CLASSROOM Y2 V9,5 Chapitre 3

Jauger les intentions

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Traduction : Raitei
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Nous étions exactement le 26 décembre. Au vu de la pause dans les activités des clubs, Sudou et d’autres élèves de la classe se retrouvèrent au café du Keyaki à la demande de Maezono. Cette dernière avait stipulé vouloir discuter d’une chose importante concernant l’avenir de la classe. Il y avait ainsi au total huit personnes : Ike, Sudou, Shinohara, Matsushita, Mori, Mii-chan, Maezono et Onodera. Les gens du groupe s’étaient tout d’abord moqués de la chose, car le sujet était bien trop sérieux pour être initié de la part de Maezono. Mais surtout, les principaux moteurs de la classe comme Horikita et Hirata n’avaient pas été conviés. La plupart avaient accepté histoire de, même si Matsushita était restée sceptique tout le long. Mais cette dernière fit comme les autres et se présenta à la réunion sans rechigner, peut-être par effet de groupe.

 Maezono avait fixé le rendez-vous au café du Keyaki pour 11h30 et à ce moment-là, il manquait encore Ike et Shinohara. En observant les élèves déjà présents, les doutes de Matsushita s’accentuèrent, remettant en question l’intérêt d’une telle discussion dans un lieu aussi public. Elle était déjà surprise par le fait que Maezono prépare une réunion aussi importante, mais elle aurait préféré plus d’efforts dans le choix du lieu de rendez-vous. L’organisatrice ne se montra en aucun cas professionnelle et se contenta de discuter avec certains, éclatant de rire en se remémorant une émission la veille. Matsushita, relativement proche de Maezono, avait remarqué qu’elle semblait plus vive ces derniers jours.

— Désolé de vous avoir fait attendre

Sortant Matsushita de ses pensées, Ike et Shinohara firent leur arrivée en se tenant la main, signe de leur bon terme. Ils s’assirent sur des chaises côte à côte qui avaient été placées pour eux en attente de leur venue.

Sudou — Vous montrez votre amour comme ça en pleine journée ? Et en plus vous êtes en retard !

Il n’hésita pas à réprimander Ike, vraisemblablement irrité par cette vue.

Ike — Huhuhu ! Mais pas du tout ! Pas vrai Satsuki ?

Shinohara — On n’essaye pas de se montrer ou quoi que ce soit Sudou-kun. Et puis tu parles, mais t’es un habitué des retards, non ?

En les voyant s’assoir sans lâcher leur main, Sudou laissa échapper un soupir.

Sudou — Ces derniers temps je ne suis plus en retard.

Sa réponse n’avait pas l’air d’atteindre Shinohara et les autres.

Maezono — Hé, ces deux-là…

Matsushita — On dirait bien.

Maezono avait chuchoté la chose à Matsushita et cette dernière acquiesça. Il est vrai que la relation Ike/Shinohara avait un peu changé depuis le 24/25 décembre. Les deux filles avaient probablement stipulé qu’ils avaient franchi un cap. Des rumeurs de relation amoureuse circulaient déjà pendant le voyage scolaire, mais sans réelle preuve. Mais là, il n’y avait plus de doutes.

Sudou — Foutu Kanji…

Sudou était ami avec Ike depuis le tout début de la scolarité et les deux avaient beaucoup de discussion sur les filles. Le soupir traduisait probablement sa frustration d’avoir été dépassé dans la course à la relation amoureuse.

Onodera — Ça ne va pas, Sudou-kun ?

Onodera, assise à côté de lui, ne parvenait pas à comprendre la complexité de tout ce qu’il ressentait. Inquiète, elle lui avait murmuré cette question. Après l’examen spécial du consensus, on craignait que des liens se brisent à cause des révélations de Kushida. Wang, dont les sentiments pour Hirata furent rendus publics, fut soutenue par Matsushita et ses amies, tandis que Shinohara, ridiculisée sur son physique, s’était complètement remise sur pied grâce Ike qui était là pour elle. Cette réunion était la preuve que les relations se rétablissait petit à petit.

Sudou — Maezono, commence.

Incapable de supporter la vue du couple, Il la pressa de débuter la réunion.

Maezono — Oui. Ahummm. Merci d’être là aujourd’hui.

Tout d’abord, Maezono exprima sa gratitude. De base, elle était agressive et parlait plutôt mal. Avec le temps, elle s’était adoucie et personne ne semblait sur le moment avoir de problèmes avec elle. Elle était même devenue proche de Wang et Satô. Matsushita était aussi en bon terme avec Maezono, mais elle ne la tenait pas en haute estime pour autant.

Sudou — Ça me va d’être ici, mais pourquoi il n’y a que nous ? On parle avenir de la classe si je me trompe pas.

