’avant. Elle voulait me coller pendant les repas, les douches et même pendant les moments de repos. La pression qu’elle exerçait lors de l’entrelacement de nos doigts était symptomatique de son désir de ne pas me lâcher.

Les parasites s’ancrent profondément jusqu’à ne plus pouvoir s’échapper d’eux-mêmes. Sans craindre de fusionner avec leur hôte, ils foncent tête baissée. Ainsi, en l’espace d’un an, ma relation avec elle s’était très bien développée.

Nous passâmes ainsi le Nouvel An ensemble. Son image d’elle fredonnant joyeusement un air tout en quittant la chambre pour rejoindre ses amis à la fête du Nouvel An resta gravée dans ma tête.

1

Pendant les moments libres, je me retrouvai au centre commercial que ce soit seul, en groupe ou avec Kei. Il y avait beaucoup d’activités sur le campus pour se divertir, mais il fallait dépenser des points privés. Si on ne faisait pas attention, on pouvait beaucoup dépenser à la longue. Aller à la salle de sport était productif vu que j’avais un abonnement, mais c’était la boucle. Manger au restaurant, aller au karaoké ou acheter des produits qui nous plaisent, la tentation de dépenser était réelle. Rester chez moi était une option viable, mais à réserver que pour les situations extrêmes. Les options étaient plus que limitées alors j’enfilai mon uniforme pour la première fois depuis dix jours et quittai le dortoir.

Je me rendis à la bibliothèque, probablement influencé par la personne que j’avais vue là-bas peu avant les vacances. Je ne savais pas si elle était là et le bâtiment scolaire avait rouvert aujourd’hui le 4 janvier après trois jours de fermeture. Même s’il n’était que 11h, j’étais loin d’être le seul dans le secteur. Entre ceux qui étaient pleins de sueur à cause de leur activité sportive et les autres qui venaient de nulle part et s’exprimant avec énergie. En chemin, je croisai Sakagami-sensei à qui je souhaitai la bonne année tout en hochant la tête. Je ne pouvais pas l’ignorer.

M. Sakagami — Bonne année !

Il me salua, mais je pus ressentir une légère gêne à mon égard puisque je ne participais à aucune activité de club en particulier. Il passa à côté de moi et finit par m’appeler peu après.

M. Sakagami — Tu as bien progressé scolairement parlant. Mais la progression de Sudou-kun est encore plus remarquable.

Moi — En effet. Il a travaillé très dur.

M. Sakagami — Et dire que c’était un fauteur de trouble au début. Tous les professeurs n’arrêtent pas de parler de lui maintenant.

C’était une bonne chose, car il s’était clairement fait connaître jusque-là pour son mauvais comportement. Mais pourquoi me parler de ça maintenant ?

M. Sakagami — Passer de la classe D à concurrencer la classe A…

Le professeur principal de la classe de Ryuuen toucha légèrement le bord de ses lunettes. Je trouvai son aura beaucoup moins négative que d’habitude. Durant l’examen de l’île de cet été, ce n’était pas comme ça. D’autant plus qu’il ne parlait pas beaucoup avec les trois autres professeurs alors que ces derniers se retrouvaient souvent ensemble. Était-ce parce qu’ils étaient de la même promo ? C’était peut-être parce que je ne l’avais pas vu depuis longtemps qu’il me semblait moins désagréable.

M. Sakagami — Pour te dire franchement les choses, je ne m’attendais pas à ce que ta classe se développe autant.

Les verres de ses lunettes mirent en valeur un regard devenu vif.

M. Sakagami — Cette classe pleine de défauts…C’est toi qui l’as changée ?

Moi — Je n’ai rien fait de spécial. C’est juste les efforts acharnés de toute la classe qui sont récompensés. En particulier ceux de Horikita.

Même si j’avais fait preuve de retenue afin d’éviter toute fausse modestie, il n’avait pas l’air réceptif à mes dires. Les trois autres professeurs savaient que mon passé était quelque peu spécial, mais il n’aurait pas été bizarre qu’il soit au courant également. Ou tout du moins, qu’il se doute de quelque chose.

M. Sakagami — Il est vrai que le développement de Sudou-kun ne pouvait provenir que de lui-même. Mais outre les capacités individuelles, il est factuel que votre classe gagne en puissance alors il faudra tôt ou tard     coopérer que cela plaise ou non.

Il fallait que je montre mes capacités à un moment adéquat.

M. Sakagami — Tu te rends à la bibliothèque ?

Moi — Effectivement.

M. Sakagami — C’est en général l’endroit phare des sans clubs et puis, je sais que tu y vas souvent.

Je ne m’attendais pas à ce qu’il le sache, car je ne l’avais jamais vu là-bas. Ou bien une autre source lui aurait passé l’info ? Il faudra que je fasse attention.

Moi — Les professeurs ont-ils l’autorisation de consulter l’historique de prêts des élèves ?

