CLASSROOM Y2 V8 CHAPITRE 2

Un voyage scolaire tout à fait normal

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Le matin du départ, quatre bus se rassemblèrent devant les étudiants en file indienne. Il faisait moins de 5 degrés, ma peau le ressentait un peu. D’autant que la température allait encore baisser sur le chemin d’Hokkaidô. L’école demanda aux élèves de vérifier qu’ils avaient tout le nécessaire – gants, manteaux ou autre. On vérifia également que nous avions tous nos portables. Au passage, tout le monde était soulagé qu’aucun élève ne soit malade.

Mashima-sensei, professeur principal de la 1ère A, fit un discours avant de monter dans le bus. Il fut suivi des autres professeurs principaux, à chacun leur bus respectif : Mashima-sensei monta dans le n°1, Chabashira-sensei dans le n°2, Sakagami-sensei dans le n°3, et Hoshinomiya-sensei dans le n°4. En bref, c’était par ordre de classe, de A à D.

En attendant de monter dans le bus, je jetai un coup d’œil à l’heure et me fis le programme d’aujourd’hui en tête. Le bus devait nous emmener à l’aéroport de Haneda, où nous devions voler en direction de l’aéroport de Shin-Chitose. Ensuite, il allait nous falloir emprunter des bus locaux afin de nous diriger vers la station de ski.

J’en profitais également pour parcourir la liste des groupes. Car oui, les noms des huit membres affectés au groupe numéro 6, dont je faisais partie, étaient affichés. J’étais donc avec Kitô Hayato et Yamamura Miki (classe A), Kushida Kikyô (classe B), Ryuuen Kakeru et Nishino Takeko (classe C) ainsi que Watanabe Norihito et Amikura Mako (classe D).

Je ne trouvais pas mon groupe particulièrement à plaindre, mais tout d’abord j’étais surpris d’être dans le même groupe que Ryuuen, tout de même controversé. Ensuite, à l’exception de Kushida ET LUI, je n’avais jamais vraiment interagi avec les autres. Ce voyage allait être l’occasion d’en apprendre plus sur eux.

Par conséquent, il m’allait être difficile de savoir si on allait bien s’entendre ou pas. Pour rappel, j’avais attribué à ces élèves le rang suivant : Kushida [6] ; Watanabe [18] ; Amikura [14] ; Ryuuen [6] ; Nishino [18] ; Kitô [9] ; et Yamamura [14].

Je m’étais principalement basé sur l’OAA, indépendamment des affinités. À ce titre, Kushida et Ryuuen avaient le plus haut rang. Cependant, tout le monde n’avait pas nécessairement eu le même classement que moi. Surtout pour Ryuuen, qui avait beaucoup de détracteurs, dont certains lui avaient sûrement attribué un classement bien bas. Je pensais par exemple à Kitô, soutenant Sakayanagi. Enfin, dans un même temps, Ryuuen a aussi de grandes qualités de leader, donc qui sait ? Au final, il était difficile de faire autre chose que des suppositions sans fondement.

Nous savions, grâce à l’exercice de classement effectué l’autre jour, que la répartition des groupes n’était pas aléatoire. Mais difficile de vraiment comprendre le pourquoi du comment pour l’instant. Je n’étais déjà pas persuadé que les 5 autres aient vraiment compris. Quant à Ryuuen, allait-il me faciliter la tâche pour élucider ce mystère ?

Au cours de ces 18 derniers mois, j’avais essayé d’élargir mon cercle d’amis à ma façon. Mais ce n’était jamais évident de vraiment tisser des liens avec des personnes d’autres classes. Donc je restais peu avancé.

L’heure d’embarquement approchait. Les élèves commencèrent à se rassembler autour de leurs amis proches. Les places étaient libres, mais j’admets que j’avais plutôt apprécié qu’on nous impose un siège l’année passée, pour notre dernier voyage. Ayant une petite amie, Kei, en théorie mon partenaire de siège était déjà tout trouvé. Enfin, au moment où Kei me fit un signe de la main pour se mettre à côté de moi, Yôsuke vint au même moment.

Hirata — Kiyotaka-kun… À propos de ta place dans le bus, ça te dérange si je m’assois à côté de toi ?

À côté de moi ? Pourquoi encore ?

À cause de Kushida, tout le monde savait que Mii-chan en pinçait pour Yôsuke. Mais elle n’avait toujours pas eu le courage de se déclarer officiellement. Je ne voulais pas lui voler ce moment avec Yôsuke, mais elle devait comprendre qu’elle n’était pas la seule dans ce cas-là… Plusieurs filles me lançaient des regards.

Yôsuke voulait certainement éviter une 3e guerre mondiale en faisant des jalouses.

Moi — C’est dur d’être populaire, n’est-ce pas ?

Hirata — Je ne veux pas être populaire.

Il répondit de manière simple et concrète, sans aucune prétention. Sa capacité à décrypter l’atmosphère était tout à fait impressionnante.

Moi — C’est bon si je fais asseoir Yôsuke à côté de moi, Kei ?

Karuizawa — J’aimerais dire non, mais je crois que j’ai pas le choix hein ?

Kei était très réceptive à Yôsuke, envers qui elle avait une dette. Elle accepta.

Hirata — En échange, Kiyotaka s’assiéra du côté de l’allée. Je m’assiérai côté fenêtre.

Sage compromis. Donc nous occupions une rangée entière, Yôsuke et moi à gauche, Kei et Satô de l’autre côté de l’allée.

Quelques minutes plus tard, tout le monde sans exception avait embarqué et les bus partirent pour l’aéroport.

Pendant le trajet en bus, les élèves n’étaient pas autorisés à se lever de leur siège, mais ils étaient libres de discuter et de consommer la nourriture et les boissons qu’ils avaient apportées. Certains n’attendirent pas pour entamer leurs collations.

Hirata — Ça commence à ressembler à un vrai voyage, n’est-ce pas ?

Yôsuke, ressentant l’ambiance autour de lui, murmura joyeusement. Celui qui considérait le bonheur des autres comme le sien était probablement à l’aise avec les sentiments frivoles de ses camarades de classe.

Karuizawa — Ça aurait été génial si Kiyotaka avait aussi été dans mon groupe…

Kei était dans le même groupe qu’Akito, avec qui elle n’avait habituellement aucun contact.

Moi — C’est chouette non ? L’occasion de rencontrer du monde !

Je suppose qu’elle espérait me manquer aussi, ses lèvres effectuant une moue de frustration.

Yôsuke était dans le même groupe que Matsushita, et Satô était dans le même groupe qu’Okitani.

Hirata — Comment ça va entre Kei et toi, Ayanokôji-kun ?

Moi — Dois-je vraiment répondre à ça ?

Hirata — Tu n’as pas répondu à sa petite perche, à l’instant…

Moi — Rhoo. Je suppose que nous sommes très amoureux.

Et cette conversation triviale continua jusqu’à notre arrivée à l’aéroport.

1

Mashima-sensei supervisait les groupes 1 à 5, Chabashira-sensei des groupes 6 à 10, Sakagami-sensei des groupes 11 à 15, et Hoshinomiya-sensei des groupes 16 à 20.

Mr. Mashima — Une fois rassemblés par groupes, veuillez-vous organiser pour vous installer dans le bus.

Le groupe 6 se vit attribuer huit places dans le bus. Ne restait plus qu’à nous mettre d’accord entre nous. Nous disposions de deux lignes. Je rejoignis mon groupe dans la zone dirigée par Chabashira-sensei.

Kushida — On dirait que nous sommes dans le même groupe, Ayanokôji-kun.

Moi — En effet.

Kushida — Enfin, peu importe qui c’est, je suppose que ça se passera bien pour toi.    

Moi — Mouais… Ryuuen a l’air assez nonchalant.

Je ne savais pas exactement dans quelle mesure elle avait révélé son vrai visage aux autres classes, mais il me semblait que Ryuuen et Kushida travaillaient ensemble depuis un certain temps. En ce sens, chacun était peut-être un partenaire encombrant pour l’autre. Non pas que je le considérais encore comme une menace, d’autant que Kushida n’était pas du genre à se laisser faire. Puis, ce n’était plus comme si elle avait grand-chose à perdre désormais.

Kushida — D’ailleurs, vu qu’il est de nouveau motivé à bloc, il se peut qu’il essaye de me faire chanter. Avant ça me faisait peur, mais maintenant je suis bien plus apaisée sur la question.

La classe connaissait déjà sa vraie nature, donc ça limitait les risques. Kushida semblait être passée à un autre niveau.

  • Kikyô-chan !!!!!!!!

Un garçon et une fille de la classe d’Ichinose se distinguèrent de la foule. C’étaient Watanabe et Amikura.

Kushida et Amikura semblaient très amies car elles se tinrent par la main, se réjouissant d’être ensemble. Mais dans le fond, je ne pouvais m’empêcher de me dire que Kushida ne ressentait probablement rien. J’avais l’impression de voir une de ces grandes actrices ! 

Watanabe — Content d’être dans votre groupe !

Je levai la main en guise de salutation.  Je n’avais jamais eu de contact avec lui auparavant, peut-être était-ce l’occasion. La moitié du groupe était là. Nishino et Ryuuen suivirent.

Kushida — Hello Nishino-san… Ryuuen-kun !!!

Kushida prit les devants, en souriant. Watanabe et Amikura firent de même.

Nishino — …

Nishino semblait un peu maladroite, comme si elle n’avait pas eu beaucoup d’interactions avec Kushida ou Amikura. Ryuuen ne répondit à personne en particulier, mais s’arrêta et garda ses distances.

Kushida — Il ne reste plus que Kitô et Yamamura, on dirait.

Moi — Si tu parles d’eux, ils sont déjà là.

Kushida — Ah oui ?

Je pointai le doigt derrière Kushida, et tout le monde remarqua les deux élèves de classe A marchant côte à côte. Kitô se montra et lança un regard furieux à Ryuuen, avec un mélange de pression silencieuse et d’inimitié. Yamamura, de son côté, s’approcha les yeux baissés, sans regarder personne. Le groupe était au complet et nous devions donc nous répartir en sièges.

C’était assez pratique d’avoir quelqu’un de sociable avec moi pour gérer ce genre de trucs. La seule personne que je redoutais un peu était Ryuuen. Mais pour l’instant, il semblait rester calme. Était-ce parce qu’il n’avait pas du tout l’intention de diriger le groupe, ou pensait-il qu’il était inutile de se plier en quatre pour quelque chose d’aussi trivial que de déterminer nos places ?

Kushida — Et si on se plaçait par sexe ?

Kushida prit une initiative et suggéra son idée aux côtés d’Amikura.

Amikura — Quelqu’un a une objection ?

Personne ne semblait s’y opposer. Nishino et Yamamura avaient l’air emballées, d’autant que ça évitait éventuellement que les garçons ne se battent pour s’asseoir à côté des filles. 

Kushida — Alors, que les filles s’assoient avec les filles et les garçons avec les garçons, d’accord ?

En disant cela, Kushida s’éloigna des garçons. Je m’assis naturellement à côté de Watanabe, mais Ryuuen et Kitô ne bougèrent pas d’un pouce.

Watanabe — L’atmosphère causée par un duo gênant est étonnante, n’est-ce pas ?

Moi — Tu n’as pas tort.

Watanabe — Peu importe qui, tant que ce n’est pas Ryuuen ou Kitô.

Moi — Du coup ça va pour moi ?

Watanabe — Déjà mieux que ces deux-là.

