CLASSROOM Y2 V8 CHAPITRE 3

Voyage — Jour 2

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Nous entamions la deuxième journée du voyage scolaire. Une fois habillés et le petit-déjeuner englouti, nous attendîmes dans notre chambre le passage du bus pour la station de ski.  Pour tuer le temps, Watanabe et moi avions allumé la télé. Nous tombâmes sur le journal du matin, avec des chroniqueurs commentant l’actualité. Un changement total de ton s’opéra avec une chronique spéciale sur… les chatons. Pendant ce temps, Ryuuen était à son spot habituel, à savoir cette espèce de fauteuil, et Kitô feuilletait ce qui semblait être des magazines de mode, mis à disposition par l’auberge.

Watanabe — Il ne fait que lire et a l’air si menaçant… C’est comme s’il lisait un manuel de meurtre.

Watanabe me murmura ça discrètement. Ou pas. Kitô jeta un regard assassin à Watanabe juste après. Ce dernier essaya de se faire le plus petit possible.

Watanabe — Comme je le disais, carrément flippant…

Il me secoua les épaules comme pour me témoigner qu’il était paniqué, mais moi je voulais me concentrer sur les chats à la télé.

Ryuuen — Hé Kitô, t’es pas trop resté sur ta faim hier ? Faisons un autre jeu aujourd’hui !

Comme pour apporter la tempête dans ce matin paisible, Ryuuen fit une proposition à Kitô. Inutile de dire qu’elle n’était pas la bienvenue pour Watanabe et moi.

Watanabe — Ouais, c’est ça, attirons-nous des emmerdes ! Si c’est ce que vous voulez, libre à vous !

Ryuuen — Hé ! Écoutez ce que j’ai à dire avant, au moins !

Kitô — Que proposes-tu ?

Ryuuen — On va faire du ski, non ? Ce sera parfait.

Une simple course de ski, alors ? Pourquoi pas. D’autant que la veille, nous avions pu voir que Ryuuen était très bon, bien que Kitô ne soit pas tout à fait débutant. Ce dernier n’y avait pas réfléchi à deux fois, refermant instantanément son magazine.

Kitô — Tu prends la confiance parce que c’est du ski, c’est ça ? Je vais t’écraser.

Il releva le défi sans broncher ou montrer un signe de peur.

Ryuuen — Je ne vais pas te laisser gagner !

Watanabe — Si ça peut ne pas devenir un combat à mort…

La voix de Watanabe était si basse qu’un enfant aurait pu dire : « Les fourmis parlent ! ». Pendant que nous chuchotions, les deux parties s’échauffaient. Kitô enroula un magazine, s’approcha de Ryuuen et lui pointa le magazine comme s’il avait une épée.

Kitô — Si tu perds, tu seras aussi silencieux qu’un chat pendant ce voyage !

Il était, sans le savoir, peut-être influencé par le doc sur les chats en fond.

Ryuuen — Oh ? Je ne te savais pas si immature !!

D’un coup sec, il balaya le bout du magazine avec son bras. Je voulais juste regarder ce reportage sur les chats en paix. Je leur demandais donc d’éviter de se battre.

Ryuuen — T’as du cran, Ayanokôji. Comme si t’étais pas concerné !

Hors de question. Je comptais passer ce séjour comme je l’entendais.

Moi — Bon, je vais reprendre où j’en étais…

Telles étaient mes intentions, mais avant de m’en rendre compte… PLUS DE CHATS À LA TÉLÉ ! Ce reportage était bien court…

Watanabe — Désolé, Ayanokôji. Tu as l’air d’aimer les chats !

Moi — Non, pas spécialement.

Watanabe — Ah ouais, pas du tout ?

Moi — Je ne sais pas pourquoi je voulais regarder ça, en fait. 

Je pense qu’un reportage sur les chiens ou les hippopotames m’aurait fait le même effet. J’appréciais sûrement l’aspect léger du sujet. Légèreté qui ne dura pas au profit des dernières nouvelles, plus sérieuses. D’après les informations, Naoe Nae, ancien secrétaire général, nous avait quittés après une longue période de convalescence dans un hôpital de Tokyo.

Depuis son bureau, le Premier ministre Kijima Onikijima tint à lui rendre hommage. Un homme à l’expression sévère commença à s’exprimer.

M. le 1er ministre — « Que l’homme soit avec toi, tout comme le cheval »… Nous nous connaissions à peine, quand le Dr Naoe m’avait dit cela.

Au moment où le Premier ministre commença à parler du défunt, l’écran s’assombrit.

Mais nous ne devions pas tarder, c’était l’heure du bus. Kitô, tenant la télécommande avec son index sur le bouton d’alimentation, m’appela.

Kitô — Allons-y, Ayanokôji.

1

J’étais content d’enfin aller faire du ski, mais j’étais un peu inquiet à cause des deux énergumènes. Une fois dehors, nous apprenions hélas que le bus allait être retardé d’une dizaine de minutes, coincé dans les embouteillages. Beaucoup d’élèves attendaient, le porche était plein à craquer. 

Watanabe — Il fait froid, mais je suppose que nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre dehors.

Watanabe expira de la fumée, regardant le ciel d’un air morose. C’était bien la peine d’être sortis en avance, en effet… Mais ça ne valait pas le coup de retourner dans nos chambres. Au moins notre groupe était à l’abri !

Amikura — Pourquoi pas un petit bonhomme de neige ?!! Pour tuer le temps !! 

L’idée n’était pas mauvaise, autant rendre l’attente agréable.

Kushida — Pourquoi pas ! Nishino-san et Yamamura- san, venez !

Nishino — Ouais, vas-y…

Contre toute attente, Nishino accepta très facilement.  

Amikura — Et toi, Yamamura-san ?

Yamamura — Hé bien, je… Non, merci…

Comme prévu, elle déclina timidement. Ainsi les autres filles commencèrent à réunir quelques objets trouvés par terre pour leur bonhomme de neige. Et il semblait qu’elles n’allaient pas s’en contenter d’un petit.

Kushida — Ryuuen-kun, tu ne veux pas faire le bonhomme avec nous ? Ce serait vraiment chouette !!

La proposition de Kushida était sournoise, car elle savait pertinemment que Ryuuen n’était pas intéressé. Les autres élèves présents regardaient ça, stupéfaits, comme s’ils imaginaient mal Ryuuen s’adonner à ce jeu. Kushida se vengeait pour la veille : vu le monde qui nous regardait, la moindre remarque désobligeante de la part de Ryuuen pouvait se retourner contre lui.

Ryuuen — Vu sa position, je pensais qu’elle allait se tenir tranquille. On dirait bien que je me suis trompé. 

Murmura Ryuuen, à voix basse. Kushida avait changé, libérée du poids du secret, et Ryuuen ne savait rien. Et il valait mieux que cet épisode de l’examen du vote ne s’ébruite pas dans les autres classes. Sidéré, Ryuuen se contenta de tourner la tête pour décliner l’invitation. Pendant ce temps, la construction du bonhomme me fascinait toujours autant. Même Yamamura, qui s’était progressivement éloignée de nous sans qu’on ne le remarque.

Yamamura — Hah…

Tout en observant le bonhomme de neige fabriqué par Kushida, elle expira froidement dans ses mains.

Yamamura — Hah !

Kushida et les autres ayant construit le bonhomme de neige portaient naturellement des gants chauds. En fait tout le monde dehors en portait, à l’exception de Yamamura. Vu le froid qu’il faisait, il était logique d’en avoir. Je me souvenais pourtant qu’elle en avait la veille, avant la leçon de ski. Certes, dans le pire des cas on pouvait en louer à la station, sur place, mais le mieux étant d’en avoir avant. Peut-être les avait-elle oubliés ? Elle pouvait aller les chercher dans sa chambre… Bon, elle avait sûrement ses raisons, mais toujours était-il qu’elle semblait un peu flagada, avec une respiration semblant lourde. De mon côté, en tout cas, j’étais vraiment curieux de découvrir ce village en pleine altitude. C’était ce qui me faisait attendre, pendant que de plus en plus d’élèves commençaient à sortir.

Sakayanagi — Il neige bien comme il faut !

Cette voix n’était autre que celle de Sakayanagi Arisu, membre du groupe 4. En théorie, elle partageait ce groupe avec Hondô et Onodera de ma classe. La neige s’intensifiait en même temps que le flux d’élèves sortis l’observer. Sakayanagi ne pouvant pas skier, elle allait très probablement faire un peu de tourisme. Leur groupe avait l’air très bien organisé, contrairement au notre. Le bus à destination du centre-ville arriva. Nous attendions encore celui ayant pour destination la station de ski. Le professeur ici présent donna le signal de monter, ce que firent les élèves sans plus attendre.

Sakayanagi marchait avec sa canne sur la route enneigée qu’elle ne connaissait pas. En la regardant, je me demandais si elle avait besoin d’aide. PAF !! Ça n’avait pas loupé, Sakayanagi glissa et tomba sur les fesses. Plus de peur que de mal, la neige ayant visiblement amorti sa chute.

Tokitô — Est-ce que tu vas bien …?

Tokitô, un élève de classe C de son groupe, se précipita vers elle. Après une brève hésitation, il lui tendit la main.

Sakayanagi — Merci, Tokitô-kun.

