CLASSROOM V10 : CHAPITRE 3


LA DIFFICULTÉ DU SALUT

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Le lendemainmatin, au réveil, je jetai un coup d’œil à mon téléphone.

Et, bien sûr, le chat du groupe Ayanokôji a  beaucoup progressé pendant mon sommeil. Cela ne faisait même pas 24 heures que Chabashira avait annoncé l’examen complémentaire, c’était donc tout naturellement le sujet au cœur de la discussion.

Moi — Ils sont vraiment tendus, hein ?

L’inquiétude d’Airi était particulièrement évidente vu la façon dont elle avait  écrit ses messages.

Les choses risquaient de se gâter si un membre de notre groupe devenait une cible. Je n’étais pas sûr de l’ampleur de mon implication, et il était également vrai qu’il était difficile de prendre des contre-mesures dans une telle situation. Même si j’avais l’intention de prendre les dispositions nécessaires pour Hirata et Kei, il n’y avait au fond, aucune garantie.

Même en menaçant quelqu’un et en le forçant à passer un accord, il y avait  toujours une chance qu’il change son vote en secret, à la dernière minute. Il n’y a  tout simplement aucun moyen sûr d’éviter l’expulsion en étant visé par un grand nombre de votes négatifs.

En tout état de cause, chacun courait au moins un certain degré de risque.

En parcourant les messages, j’avais trouvé une proposition intéressante de Keisei. J’avais commencé à lire à partir de là.

Yukimura : Et si l’un d’entre nous allait à l’école tôt pendant les trois prochains jours pour recueillir des informations ?

Miyake : Puisque nous sommes un si petit groupe, ça pourrait être une bonne idée. Je suis d’accord.

Hasebe : Cela pourrait être une bonne chose. Je suis curieuse de savoir quel genre de choses les autres groupes vont se dire.

Sakura : Je suis d’accord aussi.

Hasebe : Je le ferai demain puisque je pars tôt.

Tout le monde était parvenu à un accord unanime. Ils avaient discuté en attendant de connaître mon avis sur la question, mais comme il me fallait généralement un certain temps pour vérifier mon téléphone, ils avaient finalement décidé de prendre les devants.

Moi — Je vois.

Même si je ne pensais pas que l’information nous tomberait aussi facilement du ciel, c’était quand même mieux que de ne rien faire. En tant que stratégie, non seulement elle était simple, mais les résultats potentiels en valaient aussi la peine.

Comme toute la conversation s’était déroulée hier soir, Haruka était probablement déjà dans la classe. Vu le déroulement de leur conversation, il semblerait que les autres allaient se mettre à aller à l’école plus tôt les deux autres jours, donc tout ira bien même si je ne faisais rien.

Le vote avait lieu dans trois jours. En d’autres termes, les détails concernant les personnes sur lesquelles nous allions concentrer nos votes négatifs devaient être finalisés au plus tard aujourd’hui. Pour l’instant, il serait bien que le groupe Ayanokôji puisse obtenir des informations précieuses en matinée, comme l’avait suggéré Keisei. Pendant ce temps, en attendant des nouvelles de Kei concernant les filles de la classe, j’avais pensé à chercher des informations sur les garçons via Horikita sur Sudou et Hirata.

Après tout, il était important d’être à la page le plus tôt possible

1

J’avais l’impression d’enfin m’habituer à ma vie quotidienne ici.

Sans le remarquer, presque une année entière s’était écoulée depuis que j’avais commencé à vivre dans les dortoirs.

Moi — J’ai l’impression que le temps ne passe plus comme avant.

Le passage du temps serait différent selon le plaisir que l’on prendrait. Honnêtement, quand j’avais appris l’existence de ce phénomène, je n’en avais pas très bien compris le sens.

Avant d’entrer au lycée, chaque seconde de ma vie a  été exactement la même. Mais maintenant, c’était différent. Évidemment, les jours passaient encore à la même vitesse que d’habitude. Il restait encore deux ans avant la remise des diplômes, mais c’était étrange. Plus j’y pensais, plus j’avais l’impression que le jour de la remise des diplômes allait arriver en un clin d’œil.

Ichinose — Salut, Ayanokôji-kun~ !

J’entendis Ichinose crier derrière moi dès que je sortis. C’était probablement parce que nous partions tous les deux pour le bâtiment des cours à peu près à la même heure chaque matin. Je regardais derrière moi et je lui répondis.

Moi — Ah, salut Ichinose !

Curieusement, dès que je l’appelai, son échine se raidit pour une raison quelconque.

Moi — Hmm… ?

Elle était parfaitement immobile, figée, la main en l’air.

Moi — Quelque chose ne va pas ?

Ma question semblait la faire sortir de la transe dans laquelle elle se trouvait lorsqu’elle s’était avancée. Mais ses mouvements étaient encore un peu raides à certains égards.

Ichinose — Wow, uhh… il fait encore froid aujourd’hui, hein ?

Moi — Je suppose que oui.

Notre souffle était visible dans l’air pendant que nous parlions.

Ichinose — As-tu prévu de rejoindre quelqu’un pour le chemin ?

Moi — Pas du tout. Je suis généralement seul le matin.

Ichinose — Alors… ça te dérange si je me joins à toi ?

Il n’y avait probablement pas un seul élève capable de refuser une telle demande de sa part.

Je répondis par un signe de tête.

Moi — …

Ichinose — ……

D’habitude, c’était généralement Ichinose qui entamait la conversation. Cette fois, cependant, le  seul son qui rompait le silence entre nous était le bruit de nos pas alors qu’Ichinose marchait un peu plus loin derrière moi. Je décidai donc de lui parler un peu de l’examen, histoire de joindre l’utile à l’agréable.

Moi — Ce prochain examen spécial doit être assez difficile pour vous et votre classe, hein ?

En comparaison avec les autres classes, la classe B avait  fait preuve d’un travail d’équipe extrêmement solide et d’un fort sentiment général de camaraderie. Le fait d’être obligé de décider quel élève devait être renvoyé était probablement très douloureux pour eux.

Ichinose — Ah, eh bien… Oui. Je pense que cet examen est de loin le plus dur que nous ayons eu.

Moi — C’est sûr.

Je pouvais le dire rien qu’en me basant sur son expression trouble. Ichinose, en tant que chef de classe, était la seule personne dans une position absolution sûre. Même Hirata ou Kushida n’avaient pas, comme elle, la garantie absolue de survivre à et examen. C’était précisément pour ça que le fait de devoir retirer quelqu’un de la classe était une décision si douloureuse pour elle.

Elle aurait pu aussi bien rester sur la touche et ne pas s’impliquer du tout dans le vote. Cela aurait probablement été moins stressant pour elle de cette façon. Ichinose aurait pu faire quelque chose comme ça, mais…

Ichinose — Face à un examen aussi terrible… je n’ai vraiment pas d’autre choix que de faire quelque chose, n’est-ce pas ?

Moi — Eh bien, c’est probablement vrai.

Ichinose — …Oui. Je dois faire quelque chose.

Elle s’approcha de moi en disant cela. De profil, je pouvais voir un mince sourire sur son visage.

Moi — Penses-tu à te sacrifier, Ichinose ?

Ichinose — Hein ? Pas question. Je n’ai certainement pas dit ça !

Elle le niait, mais son regard disait le contraire. Qu’elle était tout à fait prête à faire ce choix si nécessaire.

Moi — De toute façon, je crois que personne de ta classe ne serait prêt à te couvrir de votes négatifs ainsi.

Ichinose — Je n’ai pas dit que j’abandonnerai. Mais, si tu le penses vraiment, alors je suppose que tu as probablement raison.

Moi — C’est écrit sur ton visage que ça t’a effleuré l’esprit.

Ichinose — Vraiment ?

Ichinose s’empressa d’essayer de s’en assurer. Était-ce naturel ou le faisait-elle exprès ?

Ichinose — Haa… Garde ça pour toi du coup, s’il te plaît !

Moi — Es-tu vraiment prête à te sacrifier pour le bien d’autrui ?

Ichinose — Pas exactement. J’ai juste l’impression de devoir me battre, et de porter la responsabilité du risque par moi-même.

Assumer seule la responsabilité du risque, hein ? En d’autres termes, elle n’avait pas l’intention de prendre la voie de la facilité en observant passivement depuis les coulisses.

Moi — Je ne comprends pas. Est-ce ta façon à toi de rendre hommage au camarade de classe qui va se faire expulser ?

Même si cela signifiait plus venant d’Ichinose que de quelqu’un d’autre, ce n’était toujours pas quelque chose qu’ils voulaient. De toute façon, je ne pouvais tout simplement imaginer personne  quitter l’école avec un sourire sur le visage.

Ichinose — Je ne peux pas t’en dire plus. Ce n’est pas quelque chose dont j’aimerais que les autres entendent parler. De plus, tu es en classe C. Quel que soit le type d’examen, il y a des moments où nous ne pouvons tout simplement pas collaborer.

Moi — Tu marques un point.

Alors nous n’avions pas pu discuter d’autre chose que des votes positifs.

Chanceux allait être l’élève qui allait recevoir le vote positif d’Ichinose.  Quoi qu’il en soit, Ichinose n’était pas une élève qui avait besoin de votes positifs au départ. Malgré tout, elle ne s’abaissait pas non plus à remettre son vote en échange de points privés. Je n’avais donc même pas essayé d’en parler.