M. Sakagami — Hmm… Seul le bibliothécaire a les accréditations pour. Auquel cas, ce serait une violation de la vie privée.

Moi — Alors comment êtes-vous au courant pour moi ?

M. Sakagami — Tu le verras une fois à la bibliothèque. Si tu veux bien m’excuser, j’ai une réunion au sujet du troisième trimestre.

Après avoir esquivé la réponse, il s’éloigna. C’était quelque peu déroutant, mais je ne pouvais rien y faire alors je continuai mon chemin. Après avoir ouvert la porte, j’entrai dans une salle bien silencieuse. Certes, il fallait rester calme dans une bibliothèque, mais il y avait toujours des chuchotements de quelques élèves. Là, il n’y avait personne. Ni élève ni bibliothécaire derrière son bureau. S’était-elle absentée pour aller faire des courses ?

Comme la porte n’était pas fermée à clé, je me suis dit que c’était bon, mais je ne pouvais m’empêcher d’être hésitant. Je pensais attendre un peu devant l’entrée, mais je finis par m’incliner légèrement en guise de respect avant de parcourir les rangées de livres. Elle allait bien finir par revenir de toute manière. Je ne savais pas encore ce que je recherchais, mais quelque chose allait bien finir par piquer ma curiosité.

 — Bonne année, Ayanokôji-kun.

Alors que j’étais toujours plongé dans ma recherche, j’entendis une voix venant de l’autre côté de la rangée. Je commençai à sortir de la rangée pour tourner la tête de l’autre côté, mais l’autre personne fit de même alors on s’était raté. Je ne pus l’avoir que de profil. La personne revint ensuite de mon côté.

Moi — Je me suis trompé de côté.

Hiyori — En effet, oui.

Cela faisait un bail que je ne l’avais pas vue. Depuis le festival culturel en fait. Elle qui était pourtant un vrai rat de bibliothèque avait disparu quelque temps de là, mais j’avais entendu dire qu’elle était revenue. C’était donc vrai.

Moi — Bonne année. Ça fait un petit bail.

Hiyori — Clairement. Tu vas bien ?

Moi — Oui. Et toi ?

Hiyori — J’ai attrapé un petit rhume avant la fin de l’année, mais ce n’était pas la grippe. Je me suis rétablie au bout de quelques jours.

Nous échangeâmes des banalités avant de parler des livres.

Moi — Vu que tu es là, tu pourrais me conseiller des livres ?

Hiyori — Bien sûr.

Elle accepta volontiers même si elle n’avait rien à y gagner.

Moi — Vu que tes choix sont raisonnés, tu es de bon conseil.

Hiyori — Je t’apporte mon aide avec plaisir.

Loin d’être gênée par ma demande, elle joignit les mains avec un grand sourire.

Hiyori — Quel genre t’intéresserait là ?

Moi — Eh bien, je n’ai pas trop lu durant ces vacances alors peut-être du mystère pour me stimuler le cerveau.

Hiyori — Je vois. Du policier peut-être.

Elle se mit à marcher aussitôt, me faisant signe de la suivre. On dirait bien que ce genre lui plaisait.

Hiyori — Tu as lu « La clé de verre » ?

Elle avait rapidement recommandé un livre pendant que nous marchions. Du Dashiell Hammett hein ? C’était un chef-d’œuvre considéré dans le top 100 des meilleurs romans policiers.

Moi — Dommage. Je l’ai déjà lu. Il y a environ deux ans.

Hiyori — Au moins tu as déjà pu lire un livre de ce calibre. C’est impressionnant je dois dire. Ça va être difficile de te conseiller.

Elle continua à recommander des romans policiers classiques. Sa démarche était logique, car elle commençait par me présenter les plus connus.

Hiyori — Rien à voir avec le policier, mais tu as lu du Kaminai Tsushi ?

Moi — Kaminai Tsushi ? Je ne connais pas du tout cet auteur.

Même si j’avais une bonne culture livresque, il y avait encore beaucoup trop d’auteurs que je ne connaissais pas. De plus, je n’oubliais jamais un auteur que j’avais lu. Je me souvenais toujours de son nom.

Hiyori — C’est normal. C’est un auteur totalement inconnu n’ayant jamais rien vendu que ce soit par le passé ou à notre époque.

Hiyori eut un air amusé, me faisant demander si elle ne m’avait pas déjà recommandé la chose. Mais la conversation revint au point initial.

Hiyori — Tu as lu « Le Mystère du Hansom Cab » ? C’est le premier roman de Fergus Hume.

Moi — Non, je ne l’ai pas lu.

Hiyori — Personne ne l’a emprunté alors c’est le bon moment.

Après avoir choisi trois autres livres, dont un autre avec l’aide de Hiyori, nous nous dirigeâmes vers l’accueil. La bibliothécaire était revenue alors nous nous souhaitâmes la bonne année. Hiyori passa ensuite rapidement les livres devant lecteur avec ma carte.