Ce n’était pas super agréable d’être comparé à des marginaux. Personnellement, je préférerais être à côté de Watanabe et rester à l’écart des problèmes. Cependant, Kitô s’approcha soudainement de nous.

Kitô — Il n’y a pas moyen que je m’assieds avec lui. Aucune objection avec vous deux.

Il marmonna la chose avec agacement et retourna à sa position initiale.

Watanabe — Que faire ?

Moi — Peut-être qu’obliger ces deux-là à se placer côte à côte n’est pas une bonne idée non plus.

Watanabe hocha la tête en guise d’approbation.

Moi — Alors modifions les places. Qui tu préfères ?

Watanabe — Je m’en fiche, les deux me vont.

Moi — Et si tu devais vraiment choisir…

Watanabe, comme s’il devait choisir entre la peste et le choléra, marqua un temps d’arrêt.

Watanabe — Pour l’instant, je vais pencher pour Kitô. Il a l’air posé et je suis sûr qu’il n’est pas si effrayant qu’il en a l’air.

Il avait certainement la réputation d’être doux sauf quand on le cherchait. C’est ainsi que, suite aux pourparlers, je rejoignis Ryuuen.

Moi — Je sais que ce n’est peut-être pas ce que tu veux, mais je serai ton voisin pendant ce trajet. Tu peux avoir le siège à côté de la fenêtre si tu veux !

Ryuuen — Comme tu voudras.

Jusqu’à présent, il était aussi calme qu’un chat adopté.

Ryuuen — J’espère que tu ne te méprends pas, Ayanokôji.

Moi — Comment ça ?

Ryuuen — La bataille entre Sakayanagi et moi a déjà commencé.

En disant cela, Ryuuen lança un regard à Kitô. Ce dernier répondit par un regard noir, comme s’il s’y attendait.

Moi — Je vois. Les confrontations seront inévitables.

Ryuuen — C’est une excellente occasion de voir à quel point Kitô est un homme. Nous devons la vaincre tant qu’on le peut encore !

C’était une déclaration très dangereuse qui me fit penser que ce voyage à Hokkaidô n’allait peut-être pas être de tout repos. En y repensant, Sakayanagi était dans le groupe 4. Je me remémorais ainsi les élèves à l’intérieur. De la classe de Ryuuen, il y avait Tokitô Hiroya et Morofuji Rika. Le deuxième semestre n’était pas encore terminé, mais ce n’était pas une mauvaise chose qu’ils aient déjà commencé à envisager la fin de l’année scolaire. Une attaque fait tellement plus mal quand l’autre n’est pas prêt.

Décidant que la discussion de groupe était terminée, les professeurs commencèrent à mener le rythme. Pour rappel, Ryuuen avait obtenu le siège côté fenêtre. Le trajet de l’école à l’aéroport était plein de vie. Il semblait presque impensable qu’il s’agît du même voyage. Après tout, il allait falloir un peu de temps aux gens pour s’adapter à des visages moins familiers. Pour preuve, près de la moitié des élèves avait préféré s’assoir par classe. C’était ce qui arrivait sans élève comme Kushida pour prendre des initiatives.  Pourtant, tout le monde semblait unanimement vouloir s’amuser.

Au bout d’une demi-heure, les discussions de groupes semblaient dépasser le strict cadre des camarades de classe. Encore plus lorsqu’on nous dit qu’un karaoké était disponible, un des garçons se mit à chanter.

Ryuuen — Ce mec en seconde, Yagami… j’ai senti une aura similaire à toi chez lui. Tu le connais ?

Je ne pensais pas que Ryuuen allait vouloir discuter durant ce trajet, et le sujet fut d’autant plus inattendu. Il était appuyé sur ses coudes, sans me regarder, comme s’il se parlait à lui- même.

Moi — Et si je te disais que non ? 

Ryuuen — Il était prêt à foutre une mandale à un prof pour te retrouver, et tu voudrais que je te croie ?

Moi — Je l’ai connu pendant un moment. Rien de plus, rien de moins.

Ryuuen — Mmh ? Ça promet !

Moi — Concentre-toi sur les seconde autant que tu veux. Ton but c’est de monter en classe A, je crois, non ?

Ryuuen — Je me laisse porter par mes envies. Puis ça aurait pu m’aider d’avoir des infos de sa part.

Je vois. Il n’était pas tant intéressé par Yagami lui-même, mais par la possibilité qu’il ait pu être mon point faible. Je n’aurais pas parlé de point faible concernant Yagami, mais il était certainement une épine dans le pied.

Ryuuen — Mais on dirait que c’est top secret. Pire, le bahut avait l’air d’être derrière ce gars. Toujours plus loin dans les coups de pute.

Moi — En plus il est parti…

Ryuuen — Lui, oui. Mais apparemment il reste une fille. Amasawa, en 2de. Je peux m’amuser un peu avec elle, peut-être…

Apparemment, Yagami avait laissé derrière lui des bribes d’information. En théorie, Amasawa était tout à fait capable de se défendre. Mais il était inutile de rappeler le talent de Ryuuen pour les coups fourrés. D’autant qu’elle était désormais seule, sans Yagami pour l’épauler.

Ryuuen — Ouais, j’ai encore un peu à faire avant de te buter !   

Ryuuen déclara ceci, me voyant sur mes gardes.

Moi — Au fait, Ryuuen, quelque chose me tracasse depuis ce matin…

Ryuuen — Quoi ?

J’ai mis la main dans la pochette en filet fixée au dossier du siège devant moi. J’en sortis un ensemble de sacs en plastique noirs.

Moi — Je me demande à quoi servent ces sacs.

Ryuuen — Oh ?

Il leva les sourcils et ricana, comme s’il avait un doute.

Ryuuen — À dégueuler, puis quand t’es bourré aussi. T’es sérieux avec tes questions ?

Je vois. En cas de mal des transports, vomir est assez probable. On appelle ça un « sac vomitoire » je crois.

Moi — Les bus de l’examen de l’Île déserte n’étaient pas équipés de tels sacs. Je suppose qu’ils ne les ont pas toujours à disposition.

J’avais pris le bus plusieurs fois auparavant, mais c’était la première fois que j’en voyais. Je dois donc penser que vomir est une chose qui arrive dans les transports. Je suppose que c’était autant pour les gens que par respect pour le personnel, qui aurait eu bien du mal à nettoyer du vomi sur les sièges. Décidément, on en apprend tous les jours !

Ryuuen — Toujours aussi bizarre, toi ! Je parie que t’as pas pris beaucoup de bus !

Moi — Tu ne crois pas si bien dire.

D’ailleurs, ayant moi-même légèrement expérimenté cette sensation d’ébriété, je me décidai à garder en tête ce genre d’accessoires utiles !

2

Après avoir déjeuné dans une grande cafétéria rattachée à la station, tout le monde était prêt à recevoir une petite leçon de ski. En raison de risques de perte ou de casse en piste, nous devions laisser nos portables. Les plaintes furent nombreuses, mais les règles de l’école étaient indiscutables. En vérité, cette règle n’était en place que pour cette première fois : le lendemain, tout le monde allait sans problème pouvoir emporter son portable, les frais de perte ou de réparation étant à la charge de chacun.

Nous enfilâmes nos vêtements de ski loués puis les chaussures. L’extérieur des bottes semblait en plastique. En suivant les instructions, je les débouclai, ouvris la doublure intérieure et les enfilai. Je les ajustai ensuite à mon pied, les resserrant comme il faut. Enfin, j’enfilai une ceinture ainsi que des lunettes de protection. Selon leur dire, ceci était le strict minimum.

Je tentai de marcher normalement, mais je finis par tomber. Je ralentis la cadence et, doucement, finis par sortir. Nous fûmes divisés en trois groupes : skieurs avancés, skieurs intermédiaires et débutants. Totalement novice, j’avais naturellement rejoint les débutants. J’aurais pu tâter le terrain sur le net, mais n’est-ce pas mieux de pratiquer ? 

Environ 60% des élèves de la classe avaient demandé les cours pour débutants. 40% étaient donc intermédiaires ou plus, je ne savais pas si c’était beaucoup ou non, mais j’étais assez impressionné compte tenu du fait que les gens du Kantô[1] avaient quand même assez peu l’occasion de skier.

Les membres de mon groupe, Ryuuen, Kitô, Nishino et Kushida, n’étaient pas avec moi, probablement parce qu’ils avaient un meilleur niveau. Quant aux débutants, nous fûmes nous-mêmes divisés en sous-groupes de 10. Le moniteur nous apprenait tout depuis les bases, et j’écoutais avec un grand intérêt car c’était ma première fois. Du côté des skieurs avancés, ils semblaient déjà pouvoir se lancer sur les pistes comme bon leur semblait. 

Ryuuen était parmi eux. Il nettoya ses semelles, ajusta ses bottes à ses skis, et se mis sur les talons. Je le regardais faire, je remarquais que le tout était de maintenir les pieds dans la même position. J’essayai sur moi, en étant surpris de ne pas tomber. Je tentai même de glisser avec un peu plus de force en utilisant les bâtons, inclinant mon centre de gravité vers la gauche. Mais… Mais…

Yamamura — Tu vas bien ?

Yamamura, qui observait tout près, m’appela timidement.

Moi — Très bien. Je voulais juste tester la neige…

Yamamura — Haa…

Il y avait quelques rires autour de nous, mais nous ne nous en souciions pas. Même Ryuuen, que je croyais déjà dirigé vers les remontées mécaniques, esquissa un léger sourire. Il tirait sûrement un petit plaisir à me voir échouer.

— Faites attention !

J’inclinai la tête et m’excusa, continuant de porter une grande attention à la leçon. Ensuite je vis que je n’étais pas un cas isolé, beaucoup avaient fini par tomber !

De mon côté, je commençais à trouver le rythme.

3

La leçon dura 30 minutes. Nous fûmes ensuite libérés.

— Vous pouvez y aller.

Après l’entraînement, Watanabe et les autres se dirigèrent vers le parcours pour débutants qui présentait une pente douce.

Watanabe — Tu viens, Ayanokôji ?

Watanabe se retourna pour me demander ça.

Moi — Je vais peut-être essayer ailleurs !

Watanabe — Ok, à plus tard alors !

Je le voyais s’éloigner et décidai de faire mon truc de mon côté.

Ryuuen — Hé, Ayanokôji, la piste pour débutants c’est là-bas !

Ryuuen me dit cela en me pointant du doigt, l’air visiblement agacé.

Moi — Non, je vais essayer la piste rouge tiens !

Ryuuen — Ah ouais ? Plutôt inattendu de la part de quelqu’un qui skiait comme un handicapé y a 5 minutes !

Kushida — Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Ayanokôji-kun. Les pentes sont raides et y a plein de bosses, même moi j’ai eu peur !

Apparemment, ils parlaient d’expérience.

Moi — Je vois…

Je me disais que j’allais peut-être tenir compte de ce qu’ils me disaient. Mais, subitement, j’aperçus Yamamura faire la queue pour emprunter les remontées mécaniques menant aux pistes des skieurs confirmés, alors qu’elle était dans le cours pour débutants. Soit elle avait inconsciemment suivi un de ses camarades, Kitô, soit il y avait vraiment méprise.

Kushida — Elle tente déjà ça…

Moi — Hmm ?

Kushida — Je ne suis pas persuadée qu’elle sache qu’elle fait la queue pour la piste rouge.

Elle me parla de Yamamura, assise sur les remontées devant l’emmener au sommet.

Moi — Je suppose qu’il vaudrait mieux aller l’aider.

Sur ce, j’empruntai une remontée mécanique pour la première fois avec Kushida, le mécanisme étant fait pour deux personnes.  La sensation était étrange quand mes pieds commencèrent à progressivement quitter le sol.