Même si, pour les besoins de l’argumentation, j’avais acheté son vote, au final, cela  n’aurait été rien de plus qu’un porte-bonheur.

Ichinose — De toute façon, l’établissement est vraiment terrible. Elle nous force à abandonner un camarade. Même si on parvient à obtenir des votes de louanges de la part des autres classes, quelqu’un doit quand même partir dans tous les cas.

Tout le monde n’avait pas accueilli favorablement cet examen, d’autant plus qu’ils avaient forcé les expulsions à la fin de l’année.

Ichinose — Ça va aller, Ayanokôji-kun ?

Moi — Eh bien, c’est difficile à dire… Je ne suis pas un élève très important dans ma classe.

Ichinose — Alors, si tu es d’accord, je pourrais peut-être trouver une solution.

Moi — C’est-à-dire ?

Ichinose — Comme j’ai un vote positif  que je peux utiliser sur quelqu’un d’une autre classe, je pourrais l’utiliser pour toi.

Elle avait abordé un sujet que j’avais intentionnellement décidé de ne pas aborder quelques instants plus tôt.

Ichinose — Bien qu’il ne s’agisse que d’un seul vote, cela ne vaut peut-être pas grand- chose…

Moi — Je t’en remercie mais je dois la refuser. Ton vote serait gaspillé pour quelqu’un comme moi.

Ichinose — Ce n’est pas vrai du tout ! Je pense plutôt, honnêtement, que ce serait le vote le plus justifié de tout l’examen. Il est destiné à quelqu’un qui mérite d’être félicité dans une autre classe. Oui, je ne peux pas penser à quelqu’un de plus digne que toi. Tu es celui qui m’a sauvée.

Il était extrêmement difficile de répondre à de si belles paroles.

Moi — Je vois. Alors, on en reparlera !

Ichinose —  Cool ! Je m’en souviendrai.

Avec cela, Ichinose laissa transparaître un sourire.

Asahina  — Bonjour, Honami.

J’entendis quelqu’un appeler Ichinose derrière nous.

Ichinose —  Salut, Asahina-senpai !

Asahina — Tu n’as pas l’air très éveillée aujourd’hui ! Au fait,  vous êtes dans des classes différentes non ? Vous devez sacrément bien vous entendre !  

Ichinose —  Euuuh oui. C’est un bon ami… !

Ichinose semblait un peu embarrassée, à en juger par sa réponse.

Asahina — Oh~ ? Un bon ami, hein ?

Il y aurait eu moins de malentendus si elle n’avait  pas réagi comme ça.

Asahina — Bon, peu importe. De toute façon, j’aimerais emprunter Ayanokôji-kun pour un moment, c’est d’accord ?

Asahina s’approcha de nous deux, espérant qu’Ichinose nous laisserait pour qu’elle puisse me parler seule.

Ichinose —  Je comprends. Alors, Ayanokôji-kun, je vais continuer.

Sans signe particulier de mécontentement, Ichinose baissa la tête, suivant ainsi la demande d’Asahina.

Asahina — Désolé Honami. À toute !

Ichinose —  Oh non ! Ne t’en fais pas ! À plus tard !

Au vu de leur conversation, leur relation avait l’air plutôt bonne. Une vraie relation senpai-kouhai.

Asahina — C’est une chouette fille hein ? Mignonne. Intelligente. Même les 1ère l’estiment pas mal.

Moi — Oui, c’est vrai. Elle est très populaire parmi nous, les 2nde.

Asahina — Se pourrait-il que tu aies réussi à gagner son affection ?

Il semblerait que le comportement quelque peu anormal d’Ichinose n’était pas passé inaperçu.

Moi — Je ne crois pas.

Ichinose mis à part, je voulais que mon temps avec Asahina soit le plus court possible, au cas où nous étions vus par un des sous-fifres de Nagumo. Si elle avait  vraiment quelque chose à dire, il valait mieux s’en occuper rapidement.

Moi — Bien, tu as des choses à  me dire ?

Asahina — Rhoo, tu n’es pas drôle ! En tout cas, vu que je vous ai vus si proches, je voulais te dire quelque chose.

Asahina souriait joyeusement depuis un moment, mais ce sourire s’effaça d’un seul coup.

Asahina — J’ai un peu entendu parler de l’examen de 2nde. Quelqu’un est obligé d’être expulsé hein ?

Moi — On dirait bien.

Il semblerait que la nouvelle ait déjà réussi à se répandre parmi les 1ère.

Asahina — Honami se soucie profondément de ses amis, ou comment dire… Tu sais qu’elle n’est pas du genre à laisser quelqu’un de la classe B être expulsé, n’est- ce pas ?

Moi — Tu as raison. Je pense même que le sort de la classe B dépasse les frontières de cette classe, tout le monde est curieux même si personne n’en parle.  

Ma réponse était un peu fade, mais elle avait réussi à transmettre mes pensées assez facilement.

Asahina —  Alors, comment crois-tu que Honami va s’y prendre ?

Asahina me jeta des coups d’œil indiscrets. Plutôt que d’être simplement curieuse de ma réponse, c’était plutôt comme si elle essayait de m’arracher une réponse particulière.

Dans ce cas, lui donner une réponse détournée allait probablement être contre-productif.

Moi — En supposant qu’elle prévoie d’empêcher l’expulsion… La classe B a économisé un nombre considérable de points privés. Il lui suffirait donc d’obtenir le reste des points dont elle a besoin d’une manière ou d’une autre et d’empêcher l’expulsion de se produire complètement. Quelque chose comme ça, non ?

Asahina —  Bingo. C’est la seule conclusion logique.

C’était plutôt évident, n’importe qui aurait pu arriver à la même conclusion. Le problème était que c’était bien plus facile à dire qu’à faire…  Parvenir à rassembler 20 millions de points privés était extrêmement difficile.

Asahina —  Il semble qu’elle soit partie demander de l’aide à Miyabi. D’après toi, quelle a été sa réponse ?

Moi — Il a accepté tout de suite ?

Asahina —  …Bingo encore.

Au vu de la tournure des événements jusqu’à présent, il n’y avait tout simplement pas d’autres possibilités.

Moi — Je vais te le demander juste pour être sûr, mais il est impossible qu’on lui prête suffisamment de points privés sans condition, n’est-ce pas ?

Même si la classe B possédait un grand nombre de points privés, il leur en manquait probablement encore beaucoup. Plusieurs centaines de milliers de points n’allaient toujours pas être suffisants.

Asahina —   Bien sûr que non ! Si encore il ne s’agissait que de quelques milliers de points… Mais là, personne ne donnerait autant comme ça.

Asahina répondit sans hésiter.

Asahina — Les élèves de 1ère et de terminale doivent être minutieusement préparés aux examens spéciaux. Qui sait, jusqu’à la fin il n’y aucune garantie pour personne, les points privés pourraient être utiles…  Donc il n’y a pas de place  pour la charité envers quelques élèves de seconde.

Elle avait probablement raison. C’était aussi la raison pour laquelle Chabashira nous avait parlé de cette possibilité sans beaucoup de conviction. Car glaner quelques points privés des élèves de classes supérieures était faisable, mais avoir tout le montant nécessaire d’un coup était une autre paire de manches. La solution de rembourser avec intérêts pouvait être intéressante, mais pas pour des terminale si près d’obtenir leur diplôme. Et quand bien même un élève de 1ère acceptait, avoir toute la somme entière était peu probable.

Moi — S’il y a quelqu’un capable de ça, le président Nagumo est le seul qui me vient à l’esprit.

Asahina — Il a économisé pas mal de points après tout.

Moi — Alors que s’est-il passé ?

Je lui ai posé la question mais la réponse semblait évidente. Malgré tout, étant donné qu’Ichinose semblait hésiter, la coopération de Nagumo était probablement soumise à conditions.

Asahina — T’inquiète. Je suis dans sa classe, le connaissant  je doute donc qu’il prête négligemment un si grand nombre de points à une kouhai. Honami est une fille si mignonne… Il n’y a absolument aucune chance qu’elle finisse par être expulsée à cause de cet examen, n’est-ce pas ?

Moi — Je suppose que oui. Mais je ne crois pas vraiment que ce soit pour elle qu’elle s’en fait.  

Asahina — Je ne suis donc personnellement pas favorable à ce qu’elle conclue ce genre d’accord avec lui. Bien sûr, c’est en partie pour le bien de ma propre classe mais… plus que ça, je suppose que je la plains.

Moi — Les conditions qu’il a fixées sont-elles trop dures ? Comme un taux d’intérêt trop élevé ?

Asahina — Ce type… La condition qu’il a fixée pour lui prêter les points… est qu’ils s’engagent dans une relation.

Moi — Je vois.

Compte tenu de tout ce que Nagumo avait fait jusqu’à présent, cela semblait définitivement être dans ses cordes.

Une relation en échange d’un prêt de points privés… N’importe qui aurait définitivement refusé. Mais, si c’était pour protéger sa classe, Ichinose était très certainement prête à tout et Nagumo l’avait probablement compris.

Moi — Est-ce que ça va ? Pourquoi me dis-tu tout ça ?