Hiyori — N’hésite pas à repasser me voir, Ayanokôji-kun.

Moi — Je devrais passer quelques fois avant le début du troisième trimestre. Hiyori, tu restes ici du coup ?

Hiyori — Je n’ai pas d’autre activité durant les vacances de toute manière.

Moi — Tu n’as personne avec qui aller au Keyaki par exemple ?

Hiyori — Pas vraiment.

En y réfléchissant, je n’avais pas vu Hiyori sortir avec des gens depuis le début de la scolarité. Bien entendu, je n’avais pas le détail des interactions avec les gens de sa classe, mais il était possible qu’elle ait moins d’amis qu’on ne le pense.

2

De retour dans le couloir, Hiyori courut après moi. Même s’il s’agissait d’une petite distance, on pouvait entendre un petit essoufflement.

Hiyori — Tiens

Après avoir repris son souffle, elle me montra un sac en papier contenant probablement un livre. Mais il ne devait pas provenir de la bibliothèque. Elle sortit le livre avec ses doigts fins et me le tendit.

Hiyori — C’est un de mes livres préférés. Tu pourras le lire quand tu en auras l’occasion ?

En voyant la couverture, j’avais une idée du titre.

Moi — Ce serait l’auteur dont tu m’as parlé tout à l’heure ?

Hiyori — Bien vu. C’était facile à deviner, j’imagine.

Vu qu’elle l’avait introduit comme ça, sans rapport avec le genre policier, ce n’était effectivement pas difficile à deviner.

Hiyori — Si tu l’avais déjà lu alors je ne te l’aurais pas offert.

Il y avait effectivement une différence lorsqu’on nous offrait un livre qu’on ne connaissait pas. Si j’avais reçu un livre que j’avais déjà lu, la joie n’aurait pas été la même.

Elle était vraiment pleine d’attention.

Hiyori — J’aurais pu te le prêter, mais c’est une œuvre qui me tient à cœur. Je voulais que tu l’aies en ta possession.

Moi — Tu as donc dépensé tes points privés pour ça.

Hiyori — De toute manière il était introuvable en bibliothèque.

J’aurais peut-être pu demander à la bibliothécaire de le commander, mais ce n’était pas une œuvre du gout de tout le monde. Si elle n’en faisait pas plus la promotion c’était que ce livre avait juste une valeur affective à ses yeux.

Moi — Tu es sûre ? Je peux l’avoir ?

Pour un élève, acheter un livre de ce genre n’était pas rien niveau dépense.

Hiyori — Oui. C’est même la troisième fois que j’achète ce livre. La première fois, c’était au collège et je l’ai gardé depuis chez moi. La deuxième fois, c’était à mon entrée dans cette école.

La troisième fois était donc le cadeau pour moi.

Hiyori — Je pense avoir bien cerné tes goûts. Je suis sûre qu’il te plaira.

Moi — Je me sens mal. Tu t’es vraiment démenée pour te le procurer.

Je ne pouvais pas la laisser me le tendre indéfiniment alors je pris le livre dans les mains. Une question me vint en même temps à l’esprit.

Moi — Tu as gardé le livre sur toi en attendant de me voir ?

En effet, je ne lui avais pas dit que je venais aujourd’hui.

Moi — Je serais venu tout de suite si j’avais su.

Hiyori — Ne t’en fais pas. Ça ne fait que quelques jours. Ce n’est vraiment pas si grave.

Moi — À plus alors.

Elle avait en tout cas un air peu enthousiaste, mais peut-être que je me faisais des films.

3

Je vis Hiyori retourner à la bibliothèque et me dirigeai vers l’entrée pour quitter le bâtiment scolaire. Sûrement parce que c’était l’heure du déjeuner, je vis quelques membres de clubs dans les environs. En arrivant à l’entrée, je vis deux camarades absorbés dans leur discussion.

—  Hé, Ayanokôji ! Qu’est-ce que tu fais ici ?

Celui qui me remarqua en premier fut Sudou, en tenue de basket. À côté se trouvait Yôsuke, en train d’enfiler les manches de son maillot de foot.

Hirata — Bonne année. Je suis tombé sur Sudou-kun par hasard. Du coup on a fini par déjeuner ensemble.

Moi — Vous faites un duo qui sort bien de l’ordinaire.

Sudou — Ah ouais ?  Mais on se voit souvent ces derniers temps.

Hirata — Oui.

Maintenant, ils étaient devenus proches au point de manger ensemble. La maturité de Sudou y était sûrement pour quelque chose.

Hirata — Mais on peut manger sans Onodera-san ?

Sudou — Elle est enrhumée depuis hier. C’est repos pour elle.

Il y avait également Onodera dans leur routine. Des liens formés grâce à leurs activités de clubs.

Hirata — Ayanokôji-kun, tu revenais de la bibliothèque ?