Moi — Sympa comme voyage, hein ?

Kushida — C’est ta première fois, non ? Tu n’as pas peur ?

Moi — Non. Nous sommes encore à une hauteur relativement proche du sol. Donc même si je tombe, les risques sont mesurés.

Kushida — Oh, c’est ça qui te fait peur ?

Moi — Tu pensais à quoi ? Si ce n’était pas le risque de chute…

Kushida — Bah… Ouais, c’était sûrement ça…

Elle avait l’air perplexe, comme si elle n’exprimait pas le fond de sa pensée.

Kushida — Ou pas. En ce moment j’occupe mes pensées avec des choses qui puent moins la merde que toi.   

Et d’un coup de baguette magique, LA Kushida était là ! Cette dernière profitait sûrement du fait que nous étions relativement isolés, la brise du vent couvrant le peu de ce que les autres pouvaient entendre.

Moi — C’est pas très sympa, ça !

À quel moment quelqu’un prendrait ça bien ?

Kushida — Désolée, ça venait du cœur.

En disant cela, Kushida regardait les montagnes. Au loin.

Kushida — Je suis confiante en ma capacité à analyser les gens, à les comprendre. Cela vaut pour Horikita-san et Ryuuen-kun. Mais ça n’a pas suffi.

Lire dans les pensées de son adversaire ne veut pas dire qu’on peut le battre.

Kushida — Je pensais t’avoir cerné, Ayanokôji-kun. Mais pour la première fois, je rencontrais quelqu’un dont les pensées étaient une énigme.  Je n’ai jamais autant été à côté de la plaque.

Moi — Et quel effet ça t’a fait ?

Kushida — Tu tiens vraiment à le savoir ?

Demanda-t-elle toujours en train de contempler le paysage.

Moi — C’était bête comme question, je suppose…

L’atmosphère suggérait fortement qu’elle n’était pas disposée à répondre.

Kushida — Au fait…

Kushida avait visiblement quelque chose en tête alors qu’elle essayait de faire sortir des mots.

Kushida — C’est important, donc je dois le confirmer ici et maintenant… Tu comptes me faire expulser ?

Moi — Ah ça pour une question…

Kushida — Je peux pas savoir ce que tu penses, alors c’est la seule chose qui me préoccupe. Si j’étais toi, que ferais-je ?

Moi — Et tu en es venue à la conclusion que tu allais te faire expulser ? 

Kushida acquiesça immédiatement, en me regardant dans les yeux. Comme si elle essayait de m’extorquer la vérité. Pour la titiller un peu, j’osai détourner le regard, comme si j’y réfléchissais. Et sa réaction ne se fit pas attendre.

Kushida — Tu te fous de ma gueule ?

Moi — Désolé…

Son masque avait partiellement sauté, cette dernière me lançant un regard furieux quand bien même elle souriait encore. Je m’excusai donc rapidement.

Kushida — T’aimes ça, faire le macaque, hein ?

Moi — Sérieusement, je suis désolé !

Je savais que ça l’avait sûrement mise dans une colère noire, néanmoins c’était un bon moyen de lui faire comprendre le fond de ma pensée.

Moi — Je n’ai pas l’intention de te faire expulser.

Kushida — Ah bon… ?

Moi — À partir du moment où Horikita a remué ciel et terre pour te garder, me débarrasser de toi n’était plus à l’ordre du jour. Ou alors j’aurais agi en temps voulu contre Horikita…

Cela n’avait peut-être pas levé tous les soupçons de Kushida, mais c’était un fait qu’elle ne pouvait nier.

Kushida — Pendant l’examen spécial du vote, c’est ça ?

Pour elle, cet examen spécial avait dû être une expérience inoubliable et humiliante. À elle de ne pas faire deux fois la même erreur, ce qui allait être compliqué vu que toute la classe était au courant désormais.

Kushida — Quand bien même je ne peux pas faire expulser une classe entière, il y a toujours moyen que je me débrouille pour changer de classe en obtenant un ticket de transfert. Tu as considéré ce risque ?

Cocasse de se qualifier elle-même de « risque ».

Moi — Pour le coup, c’est le jeu. C’est permis par l’établissement, alors personne ne te le reprocherait si tu en avais les moyens.

Tout le monde pouvait quitter un navire à la dérive. 

Kushida — Décidément j’ai vraiment du mal à lire en toi. Je n’arrive pas à savoir si tu es sincère.

Moi — C’est sûr que je ne suis pas très expressif…

Kushida — Non, mais…

Kushida porta un peu d’attention à notre destination qui approchait.  

Kushida — Je suis un peu perdue. Mon secret a été dévoilé, je m’en mordais tellement les doigts que plus rien n’avait d’importance. Pourtant je suis là, à skier et prendre du bon temps… J’ai presque l’impression que tout n’est pas plus mal.

Moi — Les voyages scolaires sont traditionnellement des bons moments pour les élèves, non ?

Kushida — Pour le quidam moyen, oui sûrement. J’ai toujours trouvé que ce genre d’évènements était une source d’emmerdes.

De son point de vue, je la comprenais. Cela demandait tellement d’énergie de ne pas être soi-même. C’était d’ailleurs légèrement la problématique de ce voyage, « s’ouvrir ».

Kushida — Au fait, je peux te poser quelques questions sur… Yagami-kun et Amasawa-san ?

Moi — J’ai eu un peu à faire à Amasawa… En revanche Yagami, pas vraiment.

Ce n’était probablement pas la réponse que Kushida attendait. 

Kushida — Peut-être que tu n’es pas plus avancé…

Moi — Qu’est-ce qu’ils ont ?

Kushida — Tu sais que Yagami-kun a été viré, hein ?

Moi — Oui. Il aurait eu un comportement inapproprié pendant l’examen spécial sur l’île, donc exclusion logique. La morale c’est que tu ne devrais pas faire confiance au premier guignol venu.

Elle savait que je savais, je savais qu’elle savait… Je pouvais parler sans filtre.

Kushida — Non, mais en fait… Yagami-kun… connaissait mon passé. Les seules personnes qui auraient pu savoir quelque chose étaient Horikita et son frère.

Moi — Comment as-tu été certaine qu’il savait tout ?

Kushida — Parce qu’il a évoqué le sujet directement, sans détour. Naturellement, je m’étais dit que Horikita-san ou toi pouviez lui avoir raconté. Ryuuen-kun connaît également ma vraie nature, mais il ne connaît pas mon passé, donc nous pouvons l’exclure.

En effet, la vraie nature d’une personne et son passé sont deux choses complètement différentes.

Kushida — Mais ça ne colle pas dans le cas de Horikita-san, non ? Je veux dire, elle n’aurait strictement rien eu à gagner en agissant ainsi. Par élimination, il ne reste que toi. C’est ce qui me chiffonne.

Moi — Je vois.

En effet, j’étais l’un des rares élèves à connaître le passé de Kushida. Et mes agissements pendant l’examen du vote m’avaient certainement rendu encore plus suspect à ses yeux.  Forcément qu’elle s’interrogeait aussi sur Amasawa, également impliquée avec Yagami. Tout était flou, je comprenais pourquoi ça la travaillait autant.

Kushida — Je m’en fiche de toute façon. Je veux juste la vérité.

Moi — Et si c’était moi, tu m’en voudrais ?

Kushida — T’en vouloir ou non… C’est pas comme s’il me restait beaucoup de marge de manœuvre désormais.

Donc elle se considérait comme un tigre ayant perdu ses crocs.

Kushida — Tu étais juste le coupable idéal. Mais en y repensant tu n’y es peut-être pour rien. C’est pas comme s’il n’avait pas comploté pour t’éjecter du lycée, donc vous ne deviez pas être très amis…

Naturellement, les questions aboutissaient sur la nature de mon lien avec Yagami. Quelle galère… À la fois je trouvais ça un peu dur de la laisser dans le brouillard, sans réponse à ses interrogations. À la fois je ne pouvais pas lui parler des spécificités de la White Room.

Moi — Je te dois la vérité. Nous nous connaissions, Yagami et moi. Non pas au travers d’un précédent établissement scolaire… Mais tu peux dire qu’on était des voisins.

Kushida — Sérieux ?!

Moi — Oui, avec Amasawa. Des histoires ont un peu pourri notre relation à nous trois. Si Amasawa a réussi à passer à autre chose, on dirait bien que ça n’a pas été le cas pour Yagami. Je n’aurais pas imaginé qu’il serait allé jusqu’à te contacter à mon insu. 

Kushida — C’est dingue, mais quand bien même… Comment aurait-il pu savoir pour moi ?

Moi — Je ne saurais te dire, là comme ça… Mais il est probable qu’il ait mené sa petite enquête sur mes camarades de classe en général. Et en recoupant les informations, tu étais sûrement la complice parfaite. 

J’inclinai la tête et m’excusai auprès de Kushida.

Moi — Tu as pris des balles perdues par ma faute. Je n’étais au courant de rien, mais je tiens tout de même à m’excuser… Désolée que tu aies été impliquée.

Kushida — Ayanokôji-kun…

Ce n’était peut-être pas une réponse suffisante. Mais admettre formellement que Yagami et moi étions liés suffisait, au moins partiellement, à expliquer la situation à Kushida.

Kushida — Est-ce que tu as quelque chose à voir dans l’expulsion de Yagami-kun ?

Moi — Il avait la main mise sur toi et ne t’aurait pas lâché s’il était resté, crois-moi. La raison pour laquelle Amasawa est venue à ta rencontre était peut-être pour empêcher Yagami de te faire un truc.

Je diluai quelques vérités dans une fontaine de mensonges. Nagumo, Ryuuen, Horikita… autant de personnes qui avaient des doutes sur mon implication dans cette histoire. Nier tout en bloc ici pouvait tout à fait se retourner contre moi plus tard si Kushida l’apprenait.

Moi — J’ai laissé Amasawa rester puisqu’elle a tiré un trait sur ces histoires du passé. Elle devrait te foutre la paix, quoique tu as sûrement remarqué qu’elle était un peu… spéciale.

Ainsi naquit un nouvel environnement, environnement dans lequel la vraie Kushida pouvait s’épanouir et progresser. Cette discussion inattendue allait peut-être en être le déclencheur. 

Kushida — Je…

Un vent violent souffla, et le bonnet blanc de Kushida fut sur le point d’être emporté par le vent. Je tendis la main et attrapa le bonnet en pleine paume. Au même moment, Kushida leva la main et entra en contact avec la mienne.

Kushida — D-Désolée… Merci !

Elle aurait pu y arriver sans mon aide, mais elle me regarda droit dans les yeux pour me remercier.  Immédiatement après, elle se raidit et son regard persista.

Moi — Un problème ?

Kushida — Hmm… Non, ce n’est rien.

Je ne savais pas à quoi pensait ce visage sans expression, mais son regard changea peu après. L’ascenseur avait atteint sa destination, l’heure était venue de descendre.

Kushida — Tu vas y arriver ?

Moi — Je pense que ça devrait le faire.

Je répondis par l’affirmative, mais Kushida descendit la première comme pour me montrer l’exemple. Après une longue montée, nous étions donc arrivés en haut de la piste la plus difficile… Comme prévu il y avait moins de monde sur ce parcours, mais nous n’étions tout de même pas seuls.

Kushida — Tu m’impressionnes. Mais ce n’est pas un peu plus raide que ce que tu imaginais ?

Certes, comme elle le soulignait, la vue d’en haut était bien différente.

Kushida — Tu es sûr que ça ira ?