Elle saisit la main qu’il lui tendait en le remerciant timidement. Il aurait été facile de tirer de force la petite Sakayanagi vers le haut, mais Tokitô le fit avec délicatesse. Malgré son air sévère, il était plutôt attentionné.

Tokitô — Ne force pas. Tu as une jambe fragile…

Sakayanagi — Je suis désolée. Heureusement, la neige était molle.

Tokitô — Alors tout va bien ?

Sakayanagi, qui d’habitude semblait intraitable, dû certainement faire une impression très différente aux personnes présentes tout autour. Attrapant sa canne, Sakayanagi se leva et le remercia une fois de plus.

Sakayanagi — Merci pour ton aide.

Tokitô — De…rien, c’est… Plus de peur que de mal, hein !

Visiblement embarrassé, il la fuyait du regard.

Sakayanagi — Je pensais que tu étais plus effrayant que ça !

Tokitô — Eh ? Moi ? Non… Enfin, je ne sais pas.

Sakayanagi marqua un temps de pause. C’était le genre de moment qui pouvait faire que deux personnes se rapprochaient.

Sakayanagi — Parce que tu as toujours cet air qui fait peur sur le visage quand nous nous croisons dans le couloir.

Tokitô — Hey, comment tu me connais au juste ?

Sakayanagi répondit avec un léger sourire en coin.

Sakayanagi — Nous sommes tous les deux en première voyons, je te connais quand même !

 Dans un lycée normal, cette scène aurait probablement pu être le début de quelque chose. Cependant, derrière ce sourire, Sakayanagi avait sûrement bien des choses en tête. Sa chute aurait même pu être préméditée.

Ainsi, Sakayanagi et Tokitô marchaient côte à côte jusqu’à la porte du bus, où il la laissa monter en premier. Ceci, sous les yeux de Ryuuen, visiblement et logiquement très intéressé par cet échange.

Peu importe les raisons, que ce soit authentique ou par simple calcul, il était évident que des gens qui interagissaient peu d’habitude, très différents les uns des autres, commençaient à se rapprocher.

Peu de temps après, les bus se dirigeant vers la station de ski arrivèrent enfin.

2

Une fois arrivés sur place, sur idée d’Amikura, nous décidâmes de visiter un peu avant de faire du ski. Elle avait vu plusieurs boutiques de souvenirs autour de la station de bus.  Nous n’étions pas à une petite demi-heure près.

Kushida — Grr… Il fait trop froid à Hokkaidô !! D’autant que le bus était bien chauffé, on a encore plus le contrecoup !

En disant cela, Kushida frotta ses gants l’un contre l’autre, son corps frissonnant.

Moi — Oui. De la neige en plus… C’est si rare fin novembre.

Ryuuen — Je doute que les boutiques soient ouvertes, là…

Il nous fit remarquer qu’il n’était que 9h15. La station ouvrait à 9h30, donc les commerces tout autour étaient probablement encore fermés. Puis Ryuuen était bien plus excité par l’idée de faire du ski alors il préféra nous attendre. Quelques magasins étaient toutefois déjà ouverts, dont une boutique de vêtements fantaisistes. Ce magasin attira l’attention de Kitô, qui ne manqua pas d’y rentrer. Avait-il trouvé quelque chose qui lui plaisait ? Non, il reposa les articles qu’il avait en main et changea de rayon.

Watanabe — Au fait, les pieds de Kitô sont énormes. Ses empreintes feraient presque penser à un yeti !

Watanabe était impressionné par la forme des empreintes laissées sur la neige. Kitô était non seulement grand, mais avait également des pieds larges.

Amikura — Allons jeter un œil à d’autres magasins.

Amikura, celle qui a l’initiative de cette petite balade, appela tout le monde à enchaîner, comme si le temps était compté. Kushida acquiesça, contrairement à Yamamura qui semblait apparemment vouloir rester. Watanabe et Nishino semblaient également avoir décidé de se promener seuls.

Amikura — Yamamura-san ? Tu ne viens pas ?

Yamamura — …Ah, je vais rester… Ne vous en faites pas pour moi !

Ryuuen, Yamamura et moi restâmes donc. J’aurais bien suivi le groupe Amikura, mais je n’avais pas été convié. Que faire ? Ou je faisais un truc de mon côté… Mais Yamamura avait décidé d’attendre, donc seule avec Ryuuen. Les deux ne se connaissaient pas, et une petite partie de moi se disait que ce n’était pas une bonne idée de les laisser seuls. Donc à moins qu’ils ne décident de se séparer, j’étais plus ou moins retenu avec eux.

Yamamura — …

Yamamura frissonna en regardant Amikura et les autres s’éloigner. Probablement parce qu’elle n’avait pas de gants. Devais-je lui prêter les miens ? Un refus risquait de rendre les choses gênantes… Ainsi donc nous étions trois, tandis que Kitô s’éloignait également, avec Yamamura qui retenait de plus en plus ses tremblements.

Ryuuen — Hé, Yamamura, file tes mains !

Yamamura — Quoi … ?!

Alors que je réfléchissais encore à si je lui prêtais mes gants, Ryuuen interpela Yamamura d’un ton sec, elle qui avait les mains blotties dans ses poches. Il avait bien évidemment remarqué ce qu’il se passait. Yamamura lui répondit. 

Yamamura —  Je ne veux pas…

Ryuuen — Oh ?

Yamamura —  Je n’ai pas envie de les sortir. Il fait trop froid.

Je sentais le vent froid d’Hokkaidô à travers mes gants. Alors sans, j’imaginais qu’il valait mieux garder ses mains dans les poches. Je m’attendais à ce que la discussion en reste là, mais Ryuuen s’approcha brusquement de Yamamura. Il lui attrapa le bras droit et lui sortit de force la main de sa poche.

Yamamura —  Ah…

Après avoir confirmé qu’elle ne portait pas de gants, Ryuuen lui lâcha le bras et cette dernière s’empressa de rentrer ses mains de nouveau.

Ryuuen — Eh bien, tu dois te les peler… Ils sont où tes gants ?

Après ce geste quelque peu déplacé, Yamamura demeura silencieuse. Elle lui tourna le dos, comme pour lui demander de la laisser tranquille.

Ryuuen —  Déjà que t’es nulle au ski, en plus t’y vas sans gants ?

Il disait vrai. Yamamura semblait avoir un niveau très faible. Se passer de ses mains n’était pas un luxe qu’elle pouvait se permettre.

Ryuuen —  S’il t’arrive des emmerdes, ça va nous impacter aussi tu sais ? Je veux skier moi.

Comme toujours avec lui, un subtil mélange de gentillesse maladroite et d’égocentrisme.

Yamamura — Non, mais…

Yamamura semblait incapable de répliquer à une question objective.

Ryuuen — T’as fait quoi de tes gants, du coup ?

Yamamura — Je les ai oubliés…

Ryuuen — Ah, je suppose que ce genre de personnes existe.

Peu de gens oublieraient leurs gants avec un temps pareil. Soufflant du nez, Ryuuen baissa les yeux sur ses propres gants. Non ? Allait-il faire ça pour elle ?

Ryuuen — Hé, Ayanokôji, prête-lui tes gants !

Moi — Pardon ?

Il n’avait décidément honte de rien.

Moi — Je suis aussi débutant, tu sais ?

Ryuuen — Et je pense que tu t’en remettras si tu te fais un bobo.  

Je n’étais pas sûr de comprendre la logique derrière tout ça. Hélas, il n’y avait aucun magasin ouvert dans le coin qui vendait des gants. Je n’avais probablement pas le choix, au moins jusqu’à la station de ski là où on allait sûrement pouvoir en trouver. Je lui tendis mes gants.

Yamamura — Ça ira, vraiment…

Yamamura dit cela en soupirant, commençant à marcher.  

Ryuuen — Le froid provoque une vasoconstriction[1]. Ton corps frissonne parce que tes muscles essaient d’augmenter ta température corporelle. Ça pourrait être dangereux de commencer à skier dans ces conditions.

N’était-ce pas frustrant de voir Ryuuen dire tant de vérités ?

Yamamura — C’est…

J’insistai de nouveau pour lui tendre mes gants.

Yamamura — Mais… Et toi, Ayanokôji-kun ?

Moi — Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grand-chose.

Non pas que j’étais particulièrement résistant au froid, mais comme le disait Ryuuen j’allais probablement mieux m’en sortir.

Yamamura — Je suis désolée…

Ainsi, Yamamura enfila la grande paire de gants avec ses mains qui tremblaient légèrement. Puis elle remit ses mains dans son manteau. Dans quelques minutes ça allait probablement aller mieux.

Moi — Tu en achèteras à ta taille plus tard !

Yamamura — Oui, tu as raison. Quand nous serons à la station de ski, je te rembourserai pour tes gants.

Moi — « Rembourser » ?

Yamamura — Je me sentirais mal de te les rendre… après les avoir portés. Ils sont sales.

Moi — Mais non. Même si tu tombais et te les tâchais, ça irait.

Yamamura — Ce n’est pas ce que je veux dire. Je vais les salir en les portant…

Était-elle germaphobe ? Non puisqu’elle avait mis les gants sans trop se faire prier. J’étais totalement perdu.

Yamamura — Je voudrais quand même te rembourser.