Il regarda les livres que j’avais en main. Après avoir confirmé la chose, nous marchâmes naturellement vers la supérette, guidés par Sudou.

Moi — On dirait que la cafèt’ est fermée pendant les vacances.

Hirata — Oui. On a l’habitude d’apporter à manger de chez nous ou depuis la supérette avant de revenir dans l’enceinte de l’école.

Manger sur un banc dehors en automne n’était pas agréable, mais la cafétéria restait ouverte pour les élèves afin qu’ils puissent au moins s’y poser.

Sudou — D’ailleurs, ça neige par intermittence.

Hirata — C’est gênant. La météo est instable depuis deux semaines.

Sudou — J’espère que ça va bientôt se calmer. Le froid glace les os.

Même si je n’avais pas de club, on discutait tout de même du sujet. De toute manière je connaissais un peu le concept, mais c’était agréable de les écouter.  

Hirata — Au fait, tout va bien avec Karuizawa-san ? Ça a l’air tendu.

Moi — Wow. Tu étais donc au courant.

Hirata — J’ai senti que quelque chose n’allait pas chez elle avant les vacances. Suffit juste d’observer la classe et les interactions.

Sudou — Comment ça tendu ? Ils ont cassé ?

Il y alla frontalement, faisant rire Yôsuke qui réfuta rapidement.

Hirata — Non. C’est juste que la situation est électrique.

Même les infos de Yôsuke allaient jusqu’à la période de Noël.

Moi — Tout est rentré dans l’ordre à la fin de l’année.

Hirata — Oh, c’est bon à savoir.

Sudou — Ouais, vous avez pas cassé, du coup ?

Sudou semblait déçu. Il croisa les mains derrière la tête.

Hirata — Tu veux qu’ils cassent ?

Sudou — Je blague, désolé. C’est juste de la jalousie quoi.

Il nia la chose et s’excusa. Le printemps de la jeunesse n’était pas encore arrivé pour Sudou, mais des signes montraient qu’il n’en était pas loin.

Moi — Ça avance avec Onodera ?

Sudou — Hé, dis pas ça. Hirata va se faire des films.

Sudou paniqua, mais Yôsuke se contenta de l’observer chaleureusement.

Moi —Yôsuke n’est pas dupe.

Sudou — Sérieux ?

Il pensait que Yôsuke n’avait rien remarqué.

Hirata — Je sais qu’Onodera-san te regarde pas mal de fois.

Il faut dire que dans la classe, c’était le plus observateur. Le fait qu’il ait des doutes n’était pas une surprise, mais il n’était pas du genre à révéler les choses.

Moi — Alors, y’a eu du progrès ?

Sudou — Eh bien… On est que des amis pour le moment.

Dit-il en se pinçant les lèvres, réticent à profiter des sentiments d’Onodera à son égard. Ou peut-être que c’était encore un peu tôt pour lui, me demandant s’il ressentait toujours quelque chose pour Horikita. Si c’était le cas, ça n’avait pas l’air non plus de totalement de le bloquer.

Après la supérette, nous retournâmes dans l’enceinte du bâtiment scolaire à cause du froid qui se faisait bien ressentir. La cafétéria était remplie d’élèves et ce, de toutes les années. Bien entendu, beaucoup de membres de clubs étaient présents. Elle était ouverte à tous alors il y avait aussi des élèves comme moi n’ayant pas de club et étant venus manger avec leurs amis. Depuis notre arrivée, des kôhais saluaient Sudou et Yôsuke de temps en temps.

Moi — Vous avez clairement l’étoffe de bons senpais tous les deux.

Sudou — Normal, c’est déjà la fin de la première. Même si on réalise pas, on a un pied en terminale.

Il croqua son onigiri. Le saumon avait ainsi émergé d’entre les algues et le riz.

Sudou — Il s’est passé un truc chelou la dernière fois. Y’a une meuf de première qui m’a posé plein de questions bizarres.

Il sembla se souvenir de quelque chose.

Hirata — Du genre ?

Sudou — Elle voulait savoir quand je m’étais mis à bosser et pourquoi je l’avais pas fait au début. Elle était étonnée de mon évolution dans l’OAA.

Hirata — Je pense que c’était juste de la curiosité. Tu dois avoir le taux de progression le plus élevé du campus.

Même les gens de notre classe furent étonnés par ses progrès. Il était normal que les gens extérieurs y voient comme une sorte de magie.

Moi — Peut-être que tu étais gênée parce que c’était une fille.

Sudou — Pas vraiment. Elle était mignonne, mais elle me lâchait pas. Je voulais juste en finir avant que le cours de basket commence.

Ce n’était donc pas une histoire d’amour potentielle.

Hirata — C’était qui exactement ?

Sudou — J’sais plus. Pas comme si je connaissais toutes les meufs.

Il avait répondu en machant. Il avait mangé l’onigiri en trois bouchées.

Hirata — Ce serait bien qu’on sache qui c’était juste au cas où.