Moi — Eh bien, je vais me débrouiller.

Kushida — En cas de pépin, vraiment, enlève tes skis et descends la pente à pied, sur le côté. C’est vraiment laborieux par contre.

Beaucoup glissaient sur la pente, mais aucun skieur ne semblait être un débutant évident. Pendant ce temps, plusieurs personnes étaient réunies autour de Ryuuen.

Kushida — Ce sont les élèves de la classe de Ryuuen, non ? Il n’était pas si populaire dans mes souvenirs…

Moi — Ils n’ont pas l’air de s’éclater, là. 

Kushida — En effet.

Les élèves semblaient échanger des mots plutôt sérieux avec Ryuuen. Ce dernier, qui était au centre du cercle, ne regardait aucun élève en particulier et écoutait nonchalamment. Quel était l’intérêt de se rassembler ici avec sa classe, en haut de la piste la plus difficile ? Puis s’il avait des messages à leur faire passer, il aurait tout simplement pu utiliser son téléphone. Ou justement, l’endroit avait été très bien choisi puisque moins fréquenté.

Kushida — Ont-ils quelque chose à signaler, par hasard ?

Moi — On dirait bien.

Les membres rassemblés étaient ceux qui recevaient souvent des instructions de Ryuuen, comme Kaneda, Ishizaki, et Chikon Todo.

Kushida — Elle est là, Ayanokôji-kun… Yamamura-san.

Bien sûr, dans la direction où Kushida regardait, il y avait Yamamura. Cette dernière fixait la classe de Ryuuen et les autres alors qu’ils se séparaient.

Kushida — Yama…

Je fis signe à Kushida, qui était sur le point de l’appeler, de se taire.

Kushida — Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Moi — Attends une minute.

Le comportement de Yamamura était un peu déroutant. Donc elle se dirigeait vers cette piste « par erreur », pour ensuite rester plantée là ? Comme si elle se cachait.

Moi — Quel genre de fille est Yamamura ?

Kushida — Quel genre de fille ? J’en sais rien.

Moi — C’est de toi qu’on parle, là. Tu dois bien connaître quelque chose sur elle, tu parles à tout le monde !

Kushida — Certes, je peux cerner quelques trucs chez quelqu’un qui me parle. Mais, elle…  Elle ne m’a jamais abordée, et quand j’ai tenté de le faire je n’ai eu droit qu’à des réponses très expéditives ou des hochements de tête. Un peu limite le contact social, non ?

Elle était si fermée au point qu’elle mettait même des élèves comme Kushida en difficulté. 

Moi — Une idée de ses amis, en classe A ?

Kushida — Je ne sais pas non plus. Je n’arrive pas à l’imaginer en train de parler à qui que ce soit. Elle est si discrète et réservée…

Notre groupe venait de se former, d’accord, mais je ne prenais pas de risque en supposant que Yamamura n’avait encore parlé à personne. Je la connaissais surtout via son OAA, qui faisait état d’une capacité sportive faible compensée par des aptitudes académiques brillantes. Les élèves rassemblés autour de Ryuuen s’étaient totalement dispersés, retournés auprès de leurs propres groupes. Au même moment, Yamamura détourna son regard de Ryuuen et commença à bouger lentement. Nous la suivîmes tous les deux pour ne la perdre de vue.

Yamamura — Oh… Zut.

Yamamura tomba sur le postérieur. Il semblait y avoir des gens autour, mais personne ne se bouscula pour l’aider.

Moi — Ce n’est pas facile d’être transparent, hein ?

Kushida — Alors pourquoi tu la regardes ?

Moi — Parce qu’elle manque de présence, justement…

C’est une triste vérité de la vie. Peu importe les efforts que l’on fait, il n’est pas facile de progresser dans ce domaine.

Moi —Au fait, que penses-tu du comportement de Yamamura ?

Kushida — Tu changes de sujet, non ?

Moi — Absolument pas.

Je niai, mais Kushida ria dans un ton bon enfant.

Kushida — Alors… Elle semble agir pour quelqu’un. Quelqu’un qui lui a sûrement demandé de garder un œil sur Ryuuen-kun.

Moi — Oui, très probablement. Et je ne vois qu’une seule personne…

Kushida — Sakayanagi-san, non ? Mais je ne pense pas qu’elle ait un quelconque lien avec Yamamura.

Moi — C’est pourquoi c’est d’autant plus parfait, non ? Insoupçonnable. Si je n’avais pas été dans le même groupe que Yamamura, je ne l’aurais sûrement pas calculée.

De plus, le fait que nous étions dans le même cours de débutants m’a fait me demander pourquoi elle venait ici. Si j’avais été un skieur intermédiaire ou plus, j’aurais encore moins fait attention à elle ici.

Kushida — Si nous ne savons pas à quel point elles sont liées, nous devons le découvrir.

Moi — Ça pourrait être important quand on combattra Sakayanagi dans le futur. Nous devons connaître ses principaux pantins.

Kushida — Oui, c’est sûr.

Moi — Ah… Elle bouge de nouveau.

Nous jetions un coup d’œil à Yamamura. Elle avait retiré ses skis et tentait de descendre à pied, sur le côté.

Kushida — Je vais aller l’aider, ça pourrait être l’occasion de briser la glace.

Ni une ni deux, Kushida dévala la pente d‘une glisse majestueuse.

Moi — Woaw… Tu es trop rapide !!

J’appréciais le fait qu’elle était si vive d’esprit. Avec elle, pas de langue de bois, je n’avais pas besoin de lui faire un dessin.

Ceci sans compter sur ses solides compétences sociales, compétences qui lui avaient quand même permis de survivre dans la classe.

4

Après avoir fait du ski, nous arrivâmes à l’auberge peu avant 17h. Sur place, dans le hall, les groupes se voyaient assigner leur chambre les uns après les autres, par ordre croissant. Le groupe 1 était donc le premier à être pris en charge pendant que nous attendions notre tour. Bien que le tout semblait rustique, le bâtiment avait l’air très bien entretenu. Une fois les pantoufles enfilées, nous attendîmes bagages aux pieds que l’on nous donne nos clés. 

Watanabe — Je partage une chambre avec… eux. Super.

Watanabe eut du mal à « cacher sa joie » en recevant les clés. Clés de l’endroit qui allait être notre lieu de vie pendant quelques jours. Il ne tenait qu’à nous d’en faire un espace cosy !

Ryuuen — Hé Watanabe !

Watanabe se retourna et rattrapa un sac en plein vol.

Watanabe — Woah !

Watanabe était incrédule devant ce qu’il se passait.

Ryuuen — Je vais prendre un bain. Range ça dans la chambre !

Ryuuen avait non seulement balancé ses affaires, mais les avait en plus larguées à Watanabe. Ce dernier, n’ayant pas eu le courage de refuser, affichait un sourire gêné pendant que Ryuuen disparaissait de notre champ de vision en direction des bains.

Watanabe — Franchement…

Moi — Je peux le faire.

Watanabe — Non, t’inquiète, c’est à moi qu’il a demandé.

J’insistai un peu plus.

Watanabe — C’est bon, je te dis, il m’en devra une. Si c’est pas ici ce sera dans la vie d’après.

Kitô, devant le comportement arrogant de Ryuuen, tenta d’arracher le sac des mains de Watanabe en shootant dedans. Je m’interposai pour l’arrêter.

Moi — Il vaut peut-être mieux rester calme. S’il arrive un truc aux affaires de Ryuuen, c’est sur Watanabe que ça risque de retomber.

Kitô — Donc on la ferme, c’est ça ? Sachant que si on laisse passer maintenant, il va encore moins se gêner après. Il fait ce qu’il veut de ses camardes, mais Watanabe est dans la classe d’Ichinose.

Il avait raison. Mais défoncer son sac n’était pas non plus la solution.

Moi — Autant lui dire directement alors, et laisser son sac tranquille.

Kitô — Et si ça donne rien ? On regarde Watanabe devenir son valet ?

Moi — Non, je ne suis non plus un grand fan de l’esclavage. On n’a qu’à dire que j’interviendrai si Ryuuen fait de nouveau des folies.

Kitô — Ah oui ? Tu ferais ça ?

Moi — Et si ça ne marche pas, je prendrai en charge cette tâche.

Kitô — Tu fais pas les choses à moitié, toi…

Moi — Ce qui est négatif c’est de forcer la main à quelqu’un. Dans mon cas toutefois, si je me porte « volontaire », il n’y a plus de problème. Pas vrai ?

Kitô, pensant logiquement que c’est à chacun de s’occuper de ses propres affaires, n’était pas d’accord avec moi. Malgré cela, je savais qu’il avait saisi où je voulais en venir.

Kitô — Comme tu voudras, alors.

Il me dévisagea pendant un moment, mais finit par céder et reculer.

Watanabe — Je suis désolé, Ayanokôji. J’ai été un peu bête.

Moi — Mais non. C’est normal de vouloir agir quand quelqu’un a des soucis dans le groupe.

Au moment où je voyais une expression de soulagement sur le visage de Watanabe, le ryokan[2] lui remit les deux clés de notre chambre. À peu près au même moment, Kushida et les trois autres filles nous rejoignirent avec les leurs. 

Kushida — Vous savez quoi ? Je pense qu’on devrait parler de notre programme pour demain. Ce voyage à Hokkaidô est très spécial, et je suis sûre que tout le monde a beaucoup d’endroits où il veut aller.

Il était important de s’organiser à l’avance, mais il se trouvait que notre groupe n’était pas tout à fait au complet.

Kushida — Déjà, pour commencer, les filles devraient pouvoir squatter votre chambre le soir…

Watanabe — Ouais, carrément !

Watanabe baissa les yeux, coupablement heureux face à cette suggestion. Kitô, de son côté, ne répondit rien en particulier.

Kushida — …Euh… Ah, bien sûr ça te convient aussi, Ayanokôji-kun ?

Moi — Oui, aucun problème !

Kushida sourit les deux mains jointes, ne voulant pas décevoir le Watanabe troublé !

Kushida — Alors c’est réglé. À plus tard ! Je vais capter Amikura et les autres et vous donnerai notre heure idéale.

Les filles allaient profiter des installations, c’est-à-dire se baigner dans les sources d’eau chaude et dîner.

Watanabe — Bon, on se dirige vers notre chambre ?

Moi — Oui oui.

Les chambres des garçons étaient plutôt dans le bâtiment Est de l’auberge. Les filles, elles, logeaient dans le bâtiment principal. Tout était relié par un couloir néanmoins, donc les allées et venues restaient assez simples. Mais je suppose que, symboliquement, il fallait marquer une petite séparation entre les sexes.

Watanabe — Kushida-chan est trop sympa, non ? Elle est super mignonne en plus… Adorable !

J’avais très tôt constaté que Kushida rencontrait un certain succès auprès de la gent masculine. C’était logique, en surface elle avait tout pour elle. Toutefois, j’étais très curieux de savoir comment les choses se passeraient si un élève comme Watanabe découvrait sa vraie nature.

Moi — Oui, je pense la même chose… Puis Kushida-chan est vraiment essentielle !

En effet, Kushida était d’une aide précieuse pour guider le groupe. Même une discussion pour se mettre d’accord sur ce qu’on allait faire dans un moment libre aurait été gênante sans personne pour la guider. Donc je la remerciais fortement de m’enlever cette épine du pied. Est-ce que ça allait suffire toutefois ? Les plus gros soucis étaient Ryuuen et Kitô. Depuis le début, ils ne faisaient que se tirer dans les pattes. Ils se regardaient, se jaugeaient… Bref, toujours dans un état de confrontation permanente.