Il partageait les mêmes doutes que Matsushita. Elle espérait ainsi que la conversation progresse.

Ike — C’est vrai ça. Maintenant que j’y pense.

Ike et Shinohara se regardèrent tandis qu’ils venaient de réaliser la chose. Matsushita, quant à elle, avait une théorie en tête, mais…

Maezono — Il y a une bonne raison. J’ai fait exprès de ne pas inviter Hirata-kun et les autres, car je veux éclaircir un truc avant le 3e trimestre.

Maezono expliqua qu’il s’agissait d’une décision bien réfléchie.

Mori — J’imagine que tu veux qu’on parle d’Ayanokôji-kun ?

À l’exception de Maezono, les sept autres personnes ne réagirent pas vraiment, semblant ne pas comprendre pourquoi le nom d’Ayanokôji était évoqué.

Maezono — Je vais être honnête même si c’est pas cool, mais je n’aime pas Ayanokôji-kun. Enfin, je trouve qu’il est difficile à comprendre.

Ayant jugé qu’elle était trop dure, elle se corrigea ensuite.

Wang — Pourquoi tu dis ça ?

Elle poursuivit ensuite, faisant face à l’évaluation franche de Maezono.

Wang — Ayanokôji-kun n’est pas du genre à causer du tort aux autres et il reste plutôt discret.

Elle ne comprenait pas en quoi Ayanokôji pouvait être dans son collimateur.

Maezono — Ok mais justement, il reste dans son coin et on sait pas à quoi il pense. Je n’aime pas ça. J’ai l’impression qu’il y a un décalage entre nous alors ça me met mal à l’aise. Voilà pourquoi je me méfie.

Matsushita — C’est donc unilatéral. Lui n’a pas de soucis avec toi.

Matsushita, qui était restée silencieuse jusqu’à présent, prit la parole.

Maezono — heu… oui c’est ça.

Ike — Ayanokôji est juste du genre introverti, non ? C’est vrai qu’il n’interagit pas beaucoup.

Ike était d’accord avec elle sur l’image que renvoyait Ayanokôji et les autres n’en pensaient pas moins. Mais on avait du mal à cerner si son côté imperturbable et sombre suffisait à ce qu’on le rejette. Cependant…

Sudou — Les choses ont changé. En tout cas, c’est mon avis.

Il fut le premier à émettre une objection.

Sudou — Déjà, il sortirait avec Karuizawa s’il était comme ça ?

Et pas seulement, il avait même fourni une justification.

Ike — Je reconnais que c’est dur à croire, mais quand même…

Ike campait sur ses positions même si l’argument de Sudou tenait la route.

Ike — Ces derniers temps, tu parlais beaucoup avec lui, non ? Vous êtes devenus amis quand ?

Ike dit cela, sous-entendant qu’il le défendait surtout à cause de son amitié. Sudou s’empara d’une tasse pleine et fronça les sourcils.

Sudou — Tu ne trainais pas avec lui l’an dernier peut-être ?

Ike — Oui, mais à ce moment-là c’était par effet de camaraderie, pas parce qu’on était amis. Tu le prenais vraiment comme tel ?

Sudou — Eh bien…

En pensant à leur début, il s’était soudainement arrêté dans son élan. Alors que Sudou et Ike se lançaient des regards aiguisés, Maezono intervint.

Maezono — Attendez, ne commencez pas à vous battre ! On n’a même pas commencé à parler. Comme il s’est justement rapproché d’Ayanokôji-kun ces derniers temps, je voulais lui poser des questions.

Les regards s’arrêtèrent net et Sudou prit une respiration avant de parler.

Sudou — Des questions ?

Maezono — De nous tous, c’est toi qui es le plus au fait de la situation d’Ayanokôji-kun actuellement.

Comprenant qu’il était inutile de tourner autour du pot, Maezono baissa légèrement le ton tout en allant droit au but. Pour les autres qui ne comprenaient pas encore, elle s’expliqua.

Maezono — Ayanokôji-kun n’est pas juste un simple gars qui reste dans son coin. Je crois qu’il cache quelque chose.

Tout le monde, y compris Ike et Shinohara, comprenait maintenant ses dires.

Wang — Cette réunion a pour objectif de discuter de ce qu’il cache ?

En réponse, Maezono hocha la tête non pas une, mais deux fois.

Maezono — J’ai bien entendu exclu Karuizawa-san ainsi que des gens proches comme Satô-san ou bien ceux avec qui il a des contacts comme le groupe de Hasebe-san. J’ai aussi enlevé Hirata et Horikita-san.

Wang — Pourquoi ? Ce ne serait pas mieux d’avoir leurs avis ?