Et je suppose qu’elle n’allait pas me choisir des gants bon marché, par convenance.  Je trouvais ça bête de s’imposer une dépense non nécessaire.

Yamamura — Il s’agit juste de dépenser quelques points privés supplémentaires. N’en faisons pas tout un plat.

Je manifestais mon incompréhension. Pourquoi était-elle autant mal à l’aise ? Elle ou quelqu’un d’autre, j’aurais trouvé ça étrange.

Moi — Justement, ne sacralisons pas la situation en te faisant payer quelque chose. 

J’insistai un peu plus pour lui faire comprendre que j’étais confus.

Yamamura — Permets-moi tout de même de te remercier, d’une façon ou d’autre.

Je ne pensais pas mériter de remerciements, mais peut-être que ça pouvait aider Yamamura à se sentir mieux. J’essayais donc de lui donner un moyen d’être satisfaite. 

Moi — Si tu veux me remercier, je peux te poser une question ?

Yamamura — Je t’en prie…

Moi — Pourquoi n’as-tu pas pris tes gants ? Tu avais déjà remarqué que tu ne les avais pas quand on attendait le bus.

Yamamura — J’ai simplement oublié…

Je me doutais bien que c’était de l’ordre de l’involontaire.

Moi — Tu aurais largement eu le temps de les chercher. Ou alors tu n’avais pas ressenti le froid encore, à ce moment-là ?

J’insistais un peu plus sur ce que je trouvais bizarre.

Yamamura — Je le sentais pas, l’ambiance était chaotique…

Moi — L’ambiance ?

Yamamura — Oui. Le genre de zones très agressives.

Certes, le hall était bondé, mais je ne voyais ni le rapport avec « l’ambiance », ni pourquoi ça l’avait empêché de retourner dans sa chambre. Enfin, c’était mon ressenti, le sien était peut-être différent. En quelques minutes, je compris un peu mieux l’intrigante personne qu’était Yamamura.

Moi — Qui fréquentes-tu en général, Yamamura ?

Quel genre d’amis ce type d’élève se fait-il ? Des gens réservés comme eux ? Ou au contraire des gens très ouverts du type Kushida ? Ou alors ils étaient isolés ? Yamamura ne répondit pas immédiatement, et son expression changea à peine à l’exception des yeux qu’elle plissa et détourna, comme pour témoigner de sa gêne. 

Yamamura — Personne. Je suis seule la plupart du temps.

Moi — Seule ? J’ai du mal à croire qu’un groupe si bien organisé comme la classe A laisse des élèves dans leur coin.

Yamamura — J’ai une présence si faible, on me remarque à peine. Donc j’ai appris à faire avec, c’est une question d’habitude. 

En mettant de côtés nos personnalités différentes, nous étions un peu similaires sur ce point. Yamamura manquait en effet de présence. Pour preuve, Amikura aurait probablement tout fait pour l’aider si elle avait remarqué qu’elle avait froid. Même Kushida, qui faisait très attention à son environnement, semblait totalement ignorer Yamamura. Invisible comme elle était, on ne l’aurait même pas remarquée si elle était partie chercher ses gants. Tout cela donnait une petite idée sur sa véritable nature.

Moi — Et tu aimes ce que tu incarnes, Yamamura ?

Yamamura — Comme si c’était possible…

Yamamura répondit honnêtement, peut-être par obligation pour avoir emprunté mes gants. La chose qu’elle voulait cacher, c’était elle-même. Si nous avons peur de nous dévoiler, de plaire aux autres, nous allons fatalement nous faire le plus petit possible, jusqu’à se cacher derrière quelqu’un en pleine conversation. C’est comme porter des vêtements noirs au milieu de la nuit. Cette volonté est souvent accompagnée d’un langage corporel : bouger peu et calculer le moindre mouvement afin d’être encore moins remarqué. 

Enfin, Yamamura en particulier semblait plutôt méfiante. Elle avait peur des autres et se cachait. Tous ces facteurs aboutissaient à Yamamura, une élève fantôme et informe. Et même en étant lucide sur les raisons de son comportement, le changer était plus facile à dire qu’à faire.  On se connaissait à peine et quelqu’un de confiance aurait certainement pu rentrer un peu plus dans les détails. Ainsi, sans surprise, le silence reprit ses droits pendant dix minutes, moment où tout le monde était revenu.

Kushida — Alors, on se réparti comment ? Nous ne sommes pas forcément obligés de skier tous ensemble, pas vrai ?

L’obligation de rester en groupe ne signifiait pas de devoir être collés en permanence tous les huit. D’autant que nous avions à la fois des skieurs débutants et confirmés, il valait mieux ne pas créer de frustration.

Le tout était simplement d’avoir un minimum l’air ensemble. Pour se répartir, il fallait donc déjà évaluer les niveaux de chacun.

Watanabe — Yamamura et moi sommes débutants. Je suppose que nous allons aller vers la piste adaptée.

Il y avait un parcours pour débutants au pied de la station de ski. Yamamura approuva sans discussion.

Kushida — Ce serait mieux qu’un bon skieur vous accompagne. Je peux tout à fait…

Amikura — Ne t’embête pas, Kushida-san. Je vais les surveiller !

Kushida — Quoi ? Tu es sûre ?

Amikura — Fais-toi plaisir. Puis franchement, même en sachant bien skier,  la piste pour skieurs avancés est flippante.

Amikura se proposa de rester avec les débutants, malgré son niveau.

Nishino — Je suis pas sûre non plus d’assumer… alors je vais faire comme toi. 

Nishino enchaîna, comme si elle avait ça en tête depuis le départ. Ainsi, de façon surprenante, nous nous séparions exactement en deux groupes.

Kushida — Si vous êtes tentés par les pistes intermédiaires ou plus, faites-moi signe !!

Au cas où Nishino et Amikura se lassaient, Kushida avait émis cette option.

Kushida — Je ne serai pas loin pour vous soutenir !

Amikura — Hé bien, on se retrouve à midi au resto, pour déjeuner.

Alors que nous nous dirigions vers l’entrée de la station de ski, des sortes de bruits de sabots se firent entendre. Le preux chevalier qui débarquait n’était autre que… Kôenji ! Difficile de ne pas être décontenancé devant ça, surtout pour les élèves des autres classes qui n’étaient pas habitués au personnage.

  • Monsieur… Veuillez revenir !!  

Immédiatement après, plusieurs membres du personnel, paniqués, criaient en tentant de le retenir.

Nishino — C’était quoi ça ?

Moi — Incroyable, pas vrai ?

Stupéfaite, Nishino fixa Kôenji au fur et à mesure qu’il s’éloignait.

Kushida — Je n’ai jamais rien vu de pareil mais est-ce une surprise ?

Kushida dit ça relativement bas afin de n’être entendue que par moi.

Moi — Eh bien, c’est notre camarade après tout. On le connait. 

Avec Kôenji, ce comportement n’avait effectivement rien d’étonnant. C’est ce que l’on appelait « l’habitude » si je ne m’abuse ou quelque chose comme ça.

3

Nous nous séparâmes afin de nous changer, avant de nous retrouver à l’endroit convenu. Une navette nous emmena au pied des remontées mécaniques, Kitô, Kushida, Ryuuen et moi. Afin d’éviter les problèmes, puisque la montée se faisait par deux, nous convenâmes que je montais avec Ryuuen et Kushida avec Kitô. Ces derniers montèrent en premier puis nous décidâmes de laisser quelques binômes passer devant nous.

Moi — Sérieusement, tu ne peux pas faire un effort avec Kitô ?

Ryuuen — Nan. Sauf s’il me supplie.

Ryuuen répondit avec un profond sentiment de dégoût, fixant les montagnes au loin.

Moi — Aucune chance, quoi. C’est dommage, car Kitô semble proche de Sakayanagi. Ce n’est pas tous les jours que l’opportunité de se mettre quelqu’un comme ça dans la poche se présente. 

Après tout, c’était lui-même qui m’avait rappelé que ce voyage scolaire avait pour but de rassembler des infos. C’était sûrement ce que Sakayanagi pensait aussi, d’ailleurs. 

Moi — Il a peut-être l’air effrayant, mais il semble réglo. D’autant que Sakayanagi avait l’air préoccupée que je sois dans son groupe. Donc une mauvaise approche pourrait être contre-productive. 

Ryuuen — T’es plus pragmatique que je le pensais.

J’avais assez peu interagi avec Kitô, mais inutile de le connaître pour remarquer sa haine de Ryuuen et son désir de protéger sa classe. Il n’était pas un élève à problème, donc se rapprocher de lui était largement faisable pour glaner des infos gratuites.

Ryuuen — Mais la seule personne de la classe A dont nous avions besoin était Katsuragi. Kitô et Hashimoto sont de petites frappes, ils n’en valent pas le coup.   

Voilà pourquoi il ne semblait pas animé par l’envie d’en faire des alliés. Certes, il reconnaissait Kitô et Hashimoto, mais Katsuragi était le seul à jouir d’une estime particulière de sa part. 

La montée s’acheva enfin. Kitô, qui attendait non loin, appela Ryuuen d’un regard. Assurément, il ne voulait pas perdre de temps.

Ryuuen — Allez, donne le signal !

Ryuuen demanda à Kushida de préparer le départ de la course.

Kushida — Soyez prudents, tous les deux.