Sudou fit un geste de la main pour exprimer sa désapprobation tandis que Yôsuke commençait à ouvrir l’application OAA sur son téléphone.

Sudou — On s’en fiche. Si elle ressentait quelque chose pour moi ça aurait été une autre histoire, mais c’était clairement pas ça.

Il ne semblait même pas vouloir se souvenir de son nom, car cette expérience lui fut quelque peu pénible.

Moi — Avant tu n’avais que tes capacités sportives pour attirer les autres, mais ce n’est plus le cas.

Sudou — Si on me voit comme une menace alors ça me va.

Sans se montrer arrogant, il serra le poing pour afficher sa combativité.

Sudou — C’est que le début.

Il était encore insatisfait de la situation actuelle.

On pouvait voir qu’il était bien déterminé à surprendre encore plus camarades.

4

Sudou — Faut que j’aille me vider.

Il termina l’eau dans son gobelet en papier avant de se lever les deux mains dans les poches. Le regardant partir, Yôsuke commença à s’exprimer.

Hirata — D’après les seconde du club de basket, il est considéré comme quelqu’un de strict, mais il est admiré aussi bien par les filles que les garçons. Il serait plutôt attentionné. L’an dernier, son objectif était seulement de s’améliorer individuellement, mais là, les terminale sont surpris de son changement radical.

Yôsuke avait un vaste réseau alors il était normal d’avoir autant d’infos.

Moi — La réussite sportive et scolaire. Il va avoir du succès en amour.

Hirata — Ça reste entre nous, mais une kôhai m’a demandé son num.

Moi — Sudou aurait sauté de joie s’il s’avait la chose.

Être populaire auprès des filles était l’une des ambitions de Sudou, mais Yôsuke afficha un sourire légèrement amer que je n’arrivais pas à comprendre.

Hirata — Je lui ai demandé la permission si on me demandait son numéro, mais il a refusé, pensant que ces filles ne seraient pas sérieuses.

Sudou n’avait donc pas remarqué qu’il commençait à devenir plus populaire. Comme c’était nouveau pour lui, il n’était pas réceptif.

Moi — Son printemps de la jeunesse arrivera un peu plus tard alors.

Hirata — C’est bien possible.

Alors que Yôsuke souriait, il observa les yeux sur le livre que j’avais en main.

Hirata — J’avoue que je suis curieux, mais ce livre ne provient pas de la bibliothèque, n’est-ce pas ?

En effet, les livres de la bibliothèque étaient recouverts d’un film de protection ce qui n’était pas le cas de mon livre. Cela avait éveillé sa curiosité.

Moi — Ça vient de Shiina Hiyori. Elle est dans la classe de Ryuuen.

Hirata — Ah, je l’ai déjà vu plusieurs fois avec toi. Elle t’a donné ce livre ? 

Moi — Oui. C’est une recommandation de sa part. Dans notre passion commune des livres, nous avons selon elle les mêmes goûts.

Hirata — Je vois.

Lui, qui avait gardé son calme jusque-là, fronça légèrement les sourcils.

Moi — Quelque chose ne va pas ?

Hirata — Non, pas vraiment.

Même s’il disait ça, son expression troublée était là. Notre conversation s’arrêta net, laissant place au silence. Il fallait changer de sujet.

Moi — C’est quand la fin des activités de club ? Avec la terminale qui arrive et les exams, ça ne va pas être compliqué ?

Yôsuke fut un peu perplexe face à cette question sortie de nulle part.

Hirata — Pas de date précise, mais ça doit arriver au mois de juin vu que c’est une période clé pour les révisions. Mais certains continuent même un peu plus loin en été.

Je me doutais un peu de la chose, mais juin avait tout de même l’air prématuré.

Moi — Tu sais quand tu comptes t’arrêter, Yôsuke ?

Hirata — Je ne sais pas. Le diplôme en classe A n’est pas garanti et mes parents veulent sûrement que j’aille à l’université. Je dirais en juin.

Dans cette école, aucune communication avec l’extérieur n’était possible à quelques exceptions près comme par exemple ce qui concernait la poursuite des études ou la recherche d’emploi. Concernant les études, le choix de l’université, l’orientation, les frais, etc. ne pouvaient pas être du ressort de l’élève seulement. Il fallait obligatoirement la consultation de la famille, mais sous la supervision de l’établissement. Bien entendu, si on ne comptait pas étudier après le lycée, cette règle ne s’appliquait pas.

Tout ce processus de consultation n’était possible qu’après le troisième trimestre de première afin que les objectifs de l’élève soient clairement définis pour l’année de terminale. Si un élève convoitait une faculté très cotée, il saura s’il est accepté ou pas entre février et mars, soit avant d’être diplômé. La question qui reste en suspens est de savoir s’il finira en classe A ou non.