Nous arrivions à la chambre 203, le bruit de nos pantoufles retentissant dans les couloirs. J’ouvrai la porte, comme pour mettre fin au suspense.  L’intérieur était assez spacieux ; il s’agissait d’une pièce traditionnelle japonaise comportant environ 12 tatamis, avec une table et quatre chaises.  En outre, il y avait une mini table et deux assises près de la fenêtre. Cela ressemblait étrangement à quelque chose que j’aurai pu voir à la télé, une odeur de petit chalet en montagne.

Après avoir posé mes bagages, je jetai un œil à ce qu’il y avait au frigo. Il y avait quelques boissons gazeuses ainsi que de l’eau plate, cependant je ne voyais aucune raison d’y toucher car le prix était bien plus élevé que ce qu’il y avait dans le commerce. Si on voulait vraiment se procurer à boire, il y avait un distributeur dans le hall. Une fois entré dans chambre, Kitô s’assit dans un coin en silence, les yeux fermés. Il avait pris une posture de style zazen. Je le laissai faire comme bon lui semblait pour scruter un épais dossier contenant un guide.

Ce dossier contenait un plan de l’hôtel, le nom et le mot de passe du Wi-Fi de l’auberge, les règles relatives à la baignade ainsi qu’une liste des attractions touristiques à proximité. Peut-être que ça pouvait servir pour s’organiser, avec Kushida et les autres. Enfin, après un rapide tour d’horizon, je décidai de jeter un dernier coup d’œil aux toilettes et autres équipements. Les chambres semblaient ne pas comporter de douches : le seul moyen de se laver était donc d’accéder aux bains de l’auberge. Pourquoi pas, c’était mieux qu’une petite baignoire.

Moi — Voyons voir…

Le dîner était servi à 19 heures, il restait encore du temps à tuer. Le mieux était donc peut-être d’essayer les bains, même si je n’étais sûrement pas le seul à avoir eu cette idée.

Moi — Je vais aux bains.

Watanabe — Oh, attend. Je viens avec toi !

Watanabe, qui était assis sur une chaise, se leva subitement.

Moi — Et toi, Kitô ?

Kitô — Pas trop la tête.

Moi — Je vois… Je te laisserai donc les clés et le ferai savoir à Ryuuen quand je le verrai.

Il valait mieux éviter ce scénario où Ryuuen serait coincé dehors en revenant de son bain. Une fois dans le couloir, Watanabe s’adressa à moi. 

Watanabe — La merde !! Ça te fait rien toi, de partager ta chambre avec ces deux-là ? Tu vas veiller jusqu’au petit matin ?

Moi — Tu ne crois pas que tu exagères ?

Watanabe — Quatre nuits quand même, il peut s’en passer des choses. On n’est pas à l’abri d’histoires.

D’ailleurs, je me demandais si un jour j’allais pouvoir me sentir à l’aise à l’idée de partager mes nuits avec d’autres ? Que ce soit dans les moments organisés par l’école, dans mon temps personnel avec Kei… Étant donné que dormir seul était la norme pour moi depuis mon enfance, mon malaise face à ce changement d’environnement n’avait pas disparu.

Watanabe — Tu sais quoi ? Je suis super à l’aise avec toi en fait !

Moi — Ah oui ? Je ne sais pas, mais…

Cela faisait plaisir à entendre, mais il pensait sûrement ça en me relativisant par rapport aux deux autres.

Watanabe — Eh bien, je comprends pourquoi Ichinose te kiffe…

Moi — Hein ?

Watanabe — Oh, non ! …Oublie ça !

Il réalisa sa bourde évidente et se corrigea, mais j’avais clairement entendu. Non pas que j’apprenais quelque chose, dans ce cas présent, mais bon.

Watanabe — Ou alors… T’étais au courant ?

Watanabe eut l’air un peu soulagé de mon manque de réaction.

Watanabe — C’est le sujet central des filles dans la classe. La plupart des garçons flashent sur Ichinose et n’en ont pas vraiment conscience. Mais tu sors avec Karuizawa, non ?

C’était un fait notoire, alors je répondis d’un hochement de tête.

Watanabe — Ça doit être compliqué pour les mecs qui aiment Ichinose. Enfin, d’un autre côté, ils sont contents de rêver un peu…

Moi — Qu’en est-il de toi, Watanabe ?

Watanabe — Moi ? Je suis… Eh bien, c’est un secret.

Le calme de son comportement suggérait qu’il n’avait pas de sentiments particuliers pour Ichinose. Je ne savais pas qui c’était en revanche.

Watanabe — Ce voyage scolaire est un grand évènement, non ? Les déclarations en tout genre vont pleuvoir, à mon avis.

Moi — Ah oui ?

Cela se vérifiait pour Sudou, déterminé à se déclarer à Horikita lors du voyage scolaire. Était-ce une chose très courante pour les élèves ?

Watanabe — Moi aussi… Si j’avais un peu plus de courage.

Il secoua la tête d’un côté à l’autre en signe de frustration, bien qu’il semblât seulement imaginer des choses.

Watanabe — De toute façon, la gent féminine ce n’est pas trop mon fort. Le mieux serait de m’entraîner pendant ce voyage, être sociable déjà avec les filles du groupe… Ensuite je mettrai l’expérience acquise au service de la vie de tous les jours.

J’avais fréquenté Watanabe moins d’une demi-journée, mais j’avais une plutôt bonne impression de lui. Il n’y avait aucun doute que c’était un brave gars. Ses capacités scolaires et physiques sur l’OAA étaient toutes deux C+, légèrement au-dessus de la moyenne. Il avait également obtenu un C ou plus dans d’autres domaines. Autrement dit, il ne semblait pas avoir de défauts majeurs, ce qui était parfait dans le cadre d’une relation.  

Mais l’apparence, les capacités… étaient autant de facteurs qui ne suffisaient pas toujours à expliquer le succès d’une déclaration. Encore fallait-il voir les affinités entre les deux personnes.

5

Il était 20h37. Après avoir fini de dîner, beaucoup d’élèves profitèrent des grands bains, la partie la plus sympathique de ce genre d’auberges. Suzune n’y avait pas fait exception. Elle avait englouti son repas le plus vite possible. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle vit que déjà trois élèves étaient en train de se déshabiller dans le vestiaire. Parmi elles, une fille trop pudique pour se montrer ne serait-ce que face à d’autres filles.

Pour Horikita, en revanche, il n’y avait rien de tout ça malgré qu’elle n’ait pas cette habitude de se montrer, ayant assez peu d’amis au collège et au lycée.  Ainsi, Horikita usa de sa serviette de tête pour couvrir ses attributs. Une bouffée de chaleur la traversa, et la grande baignoire, qui était d’une taille plus grande que ce qu’elle avait imaginé, apparut.

Il y avait deux grands bassins intérieurs, mais aussi un bain extérieur en plein air, un grand bassin entouré de roches que l’on pouvait voir de l’intérieur. Après s’être nettoyée à l’eau chaude, Horikita se dirigea immédiatement vers le bain extérieur. Et elle fit une rencontre inattendue. L’une des deux filles n’était autre que sa camarade de classe, Kushida Kikyô.

Kushida — Ah, Horikita-san.

Kushida, qui reconnut immédiatement l’arrivante, lui souhaita la bienvenue de façon joviale. Horikita comprit que la présence de Rokkaku Momoe, de la classe A, y était pour quelque chose dans la mesure où Kushida ne se trahirait jamais devant des tiers. Horikita, qui répondit d’un petit signe de tête, entra dans le bassin et se dirigea vers l’autre extrémité, sans rejoindre Kushida.

Elle voulait se relaxer, sans être interpellée. Elle écouta légèrement les discussions futiles de Kushida et Rokkaku tout en continuant à profiter de la source chaude pendant cinq ou dix minutes, sans décrocher un mot. Avant qu’elle ne s’en rende compte, Rokkaku était partie, emportant visiblement avec elle le sourire de Kushida.

Horikita — Pourquoi n’es-tu pas sortie avec Rokkaku-san ? Vous n’étiez pas ensemble ?

Kushida — Hmm ? Non, pas du tout. Puis j’adore les bains chauds… Tu pensais que j’avais un truc à te dire, peut-être ?

Horikita — Pas spécialement.

Kushida — Et dire que je pensais que tu me connaissais bien…

Horikita — Rhooo.

Horikita soupira devant une Kushida plus entreprenante que jamais.

Horikita — Tu en connais du monde, décidément. Je pense que je n’ai jamais parlé à Rokkaku-san, par exemple.

Essayant de changer de sujet, Horikita tourna la conversation vers Rokkaku, qui venait de quitter le bain extérieur.

Kushida — Momoe est venue me supplier de l’accompagner. Elle était gênée à l’idée de venir seule. En même temps je la comprends, mate un peu l’enveloppe flasque qui lui sert de corps… Y a vraiment du boulot !

Personne ne pouvait les entendre, alors Kushida tirait à balles réelles.

Kushida — Je dois bien avouer que… Tu as ce qu’il faut là où il faut. Même si tu n’attends pas ce compliment d’une autre fille, je suppose.

Après un court regard, Kushida se rapprocha un peu de Horikita.

Horikita — Hé, qu’est-ce que tu fais ?

Kushida — Rien, je sauve les apparences. Ce serait chelou de se parler d’aussi loin pour des camarades de classe, pas vrai ? 

Sans Rokkaku, la distance entre deux supposées camarades de classe était en effet légèrement exagérée. D’autres filles auraient pu se poser des questions.

Horikita — Ouf, je pensais que tu faisais ça pour mes beaux yeux !

Kushida — C’est sûr que si ça tenait qu’à moi, le mieux serait que tu changes de bassin et que tu rentres à l’intérieur.

Horikita — Et si je n’ai pas envie ?

Kushida — Décidément tu es bien têtue, ma chère.

Horikita soupira d’autant plus fort suite à la proposition de Kushida. Cette dernière sourit.

Horikita — Dis-donc, ça faisait un moment que je ne t’avais pas vue afficher un sourire aussi radieux.

Kushida — Tu crois quoi ? Les gens peuvent nous voir de l’intérieur.

En plus de sa voix, elle calculait constamment comment elle apparaissait aux autres. De l’intérieur, les personnes qui jetaient un coup d’œil dans les bains extérieurs ne voyaient que des camarades de classe discutant tranquillement.

Horikita — Si tu tiens tant à avoir le dessus, tu aurais peut-être dû passer ta vie scolaire en évitant de retomber dans les mêmes travers.

Kushida — Puis j’ai découvert que tu étais également dans ce lycée, Horikita-san.

Horikita — Je suppose que ça dû être assez… inattendu ?

La déception était incommensurable pour Kushida, qui pensait être complètement coupée des personnes qu’elle avait connues au collège.

Horikita — Bâtir en permanence de nouvelles relations. Les enchaîner.  Il y a bien des moments où tu devais décompresser, hein…

Et le début de sa chute fut quand Ayanokôji fut témoin de l’un de ces moments.

Horikita — Tu es libre de continuer à me détester, si ça te permet de contribuer à la classe. J’ai vraiment été admirative de ta performance au festival culturel.

Kushida — Faut bien que j’assure mes arrières dans le groupe.

À ce moment-là, Kushida s’arrêta de parler et regarda la porte coulissante menant au bain en plein air. Ibuki en sortit, serviette sur les épaules. Kushida s’en retrouva soulagée, Ibuki étant plus ou moins au courant de la vraie nature de Kushida. 

Ibuki — Horikita !!