Asahina — Je te l’ai déjà dit, je le fais pour ma classe. Si Miyabi prête tous ces points privés à une 2nde, on en souffrirait De plus, en échange de la protection de ses amis, Honami devra sacrifier énormément.

Moi — Peut-être, mais pourquoi moi ? Je suis en classe C. Ichinose et moi sommes concurrents directs.

Asahina — Je ne sais pas. Mais j’avais l’impression que, quelque part… Tu avais la solution à ce problème.

Moi — Tu me surestimes beaucoup. Je ne peux pas lui prêter autant Je ne peux pas me permettre de compenser le manque de points de la classe B.

Cela aurait été une autre histoire s’il avait été possible d’accumuler suffisamment de points sans compter sur Nagumo.

Asahina — Oh vraiment ? Donc vous êtes rivaux tous les deux…

Aider activement une classe rivale était bien trop stupide. Nous devions au contraire profiter du futur endettement de la classe B. Puis, est-ce que ma classe était vraiment prête à se regrouper pour un tel geste ? Je ne pensais pas.  

Moi — Je ne peux rien y faire.

Asahina — C’est bon. Je t’ai juste dit ça comme ça. Mais, je reste convaincue que tu peux faire quelque chose !

Après m’avoir donné une tape dans le dos, Asahina commença à partir.

Asahina — La balle est dans ton camp. Je te laisse le reste !

Sur ce, Asahina courut vers l’école sans dire un mot de plus. D’après son comportement et sa façon de parler, elle ne semblait pas mentir.

Moi — Un marché avec Nagumo, hein ?

Cela ne lui ressemblait pas trop, mais il semblerait que c’était la stratégie d’Ichinose. Une stratégie singulière qui justement était possible grâce, ou à cause, de l’esprit de groupe singulier de la classe B. Mais, même ainsi, Ichinose semblait réticente à cette condition de relation, sinon, elle aurait accepté tout de suite avant que Nagumo ne change d’avis.  Il était difficile de prendre une décision quand une relation, rien que ça, était en jeu.  Une petite coopération, pourquoi pas, mais je ne pouvais absolument rien faire pour autant de points privés. La classe B était probablement à court de quatre à cinq millions de points, ce qui dépassait largement le cadre de ce que je pouvais faire. Il aurait été tellement plus simple qu’elle sacrifie quelqu’un. Mais vu sa personnalité…

Qu’allait-t-il donc se passer ? Ce n’était pas très difficile à imaginer.

2

L’examen spécial était devenu un sujet tabou en classe. La tension était palpable dès que quelqu’un l’abordait.

Hasebe — Salut Kiyopon !!!

Moi — Salut.

Je disais bonjour à Haruka alors que je m’assis sur mon siège. Je ne sentis aucun enthousiasme dans les élèves qui étaient déjà là. L’idée d’être visé par des votes négatifs avait fait obstacle aux relations de solidarité les rendant impossibles à maintenir. Cela allait probablement continuer jusqu’à la fin de l’examen spécial. Et même pendant un certain temps après cela. Haruka m’envoya un SMS.

Hasebe : L’atmosphère de la classe est super lugubre, hein ? 🙁

Moi : Plus que d’habitude ?

Hasebe : Ils ont tous l’air sur leurs gardes, en tout cas.  

En classe, on était potentiellement toujours écouté. Personne n’allait lâcher de noms comme ça, c’était certain.  

Hasebe : Espérons que nous aurons plus de chance demain !

Moi : Ouais.

Après ce court échange, je rangeai mon téléphone portable.  Sans se démarquer ni causer de problèmes à la classe, il nous fallait nous contenter d’attendre que la tempête passe. Si seulement nos camarades de classe pouvaient être indulgents.

3

À l’heure de la pause déjeuner, je me dirigeai vers la bibliothèque.

Ce n’est pas que je ne voulais pas trainer avec le groupe Ayanokôji, c’était juste que je pensais qu’il était important que nous passions un peu de temps séparés de temps en temps. En outre, à la bibliothèque, il y avait  une personne qui aimait autant les livres autant que moi. Et bien sûr, cette personne, Shiina Hiyori, était également venue à la bibliothèque aujourd’hui.

Je choisis un livre sur les étagères et, peu de temps après m’être installé, quelqu’un m’aborda.

Hiyori — Hé, Ayanokôji-kun !

Puisque nous étions peu à l’intérieur, elle ne mit pas longtemps avant de me remarquer. Elle avait en mains un livre du même genre que le mien.

Moi — Toujours fidèle au poste, on dirait.

Hiyori — Eh bien, la bibliothèque est un endroit si merveilleux !

Après avoir demandé doucement la permission, Hiyori s’assit à côté de moi. Ensemble, nous lisions tranquillement nos livres. Les vrais amateurs de lecture n’avaient pas besoin de conversation excessive. On peut même dire que l’acte de lire est, en soi, une forme de conversation.

C’est ainsi que nous ne prononcions pas un mot jusqu’à la fin du déjeuner, soit une petite demi-heure. Je pris enfin la parole.

Moi — II est probablement temps d’y aller !

Hiyori — En effet.

Après avoir regardé l’horloge pour vérifier l’heure, je décidai de ne pas partir tout de suite.

Moi — Au fait, Hiyori. Il y a quelque chose que j’aimerais te demander.

Hiyori — Ah oui ? Qu’est-ce que c’est ?

Incertaine de ce que je voulais demander, elle leva curieusement les yeux de son livre.

Moi — C’est à propos de la situation actuelle de Ryuuen.

Hiyori — Ryuuen-kun ? Pour être honnête… Ce n’est pas très bon.

Moi — Donc il est le premier choix de la classe D pour l’expulsion après tout.

Hiyori — Oui. Presque tout le monde dans la classe a accepté de voter pour lui.

Moi — Et Ryuuen lui-même l’a accepté ?

Hiyori — Il semblerait oui. En fait, il venait pas mal à la bibliothèque après les cours, ces derniers temps, donc j’ai pu discuter avec lui.

Le livre qu’il lisait quand je l’ai vu au café tout à l’heure avait en effet été emprunté à la bibliothèque. Sur le moment j’avais tout de suite émis l’hypothèse qu’il avait été en contact avec Hiyori, ce qui semblait se confirmer.

Moi — Que penses-tu de tout ça, Hiyori ?

Hiyori — C’est dommage, mais nous ne pouvons tout simplement pas éviter l’expulsion. Donc, je suis prêt à accepter le fait que nous allons perdre quelqu’un, potentiellement même moi. Mais si la classe D veut vraiment atteindre le sommet à nouveau… je commence à penser que nous pourrions avoir besoin de Ryuuen-kun…

Elle avait probablement quelques doutes sur Ryuuen, mais elle semblait reconnaitre ses véritables capacités. À ce propos, je ne me souvenais pas que Ryuuen ait déjà traité Hiyori de façon brutale.

Moi — Désolé, c’était peut-être un peu indiscret… Mais j’étais curieux de savoir comment vous preniez les choses de votre côté…

Hiyori — Enfin, je t’ai dit ça mais… En vrai, je suppose que je ne veux juste pas que Ryuuen soit expulsé.

Je n’allais pas forcément venir ici initialement, mais j’étais vraiment très curieux de la situation de Ryuuen.

Hiyori  —  C’est naturel de vouloir préserver ses amis, hein ?

Moi — …Ouais.

C’était un peu étrange qu’elle me dise ça à moi, alors que nous n’étions pas censés être autre chose que des ennemis après tout.

Hiyori  —  Uhm…

Moi — Hm ?

Hiyori  —  Ce… Je ne pense pas que je devrais dire ça, mais…

Bien que cela semble un peu difficile à dire, Hiyori poursuivit.

Hiyori —  Ayanokôji-kun, s’il te plaît, ne soit pas expulsé, compris…? Avec tout ce qui s’est passé, je ne veux pas que mon précieux ami disparaisse aussi.

Moi — Je ferai ce que je peux !

C’est ainsi que Hiyori se confia à moi, alors que nous nous séparions pour retourner dans nos salles de classe respectives.

4

La mauvaise ambiance persistait même après la fin des cours, n’en déplaise à Horikita.

Mais cette dernière rangeait tranquillement ses affaires, comme si de rien était. Il était difficile de s’attaquer seul à un examen comme celui-ci. Habituellement, le comportement le plus intuitif serait de se faire le plus d’alliés possible. Mais Horikita ne montra pas l’intention de faire une telle chose. Sudou était le seul vote positif garanti pour elle…

Cela dit… Je me souvins d’un coup de la confrontation entre Horikita et Ryuuen l’autre jour. En y réfléchissant, je pouvais y voir un peu plus clair. Elle semblait vouloir gérer cet examen d’une manière différente des autres, mais ce n’était pas la façon la plus simple de procéder.

Cependant, qu’elle arrive à ses fins pouvait grandement faire mes affaires, donc je souhaitais qu’elle y arrive. Surtout qu’en cas d’échec, c’était elle qui allait en porter la seule responsabilité. Que demander de plus ?!

Je me retournai et regardai dans toute la classe, essayant de me mettre à la place de Horikita.

Moi —  Il est rare que tu ne me consultes pas pour un examen. Tu es si confiante que ça sur ce coup ?

Même si cela ne faisait qu’un jour, j’avais décidé de confirmer si Horikita avait quelque chose en tête ou non.