Finir en classe A était la garantie d’avoir ses souhaits exaucés. Pour prendre un exemple simple, si un élève convoite une fac telle que celle de Tokyo[1], mais qu’il n’avait pas été accepté, le fait de finir en classe A lui donnerait le pouvoir d’y entrer. Mais pour la suite, c’était à l’élève de se débrouiller. Le diplôme en classe A ne l’aide que pour son acceptation et non pour tout son cursus. Il y a aussi le scénario où l’élève finit en classe A et réussit quand même l’examen d’entrée à la fac. Dans ce cas, l’établissement couvre seulement les frais de scolarité durant les quatre années à la fac si l’élève n’a pas les moyens ou qu’il ne veut/peut pas contracter de prêt. Une année sabbatique durant le cursus universitaire n’était pas prise en charge ainsi que les dépenses quotidiennes.

Il y avait aussi l’option de ne pas compter sur les privilèges du diplôme en classe A durant ses années d’études supérieures. Un cas extrême serait d’entrer dans une faculté accessible et d’utiliser les avantages du diplôme de classe A après le cursus universitaire. Comme toute entreprise réputée requiert un haut niveau d’étude, un diplôme universitaire ainsi que le fait d’avoir fini en classe A permettrait à l’étudiant d’intégrer une top PME. Mais là encore, ce n’est que pour l’acceptation. Si on a n’arrive à survivre ou non dans notre emploi n’est pas du ressort de l’établissement.  Dans tous les cas, nous marchions sur une corde raide. Ne pas user à bon escient le diplôme en classe A était synonyme de regret.

Hirata — Ayanokôji-kun, tu comptes aller à l’université ?

Moi — Hmm… Je n’ai pas encore décidé de mon avenir pro. Je pourrais très bien travailler ou à aller à la fac après le lycée, seul Dieu le sait. Mais j’imagine qu’il me faut que je me décide rapidement.

Hirata — Pas besoin de te précipiter. Quel que soit ton choix, tu sauras y faire, je pense.

J’appréciais le fait qu’il me voyait comme quelqu’un de capable, mais je n’avais pas le choix malheureusement que d’être dans cette situation. En tout cas, je ressentis durant notre discussion quelque chose d’inhabituel en lui. Après un silence, Yôsuke prit la parole.

Hirata — Tu es proche de Shiina-san ?

Il n’avait donc toujours pas tourné la page à ce propos.

Moi — Hiyori ? Je ne sais pas vraiment. Disons que nous avons une passion commune pour les livres. Quelque chose te tracasse ?

Yôsuke révéla ensuite ce qui le gênait.

Hirata — J’ai vu que tu l’appelais par son prénom alors ça a attisé ma curiosité. En dehors de notre classe, c’est la première personne.

C’était en effet un cas plutôt particulier.

Hirata — Depuis quand c’est le cas ?

Moi — Hmm… Je ne me rappelle pas vraiment à vrai dire.

Je l’avais appelé comme ça sans même le réaliser. Il me semblait que même lors de notre première rencontre c’était le cas, mais le cerveau n’était pas vraiment précis pour le quotidien.

Hirata — Il n’y a pas eu d’élément déclencheur ?

Moi — Je suppose. C’est venu naturellement.

Hirata — Je vois…

Moi — C’est problématique ?

Hirata — Non, t’en fais pas. C’est une bonne chose d’avoir pas mal d’amis proches de manière générale.

« De manière générale ». Autrement dit, la chose pouvait être problématique lorsque l’on sortait de ce cadre global. Yôsuke n’essaya pas de creuser plus longtemps le sujet alors je n’insistai pas non plus.

Nous attendions tous deux en silence le retour de Sudou.

5

Sudou et Yôsuke avaient fait beaucoup d’efforts en club depuis le début du lycée et les résultats étaient là. C’était dommage de se dire qu’ils allaient se retirer l’an prochain, mais bon, le temps passait trop vite. Cela m’avait fait penser à la conversation avec Kiryûin en fin d’année. Je n’ai pas eu de regrets jusque là, mais je me demande bien à quoi aurait ressemblé ma vie lycéenne si j’avais fait partie d’un club. Peut-être que si j’avais pu partager un intérêt commun avec des gens, j’aurais pu faire plus de rencontres. Mais pour moi qui n’avais pas l’habitude de socialiser, intégrer un club était bien trop difficile. En tout cas, je comptais lire le livre de Hiyori en rentrant, mais avant ça, on m’interpela.

  • Je t’en prie, attends.

Moi — Hmm ?

Le ton était poli, mais avec une voix bien énergique. En me retournant, je vis une élève qui se tenait debout avec une longue écharpe qui s’agitant un peu à cause du vent.

  • Je dois te dire quelque chose.

Être abordé par quelqu’un d’inconnu laissait perplexe. J’avais déjà été confronté à quelques situation de ce genre l’an passé, mais cette fois, j’avais l’OAA. J’avoue que ce système mis en place par Nagumo était utile pour ce genre de rencontres. On associait les noms avec les visages et on pouvait apprendre en surface leurs points forts et faiblesses. La fille qui se tenait devant moi était Morishita Ai, en première A dans la classe de Sakayanagi.