Ibuki cherchait Horikita, et quand elle l’aperçut elle ne manqua pas de l’appeler.

Horikita — Que me veux-tu ?

En s’approchant, complètement nue, elle entra d’un coup dans le bain en plein air. Un jet d’eau chaude assez important éclaboussa Horikita et Kushida.

Horikita — Que c’est grossier !

Ibuki — Je sais, mais on s’en fout. On va s’amuser !

Horikita — Pour faire quoi ? Un pierre-feuille-ciseaux ?

Ibuki — Tu plaisantes ? Matte la taille du bassin. Il n’y a qu’une seule chose à faire : une course !

Horikita — Je dirais qu’utiliser ce genre de bassins pour nager est encore plus grossier que de sauter dedans.

Ibuki — Allez, on est seules et puis personne nous calculerait.

Kushida — Je serai l’arbitre !

Kushida semblait soutenir l’idée de la course.

Horikita — Hein ? Tu n’es pas censée être une fille raisonnable et nous arrêter ?

Kushida — Et vous aurez juste à dire que vous avez commencé sans que je le remarque. Tu auras l’air un peu gênée, puis c’est tout.

Ibuki — Kushida a dit que c’était bon aussi, alors on y va !

Horikita — Mais non !

Ibuki — Hé ! Je suis venue ici pour me mesurer à toi. Ce fail.

En disant cela, elle sortit rapidement du bassin.

Horikita — Tu es vraiment venue juste pour ça ? Tu es sûre que tu ne veux pas prendre un bon bain ?

Ibuki — Pas avec toi ! Nah !

Le bain ne semblait pas l’intéresser si la compétition n’avait pas lieu.

Horikita — Tu es une idiote, Ibuki-san.

Après qu’Ibuki a claqué la porte coulissante, Kushida rit.

Horikita — Toi aussi tu es follement obsédée par la compétition avec moi, juste comme ça.

En effet, Kushida avait également défié Horikita à de nombreuses reprises. Kushida gloussa suite à cette remarque.

Horikita — Allez, ne le prends pas mal !

Ce qu’elle disait et son expression ne correspondaient pas tout à fait, mais Horikita tenta à sa manière de détendre l’atmosphère. 

Elle s’attendait à voir d’autres personnes débarquer, ce qui l’aurait aidé à couper court à la discussion, mais personne ne s’était encore présentée. Après tout, c’était encore l’heure du repas.

Kushida — Au fait, t’as eu de la chance, n’est-ce pas Horikita-san ?

Horikita — De quoi tu parles ?

Kushida — Ayanokôji-kun était assis à côté de toi au tout début. Vous vous êtes rapprochés, et depuis il a pas mal aidé en coulisses. Pas vrai ?

Jusqu’à présent, Kushida ne connaissait pas les détails de ce qui se passait réellement. Mais elle savait qu’Ayanokôji était impliqué d’une manière ou d’une autre, à certains moments clés.

Kushida — Sans lui pour te sauver les fesses, ça fait un bail que je t’aurais déjà dégagée !

Ce n’est pas grâce à mes capacités que je suis arrivée là.

Cette pensée aurait rendu Horikita ivre de rage par le passé. Toutefois, elle avait désormais une meilleure compréhension d’elle-même et des choses.

Horikita — Je ne peux pas complètement te donner tort. Mais en même temps je ne suis pas la seule à profiter de tout ça ; sans Ayanokôji-kun, tu n’aurais pas été exposée, et tu aurais continué cette morne existence de la chouette fille en répétant les mêmes erreurs.

Disait-elle sans vraiment de fondement. Après tout, il aurait tout à fait été possible que Kushida réussisse à garder son masque durant tout le lycée. Aurait-elle pu le garder pour toujours ? Là était une autre question. C’était avant tout une fille en constante souffrance. Désormais, elle avait un peu plus de liberté et pouvait laisser s’exprimer l’une ou l’autre de ses facettes.

Kushida — Peut-être bien…

En théorie, n’importe qui refuserait de donner raison à une personne qu’elle n’aime pas lui disant ses quatre vérités. Toutefois, Kushida hocha la tête et concéda, même un peu. Cette force d’admettre, c’était quelque chose d’acquis en revenant d’entre les morts, suite à l’examen qui l’avait démasquée. Pour la première fois de sa vie, sa façon de penser et ses valeurs avaient évolué.

Horikita — Quand on y réfléchit, t’y as peut-être gagné plus que moi.

Kushida — Peuh… Qu’est-ce que t’es reloue quand tu tends la main ! 

À ce moment-là, la conversation s’arrêta. À la fois elles n’avaient plus rien à se dire, à la fois aucune des deux ne voulait lâcher le bain. L’atmosphère était électrique.

Ichinose — …Désolée de vous déranger.

Quelques minutes après le départ d’Ibuki, leur temps en tête-à-tête prit fin. Ichinose rejoignit timidement les deux camarades de classe.

Kushida — Ichinose-san, tu es toute seule ? C’est si rare…

Ichinose — Que veux-tu, ça arrive… Ahaha !

Kushida savait qu’Ichinose était très entourée pendant le dîner. En partant de ce postulat, sa solitude était clairement un choix.

Ichinose — Je pense que c’est important de prendre du temps pour soi. Mais si je gêne, je peux partir, hein… 

La chaleur commençait à se faire ressentir. Horikita prévoyait de laisser la place à Ichinose. Elle espérait que la suite de la discussion allait se finir en entre Kushida et elle. 

Ichinose — Oh non non, s’il te plaît !!

Ichinose arrêta précipitamment Horikita, qui était sur le point de se lever. Puis, comme pour en rajouter une couche, Kushida se tourna en souriant vers Horikita.

Kushida — Où vas-tu ? Ichinose-san insiste, alors discutons ensemble, d’accord ?

Horikita — Comment ça ?

Kushida — Je trouve qu’on ne parle jamais assez… Non ?

Kushida paraissait si convaincante. De son côté Ichinose culpabilisait, ne voulant pas écourter le bain d’Horikita.

Horikita — Très bien… Je vais rester encore un peu…

Après avoir donné son accord, elle se leva et s’assit sur un rocher pour laisser la brise de la nuit rafraîchir son corps brûlant. Il faisait froid à l’extérieur du bain, mais le contraste était agréable.

Kushida — Je voulais te demander quelque chose, Ichinose-san.

Ichinose — Hmm ? Quoi donc ?

Kushida — Est-ce que tu sors avec quelqu’un ?

Ichinose — E-eeeh ? Quoi ?!

Ichinose fut prise de panique lorsqu’on lui a posa une question à laquelle elle ne s’attendait pas.

Kushida — Récemment, beaucoup de gars de différentes classes m’ont demandé si tu étais célibataire.

La question de Kushida paraissait innocente, mais il n’en était rien. Elle savait qu’Ichinose était célibataire en ce moment, et qu’elle avait des sentiments pour Ayanokôji. Ce niveau d’information était basique pour Kushida. Elle en savait même sûrement plus sur le sujet que n’importe quel des camarades d’Ichinose, mais elle ne le montrait pas.

Ichinose — N-non, il n’y a personne !!

Kushida — Je vois. Mais tu n’as personne en vue ?

La raison de cette conversation était le désir de Kushida de disséquer et de glaner le plus d’informations sur Ayanokôji ; de découvrir pourquoi elle l’aimait tant. Elle envisageait certainement la possibilité que cela puisse devenir une nouvelle arme.

Ichinose — Non, du tout !!

Mais Ichinose ne cracha pas le morceau, niant et plongeant son visage dans l’eau pour cacher son embarras. Kushida espérait profiter des confessions d’Ichinose pour parler de Karuizawa ou de quelque chose de plus approfondi, mais ça n’allait pas être si facile. Elle décida donc de déplacer le sujet vers Horikita, qu’elle avait forcé à rester.

Kushida — Et toi, Horikita-san ? Des informations croustillantes ?

Horikita — Non. 

Horikita répondit très logiquement sans une once d’hésitation, le romantisme n’ayant visiblement jamais été sa priorité.

Kushida — Pourtant tu es si populaire… Sudou a l’air de t’apprécier, par exemple… Et j’en passe ! 

Horikita — Je n’ai personne de ce genre. Mais qu’en est-il de toi ? Tu sembles être proche des garçons des autres classes. Je suis sûr qu’Ichinose-san serait très curieuse aussi…

Face à cette question embarrassante, Horikita renvoya la balle à Kushida. Le but demeurait de maintenir la conversation entre Kushida et Ichinose.

Ichinose — Oh, en effet. Les garçons me posent beaucoup de questions sur Kushida-san, à moi aussi.

Intérieurement, Kushida mordilla sa langue en regardant Horikita, tout en souriant timidement à Ichinose.

Kushida — Ah ouais ? On ne dirait peut-être pas comme ça, mais je suis assez inexpérimentée aussi. Puis je trouve que c’est du gâchis de tomber amoureux pendant sa vie scolaire…

Ichinose — Mais non ? Ce n’est pas possible !

Kushida — En fait, j’ai cru entendre que les relations de lycée tiennent rarement. À quoi bon s’investir dans un truc si de toute façon c’est voué à ne pas durer ? Donc j’évite d’être amoureuse…

Kushida pensait que raconter cette histoire à Ichinose, qui avait un cercle d’amis encore plus large que celui de Kushida, pouvait dissuader à l’avance les garçons de se déclarer à elle. Il fallait dire qu’elle avait déjà reçu de nombreuses déclarations depuis son arrivée ici. Au moins une dizaine, sans se limiter à sa classe.

Kushida — Bien sûr, ça me fait plaisir de recevoir des déclarations. Mais dans un même temps, je n’aime pas rejeter quelqu’un, le faire souffrir…

Ichinose — Je vois… D’une certaine façon, je crois que je comprends…

Il n’y avait rien de plus futile qu’une romance lycéenne aux yeux de Kushida. Horikita, les écoutant toujours parler amour, avait décidé qu’il était temps de s’en aller.

Horikita — Je ferais mieux d’y aller.

Kushida — Quoi ? Tu pars déjà ?

Horikita — Je n’y connais rien à l’amour.

Kushida — Tu fais comme tu veux… Mais tu n’as pas envie de partir pour une autre raison ?

Horikita — De quoi tu parles ?

Kushida — Ce n’est pas de ta faute si tu as chaud, que tu es fragile… Mais j’avais très envie qu’on ait cette discussion avec toi, moi !

Horikita — Pourquoi tu es si insistante ?

Kushida — Rhoo, c’est l’atmosphère qui veut ça !! Tu n’es pas d’accord, Ichinose-san ?

Ichinose — En effet, j’aimerais bien parler à Horikita-san également.

Suite aux provocations de Kushida, Horikita se remit en position assise.

Horikita — Bon… Si vous insistez !

En tant que chef de classe, elle ne pouvait pas ne pas relever ce défi.

Kushida — Tu es sûr que tu vas bien ? Ce serait un désastre si tu tombais dans les pommes.

Horikita — Je m’inquiète aussi pour toi… Ton visage est si rouge !

Kushida — C’était sûrement le thème de notre discussion…

Horikita — Vraiment ? Ce serait dramatique si tu forçais…

Le regard acéré de Horikita et le regard souriant de Kushida se heurtèrent l’un à l’autre.

Ichinose — Je vous sens un peu différentes que d’habitude…

Ichinose sentit le malaise, et inclina légèrement la tête. Voyant cela, Kushida fit disparaître les dernières traces de son aversion pour Horikita.

Kushida — Non… il n’y a rien… Pas vrai, Horikita-san ?