Kushida leva la main et commença le compte à rebours. Ils étaient à quelques mètres l’un de l’autre, prêts à skier. Qui allait être le vainqueur ?

Kushida — PARTEZ !!

À peine Kushida avait-elle baissé sa main,  les deux partirent en flèche.

Kushida — On y va aussi ! 

Moi — Tu es sûre ? Je ne sais pas trop si je pourrai vous suivre…

Kushida — Vas-y à ton rythme.

Après quelques secondes, Kushida et moi avions entamé notre descente. Ryuuen et Kitô dévalaient la pente à grande vitesse, passant l’un devant l’autre continuellement. De loin, cela formait des arcs de cercles magnifiques. Je progressais un peu plus que la veille en les regardant, même si j’aurais sûrement bien profité d’un cours plus approfondi.

Aucun vainqueur ne se dessinait, ils avaient tous deux un niveau technique similaire et une même envie de gagner. La tendance n’évolua toujours pas à la moitié du parcours. Cependant, alors que leur course touchait bientôt à sa fin, la distance entre eux commença légèrement à se réduire. Ils risquaient la collision s’ils ne faisaient pas attention. Mais j’avais l’intime conviction que c’était voulu, comme pour tenter un ultime coup avant la fin. Je m’inspirai de leur mouvement pour tenter une accélération, ayant assimilé leurs figures.

Ryuuen — Allez, crève !!

Kitô — Dégage, Ryuuen !

In extrémis, juste avant qu’ils n’entrent en collision, je m’insérai entre eux. L’intrusion d’une autre personne les fit s’éloigner. Ils me lancèrent des regards furieux, mais l’objectif initial était atteint. La descente achevée, Ryuuen et Kitô s’approchèrent de moi. 

Ryuuen — Pourquoi tu nous as gênés ?

Je sentais qu’ils étaient hors d’eux.

Moi — Je me disais que c’était dangereux. Cela ne ressemblait plus à du ski.

Kitô — Un duel est un duel. Ryuuen en est parfaitement conscient.

Moi — Peu importe, vous vous étiez affrontés pour du ski. Non ?

Après une série de complaintes, Kitô jeta un regard noir à Ryuuen avant de partir de son côté. La tension redescendait et Kushida nous rejoignit.

Kushida — Vous êtes vraiment durs à suivre ! Et toi, Ayanokôji-kun, c’était tout à fait impressionnant.

Ryuuen sembla également mécontent, piétinant la neige.

Ryuuen — T’es vraiment débutant ? Ou alors t’es un mytho ? 

Moi — Quel intérêt ? Hier c’était réellement ma première fois.

Ryuuen, incrédule, cracha et se dirigea de nouveau vers les remontées. Temporairement, c’était un soulagement.

Kushida — Je comprends sa frustration, tu étais spectaculaire. On dirait ces héros de manga à qui tout réussit sans avoir besoin de travailler. Je te le demande aussi, c’était vraiment ta deuxième fois ?

Je n’étais pas ce genre de héros. J’avais juste vécu d’une manière particulière qui avait endurci mon corps et mon esprit. J’étais peut-être débutant au ski mais les sports ont des mécanismes communs généraux, d’autant que j’avais des exemples visuels avec Ryuuen et Kitô.

Moi — Tu ne me crois pas ?

Kushida — Si, bien sûr. Même si j’avoue que c’est aussi parce que je t’ai vu à l’œuvre face à Amasawa.

Kushida savait ce qu’était un combat entre élèves de la White Room, même brièvement. Peut-être était-ce pour ça qu’elle ne doutait pas trop de moi.

Kushida — Vraiment, c’était super !

Moi — Arrête…

Kushida — Si si, j’insiste !

Ce n’était pas de la fausse modestie. Ryuuen et Kitô avaient vraiment un niveau. Moi, j’étais juste en avance car j’avais vécu bien plus d’expériences. 

Kushida — Allez, on y retourne ? Maintenant que ça s’est calmé, on va pouvoir profiter en paix.

Moi — Oui, même si c’est moins drôle pour ceux qui sont moins bons.

De façon générale, le plaisir est souvent corrélé au niveau de compétence.

Quelqu’un de moyen au ski risque de moins s’amuser. De même pour d’autres sports, les jeux-vidéo, etc. Ceux qui ne sont pas doués apprécient moyennement, ainsi soit-il.

4

À midi, tout mon groupe se réunit à l’espace restauration de la station de ski. Un resto tout à fait classique : nous commandions au comptoir avant d’aller nous installer. On m’avait fourni une sonnette numérotée « 32 », m’indiquant de venir chercher ma nourriture une fois qu’elle sonnait.

Kushida — Alors, comment ça s’est passé ? Vous avez pu progresser ?

Kushida voulait avoir des infos du côté du groupe des débutants.

Watanabe  — Oh, pas trop mal. Bon, je ne suis pas encore aussi bon qu’Amikura et Nishino.

Watanabe se montra modeste, mais semblait assez satisfait. On ne pouvait pas en dire autant de Yamamura, son visage en disait long.

Amikura — Yamamura… Bon, ce n’est pas encore ça !

En gros, il n’y avait aucune amélioration. Je ne voulais pas enfoncer le couteau donc je me tus. Heureusement, ma sonnette retentit et je partis chercher ma soupe au curry sur un plateau. Une fois chacun en possession de son plat, nous commençâmes le repas. Ryuuen, qui avait simplement pris un petit hamburger, fut le premier à finir et tendit son papier et son plateau  vers Watanabe. Ce dernier apprécia moyennement, avant d’empiler son plateau sur le sien.

Ryuuen — Ayanokôji, t’as 5 minutes ?

Moi — Heu… Je mange ?

Je n’avais pas encore fini, et c’était le genre de plat qui se mangeait chaud.

Ryuuen — Allez, bouge-toi !

Je sentis le regard compatissant de Watanabe, Ryuuen ne me regardant même pas. 

Moi — Ok, je vais faire une petite pause.

Kushida — Je t’attendrai pour finir!

Je laissai Kushida prendre en charge la situation et rejoignis Ryuuen de l’autre côté de la salle. Je sortis ensuite mon téléphone et fixa l’écran.

Moi — Je le savais. Sakayanagi enquête à fond avec ses pions.

Elle semblait écouter recueillir les rapports de ses camarades.  

Moi — Je suppose que c’est la même chose pour toi aussi.

Sans directement demander, je supposais que Ryuuen avait donné des instructions similaires.

Ryuuen — L’école n’a pas organisé ce voyage pour qu’on joue tous ensemble au Monopoly. Pour écraser ses ennemis, il faut y aller franco et Sakayanagi l’a bien compris.

Ni Sakayanagi ni Ryuuen ne participaient à une compétition de classe en tant qu’individus. Ils raisonnaient en groupe, que ce soit en comblant les carences de leurs camarades ou en cassant les jambes de leurs adversaires. Par exemple, à propos de jambe, Sakayanagi en avait de très mauvaises ; elle pouvait remercier Kamuro et Hashimoto. Si Ryuuen trouvait quoi que ce soit sur un de ces deux-là, Sakayanagi s’en trouverait grandement fragilisée. 

Moi — Et pourquoi tu voulais me parler ? Je suppose que ce n’est pas pour avoir mon rapport, pas vrai ?

Ryuuen — Je vais appeler ma classe à la guerre totale contre Sakayanagi. Peu importe la forme, examen écrit ou non, je l’écraserai.

Moi — C’est ce que tu m’as dit dans le bus. Que la bataille avait déjà commencé.

Ryuuen — Oui, mais avant ça je voulais te rappeler quelque chose.

Alors que Ryuuen disait cela, mon téléphone vibra. Je vis un court message de Kushida

Kushida : Yamamura-san se ramène vers vous 😮 !

Nous avait-elle remarqués, Ryuuen et moi, et donc voulait écouter aux portes ? Bien entendu sur ordre de Sakayanagi. Mais… Je ne dis rien à Ryuuen. Je n’avais aucune raison de l’aider. D’autant que Ryuuen semblait également avoir reçu un message. Sans même changer d’expression, il rangea son téléphone et reprit.

Ryuuen — Tu te souviens de la stratégie des 800 millions de points ?

Moi — Je trouve ça toujours aussi peu réaliste. 

Ryuuen — Et c’est sûrement ce que penseront mes camarades de classe quand ils le sauront.

Moi — Tu comptes leur dire ?

La seule personne au courant devait être Ibuki. Et encore, elle n’en avait sûrement pas assimilé tous les tenants et aboutissants.

Ryuuen — Un plan pareil, seul, c’est bien trop ambitieux. Surtout qu’il me reste à peine plus d’un an. 

Tout comme Ichinose avait progressivement mis en commun les points privés de chacun, Ryuuen devait également coopérer avec ses camarades de classe pour réunir une telle somme. C’était essentiel.

Moi — Donc tu veux savoir si je suis prêt à collaborer avec toi ?

Ryuuen — J’ai été grave sympa avec vous, tu sais ? J’ai concentré toute l’attention de notre classe sur Sakayanagi en cette fin d’année.

Horikita avait pas mal eu la paix ces derniers temps alors je pouvais lui accorder ça. Avec le Ryuuen belliqueux de seconde, pas sûr que les choses se seraient si bien passées pour nous.