Horikita —  Même si je te demandais conseil, ce n’est pas comme si tu me donnerais une réponse directe.

Moi —  Pas faux.

Horikita commençait peu à peu à comprendre que je n’allais pas donner de conseils aussi facilement.

Horikita —  De plus… Ce n’est pas exactement le type d’examen où tu peux simplement aller demander de l’aide à tes camarades de classe.

Moi — Beaucoup d’autres élèves ont cependant formé des groupes afin d’obtenir des votes positifs.

Horikita — Et grand bien leur en fasse !

Horikita finit de rassembler ses affaires et se leva.

Moi —  Alors, qu’est-ce que tu vas faire ?

Horikita —  Ce que je peux.

Sur ces mots, Horikita quitta la classe.

Comme j’étais un peu curieux, je décidai de la suivre.

Moi —  Qu’est-ce que c’est ?

Elle me regardait avec un air un peu renfrogné, mécontente que je l’aie suivie.

Moi —  Je suis un peu intéressé par ce que tu comptes faire.

Horikita — D’habitude, tu n’aimes pas t’impliquer avec moi, alors pourquoi maintenant ?

Pour dire les choses simplement, c’est parce que j’attendais avec impatience de voir la stratégie qu’elle avait mise au point. Si elle comptait la mettre en pratique, je voulais la soutenir pleinement. Cela dit, je n’avais pas l’intention de lui dire comme ça.

Moi —  Tu n’as pas encore rejoint un groupe, n’est-ce pas ? Si tu es dans le pétrin, je peux aider !

Horikita — Ho, alors tu t’inquiètes pour moi ? Et tu me proposes même de rejoindre ton groupe ?

Moi —  Une personne supplémentaire ne serait pas de trop. 

Horikita — Même si j’apprécie l’offre, je dois refuser. Tu n’es pas celui qu’il me faut là, sur le coup.

Elle avait donc bien une idée derrière la tête. Cependant, ses ressources étaient limitées et elle était encore bien tendue. Je n’étais probablement pas la bonne personne pour combler ces lacunes.

Horikita —  Tu es vraiment…

Elle me regarda encore plus de travers.

Moi —  Quoi ?

Horikita —  Laisse-moi tranquille.

Et elle poursuivit sa route, sur ces mots relativement durs.

Je me disais que la suivre n’allait la mettre qu’encore plus en rogne. Après l’avoir vue partir, je regardai par la fenêtre du couloir pendant un moment, en admirant la vue.

Moi —  Je suppose que je vais rentrer chez moi pour aujourd’hui.

Hirata —  Tu as 5 minutes, Ayanokôji-kun ?

Comme s’il passait par là, Hirata débarqua. Je me demandais s’il ne m’avait pas suivi. À en juger par le moment, il attendait probablement que Horikita et moi nous nous séparions.

Hirata — Si tu es d’accord, tu peux me rejoindre après les cours ? J’ai besoin de te parler.

C’était une invitation rare de sa part, une invitation que je n’avais aucune raison particulière de refuser. Alors que je lui répondais d’un signe de tête, Hirata poussa un soupir de soulagement. Après avoir passé une journée entière immergée dans l’atmosphère tendue de la classe, il semblait être l’élève le plus épuisé.

Bien sûr, je pouvais en déduire que ce dont il voulait parler était en grande partie lié à l’examen spécial.

Hirata — Très bien, dans ce cas on se retrouve près de l’entrée sud du centre commercial Keyaki à 16h30. D’accord ?

Moi — Ok.

C’était tout ce que l’on s’était dit. Il ne semblait pas vouloir parler ici.  Après tout, il y avait beaucoup trop de passage. Entre les élèves qui se rendaient aux activités du club ou ceux qui rentraient simplement chez eux…

J’avais prévu de retrouver Keisei et les autres après les cours aujourd’hui, alors j’avais dû leur dire que j’allais être un peu en retard. Hirata semblait être occupé à parler avec ses amis pour le moment, alors je décidai d’aller au point de rendez-vous avant lui.

5

Après avoir quitté la salle de classe, je me dirigeai immédiatement vers l’entrée principale du bâtiment

En chemin, je tombai par hasard sur Sakayanagi Arisu. Je pouvais voir Kamuro se tenir à côté d’elle.

Sakayanagi — Ayanokôji…

Le corps de Kamuro, sa servante, se raidit. Cependant, comme d’habitude, Sakayanagi resta calme et détendue. Les réactions contrastées entre les deux étaient intéressantes.

Sakayanagi — Quelle coïncidence. Ayanokôji-kun.

Moi — En effet. Tu as des choses à voir avec notre classe ?

Elles semblaient toutes les deux se diriger vers la classe C. Cependant, plutôt que de me répondre, Sakayanagi balaya ma question avec un sourire en m’en posant une autre à la place.

Sakayanagi — Et toi, où vas-tu ?

Moi — J’ai prévu de retrouver un ami au centre commercial dans environ une demi-heure.

Sakayanagi — Vraiment ? Tu m’as l’air de bien profiter de la vie ! Si ça ne te dérange pas, tu peux me consacrer un peu de temps ?

Sakayanagi sortit son téléphone portable et vérifia l’heure. Avait-elle fait ce chemin juste pour me rencontrer ? Non, cela paraissait assez invraisemblable.

Il n’était encore que 16h10. J’avais donc un peu plus de dix minutes avant mon rendez-vous de 16h30, en comptant le trajet.

Moi — Ça ne te dérange pas de rester debout ?

Sakayanagi — Non, mais allons ailleurs, ici c’est un peu indiscret.

Moi — Très bien.

Je voulais aussi éviter de me démarquer le plus possible, donc ça m’arrangeait.

Cela aurait été différent si elle avait été une camarade de classe, mais Sakayanagi était du genre à attirer l’attention, qu’elle le veuille ou non. Elle-même en était bien consciente, d’où sa proposition.

Comme elle marchait lentement, le temps passait mine de rien…

Sakayanagi — En tout cas… Ayanokôji-kun, Masumi-san… Ne pensez-vous pas que cet examen complémentaire est beaucoup trop déraisonnable ? Ils ont décidé de nous expulser de force juste parce que personne n’a encore été expulsé. Mettre en place un examen comme celui-ci… En y pensant de façon rationnelle, c’est ridicule.

Kamuro — Totalement. Mashima-sensei est généralement assez calme, mais cette fois lui-même semblait très mal à l’aise.

Cet examen ne semblait donc pas non plus au goût des autres enseignants.  

Sakayanagi et Kamuro continuèrent à se parler.

Sakayanagi — Il y a une raison à cela.

Kamuro — Quoi, tu sais quelque chose ?

Sakayanagi — C’est une affaire personnelle dont j’ai un peu honte, mais mon père a été suspendu de son poste il y a quelques jours.

Kamuro — Suspendu… Ton père… Si je ne me trompe pas, c’est le président du conseil d’administration, non ?

Ayant déjà entendu parler du père de Sakayanagi, Kamuro insista pour obtenir plus de détails.

Sakayanagi — Je n’en ai pas entendu parler en détail, mais il semble qu’un certain nombre de circonstances défavorables ont joué en la défaveur de mon père. Même si je ne suis pas objective, il n’est pas du genre à se salir les mains. Certains parlent de coup monté.

En apparence, ces mots avaient été prononcés à Kamuro, mais en réalité, ils m’étaient probablement destinés. Si le père de Sakayanagi était vraiment innocent, il ne serait pas surprenant que « cet homme » soit impliqué dans tout cela. L’impression que j’avais eue du père de Sakayanagi était peut-être la bonne après tout.

Sakayanagi — Cela dit, c’est quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec nous. Ce n’est rien d’autre qu’un simple bavardage inutile.

Il semblerait que Sakayanagi ne voyait pas la suspension forcée de son père comme quelque chose qui méritait d’être pris en considération.

Kamuro — Quand bien même, quel est le rapport avec l’examen ?

Sakayanagi — Ne pensez-vous pas qu’il est possible que l’école ait préparé l’examen à la hâte… tout ça pour forcer l’expulsion d’une certaine personne ?

Kamuro — Quelqu’un…

Kamuro me jeta un coup d’œil un instant avant de retourner immédiatement son regard vers Sakayanagi.

Kamuro —  J’avais essayé de ne pas trop en tenir compte jusqu’ici mais… Pourquoi avoir gardé un œil sur Ayanokôji jusqu’ici ?

Demanda Kamuro alors qu’elle se promenait à côté de Sakayanagi.

Sakayanagi — Tu as essayé de ne pas en tenir compte hein ?

Kamuro — En effet.

Kamuro niait mais Sakayanagi ne semblait pas dupe.  Cependant, au lieu d’insister davantage, elle revint sur la question de Kamuro.

Sakayanagi — C’est tout simplement une connaissance de longue date. Cette réponse te convient ?

Sakayanagi répondit avec nonchalance malgré le ton assez formel de Kamuro. Cette réponse donnait un certain degré d’information à Kamuro mais, surtout, Sakayanagi semblait vouloir mesurer ma réaction : si je réagissais mal ou si je l’interrompais, elle pouvait penser que je considérais ça comme un point faible.

En réalité, qu’elle le dise ne me faisait ni chaud ni froid.