Maezono — J’ai bien peur que non. Il doit y avoir parmi tous ceux que je viens de citer, des personnes qui le couvrent.

C’est pour cela qu’elle avait exclu ceux ayant beaucoup de contacts avec lui.

Sudou — Alors, pourquoi m’avoir fait venir ?

Maezono — On ne peut pas être productif dans cette réunion si personne ne sait rien de lui. Je pensais que tu serais honnête avec nous.

Il est vrai qu’il fallait quelqu’un avec des informations pour faire avancer la discussion. Maezono semblait fière de son choix de personnes ici.

Shinohara — Ok mais c’est vraiment nécessaire de faire ça en douce ?

Elle commençait à comprendre la situation, mais la trouvait encore confuse.

Maezono — Pour l’instant, oui. Il vaut mieux ne rien provoquer dans la classe. S’il n’y a rien, on tournera la page sans faire de vagues.

Shinohara — C’est vrai qu’Ayanokôji-kun est bizarre.

Les participants échangèrent un regard. Il y eut un moment de silence avant que quelqu’un ne soutienne l’opinion de Shinohara

Wang — Il y a aussi… des aspects de lui que je trouve énigmatiques.

Elle hésita, mais admit ce qu’elle ressentait.

Maezono — Je m’en doutais ! C’était sûr !

Heureuse de trouver quelqu’un partageant la chose, elle ne cacha pas sa joie.

Shinohara — Tu entends quoi par énigmatique ?

Shinohara se pencha en avant pour entendre son explication

Wang — L’OAA d’Ayanokôji doit être en dessous de la réalité.

Shinohara — D’ailleurs c’est quoi son OAA actuel ?

Ike sortit son téléphone et montra la chose à Shinohara.

Ike — C’est vrai que c’est bizarre.  Je peux pas accepter qu’il soit meilleur que moi.

Il fixa l’OAA affichée avec une expression sérieuse.

Sudou — T’es juste nul, Kanji.

Wang — Depuis le début de sa scolarité, son OAA s’est considérablement amélioré. Peut-être qu’il a travaillé dur pour développer ses capacités comme Sudou-kun, mais rien ne peut le prouver.

Sudou, autrefois classé dans les plus mauvais de la classe, avait une note globale de E. Mais à force de persévérance, il s’est amélioré dans le comportement et dans ses notes et tout le monde en était témoin. Ce n’était pas le cas d’Ayanokôji dont la classe avait vu ses prouesses d’un coup.

Maezono — Peut-être qu’il ne se donnait pas à fond ?

Maezono exprima son opinion avant que les autres n’aillent plus loin.

Wang — C’est une possibilité.

Ike — Il se retient ?

Maezono — Oui, il n’était sûrement pas sérieux jusque-là.

Ike — Quel serait l’intérêt ?

Maezono — Peut-être qu’il déteste travailler dur ?

Chacun avait son propre avis alors on se perdait dans la discussion.

Sudou — Attendez. Je comprends, mais vous allez pas un peu vite là ?

Matsushita — Ayanokôji-kun n’a pas l’air d’aimer se montrer alors peut-être qu’il a travaillé dur en secret, tout simplement.

Elle essaya d’arrêter la spirale négative, évoquant le fait qu’il avait fait comme Sudou, mais en secret. En effet, cacher ses capacités signifierait qu’il aurait pu contribuer à faire gagner la classe, mais qu’il avait choisi de ne rien faire.

Ike — À notre arrivée dans ce lycée, il avait l’air normal. Peut-être qu’il a vraiment fait des efforts dans son coin et qu’il s’est donné.

Il parla sans trop réfléchir, voulant soutenir Ayanokôji.

Maezono — Tu penses vraiment avoir compris, Ike-kun ?

Elle demanda cela avec un ton légèrement agacé.

Ike — Comment ça ? Où tu veux en venir ?

Maezono — Tu as remarqué que lors du dernier examen spécial, il avait réussi à résoudre parfaitement les cinq questions ?

Ike — Eh bien oui mais d’autres l’ont fait aussi non ?

Des élèves comme Horikita et Hirata, avec des capacités scolaires de B ou plus. Ils avaient obtenu des scores parfaits.

Maezono — Les problèmes qu’Ayanokôji-kun a résolus étaient bien plus difficiles que ceux de Horikita-san et des autres. J’ai vérifié les résultats des autres classes, et même les élèves ayant une note globale de A ont fait des erreurs. C’était un niveau de difficulté plus qu’élevé.

Maezono voulait signifier que des efforts ne suffisaient pas.

Matsushita — Mais il était peut-être juste bon en math, non ?