Voici son OAA :

Aptitudes académiques : B+

Aptitudes physiques : C+

Capacité d’adaptation : B+

Contribution sociale : B

Résultat Global : B

Grossomodo, c’était une très bonne élève qui savait tout faire mieux que la moyenne comme Sanada que j’avais rencontré il y a quelques jours. Mais ce genre d’élèves en classe A n’était pas si rare.

Morishita — Tu es bien Ayanokôji Kiyotaka, n’est-ce pas ?

Moi — Oui, c’est moi.

Morishita, qui s’était approchée de moi, savait très bien qui j’étais, mais je ne pus m’empêcher d’être étonné par le fait qu’elle n’utilise pas de formule de politesse. Je n’avais pas de problèmes avec ça, mais vu son ton poli, cela faisait bizarre. Avant que je ne puisse dire quelque chose, elle continua :

Morishita — Les gens peuvent nous voir ici. Changeons d’endroit.

Que ce soit le bâtiment scolaire, le dortoir ou le centre commercial, ces zones sont très fréquentées. Pour trouver quelqu’un, c’était idéal.

Morishita — Partons d’ici, je te prie.

Sans attendre une réponse, elle me tourna le dos et commença à marcher. Je ne savais pas trop si je devais la suivre, mais nous étions en vacances. J’avais le temps d’en profiter pour faire des rencontres inattendues.

Moi — C’est la première fois que l’on se voit, n’est-ce pas ?

Morishita — Oui. Nous n’avions jamais eu l’occasion de nous parler.

Morishita, qui continuait toujours son chemin sans se retourner, resta polie malgré le ton autoritaire. Elle s’éloigna du sentier principal qui menait en direction du dortoir et prit un autre chemin. Il n’y avait personne dans les alentours, et ce, sûrement à cause du froid.

Moi — Alors, que veux-tu au juste ?

En cette nouvelle année, je me demandais quelle histoire allait émerger.

Morishita — Je n’ai pas encore décidé de la chose.

Moi — Comment ça ?

Malgré mon impatience, sa réponse rendit la situation un peu plus ennuyeuse.

Morishita — Je n’ai certes pas encore décidé du sujet de notre conversation, mais cela fait un petit moment déjà que j’avais envie de discuter avec toi, Ayanokôji Kiyotaka.

Ce n’était donc pas mon imagination. Elle n’employait pas de suffixe de politesse en utilisant mon nom. Cela contrastait tellement avec son ton poli au point que son autorité était plus affirmée. Était-elle comme ça avec tout le monde ? En tout cas je ne pouvais pas vraiment lui faire remarquer alors j’essayai d’ignorer la chose. Il faut dire que ces derniers temps, je nouais des liens étranges avec les élèves des autres classes.

Morishita — Tu trouves ma venue étrange ?

Moi — Bah oui. On ne se connait pas.

Morishita — Tu n’as pas tort.

Moi — Et puis on pouvait se faire des idées, vu que tu es une fille.

J’avais volontairement fait une allusion amoureuse pour voir sa réaction, mais elle resta étrangement calme. Elle continua son chemin après avoir cerné là où elle voulait aller et reprit la discussion.  

Morishita — Ce n’est pas la première fois que je fais ça.

Moi — Hein ?

Morishita — Avant-hier, c’était Sudou Ken, et hier, Kôenji Rokusuke.

En tendant sa paume vers le haut, elle stipulait qu’il n’y avait rien de spécial.

Morishita — En effet, je sais que ces situations peuvent générer des malentendus. Mais sois certain qu’il n’y a rien de romantique.

Je fus reconnaissant qu’elle écarte ainsi clairement toute possibilité de malentendu. Et puis elle n’utilisait pas de formule de politesse pour les autres non plus. C’était donc elle qui avait vu Sudou. Elle avait en effet un faciès agréable, mais son regard n’avait rien de quelqu’un d’amoureux.

Morishita — Ces vacances, j’ai voulu en savoir plus sur votre classe.

Elle était donc en repérage. Mais comme elle ne se cachait pas, difficile de penser à des instructions de Sakayanagi. Pour quelqu’un comme Sudou ou d’autres, pourquoi pas, mais aucun intérêt à envoyer quelqu’un d’aussi excentrique devant moi. Ou bien était-ce justement l’idée ? Il y avait diverses possibilités, mais ma conclusion était qu’elle agissait de son propre chef.

Morishita — Kôenji Rokusuke s’est aussi posé la question. J’agis seule.

Très perspicace, elle ajouta qu’il s’agissait bien de son initiative.

Moi — Je vois. Je pensais que vous étiez tous contrôlés par Sakayanagi.

Je décidai de lui faire confiance pour le moment.