Horikita — En effet, oui…

Il n’était pas nécessaire de lui donner des infos inutiles même si elle la considérait assez digne de confiance. Horikita tenta donc de poursuivre normalement la conversation. Elles continuèrent un instant à parler de leur vie amoureuse, avant d’enchaîner sur des sujets plus triviaux. Horikita resta à l’écoute, appréciant les douces chutes de neige dans ce bain chaud. Ichinose fut ensuite invitée à rentrer à l’intérieur par ses amies ayant fini de manger. Un autre groupe de filles vint aux bains en plein air.

Horikita et Kushida gardèrent leurs distances tout en continuant leur petit jeu. Après dix minutes, le verdict était sans appel… Elles bouillonnaient.

Ichinose — Je pense qu’il est temps pour vous deux de sortir non ? Vous êtes vraiment rouges ! 

Alors que les deux filles continuaient à persister jusqu’à ce qu’elles soient proches de leurs limites, Ichinose, qui ne pouvait plus supporter de regarder, rentra à l’intérieur.

Kushida — Tu ne l’as pas entendue, Horikita-san ?

Horikita — Je pense que tu n’as pas entendu non plus…

Toutes deux essayèrent de persister, jusqu’à ce que d’autres élèves affluent de nouveau dans la source chaude extérieure. La compétition aurait été délicate dans ces conditions. Elles se levèrent donc en même temps et quittèrent la zone.

Kushida — C’était un super bain !! Pas vrai ?

Horikita — Je crois qu’on en a plus que bien profité, oui.

Ichinose — Vous êtes vraiment bizarres aujourd’hui !

Ichinose ressentit de nouveau cette atmosphère étrange, mais Kushida et Horikita quittèrent les bains comme si de rien n’était.

6

Autour de 22h, deux petits coups retentirent sur la porte. Watanabe, décidément bien motivé, se leva immédiatement.

— On est là !!!

S’exclamèrent les quatre filles, menées par Kushida, dans le couloir.

Watanabe — Héé ! Vous êtes en retard !

Watanabe avait l’air nerveux, son corps semblait bouger au ralenti.

Kushida — Désolée, j’ai pris un bon bain…

Le visage de Kushida paraissait en effet légèrement rougi, les cheveux encore visiblement humides. Ce n’était pas souvent qu’on avait la chance de côtoyer des filles comme ça le soir, juste avant de se coucher. Pas étonnant que Watanabe tentait de vivre l’expérience à fond. Lorsque les quatre filles entrèrent dans la pièce, un arôme indescriptible se répandit immédiatement. Non pas que ça sentait mauvais avant, mais… c’était juste différent, désormais.

Watanabe — Pourquoi est-ce que ça sent si bon, sérieux !?

Moi — Excellente question…

Les bains pour hommes étaient équipés de grandes bouteilles de shampoing et d’après-shampoing à base de lait de soja. Ce qui moussait mal, typique le genre de produits un peu bas de gamme vendus chez les grossistes. On aurait pu penser que les filles allaient avoir la même chose, mais… Il n’en était rien, leur odeur était clairement différente. À moins qu’elles aient juste apporté leurs propres produits.

Watanabe — Demande-leur, tiens !

Moi — Non ?

Même moi, qui n’étais pas encore très à l’aise socialement, me doutais bien que c’était très bizarre comme question.   

Amikura — Je suis un peu nerveuse…

Amikura chuchota, mal à l’aise, aux autres filles en regardant la pièce.

Nishino — La pièce est à fois similaire et si… différente.

Amikura — On reste un peu puis on va rejoindre Honami ? Elles font une soirée entre filles jusqu’au couvre-feu !

Kushida — Je suis carrément partante !

Kushida accepta rapidement, ce qui ne fut pas le cas de Nishino.  Contrairement à Kushida, qui accepta volontiers la rencontre, Nishino refusa, apparemment peu intéressée.

Nishino — Je vais passer mon tour. Je n’ai pas de bons amis là-bas.

Profitant de ça, Yamamura baissa la tête et s’exprima.

Yamamura — Je pense que je vais passer mon tour aussi…

Amikura — Ah ouais ? Tout le monde est la bienvenue hein !

Dans un même temps, Watanabe avait l’air un peu déçu sachant que les filles allaient bientôt partir. L’extinction des feux était prévue pour 23h, donc mathématiquement ça nous laissait du temps. C’était un voyage scolaire, et tout le monde voulait se lâcher.

Watanabe — Pourquoi ça me fait autant d’effet qu’elles soient là ?

Watanabe était dans un état second alors qu’il chuchotait.

Moi — Plus important, tu devrais aller les rejoindre. Non ?

Les accueillir… c’était le moment de gagner des points. Ou alors préférait-il peut-être laisser Ryuuen et Kitô s’en charger. 

Watanabe — Quoi ? L-les accueillir ?

Il était tellement impressionné par l’arrivée des filles qu’il ne savait plus où se mettre. Pendant ce temps, elles avaient déjà fait le tour de la chambre, jusqu’aux toilettes.

  • Hmm… Où est-ce qu’on devrait s’asseoir ?

Quatre futons installés en plein milieu de la pièce par le personnel, avant notre arrivée, prenaient déjà pas mal de place… Il ne restait plus qu’à s’asseoir sur les tatamis tout autour.  

Le choix était le suivant : est-ce qu’on se tassait tous à côté des futons, ou bien on leur permettait de s’asseoir dessus ?

Watanabe — Ah ? Ne me dites pas que vous avez peur de vous installer sur les matelas ?

Watanabe étala deux draps sur les futons. Les filles eurent l’air un peu surprises, mais il n’y avait pas d’autre endroit approprié. Kushida approuva. Elles s’installèrent sur les deux futons proches de l’entrée.

Kushida — Eh bien, c’est presque l’extinction des feux, alors commençons… Où est Ryuuen-kun ?

Moi — Derrière le shôji[3].

Derrière cette porte se trouvait une petite table, deux mini canapés et un petit réfrigérateur. Nishino, comme on s’y attendait de la part de quelqu’un de sa classe, ouvrit vigoureusement le shôji. Ryuuen semblait se détendre sur le canapé en scrollant sur son téléphone portable.

Nishino — T’as entendu, bouge ton cul !

Ryuuen — Bah ouais, je vous entends très bien. Je suis bien calé là.

Kushida — J’imagine, mais ce serait bien qu’on soit tous ensemble. J’essaye de créer un esprit de groupe !

Sans une once de crainte, Kushida fit signe à Ryuuen de s’approcher. N’appréciant pas ce comportement, Ryuuen éteignit l’écran de son téléphone portable en riant.

Ryuuen — Fais la maligne… Pourtant j’imagine que tu comprends ta position, non ?

Kushida — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Ryuuen — Exactement ce que t’as compris. Si t’as du mal avec les phrases, je peux peut-être te faire un dessin ?

Les autres élèves ne pouvaient pas comprendre ce qu’il entendait vraiment. En dehors de la classe, il était probablement celui qui connaissait le mieux Kushida, donc ses mots étaient lourds de sens.

Nishino — De quoi est-ce que tu parles ?

Nishino, pensant peut-être qu’une dispute allait éclater, se rapprocha de Ryuuen.

Nishino — Allez, arrête un peu et ramène ta fraise !

Nishino ne semblait ni effrayée ni timide et s’apprêtait à saisir son bras.

Ryuuen — Nishino, tu fais beaucoup la meuf ces derniers temps !

Nishino — J’ai toujours été comme ça. Je ne me suis juste pas impliquée plus que nécessaire jusqu’à maintenant.

Je suppose que le groupe y était pour quelque chose. Je pensais que ça allait partir en lutte, mais Ryuuen se leva juste d’un air agacé et vint nous rejoindre. L’atmosphère devint pesante alors que Kitô le regardait. Contre vents et marées, huit personnes étaient réunies ici.

Kitô — Est-ce qu’on était obligé de se réunir ? On aurait juste pu tchater.

Kitô, qui n’avait pas dit un mot depuis l’arrivée des filles, posa cette question. C’est vrai qu’un groupe de messages aurait pu être tout aussi pratique.

Kushida — Les autres groupes semblent prendre leurs décisions en se réunissant.

Watanabe — Génial, Kushida-chan !

Watanabe fit un signe de tête exagéré, comme s’il était impressionné d’à quel point Kushida était informée. Il s’assit entre moi et Yamamura, mais dans un même temps cette dernière s’éloignait légèrement de lui.

Watanabe — Oh, désolé Yamamura…

Yamamura — Oh, ne t’en fais pas.

En dehors de cet échange trivial, il y avait encore un fort sentiment de tension provenant de Ryuuen.

Kitô — Mais nous ne sommes pas « les autres ». Il y a peut-être des méthodes plus spécifiques pour nous.

Kitô était probablement inquiet de la présence de Ryuuen. Il était clair qu’il craignait qu’ils ne soient pas en mesure d’avoir une discussion correcte.

Kushida — En principe je trouve que ça reste mieux de se voir en face à face ! Il y a parfois des infos qui passent mieux que par message…

Kushida, cependant, ne semblait pas reculer. Certes, elle voulait sûrement éviter de se prendre des balles de Ryuuen, mais en même temps, elle avait une réputation à tenir.

Kushida — Entrons dans le vif du sujet, du coup. À propos de la journée libre d’après-demain…

Ryuuen — Au fait, on doit d’abord se mettre d’accord sur un truc…

Ryuuen regarda la pièce de long en large, puis s’exprima.

Ryuuen — J’ai pas franchement envie de dormir avec vous. Mais vu que j’ai pas le choix, on va dire que ce sera mon lit.

Il désigna le futon le plus excentré, au fond de la pièce. C’était l’endroit idéal, avec un accès direct à l’armoire et la garantie de ne pas être dérangé si quelqu’un se réveillait en plein milieu de la nuit. C’était certes une question intéressante, mais elle ne pouvait pas attendre le départ des filles ? N’avait-il pas le sens des priorités ou le faisait-il exprès ? Connaissant le personnage, la seconde option était sûrement la bonne… Qu’allaient se dire les autres ? Cela faisait clairement nombriliste comme remarque. 

Ryuuen — Aucune objection ?

Il jeta un coup d’œil à Kitô et Watanabe pour s’en assurer, avant de répéter sur un ton beaucoup plus insistant.

Watanabe — Bah… ça m’est égal, moi.

Watanabe accepta, comme une grenouille fixant un serpent. Maintenant, que devais-je répondre ? Pendant que je réfléchissais, Ryuuen avait déjà détourné son regard de moi.

Ryuuen — Hé, Kitô, si tu as quelque chose à dire, n’hésite pas.

Il semblait penser que la seule personne susceptible d’argumenter était Kitô.

Kitô — Je ne suis pas d’accord.

Sa réfutation semblait le confirmer.

Ryuuen — Oh !!

Il l’avait invité à s’exprimer, mais Ryuuen semblait tout de même déçu.

Kitô — Déjà tu as décidé ça tout seul, pour commencer. En plus ce n’est pas le moment, t’es assez intelligent pour le comprendre non ?

Ryuuen — Je ne me souvenais pas que tu disposais d’un droit de véto !

Kitô — Je suis encore libre de dire ce que je pense, encore heureux.

Kitô ne montrait aucun signe de recul, entrant plutôt dans une posture offensive.

Ryuuen — Mais calme-toi, Kitô… Je vais t’aider à choisir !!

Kitô — Non.

Watanabe  — Euh…

Watanabe était sur le point de se lever et de l’arrêter quand il fut dévisagé par un regard pour le moins pesant. Avec son allure imposante, Kitô surpassait même Ryuuen en termes d’intensité et d’aura.