Kamuro — Et donc vous vous êtes retrouvés tous les deux ici par hasard ? C’est une mince possibilité cependant.

Sakayanagi — Oui, je te l’accorde. N’est-ce pas, Ayanokôji-kun ?

Moi — Certes.

Bien que je n’aie jamais fait sa connaissance avant de venir ici, il n’y avait techniquement rien d’incorrect dans ce qu’elle disait. Elle me connaissait, pas l’inverse.

Kamuro — Est-il donc si redoutable ? On ne dirait pas.

Tout comme Sakayanagi l’avait  fait plus tôt, Kamuro alla droit au but. Dans un certain sens, peut-être que les deux étaient vraiment similaires.

Sakayanagi — Je te trouve très curieuse d’un coup !

Il semble que les quelques fois où j’avais rencontré Kamuro lui avaient donné une certaine image de moi. La même chose pour Sakayanagi à l’époque, d’ailleurs.

Kamuro — Tu peux demander à n’importe qui et ils penseraient probablement la même chose que moi. Tu n’as jamais autant fait une fixette sur quelqu’un comme ça avant.

Sakayanagi — Tu me semblais être quelqu’un de très insouciante qui ne posait pas trop de questions, voilà pourquoi je t’ai confié la garde d’Ayanokôji-kun. Mais… On dirait qu’on y peut rien ?

Sakayanagi sembla un peu surprise mais aussi un peu ravie à certains égards. Je pensais au départ qu’elle ne faisait que jauger mes réactions, mais peut-être bien que celles de Kamuro l’intéressaient aussi.

Pendant qu’elles parlaient, nous arrivâmes à notre destination.

Sakayanagi — Personne ne nous dérangera si nous parlons ici.

Nous étions arrivés au bâtiment spécial. C’était certainement calme étant donné que la fin des cours était passée.

Sakayanagi — Eh bien, Masumi-san. Je m’excuse mais je vais te dire de rentrer sans moi.

Sakayanagi avait apparemment fait marcher Kamuro jusqu’ici simplement parce qu’elle voulait un interlocuteur.

Kamuro — D’accord…

Sakayanagi avait finalement décidé de congédier Kamuro sans trop lui parler de moi. Kamuro rebroussa chemin et descendit l’escalier sans résister, ce qui me faisait dire qu’elle savait sûrement qu’il allait en être ainsi.

Moi — Ça ira vraiment ?

Sakayanagi — Oui. Enfin, sauf si tu voulais que je lui révèle autre chose.

Moi — Bof. C’est toi qui vois.

Si je montrais des signes de faiblesse ici, je lui donnais une chance d’en profiter. Il n’était pas nécessaire de donner à Sakayanagi des informations supplémentaires.

Moi — Je vois que je suis notoirement reconnu comme ton ennemi. Je suppose que je suis prêt à l’accepter pour le moment.

Ma réponse et le raisonnement sous-jacent étaient si évidents que Sakayanagi comprit sans problème le sens de mes paroles.

Moi — Aller jusqu’à faire revenir Kamuro sans toi, de quoi veux-tu me parler ?

Nous avions passé beaucoup de temps sur le chemin, il ne restait donc pas grand-chose avant ma rencontre avec Hirata. Je la poussai donc à aller droit au but.

Sakayanagi — Il s’agit de notre promesse.

Moi — Oui. J’avais accepté de me confronter à toi lors du prochain examen spécial. Donc, cet examen du coup.

Sakayanagi — Oui, c’était certainement le plan. Cependant… si tu es d’accord, j’aimerais reporter à la prochaine fois. Cet examen complémentaire n’est pas une compétition entre les classes. Il s’agit plutôt d’un processus de sélection qui nous permet d’évaluer nos propres pairs. La seule façon d’influencer les autres classes est de faire des votes positifs, et nous ne pouvons pas nous attaquer les uns aux autres même si nous le voulons… Alors ne serait-il pas mieux de reporter notre match à la prochaine fois ?

En d’autres termes, elle était ici pour me dire que cet examen spécial particulier ne comptait pas puisque pas appropriée pour notre combat.

Sakayanagi — Alors, tu es d’accord ?

Moi — Et bien, pourquoi pas.

Lui ayant donné la réponse qu’elle attendait, Sakayanagi m’exprima sa gratitude.

Sakayanagi — Merci beaucoup. Je me demandais ce que je devrais faire si tu n’acceptais pas. Maintenant, je vais pouvoir me concentrer sur la politique interne de la classe A. Bien que…

Moi — Hmm ?

Sakayanagi — Parce que nous avons convenu d’une trêve, je suppose que je vais te dire quelque chose pour gagner ta confiance. Pour cet examen, je ne ferai rien qui puisse vous désavantager.

Elle donna sa parole, limitant ses propres actions pour aller de l’avant.

Sakayanagi — Dans le cas peu probable où j’interférerais avec la classe C d’une manière ou d’une autre et que cela avait un impact négatif sur vos résultats… je n’hésiterais pas à accepter ma défaite. Il serait parfaitement acceptable que tu ne te sentes plus tenu par aucune promesse si je ne respecte même pas mes engagements.

Moi — De toute façon, si mes camarades de classe devaient concentrer leurs votes négatifs sur moi, il n’y aurait pas de prochaine fois.

Je serais alors expulsé. Fin de l’histoire.

Sakayanagi — En plus, oui. Quoi qu’il en soit, tu peux avoir l’esprit tranquille. C’est tout ce que j’essaie de te dire.

Ses paroles sentaient plutôt la convenance, mais je suppose que c’était ce qu’il fallait pour gagner ma confiance.

Moi — D’ailleurs tu n’as pas peur pour toi non plus ?

Sakayanagi — Fufu. Tu es bien drôle.

Presque tous les élèves de la classe A faisaient partie de la faction Sakayanagi. Elle était donc persuadée que la classe n’allait pas tenter d’éliminer son propre chef.

Sakayanagi — J’avais déjà décidé qui allait être expulsé dès l’annonce de l’examen.

Moi — C’est plutôt une bonne nouvelle.

Sakayanagi avait pu prendre cette décision précisément parce qu’elle était sur le trône de la classe.

Moi — Alors, quand comptes-tu le dire à ta classe ?

Sakayanagi — Mais c’est déjà fait, depuis longtemps. En le faisant savoir à l’avance, c’est plus facile pour le reste de la classe, n’est-ce pas ?

Ce n’était certainement pas sympa pour l’élève visé. Mais, d’un côté, le reste pouvait avoir l’esprit tranquille.

Sakayanagi — Sais-tu qui j’ai choisi ?

Moi — Et bien, je n’en sais rien.

Bon, en vérité, j’avais ma petite idée.

Sakayanagi — Katsuragi Kōhei-kun.

Moi — Un choix raisonnable ?

Sakayanagi — C’est l’ancien chef de la classe A qui s’est opposé à moi plus tôt dans l’année. Après tout, il n’est pas nécessaire que deux personnes se retrouvent au sommet d’une même classe.

Katsuragi était une personne calme et posée. Il savait très probablement qu’il allait être le bouc émissaire dès l’instant même où il avait entendu les détails de l’examen. Il avait apparemment accepté son sort sans résistance. Il y avait encore quelques étudiants qui continuaient à suivre Katsuragi comme Yahiko, mais ils étaient bien peu nombreux.

Moi — Je sais que tu le voyais comme un ennemi depuis le début, mais j’ai l’impression qu’il a pris du recul sur cet objectif de diriger la classe.

Katsuragi était un élève excellent, bien au-dessus des autres personnes en classe A même. Je me disais que c’était dommage pour eux de le perdre, mais

Sakayanagi semblait voir les choses autrement.

Sakayanagi — Parmi mes amis, beaucoup le détestent déjà. Ils ne peuvent tout simplement pas être d’accord avec sa façon de penser conservatrice. Alors si je peux rendre service en le menant à la porte de sortie…

Elle semblait avoir choisi entre garder de bons éléments ou travailler sur la cohésion de groupe.

Moi — Mais ça te va de me le dire comme ça ?

Sakayanagi — Ce n’est pas comme si tu allais faire quelque chose en coulisses pour le protéger, n’est-ce pas, Ayanokôji-kun ?

Il ne semblait pas que ça allait en valoir la chandelle, en effet.

Sakayanagi — Et vous, en C, vous avez prévu quoi ?

Moi — Qui sait. Je n’y participerai pas. J’ai l’intention de laisser toutes les décisions à mes camarades de classe.

Sakayanagi — En fin de compte… il vous suffit juste d’enlever un mauvais élément.

Sakayanagi semblait s’amuser en y pensant.

Sakayanagi — Il n’est pas nécessaire de réfléchir à ce que la classe D a l’intention de faire. Ils vont clairement se débarrasser de Ryuuen-kun.

Je ne pouvais qu’être d’accord. En plus, pour la classe A, il n’y avait pas d’avantages particuliers à donner un coup de main à Ryuuen. Au contraire, la classe A voulait même certainement le voir partir, même si cela signifiait renoncer à une chance de se débarrasser du contrat contraignant qu’il avait  passé avec Katsuragi.

Sakayanagi — Mais je n’ai aucune idée de ce que fera la classe B. J’ai vraiment hâte de voir qui sera expulsé de cette classe soudée. Mais peut-être qu’Ichinose-san a trouvé une solution intéressante ?