Ryuuen — D’ailleurs on dirait que tu t’en sors bien avec Kushida aussi. J’étais excité de vous voir la jarter.

Moi — On n’est jamais à l’abri d’un changement de programme…

Ryuuen rit et frappa plusieurs fois dans ses mains, comme si mes paroles lui posaient quelques problèmes.

Ryuuen — Je peux l’écraser quand je veux, tu en es bien conscient ?

Ryuuen était, en effet, l’un des rares élèves en dehors de la classe à connaître la véritable nature de Kushida. Il aurait pu l’exposer à tout moment, mais il ne l’avait pas fait.

Moi — Donc tu veux que je tienne parole. Jusqu’à me menacer…

Ryuuen — Je m’en fous de si tu fais ça par gaité de cœur ou non. Je veux juste savoir si tu vas le faire.

C’était une promesse verbale à ce moment-là, mais Ryuuen avait dit qu’il ne comptait pas chercher des problèmes même si je ne respectais pas la promesse.

Moi — Avant de répondre, j’aimerais savoir… Si tu arrivais à vaincre Sakayanagi, que ferais-tu ensuite ?

Ryuuen — C’est une évidence : vous battre. C’est la suite logique.

En effet, c’était plutôt cohérent.

Moi — On y vient. À l’époque tu étais dans une mauvaise passe, avec Kaneda et Hiyori pour intermédiaire. Tu es revenu au top, donc est-ce qu’on considère que cette promesse tient encore ? D’autant que si nous sommes en classe A et vous en B, avec un accord de ce genre, vous devriez logiquement ne pas chercher à nous doubler.

Ce n’est qu’alors que nous pourrions sérieusement envisager une stratégie à 800 millions de points.

Ryuuen — Donc quelque chose te gêne ?

Moi — En effet. Si ta classe nous dépasse, nous n’aurons que les yeux pour pleurer. À moins que tu nous promettes d’aider un maximum de nos élèves avec tes 800 millions si ta classe finit en A ?

Le sourire sur le visage de Ryuuen s’effaça, ses yeux me scrutant.

Ryuuen — Impossible. Ces points sont les nôtres, d’autant qu’ils sont convertibles en tune pour après le lycée. On va pas les utiliser pour des élèves qui n’auront pas contribué.

Moi —  Donc on « coopère », mais si vous finissez en classe A vous nous lâcherez. C’est ça ? Je crois ne pas avoir besoin de te dire ce que j’en pense. Après tu es libre de t’en prendre à qui tu veux, tu n’es plus obligé d’être sympa avec nous.

Ryuuen — Tu n’es pas si débile après tout, Ayanokôji.

Contre toute attente, il ne fut pas si insistant. Comme s’il s’attendait plus ou moins à ce que je venais de dire.

Moi —  Malgré tout, tu comptes poursuivre ce plan des 800 millions ?

Ryuuen — Je ne vais pas tout changer maintenant. Je garde cet objectif, avec celui de battre Sakayanagi, puis toi. Dans le pire des cas j’aurai mon billet pour la classe A et serai diplômé avec du cash.

Le plan idéal fut quelque peu changé, mais quelque part il retombait sur ses pattes. Dans tous les cas, il avait gardé ce même objectif audacieux.

Ryuuen — On a dépensé par mal pour Katsuragi et ces morveux de seconde. Mais je vais revenir à un système plus exigeant de points privés pour notre classe.

Plus nous étions impatients de collecter des points privés, plus nous étions prêts à prendre de risques. Et d’un coup, je fus quelque peu perdu.

Ryuuen — Du coup tu dois te demander pourquoi je t’ai fait venir ici pour te parler d’une promesse sans la moindre concession de ma part.

Moi —  Oui, j’admets ne pas trop comprendre où tu veux en venir.

Ryuuen — C’était simple. Je ne pouvais pas te faire de coups fourrés si on était partenaires. Mais là, d’un coup, c’est différent.

En gros, Ryuuen allait reprendre ses vieilles habitudes. Dans la lignée de ce qu’il m’avait dit dans le bus. Il me déclarait à nouveau la guerre. Mais je n’étais pas convaincu… Il y avait autre chose derrière cette conversation. Et je n’étais pas sûr de pouvoir avoir la réponse immédiatement.

Moi —  Avant de penser à une revanche, bats déjà Sakayanagi !

Ryuuen — T’inquiète ! Elle est maligne, mais c’est tout ce qu’elle a !

Il faisait preuve d’une confiance inouïe. C’était ça, « renaitre de ses cendres » ? J’étais impressionné, sûr qu’il irait loin. À moins que sa capacité à pouvoir reconnaître les obstacles ne lui joue des tours. D’autant que Sakayanagi risquait bien sûr d’adapter son comportement en fonction du degré de menace de Ryuuen.

Ryuuen — Retournes-y d’abord, Ayanokôji.

En disant cela, Ryuuen se dirigea vers les toilettes. Hiyori, qui nous observait depuis un siège un peu éloigné, nous fit signe. Son groupe était visiblement également venu skier. Je lui répondis d’un signe de la main avant de retourner voir mon groupe. Yamamura semblait également être reparti s’asseoir, en train de tapoter sur son téléphone d’un air nonchalant.

Watanabe — Où est Ryuuen ?

Moi —  Il est parti faire un tour au petit coin.

Watanabe — Et tu vas bien ? Il ne s’est rien passé ?

Watanabe avait l’air inquiet et vérifia toutes les parties de mon corps.

Moi — Nous n’avons fait que discuter, ne t’inquiète pas.

Watanabe — J’espère bien !

Yamamura, qui avait mangé lentement, termina son repas et prit son plateau pour rejoindre Nishino.

Yamamura — Je… vais rendre mon plateau.

Les deux semblaient avoir pris à manger au même endroit, elles y retournaient donc ensemble.

Watanabe — Ayanokôji, s’il y a quoi que ce soit n’hésite pas !

Kitô fit taire Watanabe d’un regard perçant, comme pour lui signifier qu’il était peut-être trop insistant. J’aurais aimé qu’il l’ouvre avant que je ne sois obligé d’y aller, d’ailleurs. Lorsque Ryuuen fut de retour, Kitô détourna son regard de moi.

Kitô — Tu m’as fui pour persécuter d’autres personnes ?  

Ryuuen — Oh ? Kukuku… T’inquiète, je vais bien m’occuper de toi et de toute la classe A. Sakayanagi n’est qu’une étape pour moi.

Kitô — Jamais tu ne pourras battre la classe A

Ryuuen — Ne jamais dire jamais, non ?

Il avait plus d’un tour dans son sac, c’était du moins ce qu’il voulait faire croire. Il n’avait rien de concret, à ma connaissance, qui laissait supposer qu’il était supérieur à Sakayanagi.

Kitô — N’attends pas l’examen de fin d’année pour t’attaquer à moi !

Ryuuen — Pour qui tu te prends, Kitô ? Toi, dont le seul fait d’arme est d’être un bon toutou. Tu ne décides de rien !

Kitô tapa du point sur la table en se levant subitement.

Kitô — Et pourtant je suis le seul à pouvoir te vaincre !

Ryuuen — Oh ? Peut-être que la troisième fois sera la bonne alors !!

La bataille d’oreiller fut stoppée par un oreiller brisé. Le match de ski fut stoppé par mon intervention.

Moi — Tous les deux, calmez-vous. Il y a déjà des rumeurs disant que nous sommes un groupe à problème. 

Certains clients aux alentours nous regardaient avec curiosité. Ce n’était qu’une question de temps avant que les professeurs ne nous remarquent.

Kushida — Au fait, les filles en mettent du temps non ?

Moi — Effectivement.

Remettre leur plateau aurait dû être fait en une minute, à peine. Kushida partit donc à leur recherche.

Kushida — Hé, je les ai trouvées ! Mais elles sont avec des mecs que je ne connais pas du tout.

Dans l’aire de restauration bondée, Kushida pointa du doigt Nishino et Yamamura, entourées de cinq garçons. Elles n’avaient pas l’air très à l’aise.

Ryuuen — Hmm… Un peu d’action ! Allons les aider !

Moi — N’y allons pas tous en même temps, soyons discrets si nous voulons éviter les problèmes…

À peine j’avais fini ma phrase que nos deux chers amis avaient déjà quitté leur siège. Sans même se concerter, ils étaient partis retrouver les filles.

Moi — Bon, vous autres, attendez ici.

Je demandai à Kushida, Amikura, et Watanabe de ne pas bouger. Alors que je rattrapais Ryuuen et Kitô, qui se dirigeaient vers les lieux d’un pas assuré, je parvins à entendre une conversation.

  • Tu m’as donné un coup d’épaule et tu t’excuses même pas ! Mes vêtements sont tâchés de bouillon de ramen !

Apparemment, c’était Yamamura qui était à l’origine des ennuis.

Nishino — Et vous alors ? Vous ne pouviez pas regarder devant vous ?

Les garçons rirent de façon taquine tout en se touchant les épaules.

  • T’es dure, tu nous demandes de voir un fantôme !

Yamamura —  Je suis vraiment… désolée…

Yamamura s’excusa d’une toute petite voix. Peut-être l’avait-elle déjà fait, mais les garçons firent mine de ne pas l’entendre.