Kitô — Je ne me couche pas devant un gars qui fait passer des vessies pour des lanternes.

Amikura — Attendez, les gars… C’est pas la question là !  

Amikura essaya d’intervenir, mais Nishino l’arrêta en tirant la manche de son yukata. Hochant doucement la tête de gauche à droite, elle l’avertit silencieusement de ne pas les interrompre.

Kitô — Alors je le répète, mais je ne vais pas me laisser faire.

Ryuuen — Hé, mais je connais ça… Tu veux te battre avec moi ?

Kitô — Ne m’envoie pas sur ce terrain… Sauf si tu veux rester au lit pour les cinq prochains jours. 

Kushida semblait troublée. Elle avait le regard de quelqu’un qui avait peur que ça parte en vrille au sens littéral.

Ryuuen — Kukuku… Et vous alors ? Vous voulez nous rejoindre aussi ?

Watanabe — Je m’en fous de là où je dors, comme j’ai dit.

Personnellement, je préférerais être sur le bord plutôt qu’être pris en sandwich entre les deux. Mais je préférais éviter les problèmes, d’autant qu’il valait mieux que Watanabe et moi nous nous placions entre eux deux pour éviter qu’ils ne s’assassinent en pleine nuit.

Moi — Je passe mon tour aussi. Mettez-vous d’accord comme vous voulez sur cette place, ensuite Watanabe et moi laisserons l’autre choisir en priorité parmi les 3 places restantes. Ce serait dommage de s’embrouiller pour ça.

Dans un sens, il était important qu’une personne se manifeste quand elle se sent lésée. Au risque de cumuler de la frustration et d’exploser plus tard.  En plus, ici, deux personnes avaient des préférences contrairement à Watanabe et moi. Je leur rappelai juste que la violence n’était pas une solution, je ne voulais pas que notre groupe se fasse remarquer. D’autant que, d’après mes souvenirs, les groupes faisant des siennes pouvaient tout à fait recevoir des restrictions. Il aurait été dommage pour tout le monde de rester coincés à l’auberge même si c’était haut standing.

Kitô — J’ai personnellement tendance à préférer les coups de poing, ça remet les idées en place. Mais je suppose que, pour cette fois, je vais m’abstenir. Je suis content de voir que tu n’as pas qu’une grande bouche.

Watanabe — Merci, Ayanokôji ! Si l’autre extrémité de la pièce reste libre, je te laisserai volontiers !  

Je me demande si les élèves de la classe d’Ichinose étaient tous naturellement bons. Il m’avait laissé le futon à l’autre extrémité, près de la porte, sans même que je ne le lui demande.

Watanabe — Faut bien vivre le voyage à fond, pas vrai ?

Alors il faisait ça pour lui ? Je me demandais sincèrement à quel point dormir entre Kitô et Ryuuen constituait une expérience enrichissante.

Ryuuen — On est en voyage scolaire, je vois qu’un seul moyen de décider…

Avant que je m’en rende compte, Ryuuen prit un oreiller.

Ryuuen — Inutile de t’expliquer les règles Kitô, hein ?

Moi — Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Je penchai la tête, ne comprenant pas trop où il voulait en venir.

Ryuuen — On est entre lycéens avec des oreillers en main… Il n’y a pas 36 scénarios possibles !

Je me sentais bête, mais je ne voyais vraiment pas.  Cependant, tous les autres semblaient avoir compris. Kushida se leva rapidement.

Kushida — Je serai donc l’arbitre, totalement impartiale !

Kushida, qui semblait regretter la tournure que prenaient les choses, se décida à intervenir.

Watanabe — Tu es si disciplinée, même dans un moment comment celui-ci. Kushida-chan !

J’aurais bien aimé savoir ce qu’elle pensait réellement de tout ça, mais nous n’étions pas seuls. En plus Watanabe était vraiment tout près de nous. Non, plus sérieusement, j’étais très curieux de voir ce qu’il allait faire de l’oreiller.

Ryuuen — Je te laisse démarrer !

Kitô — Ah, tu veux vraiment perdre sans tenter la moindre action ? Viens donc comme si ta vie en dépendait, Ryuuen !

Ryuuen riait en faisant rebondir l’oreiller sur sa main.

Ryuuen — Alors je te tuerai sans pitié, Kitô !

En disant cela, Ryuuen prit un grand élan et lança l’oreiller sur Kitô, l’utilisant comme une balle. L’oreiller en épeautre arriva sur Kitô à toute vitesse. Malgré la distance, l’oreiller fut lancé avec une telle force qu’il avait atteint sa cible. Cependant, Kitô rattrapa calmement l’oreiller.

Kitô — Ok. T’es mort…

Cette fois, Kitô lui-même balançait un oreiller avec la même puissance. Ryuuen le rattrapa également et était déjà de nouveau en position de lancer.

Ryuuen — Kukuku ! Je vais te montrer la vraie douleur !

Et l’oreiller voltigea de nouveau.

Moi — C’est…

Watanabe — C’est une bataille d’oreillers. Ayanokôji-kun. Tu n’en as jamais fait ? Je pensais que c’était un truc que n’importe qui faisait en primaire… Surtout pendant les voyages scolaires !

C’était nouveau pour moi. Personne ne l’avait fait au camp de l’année dernière, d’ailleurs.

Kitô — Balle des ténèbres !!!

S’exclama Kîto.

Ryuuen — Anéantis-le, serpent vorace !!!

S’exclama Ryuuen. Les ténèbres, les serpents… ces oreillers prenaient d’un coup des formes diverses et variées !

Amikura — On est toujours dans une bataille d’oreillers… sinon ?

Marmonna Amikura, en regardant les oreillers voler à gauche et à droite.

Plutôt qu’une bataille d’oreillers, il s’agissait d’un match à mort auquel les autres n’étaient pas autorisés à participer. Plusieurs minutes s’écoulaient, et aucun gagnant ne se profilait. Aucun des deux camps n’était épuisé, et il semblait que cette longue bataille allait continuer.

Et d’autres questions s’ajoutèrent

Kushida — Est-ce que cet oreiller va s’en sortir après avoir été jeté si fort pendant si longtemps ? Il est déjà en miettes !

Dit Kushida calmement, attirant l’attention de tout le monde sur les oreillers.

On était loin de la petite bataille d’oreillers légère, tant ils étaient lancés tels des boulets de canon… Ils n’étaient pas faits pour être manipulés ainsi, il était donc logique qu’ils s’abîment à la longue. 

Watanabe — Maintenant que j’y pense, à qui est cet oreiller ?

Au commentaire de Watanabe, nous nous mîmes à vérifier par rapport aux futons au sol.  Sur les quatre futons, il manquait l’oreiller de celui près de la porte, que Watanabe m’avait théoriquement laissé.

Moi — Est-ce que c’est… le mien ?

Ce qui aurait dû se trouver sur mon futon n’y était pas. En ce moment, Kitô le serrait dans ses mains et y infusait toute l’énergie négative possible.  Je pouvais sentir l’oreiller hurler.

Moi — Je vais faire des cauchemars si je dors sur cet oreiller.

Ou sur ce qu’il en reste, du moins. Peu importe le gagnant, j’espérais que l’oreiller reste quand même en un morceau.

Kitô — Hnnnnn !!!

L’oreiller était empli d’une intention de tuer d’une intensité sans précédent. Peut-être parce que les doigts épais de Kitô s’y étaient enfoncés avec tant de force, il éclata au moment de quitter sa main. Le tissu était déchiré, et les cosses de sarrasin qu’il contenait se dispersaient dans la pièce ; le bruit rendit tout le monde silencieux. L’oreiller… Ce compagnon qui devait rendre heureux mes cervicales… Mes prières ne furent pas exaucées, il mourut dans d’atroces souffrances.  J’exprimai mes condoléances aux restes dispersés sur-le-champ de bataille.

Kushida — Je ne peux pas m’empêcher de penser que les garçons ne sont que des enfants, n’est-ce pas ?

Les deux combattants, sans avoir l’air de s’en soucier, attrapèrent un nouvel oreiller à portée de main. Nishino haussa le ton.

Nishino — Pas le temps pour ces conneries ! Faut qu’on cause là !!

Ryuuen ignora l’avertissement et s’apprêtait à continuer. Mais Kitô, lui, s’arrêta net et s’assit, comprenant peut-être la frustration générale.    

Ryuuen — Alors t’avoues ta défaite, Kitô ?

Kitô — Je ne vais pas continuer si je dérange les autres.

J’appréciai son pragmatisme et sa prompte capacité à se retirer, ce qui n’était pas gagné. Mais à choisir, j’aurais préféré qu’il n’en arrive pas là du tout et que mon oreiller soit épargné.

Moi — Eh bien, pour l’instant, passons un coup et ensuite on parlera !

Avec l’aide de tous, sauf Ryuuen, les composantes de l’oreiller furent rapidement ramassées. J’étais tenté d’aller demander un nouvel oreiller à l’auberge même si je me demandais si c’était une bonne idée. Je réunis les cosses de sarrasin dans un sac plastique que je jetai à la poubelle, tout en revenant à nos moutons.

Kushida — Nous sommes libres d’aller n’importe où du moment qu’on rentre pour 19h, heure limite pour dîner, c’est bien ça ?

Comme une évidence, Kushida prit la parole au nom de tous.

Amikura — Oui. Donc on va vraiment avoir la journée !!

Amikura rejoignit elle aussi la conversation.

Kushida — On devrait guetter les trains ou les bus, histoire de visiter un peu. Encore faut-il savoir où aller… Nishino-san, tu as une envie particulière ?

Nishino — Je pense au ski. À part à l’entraînement, j’en ai pas fait librement. Et il y a cette station pour skier pas loin…

Moi — Je suis d’accord avec Nishino.

Nous venions pour beaucoup d’apprendre à skier, il serait dommage de rester sur notre faim. Kitô leva silencieusement la main, en guise d’approbation.

Kushida — Donc je vois que le ski vous branche pas mal. Watanabe-kun, Yamamura-san ?

Watanabe — Ça me va. De toute façon on aura le troisième jour pour traîner un peu en ville, pas vrai ?

Yamamura — Tout me va.

Yamamura, qui ne savait toujours pas skier, ne semblait pas contre. Essayait-elle simplement de suivre le mouvement ou bien était-elle vraiment intéressée par progresser ?  Ses émotions ne semblaient pas le suggérer, cependant.

Kushida — Et toi, Mako-chan ?

Amikura — Ummm. Je ne suis pas si bonne au ski, donc je ne saute pas de joie. Mais si c’est ce que la majorité veut… !

Avec cela, elle montra sa totale volonté de concéder. Kushida ne donna pas  son propre avis, mais elle regardé Ryuuen assit sur son spot habituel.

Kushida — Et toi, Ryuuen-kun ?

Ryuuen — Comme vous voulez.

Il ne semblait pas avoir d’objection particulière, répondant brièvement.

Le groupe semblait soulagé que Ryuuen, la personne la plus gênante du groupe, n’ait finalement pas fait de vague. Enfin, il avait probablement simplement envie de skier.


[1] Région la plus peuplée du Japon, située à l’est sur l’île principale de Honshu. La région comprend les préfectures de Tokyo, Kanagawa, Tochigi, Gunma, Saitama, Chiba et Ibaraki.

[2] Ici l’auberge traditionnelle

[3] Dans l’architecture traditionnelle japonaise, un shôji (障子, du chinois « barrière de bambous ») est une paroi ou une porte constituée de papier washi translucide montée sur une trame en bois. C’est en général une porte coulissante.

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