Moi — Désolé, mais je vais devoir y aller.

Elle était libre de disserter autant qu’elle le souhaitait. C’était juste que je préférais qu’elle le fasse toute seule.

Sakayanagi — Tu as raison. On peut en rester là pour l’instant. Après tout, le prochain examen spécial commence la semaine prochaine.

Le bruit caractéristique de sa canne frappant le sol résonna dans tout le couloir. Pendant une fraction de seconde, le regard de Sakayanagi se tourna vers les caméras de surveillance installées près du plafond. Le mouvement était si subtil que je n’aurais pas pu le remarquer si je ne l’avais pas observé de près.

Je n’avais pas pu déterminer si c’était intentionnel ou s’il s’agissait simplement d’un coup d’œil aléatoire et occasionnel ailleurs.

Sakayanagi —  Eh bien, notre match sera décidé par l’examen spécial final de l’année, comme convenu à l’origine. C’est une promesse.

J’acquiesçai de la tête avant de quitter le bâtiment spécial.

6

Il n’y avait pas beaucoup d’endroits vraiment adaptés pour se retrouver après les cours. Habituellement, les gens se rencontraient au café du centre commercial Keyaki mais, désormais, les choses étaient un peu différentes.

Hirata — Merci d’être venu.

Moi — Ho ne t’en fais pas, Hirata. Je voulais aussi te parler.

Hirata — Je suis heureux de l’entendre. Et si on marchait un peu ?

Après nous être retrouvés à l’entrée sud, Hirata fit une rapide vérification des environs avant que nous ne commencions à marcher.

Hirata — Désolé Ayanokôji-kun. Ça te dérange si on change un peu de plan ?

Moi — Comment ça ?

Hirata — Est-ce un problème si nous parlons plutôt dans ma chambre ? Je pense que je me sentirais mieux si nous faisions comme ça.

Moi — Allons-y.

Hirata — Merci.

Il semblerait que le centre commercial n’était pas un très bon endroit pour ce dont il voulait parler. On dirait qu’il ne voulait pas que quelqu’un écoute notre conversation. Hirata entama brièvement la discussion alors que nous marchions vers les dortoirs.

Hirata —  L’année de seconde s’achève pour nous. Comment tu l’as vécu, toi, Ayanokôji-kun ?

Il poussa un soupir en levant les yeux au ciel.  

Moi — Entre l’envoi sur l’île déserte et la participation forcée au camp d’entraînement, ce fut une année assez fatigante.

Hirata — Oui. C’était vraiment dur, mais je me suis quand même amusé. Depuis que je me suis inscrit ici, j’ai l’impression d’avoir réussi à établir des relations de confiance avec les gens qui m’entourent.

Moi — Oui c’est vrai, moi aussi.

Je n’avais pas nié la chose. Il y avait encore beaucoup de gens dans la classe qui ne se supportaient pas. Cependant, l’ennemi d’un ennemi est un ami. Tout au long du processus d’obligation de travailler ensemble, des liens s’étaient inévitablement créés.

Hirata — Honnêtement… Il n’y a jamais eu de problèmes jusqu’à ce que cet examen commence.

Une ombre planait sur le visage souriant de Hirata.

Moi — C’est de ça que tu voulais me parler, hein ?

Hirata — Oui. Désolé…  Je suis bien conscient que ce n’est peut-être pas trop ce que tu veux.

J’avais décidé de ne pas m’impliquer activement, quel que soit le type d’examen spécial.

Il fallait toutefois noter que, lors des examens précédents, Horikita avait  toujours ignoré mes états d’âme pour demander ma coopération. Mais, cette fois, c’était exactement le contraire. Pire, Hirata était venu me solliciter avant elle. Peut-être avait-elle gagné en maturité. Ou alors avait-elle finalement compris qu’elle n’allait rien obtenir de moi, la fréquence des demandes baissant au fur et à mesure de l’année.

Hirata — Cet examen… Je n’arrive pas à trouver de solution. Peu importe combien de fois j’y pense, rien ne me vient à l’esprit. Peu importe combien de fois…

En regardant de près, je pouvais voir des cercles noirs sous les yeux deHirata. Je me demandais s’il n’avait  pas pensé à l’examen toute la nuit, incapable de dormir suffisamment.

Moi — Je crois que plus on est une personne qui pense aux autres, plus cet examen est difficile.

Hirata — Hein… ?

Moi — Rien, ne t’inquiète pas.

Si je disais quelque chose d’imprudent ici, Hirata n’allait faire que plonger encore d’avantage. Pour l’instant, il valait mieux faire profil bas.

Hirata — Si… s’il y a un moyen de sauver la classe, dis-le-moi.

À cause de ma réponse, il s’était en quelque sorte fait une fausse idée, pensant que j’avais une solution.

Moi — Réunir 20 millions de points privés, c’est faisable ?

Hirata — J’ai essayé de faire les calculs, mais il n’est pas possible d’obtenir autant de points. Hier, j’ai essayé d’en parler avec des gars de classe du club de football, mais ils attendent tous les examens spéciaux auxquels ils seront confrontés la semaine prochaine.

Moi — Ils n’ont donc pas mis grand-chose de côté alors ?

Hirata — En gros, oui…

En fin de compte, le nombre d’options disponibles pour éviter de perdre quelqu’un était bien trop limité.

Moi — Désolé, je n’ai vraiment pas d’autre idée. Mais promis, si quelque chose me venait à l’esprit, tu serais le premier au courant !

Hirata —  C’est… Eh bien, merci.

C’était la meilleure réponse que je pouvais lui donner à ce stade. Faisant de son mieux pour sourire, Hirata me remercia.

Cet examen spécial était à la fois extrêmement facile mais aussi extrêmement difficile.

D’un certain point de vue, le véritable objectif de cet examen était limpide, mais Hirata ne le voyait pas : éliminer un élève inutile. À la minute où Chabashira avait commencé à expliquer les règles, Kôenji et moi-même avions déjà déterminé la finalité de l’évènement.

Bien sûr, il n’y avait aucun moyen de garantir précisément « qui » allait être expulsé. Tout ce qui comptait pour l’élève lambda, c’était de sauver sa peau. Mais il en était autrement pour les élèves comme Hirata. Voilà pourquoi il s’était retrouvé dans cette spirale infernale.

Hirata —  Ayanokôji-kun, tu crois que c’est bien que quelqu’un soit expulsé ?

Moi — Ce serait bien que personne ne soit expulsé à la fin de l’examen. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Hirata —  Oui, tu as raison. Mais, il doit y avoir quelque chose…

Moi — Est-ce que tu n’as pas du mal à dormir car tu connais déjà la réponse, au fond ?

Je pris la parole pour l’interrompre.

Hirata —  C’est…

Le silence s’installa entre nous alors que nous approchions de l’entrée du, dortoir, notamment car nous commencions à apercevoir plusieurs élèves discutant dans le hall. Mais nos yeux s’arrêtèrent sur une personne bien précise assise sur un des canapés de la salle commune.

Kôenji — Tiens, si ce n’est pas le petit Hirata et le petit Ayanokôji. Quelle superbe coïncidence !

Hirata —  Hé Kôenji-kun. Tu attends quelqu’un ?

Il nous avait remarqués immédiatement après notre entrée dans le bâtiment.

Kōenji — Ça t’intéresse ?

Kôenji répondit à la question de Hirata par une autre question.

Hirata —  J’admets que je pourrais penser que c’est inhabituel.

Kôenji — J’aime ta franchise ! Enfin non, je n’attends personne.

Bien qu’il ait répondu à la question, cela n’expliquait toujours pas ce qu’il faisait ici. D’une manière générale, Kôenji n’était pas le genre de personne à passer son temps à traîner dans un endroit comme celui-ci.

Hirata — Allons-y.

Hirata se rendit à l’ascenseur et appuya sur le bouton d’appel. Ensuite, d’un seul coup, Kôenji s’exprima.

Kôenji — Eh bien, faîtes de votre mieux pour rassembler la sagesse nécessaire pour réussir cet examen !

Hirata — …Tu ne changeras jamais, n’est-ce pas, Kôenji-kun ?

L’attitude de KÖenji semblant quelque peu lui peser. Le doigt de Hirata s’était arrêté un court instant, juste avant d’appuyer sur le bouton.

Kôenji — Il n’y a aucune raison pour que je change pour un examen comme celui-ci.

Hirata — Vraiment ?

Il était rare de voir Hirata s’énerver comme ça. Il se retourna et fit face à Kôenji. Hirata était toujours calme et posé, jusqu’à la fin.

Hirata — Tu dis que tu n’as aucune raison de changer mais, dans un sens, je me demande si tu ne fais pas partie de ceux qui en ont le plus besoin justement ! J’ai bien peur que… nos camarades de classe te singularisent et fassent de toi une cible.

C’était à la fois une façon pour Hirata de montrer son inquiétude et à la fois de  faire des menaces. C’étaient des mots qui traduisaient bien son désir de coopération. Hirata espérait que Kôenji y soit réceptif.

Kôenji — Tes inquiétudes ne sont pas fondées. Et puis, en tant que chef de classe, ne devrais-tu pas être celui qui me sauve ?

Jusqu’à la fin, Kôenji n’avait donc pas l’intention de faire le moindre compromis.