  • On est en voyage scolaire, on vient de Gifu. Peut-être qu’on peut tout oublier si…

Il attrapa de force le bras de Nishino.

Nishino — Hein ? Si je voulais m’amuser, vous ne seriez même pas sur ma liste !

En tentant de se détacher, la paume de Nishino effleura légèrement la joue du garçon qui l’avait attrapée.

— Ok…

Les garçons, qui souriaient de façon lubrique juste avant, changèrent immédiatement de ton.

  • Qu’est-ce que tu crois faire ?

Ryuuen — C’est à moi de vous demander ça ! Qu’est-ce que vous voulez à ma pote ?

Ryuuen délivra un puissant coup de pied à l’arrière de la tête du garçon. Il enchaîna en attrapant un autre des garçons par le col.

Ryuuen — Ne couine pas comme un pervers devant une femme !

  • Mais je vais te buter toi !!!

Ryuuen — Essaye un peu pour voir. Allez, je te laisse mettre le premier coup… Après tout, tu veux que ton voyage soit inoubliable, pas vrai ?

Ryuuen montra sa joue gauche du doigt ;

  • Oh, merci de te laisser prendre ta raclée !

Son adversaire ne se fit pas prier.

  • Ah, c’est…

Ryuuen — Tu croyais quand même pas que j’allais vraiment te laisser me frapper ! Ce que t’es naïf mon gars.

Voyant les mouvements inutilement amples de son adversaire, Ryuuen saisit les deux épaules du garçon et lui asséna un puissant coup de genou dans l’estomac. L’élève de l’autre école se tordit de douleur.

Ryuuen — Même un voyage scolaire ennuyeux peut réserver quelques bonnes surprises, n’est-ce pas ?

Ryuuen commençait à prendre du plaisir dans une situation pour le moins inédite. Le premier événement de sa vie de lycéen en contact avec une autre école s’avéra d’une violence inouïe.

Un des autres garçons tenta de lui assener un coup de poing, de toutes ses forces.  Ils semblaient vouloir profiter de leur nombre. Ceci était sans compter sur Kitô, dont le visage différent du lycéen lambda ne laissait pas indifférent.

Yamamura — Tu viens… nous… aider ? 

Nishino attrapa Yamamura par les épaules pour la protéger alors qu’elle se dirigeait vers moi et marmonnait.

Nishino — Tu es sa camarade de classe. Il est tout naturel qu’il te vienne en aide !

Heureusement, ils semblaient comprendre que se battre davantage dans l’aire de restauration n’était pas une bonne idée, et Ryuuen et les autres se dirigèrent vers la sortie.

Nishino — Quelqu’un ne pourrait pas appeler un adulte ?

Moi — C’est impossible de les arrêter, maintenant. Le mieux est qu’ils fassent ça discrètement.

Les adversaires étaient plus nombreux que nous, mais ils semblaient assez peu coordonnés. Pour Ryuuen et Kitô en duo, c’était du gâteau. Et ça n’a pas loupé… Une petite dizaine de minutes plus tard, Ryuuen et les autres revinrent avec leurs adversaires, les forçant à s’agenouiller devant Yamamura et Nishino. Ils avaient l’air brisés aussi bien physiquement que mentalement. Cela aurait pu être un problème si on nous voyait, mais pour Yamamura et Nishino c’était probablement nécessaire. Ainsi ils jurèrent de ne plus jamais se montrer devant les filles, avant de repartir.

Kushida — On ne s’ennuie jamais, hein ?

Me chuchota Kushida. Je ne pouvais qu’acquiescer !

5

Après avoir skié comme des fous, nous rentrâmes au ryokan avant 19h. Nous aurions bien continué, mais nous ne voulions pas être en retard. La fin de la deuxième journée approchait, et la soirée par la même occasion. Au dîner, Sudô m’invita à le rejoindre dans le grand bain public, où je me lavai le corps avant d’entrer dans l’eau de la source chaude pour me détendre.

Sudô — Kah ! C’est le pied !

J’étais sûr que Sudou, qui transpirait quotidiennement pendant l’entraînement de basket, appréciait grandement. Il prit l’eau chaude à plusieurs reprises avec ses deux mains et se lava le visage, semblant évacuer son épuisement.

Hashimoto — Yo.

Après avoir fait trempette dans la baignoire pendant un moment, hébété, Hashimoto, un élève de classe A, s’approcha de moi. Je levai légèrement la main en réponse, et Sudou leva la sienne en même temps.

Hashimoto — Eh bien… c’était une journée épuisante.

Ce voyage était un excellent moyen d’apprendre à se connaître et d’en savoir plus les uns sur les autres.

Sudou — Il s’est passé quelque chose ?

Hashimoto — Il ne s’est rien passé de particulier. Juste un gars à problème dans mon groupe qui est lourd.

Il se doutait de l’identité de cet élément à problème.  

Sudou — Eh bien, c’est Kôenji quoi.

Hashimoto — Exact. On est censé rester ensemble dans les plages horaires libres. Quand on est sain d’esprit, discuter c’est la base. Mais là on est juste obligé de le suivre vu qu’il n’en fait qu’à sa tête.

Il était évident que Kôenji n’était pas du genre à obéir et faire preuve de maturité. Cela ne changeait donc pas même dans un environnement avec d’autres élèves d’autres classes.

Moi — Vous étiez au ranch pour de l’équitation aujourd’hui, non ? Est-ce que c’était une idée de Kôenji ?

Hashimoto — C’est pas évident ?  T’as bien vu le bordel qu’il a causé.

Hashimoto, la tête dans les mains, plongea la moitié inférieure de son visage dans la baignoire.

Moi — Je l’ai vu passer avec sa tenue. Kôenji est bien revenu après ?

Hashimoto resta immergé pendant une dizaine de secondes, puis il haussa les épaules et remonta à la surface.

Hashimoto — Après genre une heure, on avait plus la force de continuer à monter à cheval alors on a fini par l’attendre.

Il me raconta ensuite comment s’était déroulée le reste de sa journée libre. Sudou murmura une complainte et joignit ses mains.

Hashimoto — On avait prévu de déjeuner dans un célèbre restaurant avant midi, mais ce gars, Kôenji, a dit qu’il allait skier. Sans même hésiter, il est allé direct à la station tout seul. J’étais tellement crevé que je n’ai pas eu le temps de m’amuser. C’était déjà la fin de notre deuxième jour.

S’ils l’avaient ignoré pour aller à ce fameux restaurant, ils auraient violé les directives de groupe. Je compatissais. 

Hashimoto — Je me demandais si vous, ses camarades de classe, aviez des suggestions sur la façon de traiter avec lui.

Il ne restait que deux jours, la moitié de notre séjour. Au moins pour la dernière journée, où la liberté était de mise, il voulait sûrement que le reste de son groupe ne soit pas frustré.

Sudou — Il est hors de contrôle. Vous n’y pouvez rien.

Il dit cela sincèrement. Cela semblait négatif, mais je le connaissais assez pour savoir que tout le monde avait déjà abandonné avec lui.

Hashimoto — Et toi, Ayanokôji ?

Moi — Ce n’est clairement pas réaliste d’essayer de convaincre Kôenji. Honnêtement, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit que vous puissiez faire à ce sujet.

Hashimoto — C’est une réalité impitoyable.

Moi — Enfin, il y a peut-être bien un petit truc.

Hashimoto — Qu’est-ce que c’est ? Je veux l’entendre.

Hashimoto, qui voulait savoir comment désamorcer la situation, même si la possibilité était minime, mordit à l’hameçon. Il n’y avait qu’une seule manière d’arriver à ses fins pour peu qu’il en accepte les inconvénients. Quand je finis de lui expliquer la méthode, Hashimoto hocha la tête, visiblement d’accord.

Hashimoto — Eh bien, nous n’avons pas le choix je suppose.

Moi — Je te laisse discuter des modalités avec ton groupe.

Hashimoto — Je vais le faire, et nous allons y réfléchir sérieusement.

Hashimoto disparut sous l’eau, ayant visiblement besoin de réfléchir.

6

Après avoir passé une heure dans le grand bain, nous enfilâmes, Sudou et moi, nos yukatas avant de prendre une bouteille d’eau minérale gratuite dans le petit frigidaire de l’auberge. Nous bûmes cette eau fraîche pénétrant nos corps brûlant avec les mains sur les hanches.

Sudou — Je suis… prêt, Ayanokôji.

Moi — Il est donc temps d’y aller.

Son visage était légèrement rouge, peut-être encore à cause de la chaleur des sources chaudes. Ou peut-être était-ce parce qu’il était nerveux pour la suite. Il était temps de dire à Horikita ce qu’il ressentait. Sudou engloutit l’eau de sa bouteille à moitié pleine d’une seule traite.

Sudô — Ouf ! Allons-y !

Il se gifla les deux joues en même temps pour se motiver, comme s’il était sur le point d’entrer dans un match de basket.

Moi — Alors ? Que vas-tu faire exactement ?

Il était un peu plus de 21h30. La plupart des élèves étaient probablement dans leurs chambres, se relaxant avec leurs amis. Je doutais que quelqu’un soit déjà en train de dormir. Je ne les imaginais pas s’amuser ou faire la bringue ensemble, mais je n’aurais pas été surpris que Horikita les observe avec un regard chaleureux.