Morishita — C’est peut-être le cas même si j’agis seule cette fois.

Elle poursuivit de nouveau après sa réponse quelque peu spéciale.

Morishita — Il est vrai que de nombreux élèves de notre classe sont sur leurs gardes face à la vôtre. Cette classe que tu diriges a pour objectif de nous faire tomber alors je trouve ça intéressant.

Moi — Je vois que vous ne sous-estimez pas la classe B, mais il y a erreur, tu devrais contacter Horikita si tu veux de plus amples détails. Je peux te donner ses coordonnées au besoin.

Je sortis mon téléphone et les lui donna. Cependant, elle rejeta la chose avec sa main et continua la discussion tout en allant dans une direction peu claire.

Morishita — C’est ce que je pensais au début, mais dans mon entourage sache que certains pensent que tu es bien plus impliqué que ça.

Elle voulait donc en savoir plus sur moi. Voilà pourquoi elle avait agi seule.

Morishita — Un élève qui n’est pas fidèle à son OAA se fait remarquer.

L’examen spécial du deuxième trimestre eut un grand impact, car le taux de réponse aux questions fut rendu public. C’est ainsi que Sanada et maintenant la très compétente Morishita, avaient les yeux rivés sur moi à cause du décalage avec mon OAA. Lui dire que c’était de la chance n’allait pas la convaincre. Sakayanagi n’avait clairement pas l’air d’être au courant auquel cas, cela aurait été bien trop direct et maladroit de l’envoyer comme ça.

Moi — Alors ? Tu as compris des choses depuis le temps ? Si je peux aider en quoi que ce soit, tu me le dis.

J’essayai de me montrer un peu amical dans cette confrontation, mais elle refusa encore la chose d’un geste de la main.

Morishita — Il y a eu des progrès je dois dire. Tu es en effet une grande menace, Ayanokôji Kiyotaka.

Moi — Tu as donc trouvé quelque chose pour être si certaine ?

Morishita — Si je me fie à mon analyse, oui.

Morishita hocha la tête apparemment satisfaite de sa découverte. C’était vraiment quelqu’un de bizarre de A à Z.

Morishita — Je me retire. Je dois encore étudier pas mal d’élèves.

Il y avait donc encore d’autres éléments intéressants à analyser dans la classe de Horikita.

Moi — Je vois. Bonne chance alors.

Elle avait dû aborder Sudou et les autres de la même manière. Je n’étais certes pas avec eux, mais j’imaginais bien la scène. En tout cas, elle retourna au dortoir. Je ne voulais pas la suivre de près afin de ne pas créer de malentendu alors je décidai d’attendre un peu dans le froid avant de repartir moi aussi vers le dortoir.

6

De retour au dortoir, je pris très vite avec mes mains froides, les livres que j’avais apportés. Lequel allais-je lire en premier… ? Après un petit moment de réflexion, j’optai pour le livre de Hiyori afin qu’on puisse en parler les jours où j’allais me rendre à la bibliothèque. Le livre fut publié pour la première fois il y a quinze ans ce qui n’était pas si vieux. Je me demandai bien pourquoi elle aimait cet auteur, mais ce dernier, bien qu’inconnu, avait probablement son cercle fermé d’admirateurs. Si ça se trouve, c’était un chef-d’œuvre caché que seul un passionné de livre aurait pu remarquer. En tout cas, elle aimait assez ce livre pour en avoir une copie à chaque fois près d’elle. Son rythme de parution était de tous les trois ans alors s’il me plaisait, je lirai son prochain.

Moi — Hmm… ?

Alors que je m’apprêtais à lire, je remarquai un marque-page à l’intérieur. Rien d’extraordinaire en soi, mais le motif attisait ma curiosité. Au Keyaki lorsqu’on faisait les courses, on pouvait recevoir gratuitement des marque-pages avec illustrations limitées qui changent en fonction de la période de l’année. Lors d’achat de livres durant la période de Noël, j’avais eu un marque-page avec un sapin et de la neige. Une fois la fête passée, le motif avait dû changer. J’imagine que le motif de son marque-page datait d’avant Noël ce qui signifiait qu’elle ait pu garder ce livre sur elle bien plus longtemps que quelques jours. Je me sentais un peu désolé pour elle.

Moi — C’était vraiment une belle attention de sa part.

Bien sûr, je ne pouvais pas tirer de conclusions hâtives. Si ça se trouve ce n’était que son amour des livres qu’elle voulait absolument partager alors je préférais ne pas trop creuser la chose pour l’instant.  Je décidai de ne pas y penser trop profondément pour l’instant, mais il était naturel se sentir honoré en tant qu’ami proche.

Que pouvais-je faire pour la remercier ? Il fallait quelque chose à mon sens qui lui soit bien utile. Avant de commencer la lecture, je réfléchis à cela, toujours en position assise sur le lit.


[1] L’université de Tokyo (ou Todai) est l’université la plus cotée du Japon.


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