Hirata — Il y a des choses que même moi je ne peux pas faire. Il se peut que je ne sois pas capable de répondre à tes attentes, cette fois.

Kôenji — Oh que si, j’en suis certain.

Malgré le fait que Hirata soit au plus bas, Kôenji n’hésita pas à placer ses espoirs en lui. Je me demandais si c’était sincère ou pas.  En se levant du canapé, Kôenji s’approcha de lui et lui fit une légère tape sur l’épaule.

Kôenji — Après avoir pris soin de tes camarades, n’oublie pas d’aller jeter les ordures s’il te plaît !

Au moment où ces mots sortirent de la bouche de Kôenji, Hirata appuya fermement sur le bouton d’appel.

Hirata —…Allons-y Ayanokôji-kun.

Moi — Oui…

Le ton de Hirata, qui était jusqu’alors amical, contint désormais de légères traces de colère. Il y avait donc des ordures parmi nos camarades de classe. Hirata ne pouvait probablement pas s’empêcher de se sentir irrité par ce sous-entendu violent de Kôenji. Il ne se remit à parler qu’après la fermeture de la porte de l’ascenseur derrière nous.

Hirata — Haa… Désolé. Je t’ai laissé voir quelque chose d’un peu gênant.

Moi — Ne t’en fais pas, les opinions de Kôenji sont gênantes par nature.

Hirata força un léger sourire avant de baisser la tête.

Hirata — Tu trouves aussi… Au fond, je sais que c’est un peu irréaliste d’empêcher l’expulsion. Mais ça m’énerve de me résigner.

L’ascenseur arriva à l’étage de Hirata. Nous entrions donc dans sa chambre.

Hirata — Entre !

Moi — Désolé pour le dérangement.

C’était la première fois que j’allais dans sa chambre. Fondamentalement, la décoration intérieure était simple, presque comme celle de ma propre chambre. Il y avait  une odeur légère et douce dans l’air, semblable à celle d’un  désodorisant. C’était minimaliste mais on sentait sa patte, ce qui en donnait une chambre très agréable.

Hirata — Installe-toi. Tu veux un café ?

Moi — Volontiers. Désolé encore de te déranger.

Hirata — Ne t’en fais pas, c’est moi qui t’ai fait venir.

C’était une expérience relativement nouvelle pour moi, puisque j’étais habituellement celui qui recevait.

Hirata — Pour en revenir à ce qu’on disait tout à l’heure…

Il se remit à parler alors qu’il préparait le café dans la cuisine.

Hirata — Je me demande s’il n’y a vraiment pas moyen de sauver tout le monde.

Moi — Moi aussi. Mais j’ai vraiment du mal à penser à quoi que ce soit.

Je ne l’aidais pas plus que tout à l’heure. Bien qu’il s’attende sûrement à cette réponse, Hirata semblait toujours chercher le salut. Je voulais le consoler, mais cela semblait avoir eu l’effet inverse.

Hirata — Si même toi, tu ne vois rien, je doute que quelqu’un d’autre en soit capable.

 Moi — Tu me surestimes.

Je n’avais aucune idée du moment à partir duquel il avait commencé à avoir une si haute estime de moi.

Hirata — J’ai le sentiment que tu es l’une des personnes les plus fiables de la classe depuis que cette affaire avec Karuizawa-san a été réglée.

Hirata parlait comme s’il voyait la vraie nature de mon cœur.

Moi — Je ne suis pas vraiment sûr.

Lorsque l’eau finit de bouillir, il me tendit une tasse de café.

Hirata — Je le pense vraiment. Mais tu es très modeste, donc tu vas probablement le nier.

À ce stade, quoi que je dise, cela aurait été un gaspillage d’efforts. Même si je niais ses affirmations, Hirata n’allait pas me croire. Je commençais à réfléchir à une façon de changer de sujet, mais Hirata poursuivit rapidement, semblant anticiper mon intention de le faire.

Hirata — Le fait que quelqu’un doive être expulsé pendant cet examen… Je n’arrive pas à l’accepter, même si je fais des efforts. Il n’y a pas de personne qui ne s’inquiéterait pas si un camarade de classe était obligé de partir.

Moi — Ce n’est pas comme si je ne comprenais pas où tu voulais en venir. Mais on n’a tout simplement pas d’autre choix. Il nous faut donc prendre une décision.

Hirata — Une décision, hein ? Ayanokôji-kun… Tu penses à quelqu’un en particulier ?

Il me regarda d’un air curieux. Son regard était à la fois doux mais… Il y avait autre chose.

Moi — Pas vraiment.

Peut-être trouvait-il ma réponse lâche, mais c’était vraiment ce que je pensais pour le coup. Même s’il y avait  quelques élèves à prendre en considération, personne n’osait en proposer ouvertement un.

Moi — Dans tous les cas, nous n’avons pas d’autre choix que de l’accepter, quel qu’il soit.

Hirata — Comme c’est mesuré. Comparé à quelqu’un comme moi, t’es bien plus taillé pour être chef de classe.

Hirata prit l’initiative de rassembler la classe plus tôt dans l’année, mais ses propos étaient maintenant empreints d’une timide incertitude. Il y avait une seule chose précise qu’il pouvait faire pour se préparer.

Hirata — Que dois-je faire pour aller de l’avant ? Comment dois-je faire face à cet examen ?

C’était peut-être un peu déplacé de lui donner des conseils, mais Hirata avait toujours aidé son entourage. Je voulais faire quelque chose pour l’aider…

Moi — Écoute, c’est juste mon avis. Mais voilà ce que je pense.

Hirata — Ok.

Moi — Mettons de côté pour un instant les idées idéalistes style « sauver tout le monde ». Au fond de toi tu t’es sûrement creusé la tête en te demandant qui est-ce qu’on allait choisir. Mais tu n’as pas pu te décider.

Mes paroles le troublaient manifestement un peu, mais Hirata finit par acquiescer.

Moi — Dans ce cas, pourquoi ne pas essayer de faire le contraire ? Au lieu de penser « De qui devrions-nous nous débarrasser », pense plutôt « Qui devons-nous sauver ? ».

Hirata — Qui devrais-je sauver… ? Bien sûr que je veux sauver tout le monde…

Moi — Classe tous les élèves, toi y compris, du plus important au moins important. Cela t’aidera à dégager une liste de priorité. Bien sûr, certains élèves peuvent avoir à peu près la même importance, mais essaye quand même de dégager un classement sans égalité. Selon les critères de ton choix. Ça peut être les gens que tu apprécies le plus ou alors selon l’utilité objective et la contribution dans la classe.

En établissant un tel classement, il y allait inévitablement avoir un élève à la dernière place.

Hirata — C’est… Mais…

C’était une solution incroyablement simple. Cependant, Hirata n’était pas en mesure de l’appliquer. Son cœur était toujours en proie à l’idée de sauver tout le monde. Il pensait probablement que classer ses camarades de classe de cette manière était impossible.

Hirata — Disons que j’établis un classement. Au final il sera assez subjectif, donc sûrement différent de celui de quelqu’un d’autre…

Il continuait à se chercher des excuses. À ce rythme, le jour de l’examen spécial allait arriver avant qu’il ne prenne la moindre décision.

Moi — Et c’est très bien. Je pense d’abord que tu devrais émettre ton propre avis, pour commencer.

Pour l’instant, c’était le seul conseil que je pouvais lui donner. De plus, quel que son jugement, il lui appartenait de décider par lui-même.

Je pris une gorgée du café qu’il m’avait  préparé. Il semblait provenir d’une marque différente de celle que j’achetais habituellement, car il avait  une amertume très prononcée.

Hirata — Eh bien, oui. Tu as probablement raison… Récemment, j’ai été consumé par le désir de fuir tout ça.

Hirata suivit mon conseil et fit de son mieux pour l’accepter. Rien n’était d’ailleurs dit qu’il allait s’y mettre tout de suite. Peut-être avait-il besoin d’un peu plus de temps pour digérer l’idée. Mais je sentais qu’il essayait.

Hirata — Haa… D’accord. Merci.

Hirata fit sortir ces mots. Notre conversation semblait avoir atteint un point d’arrêt.

Moi — Puis-je demander quelque chose d’un peu indiscret… ?

En changeant soudain de sujet, je décidai de poser des questions sur un sujet qui m’intriguait.

Hirata — Hm ? Quoi donc ?

Moi — Tu as reçu des propositions depuis ta rupture avec Karuizawa ?

Hirata — C’est une question inattendue. Je n’aurais jamais pensé que tu me demanderais un truc pareil !

Le visage de Hirata était épris d’un mélange de surprise et d’ahurissement.

J’étais intéressé par ses amours potentiels en raison de ma conversation passée avec notre camarade de classe, Mii-chan. Avant l’examen de fin d’année, elle m’avait  demandé conseil parce qu’elle s’intéressait à lui. J’étais donc curieux de savoir ce qui s’était passé. Je me demandais même si elle avait déjà commencé à agir.

Hirata — Eh bien, je ne dirai pas qui, mais… oui, une fille m’a tendu la main.

En d’autres termes, les filles commençaient déjà à se déclarer à Hirata. Que ce soit Mii-chan ou non, je n’avais pas l’intention de creuser davantage.