Sudou — De toute façon, je vais essayer de l’appeler sur son portable.

Empoignant son téléphone, il traversa la pièce chaude et sortit du grand bain côté homme. Il commença immédiatement à l’appeler.

Sudô —…Oh, hé, c’est moi. T’es où exactement ?

Il ne passa par quatre chemins et elle non plus.

Sudou — Dans le hall ? Ok, attends un peu, j’arrive.

Sudô raccrocha, et me regarda en s’éloignant, la respiration lourde.

Sudou — Il y a un petit coin dans le hall du ryokan qui vend des souvenirs, non ? J’ai cru comprendre qu’elle était par là.

Moi — Ne te déclare pas tout de suite, d’accord ? C’est facile d’être surpris dans le hall alors pense à Horikita.

Sudou — Je sais, je sais.

Une déclaration est un événement important qui demande de la considération non seulement pour celui ou celle qui se déclare, mais aussi pour la personne qui la recevra.

Sudou — Mais où je me déclare au juste ?

Moi — Si c’est dans le couloir menant à l’arrière-cour, personne ne viendra à cette heure-ci, non ?

Il y avait une petite terrasse en bois avec une belle vue si on montait les escaliers, menant de l’arrière-cour à un terrain plus élevé. Cependant, il était interdit d’y aller après 21h alors il ne devait y avoir personne.

Sudou — Comme on pouvait s’y attendre de ta part, Ayanokôji, t’es un bon ami !

Dit-il en levant le pouce et en souriant. C’était un sourire nerveux, cependant. Lorsqu’un Sudou agité arriva au hall d’entrée à vive allure, Horikita cessa de parcourir les stands de souvenirs, attendant à proximité. Moi, en revanche, je gardais mes distances et me tins dans un angle mort. Dans le hall, il y avait un employé et plusieurs élèves qui regardaient des souvenirs ou qui étaient assis sur des chaises pour discuter. Cela m’avait permis de réaliser une fois de plus que ce n’était pas le bon endroit pour se déclarer.

D’une manière ou d’une autre, en faisant des gestes avec ses mains, Sudô semblait avoir réussi à attirer Horikita vers le couloir menant à l’arrière-cour, et tous deux se mirent à marcher dans cette direction côte à côte. J’aurais sûrement dû arrêter de les suivre, mais Sudou m’en aurait sûrement voulu. Je me mis à les suivre pour observer sa silhouette héroïque tout en essayant de minimiser le bruit de mes pas. Comme je m’y attendais, il n’y avait plus personne. Je m’arrêtai ainsi au milieu d’un couloir vide.

Horikita — Tout va bien ?

Horikita se retourna et s’interrogea. Ses cheveux étaient brillants, à tel point que même dans la faible lumière, je pouvais dire qu’elle s’était également baignée peu de temps auparavant.

Sudou — Je vais bien.

Sudou, dont l’allure imposante était son principal argument de vente, était peut-être trop nerveux devant cet être du sexe opposé pour qui il avait des sentiments. C’était ce que laissait transparaître sa voix basse. La nuit, le ryokan était un endroit calme avec une musique de fond tamisée et des bavardages calmes. Les bruits forts et inattendus étaient donc à éviter, même dans une zone pas ou peu fréquentée. Il avait le bon timbre de voix.

Sudou — Je suis… que…

Horikita inclina la tête avec curiosité devant le bégaiement de Sudou. Les deux n’étaient pas particulièrement irrités ou pressés à ce stade. C’était peut-être une autre indication de la confiance que Horikita et Sudou avaient établie entre eux. Lors de leur première rencontre, Horikita l’aurait sommé de s’expliquer sans délai. À ce moment-là, mon téléphone portable commença à vibrer.

Même si je l’avais mis en mode silencieux, il y avait une possibilité qu’ils puissent m’entendre dans cet environnement si calme. J’avais donc immédiatement éteint mon téléphone portable sans vérifier l’écran. On dirait qu’elle ne m’avait pas remarqué, ce qui était un soulagement.

Sudou — Hé, Suzune. Je… je suis en train de changer ?

Je pensais qu’il allait faire sa déclaration, mais il bifurqua sur autre chose comme si ce n’était pas encore le bon moment.

Sudou — Je me demandais… Quelle différence il y a entre mon moi actuel et celui de notre première rencontre ?

Horikita — Tu t’inquiètes toujours de ce que les gens pensent de toi ?

Sudou — Oui, c’est vrai.

C’était un sujet qui allait les occuper un peu, le temps que Sudou rassemble son courage. Il semblait que Sudô lui-même en était conscient.

Horikita — C’est vrai. Objectivement parlant, tu as changé plus que quiconque. Pas pour le pire, mais pour le meilleur. Je suis à tes côtés depuis un long moment déjà alors je peux te l’assurer.

C’était une opinion sincère de sa part. Non… Même les autres élèves pouvaient en dire autant.

Sudou — Oh, je vois.

Horikita — Mais ne deviens pas orgueilleux. Pour te le dire franchement, tu étais un poids pour tout le monde au début. Il serait tentant de se dire que tu viens de tellement loin que, d’un coup, tu vaux beaucoup mieux que les autres.

Passer d’un extrême à l’autre comme il l’avait fait allait forcément impressionner les gens autour de nous. Mais comme Horikita le souligna, des choses négatives aussi sont restées.

Sudou — Je pense que tu as raison.

Sudô hocha la tête, malgré la dureté de ses mots. Il les accepta avec résolution.

Sudou — C’est vrai que j’ai fait le con.

Les retards, les absences, la mauvaise note à l’examen écrit, les propos injurieux et son sang chaud. Il avait beau regarder en arrière, le passé ne changeait jamais, et il avait honte de ses actions.

Horikita — Tu sembles déterminé et humble à la fois.

Il hocha la tête, puis Horikita plissa doucement les yeux et lui sourit. Il ne s’en rendait probablement pas compte, mais Horikita avait beaucoup changé. L’ampleur de ce changement n’était probablement pas très différente de celle de Sudou.

Horikita — Tant que tu as tiré un trait avec ce passé, ça ira.

Apparemment, Horikita interpréta cela comme étant une consultation pour des conseils en raison de son incertitude quant à son développement. Sudou dut comprendre cela et secoua la tête.            

Sudou — Non, non, non, Suzune.

Horikita — Non ?

Sudou — Je… Je suis…

Se souvenant peut-être de ce qu’il m’avait dit, il tendit rapidement sa main droite. Mais les mots ne suivirent pas le geste et il n’eut que la main tendue.

Horikita — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Horikita était sur le point de demander la signification de cette main droite levée, et à raison. La situation était incompréhensible.

Sudou — Je t’aime ! S’il te plaît… Sors avec moi !

Il put se libérer de la honte d’essayer de se retenir et prononça ces mots clairement. Sa voix était forte, mais… on pouvait ignorer ce détail pour le moment. S’il y avait eu quelqu’un dans le secteur susceptible d’entendre quoi que ce soit, j’aurais été là pour le détecter et l’intercepter.

Horikita — E-eeh… ?

Horikita, qui ne s’attendait pas à une déclaration, se figea sur place, choquée.

Sudou — Si tu acceptes, je veux que tu prennes cette main que je tends.

Horikita — Hé… Est-ce que c’est ser…

Horikita était sur le point de répondre, mais elle se rétracta rapidement, comprenant vite que ce n’était pas une plaisanterie au vu de la passion qu’il exprimait. Au vu de son enthousiasme et de ses pensées authentiques, elle comprenait qu’il aurait été impoli de dire une telle chose. Horikita fixa sa main droite et retroussa un peu ses lèvres. Je pensais qu’elle allait répondre immédiatement, mais elle préféra le silence. Plus le silence se prolongeait, plus le rythme cardiaque de Sudô devait monter en flèche. C’était probablement une attente douloureuse. Cependant, Horikita aurait dû avoir le temps d’y réfléchir. Une réponse était attendue de sa part. L’esprit de Horikita avait dû finir par prendre une décision car elle commença à parler lentement, comme si elle choisissait ses mots.

Horikita — Je n’ai jamais pensé une seule fois que je serais celle qui recevrait une déclaration de quelqu’un.

Comment allait-elle répondre aux sentiments passionnés de Sudô ? Allait-elle accepter ou bien refuser ? Allait-elle lui demander un délai de réflexion ?

Alors que le silence s’éternisait, le bras droit de Sudô semblait se mettre progressivement à trembler. Ce n’était pas dû à l’engourdissement de son bras, mais à la nervosité. C’était un sentiment de frustration car il était toujours dans l’attente de recevoir une réponse. Croyant toujours que la main qu’il tendait serait saisie, Sudou continua d’incliner la tête.

Horikita — Sudô-kun. Merci d’aimer quelqu’un comme moi…

Dit-elle en exprimant sa gratitude. Mais, elle ne fit pas de geste en retour.

Horikita — Mais je ne peux pas répondre à tes sentiments.

C’était la conclusion que Horikita avait tiré après y avoir réfléchi.

Sudou — Oui, eh bien, si tu pouvais…au moins me dire pourquoi.

Incapable de lever son regard, il dit la chose avec une main rigide.

Horikita — Hmm…Ce n’est pas que je ne t’apprécie pas.

Elle commença à parler, puis s’arrêta.