Quoi qu’il en soit, les gars attirants comme Hirata étaient vraiment incroyables. Les filles se jetaient constamment dessus, même s’ils ne faisaient rien. Bon, dans le cas de Hirata ce n’était pas tout à fait vrai puisque, au contraire, il avait un mode de vie qui ne laissait jamais place au relâchement.

Moi — Et tu sors avec cette fille ?

Hirata — Certainement pas. Je ne vais pas sortir avec quelqu’un en ce moment.

Il affirma avec détermination sa position sur la question.

Moi — Est-ce que… Il y a tout de même quelqu’un qui te fait de l’œil ?

Je pouvais le comprendre s’il n’avait vraiment d’yeux que pour une autre.

Hirata — Sortir avec quelqu’un… c’est juste trop pour moi en ce moment. Je ne suis pas apte.

Moi — Si quelqu’un comme toi dit ça, qu’est-ce que je devrais dire moi ?

D’abord, quand il s’agit de tomber amoureux, il n’y a pas besoin d’aptitudes.

Hirata — L’amour, je crois que ce n’est pas trop mon truc.

Plus la personne est capable, plus elle est humble. Moins la personne est capable, plus elle est arrogante.

Finalement, notre conversation se termina sans qu’aucun de nous deux ne s’attarde trop sur le sujet.

7

Moi — Désolé de t’avoir appelé si tard, Ichinose.

Ce soir-là, à onze heures passées, j’invitai Ichinose dans ma chambre. Il n’aurait pas été bizarre pour elle d’être sur ses gardes et de refuser l’offre, mais elle ne semblait pas avoir de problème avec cela.

Ichinose — Non, c’est très bien ! Mais il est assez rare que tu prennes les devants comme ça.

Moi — C’est parce que je voulais vraiment te parler. N’hésite pas à te mettre sur le lit, le sol est peut-être un peu froid.

Après avoir exprimé sa gratitude, Ichinose s’assit sur le lit.

 Ichinose — Hé… Mon cœur bat un peu vite…

Moi — Hmm ?

Ichinose — Oh. Non, rien. Pourquoi on ne pouvait pas se parler au téléphone ?

Je pris une tasse blanche en mettant de l’eau à bouillir dans une bouilloire.

Moi — Je voulais confirmer avec toi tout un tas de choses difficiles à transmettre juste en parlant au téléphone

Ichinose — Je vois

Moi — Je suppose que je vais aller droit au but et te demander directement. Quels sont tes projets pour l’examen ?

Ichinose — Tu veux poursuivre notre conversation de ce matin ? Eh bien, j’ai beaucoup réfléchi à la façon de surmonter l’examen sans que personne ne soit expulsé… je suppose.

Moi — Et tu es arrivé à une solution concrète ?

Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule et je voyais qu’elle essayait de répondre à la question. Bien sûr, nous savions tous les deux qu’il n’y avait pas 36 solutions, à savoir des millions de points privés.

Ichinose — Uhm… Pas encore malheureusement… Il ne reste déjà plus beaucoup de temps, alors je commence à être un peu stressée.

Elle n’avait l’air de rien cacher si je me basais sur ses paroles ou son comportement. Ça m’a rappelé que, lors de l’examen spécial sur le bateau de croisière, j’avais été impressionné par sa maitrise du poker face[1]

Moi — Pourquoi ne pas demander de l’aide au président Nagumo ?

Ichinose — Quel genre d’aide ?

Ce genre de proposition suscitait normalement l’étonnement quand elle sortait de nulle part, comme je l’avais fait. Or Ichinose ne semblait pas surprise du tout. Néanmoins, ce que j’allais lui dire ensuite allait peut-être la faire réagir à l’intérieur. Quand l’eau de la bouilloire commença à bouillir, je préparai une tasse de chocolat chaud et je le lui tendis.

Ichinose — Merci.

Moi — Cet examen complémentaire est différent de tous les autres. Il ne peut pas être réussi sans l’abandon d’un élève. La seule issue est de dépenser 20 millions de points privés. Peu importe le nombre de points que la classe B a accumulés, il n’est pas possible d’atteindre les vingt millions. Dans cette hypothèse, vous n’auriez pas d’autre choix que de demander l’aide d’un tiers.

Les yeux d’Ichinose se tournèrent vers son chocolat chaud, laissant échapper de petites respirations régulières pour le refroidir.

Ichinose — Ah oui ? En vérité, j’en avais touché deux mots à Asahina-senpai. Mais je ne pensais pas qu’elle t’en parlerait.

Elle sembla se rendre compte qu’il ne servait à rien d’essayer de le cacher plus longtemps, faisant immédiatement le lien avec la façon dont je savais ce que je faisais.

Ichinose — Alors, je suppose que tu as aussi entendu parler de sa condition pour me prêter les points dont nous avons besoin ?

Alors que je répondais par un petit signe de tête, un sourire amer se dessina sur son visage

Ichinose — C’est ridicule, pas vrai ? À bien des égards…

Prêt de points privés contre une relation. Et elle envisageait sérieusement cette solution.

Ichinose — Nagumo-senpai m’a plus ou moins interdit de révéler quoi que ce soit sur notre accord. Il m’a dit que si je le faisais, je pouvais oublier. Mais comme c’est Asahina-senpai qui a vendu la mèche, je devrais probablement ne pas avoir de problème.

Moi — Ne t’en fais pas pour ça…

Ichinose — Tu dis ça, mais ça n’a rien à voir avec toi, n’est-ce pas… ?

Moi — Peut-être, oui.

C’était le problème de la classe B, et la décision d’Ichinose.

Moi — Combien de points supplémentaires il vous faut ?

Ichinose — Un peu plus de quatre millions.

Le simple fait d’entrer en relation avec elle permettrait de savoir le nombre de points qui leur fallait, elle et sa classe.

Moi — Nagumo ne blague pas sur la condition, en tout cas !

Ichinose — Oui. En théorie, que ce soit emprunter des points ou sortir avec Nagumo-senpai… les deux ne me ressemblent pas. Mais bon, je lui demande une faveur, c’est logique qu’il veuille quelque chose en retour.

En l’écoutant, j’avais juste compris qu’il était inconcevable de laisser quelqu’un de sa classe être expulsé. Quitte à se sacrifier.

Ichinose — C’est à peu près la seule façon de sauver tout le monde en classe B.

Moi — Et si…

À ce stade, je ne pouvais rien dire pour l’aider. Les points privés étaient la seule chose physiquement capable d’aider Ichinose à l’instant T. Et quatre millions est un chiffre que même moi je ne pouvais pas obtenir, malgré tous mes efforts.

Ichinose — Est-ce que tu… tu t’inquiètes pour moi ?

Moi — Je suis désolé, je me mêle un peu de ce qui ne me regarde pas…

Ichinose — Pas du tout. Au contraire, ça me fait plaisir.

Malgré sa réponse, son expression était encore un peu trouble.

Ichinose — Mais, je suis encore un peu troublée, honnêtement… Je n’aurais probablement pas hésité si on ne s’était pas parlé !

Ichinose prit une petite gorgée de son chocolat chaud.

Ichinose — Et toi, qu’en penses-tu, Ayanokôji-kun ?

Moi — A propos du marché de Nagumo ?

Ichinose — Oui, de ton point de vue. Qu’est-ce que ça t’inspire ?

Ichinose me fixa droit dans les yeux.  Je lui répondis, en portant tout le poids de ses attentes.

Moi — C’est le seul moyen que tu vois pour empêcher l’expulsion d’un camarade de classe. Et tu y as pensé notamment parce que tu as rejoint le Conseil des élèves et que tu as noué des liens avec le président Nagumo.

Ichinose — Est-ce que ton estime de moi a baissé ?

Moi — Ce n’est pas tant la question. Mais plutôt que, pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûr qu’il vaille la peine de payer vingt millions de points privés juste pour sauver un camarade de classe.

Ichinose — …Ah oui ?

Ichinose prit lentement une autre gorgée chocolat chaud

Ichinose — Dis, Ayanokôji-kun.

Elle maintenait le contact visuel.

Moi — Hmm ?

Ichinose — Ayanokôji-kun, es-tu réellement exceptionnel ?  

Je ne savais vraiment pas quoi répondre à ça.

Moi — Qu’est-ce qui te fais croire ça ? Désolé mais je ne me suis jamais considéré ainsi.

Ichinose — Cela ne te rend qu’encore plus étonnant si c’est vrai. Après tout, tu…

Elle retenu les mots qu’elle allait sortir.

Moi — Oui ?

Ichinose — Non, rien du tout.

C’était comme si elle ne comprenait même pas entièrement ce qu’elle voulait dire. Comme si ses lèvres avaient agi plus vite que son cerveau.

Ichinose — Qu’est-ce que… Je me demande… ?

Ichinose murmura doucement, semblant se poser la question.

Bien que cela ait été un peu forcé, j’ai été heureux de l’entendre en personne.  Je pouvais voir que, quoi qu’il arrive, Ichinose était déterminée à agir pour le bien de sa classe.

Après toute cette anxiété, Ichinose n’allait probablement pas tarder à prendre une décision. Celle d’entamer une relation avec Nagumo Miyabi.


[1] Visage impassible, inexpressif. Expression attribuée aux joueurs de Poker.

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