Horikita — Je vais être honnête, je n’ai jamais été amoureuse auparavant. Je n’ai aucune idée de ce sentiment. J’espérais que tu déclenches quelque chose chez moi, que je découvre des sentiments à ton égard… Mais cela paraît improbable pour l’instant. Peut-être que le moment d’être amoureuse n’est tout simplement pas encore venu pour moi.

Comme pour confirmer ses sentiments, Horikita expliqua son refus avec un désir de continuer à attendre son premier amour. Ce n’était clairement pas des choses que l’on racontait à n’importe qui.

Sudou — Eh bien, merci… merci de me l’avoir dit.

Peut-être parce qu’il ressentait sa sincérité, Sudou n’essaya pas de répliquer.

Horikita — Ton courage et tes sentiments m’ont vraiment touchée.

Horikita dit cela alors qu’il était sur le point de baisser sa main droite désormais molle. Elle s’empressa de la rattraper.

Horikita — J’ai bien reçu ton message du cœur. Merci… Encore une fois, je te suis reconnaissante de m’apprécier.

La main droite tremblante de Sudou en disait long.

                          

Je décidai qu’il était temps de faire demi-tour et retournai au stand de souvenirs pour attendre leur retour.

7

Dans l’allée des stands, qui n’était pas encore fermée, divers souvenirs d’Hokkaidô étaient exposés.

Moi — Au fait, Nanase m’avait parlé de chips au chocolat.

J’essayai de savoir ce que c’était exactement, mais je n’arrivai pas à en trouver. Je n’avais d’autre choix que d’aller dans les boutiques spécialisées le lendemain ou le dernier jour du voyage. Je voulais vérifier sur mon portable s’il y avait des magasins qui en vendent.

Moi — Oups

J’allumai mon portable et vis que j’avais reçu un grand nombre de messages et d’appels manqués. Bien sûr, ils étaient de Kei.

Karuizawa : Où es-tu ?

Karuizawa : Je ne t’ai pas vu du tout depuis qu’on est là…

Karuizawa : Tu es occupé ?

Karuizawa : Tu me manques.

Karuizawa : Tu me manques tellement ! :’(

J’ouvris l’application et lu tous les messages qui m’étaient envoyés à quelques secondes d’intervalle. Immédiatement après, le téléphone sonna.

Karuizawa — Touwaahhh !

On aurait dit le grognement d’un chat, ce qui était une bonne description.

Moi — Tu es en colère contre moi ?

Karuizawa — Non, je ne suis pas énervée.

Elle était donc très en colère contre moi.

Karuizawa — Pourquoi tu ne m’accordes pas d’attention ?

Moi — Désolé mais le voyage scolaire est très prenant…

Karuizawa — Je ne sais pas si c’est une bonne chose !

Moi — J’ai déjà confirmé que tu as fait du bon boulot dans la récolte d’infos sur le groupe 11. C’est Kushida qui me l’a dit. C’est super !

Karuizawa — Hmmm ? T’as l’air de bien t’amuser avec elle ! C’est pas sympa ça de me tromper comme ça !!

Moi — On est dans le même groupe. En plus, tu la connais bien.

Karuizawa — Ça n’a pas d’importance. Elle a des gros seins et moi je…Ah, laisse tomber !

Moi — Ok, ok. Je vais trouver un moment-là. On se voit où ?

Karuizawa — Vraiment ? Trop cool ! Dans ta chambre ?

Étant très avide d’attention, elle retrouva vite sa jovialité.

Moi — Non, Ryuuen est là.

Karuizawa — Oh…  Je vois.

Moi — Où es-tu maintenant ?

Karuizawa — Je suis dans ma chambre, les trois filles profitent encore des bains. Je les ai justement lâchées pour t’appeler.

Kei était extrêmement gênée par les cicatrices sur son corps, mais elle semblait être au-dessus de ça désormais.

Moi — Je vais donner la clé de ma chambre aux gars de mon groupe… Je t’appelle quand c’est fait, donc attends-moi !  

Karuizawa — Ça marche !

J’attendis Sudô moins de cinq minutes dans le coin des souvenirs. Comme il n’y avait aucun signe de son retour, je décidai d’en avoir le cœur net et de revenir sur mes pas. Je vis Sudou debout, seul, dans la même position que lorsqu’il avoua ses sentiments. Horikita était sûrement repartie.

Moi — Sudou ?

Comme Kei m’attendait aussi, je me suis senti mal alors je m’approchai de lui d’ici pour l’appeler.

Sudô — Oh, merde !!!

Il était possible qu’il ait un air irrité à en juger par sa voix, mais…

Sudou — Je savais que ça allait finir comme ça… !

Le visage de Sudô affichait un mélange de frustration et d’accomplissement.

Sudou — Ah… Désolé… Avoir touché la main de Suzune me perturbe encore !

Moi — Je vois…

Sudou — T’as vu ça ? Une défaite cuisante, magistrale !

Moi — Eh bien, si c’est le cas, tu peux être fier de toi.

J’avais assisté à une déclaration incroyable, virile et à haute voix.

Sudou — Au départ, je me disais que je n’avais qu’à m’améliorer et retenter ma chance l’année prochaine. Mais c’est pas la bonne logique… Elle m’a l’air hors de portée. 

Sudou semblait sentir quelque chose que moi, qui observais de loin, ne pouvais pas voir.

Sudou — Il s’agit pas de retenter ou pas. Mes sentiments ne vont pas partir comme ça. Mais on dirait une fleur que j’essaie d’avoir de fou mais impossible à cueillir.

Il n’arrivait pas à faire le lien, mais il rit un peu quand il dit ça…

Moi — Et Onodera, tu en penses quoi ?

Sudou — Qu’est-ce que j’en sais ? Tu lui as parlé de moi ?

Moi — Oui, en effet.

Sudou — Eh bien, on verra. Onodera est une chic fille, et on partage les mêmes intérêts. Puis je n’en veux pas à Suzune, et je sens que je peux continuer à traîner avec elle sans problème.

Que ça se transforme en amour ou non était donc secondaire, pour lui.

Sudou — Je te le redis, je vais bosser dur. Avant c’était pour quelqu’un d’autre, mais maintenant je vais le faire pour moi. Mon but immédiat est d’atteindre le niveau de Hirata.

Moi — Ce n’est pas rien !

S’il parvenait à franchir ce cap, il pouvait prétendre à l’échelon supérieur : Horikita et Keisei. Ce rejet n’avait donc pas entaché son ambition !

8

Je me dirigeai vers l’espace de détente et trouvai Horikita debout, dehors.

Moi — Qu’est-ce que tu fais ?

Horikita — Je t’attendais.

Moi — Moi ?

J’avais un mauvais pressentiment, alors j’essayai de feindre la confusion. Mais Horikita ne semblait pas dupe. 

Horikita —Tu as tout vu, Ayanokôji-kun. N’est-ce pas ?

Moi — De quoi tu parles ?

Horikita — Tu étais près des boutiques de souvenirs, tout à l’heure. En temps normal je n’y aurais pas prêté attention, mais avec toi je ne crois pas aux coïncidences.

Quelle façon illogique de penser. Cependant, elle était totalement dans le vrai. J’allais devoir redoubler de prudence avec elle, à l’avenir !

Horikita — Et là tu te dis que tu vas faire attention la prochaine fois.

Moi — Dis-donc…        

J’applaudis sa franchise et la félicitai pour sa bonne lecture des évènements.

Moi — Sudô avait insisté pour que je l’épaule…

Horikita — Quand bien même, n’est-ce pas un manque de respect pour le protagoniste féminin, c’est-à-dire moi ?

Moi — Je ne pense pas.

Horikita — J’hallucine. Sudô-kun redescend dans mon estime !

J’étais abasourdi, mais elle ne semblait pas si en colère que ça.

Moi — Alors ? T’es juste ici pour te plaindre à un simple spectateur ?

Horikita — Oui.

Encore une fois, elle le dit clairement et sans réserve.

Horikita — Je plaisante à moitié. La vérité est que j’aurais besoin de parler. Mais tu sembles presser de rentrer…

Moi — Eh bien, disons que… Si ça ne te dérange pas, on peut faire ça demain ?

Horikita — Pourquoi ?

Moi — On va dire que je reçois beaucoup de pression de la part d’une certaine personne qui se sent négligée depuis quelques jours.

Horikita — Oh je vois, tu parles sûrement de Karuizawa-san, c’est ça ?

Elle allait probablement le découvrir de toute façon.

Horikita — Va pour demain soir alors. Tu seras pardonné si tu m’écoutes au moins à ce moment-là !

Moi — Ok, je te le promets.

Je n’avais pas d’autre choix, pour l’instant.

Après avoir donné la clé de la chambre à Kitô, qui profitait des installations, je partis à la rencontre de Kei. Nous étions déjà reconnus par beaucoup comme un couple officiel, mais nous ne pouvions pas nous afficher partout comme Ike et Shinohara. Nous avions donc décidé de nous retrouver dans une zone abritant plusieurs bains privés.

À peine arrivé, je fus sévèrement réprimandé. Mais je la pris tout de suite dans mes bras, ce qui la remit immédiatement de bonne humeur. Nous avions ensuite passé de bons moments de détente ensemble.


[1] Diminution du diamètre des vaisseaux sanguins

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