Maezono — Y’avait un seul problème de math.  Sinon c’était deux questions d’anglais, une question de chimie et une question de littérature moderne.

En rassemblant les sept personnes, Maezono avait fait ses recherches au préalable, soulignant qu’Ayanokôji n’était pas seulement fort en math.

Wang — C’est vrai que c’est étrange.

Wang, l’une des meilleurs élèves parmi eux, acquiesça.

Wang — L’écart entre l’OAA et ses capacités réelles semble encore plus grand que je ne le pensais.

Maezono — C’est vrai ? Tu es bien d’accord avec ça, hein ?

Matsushita voulait réfuter la conclusion de Maezono, mais elle se retint. Il aurait été exagéré de dire qu’il avait eu de la chance. Si elle le défendait trop, on aurait pu croire qu’elle le couvrait. Elle voulait que ce dernier contribue à la classe à l’avenir alors il fallait éviter qu’il s’attire les foudres des autres.

Ike — Il a peut-être eu une bonne intuition.

Matsushita fut sauvée par la remarque innocente d’Ike. Alors qu’il n’était pas décidé à défendre Ayanokôji, ce dernier prononça les mots qu’elle voulait dire.

Maezono — Ce n’est pas aussi simple. Ayanokôji-kun doit être doué.

Maezono affirma que la chance ne pouvait pas tout expliquer.

Wang — Y a-t-il d’autres raisons ?

Wang semblait intéressée par la vérité. Maezono baissa à nouveau la voix.

Maezono — Je l’ai entendu de quelqu’un. Pendant l’examen de l’île de cette année, on m’a dit que les tests académiques auxquels il a participé étaient extrêmement difficiles. Mais il a répondu correctement à tout.

Le fait qu’il soit déjà fort avant l’examen spécial de décembre était clairement suspect même si la source de Maezono restait floue.

Wang — Je n’ai pas la vérité, mais c’est vrai que le Ayanokôji-kun du début de lycée et celui de maintenant n’est pas le même. Son aura a changé d’une certaine manière. Hirata-kun semble lui faire confiance d’ailleurs, car ils s’appellent par leurs prénoms. C’est le seul avec qui Hirata-kun fait ça.

Elle avait observé Hirata plus que quiconque vu qu’elle avait des sentiments. Elle était donc crédible. C’est pourquoi, tout le monde l’écouta avec attention.

Maezono — Horikita-san dirige notre classe. Mais en coulisses, Ayanokôji-kun n’aurait-il pas été impliqué plusieurs fois ?

Onodera, Ike et Shinohara acquiescèrent avec force après la remarque passionnée de Maezono. Matsushita se rendait compte encore une fois que ses camarades commençaient à remarquer le potentiel d’Ayanokôji. Bien sûr, cela était dû au fait que ce dernier s’était montré bien plus que l’an dernier, mais le problème était la possibilité qu’il soit perçu négativement. Considérant cela, Matsushita décida qu’il était temps de changer de stratégie.

Matsushita — Maezono-san a peut-être vu juste. Ayanokôji-kun a maintenu des notes moyennes tout ce temps ce qui justifie son éval’ actuelle mais s’il avait été sérieux dès le début, il aurait eu un A.

Même Matsushita avait dû admettre la chose. Maezono eut le visage triomphal.

Maezono — Sudou-kun, tu sais un truc que l’on ignore ?

S’attendant à une réponse intéressante, elle interrogea un Sudou hésitant.

Maezono — Quoi ? Y a un truc ? Si c’est le cas, dis-le-moi.

C’était l’intuition féminine. Maezono avait observé son expression et le força à donner une réponse. Il faut dire qu’en début de première, il avait été témoin de l’incident avec Hôsen ce qui lui avait donné un aperçu de la force d’Ayanokôji. Devait-il parler de cet événement ? Etait-il nécessaire de garder le silence sur ses capacités physiques ? Il s’interrogeait dans son for intérieur. Si la vérité avait des conséquences négatives, il fallait garder le silence.

Sudou — Vous ne regardez que ses examens écrits, mais je pense que sa véritable force ne se résume pas à ça.

Maezono — Comment ça ?

Sudou — Vous l’avez vu, non ? La vitesse d’Ayanokôji durant la course de relais. Il est plus rapide que moi.

Bien qu’ils ne se soient jamais affrontés directement, Sudou s’était avoué vaincu. Mais ce n’était pas quelque chose qu’il apprenait aux gens, car tout le monde avait été témoin de la course face à Horikita Manabu.

Maezono — Mais tout le monde le sait déjà.

Mais ce que Sudou voulait en réalité faire comprendre était différent.

Sudou — Il n’est pas seulement rapide. Pour être honnête, c’est un peu frustrant, mais ses capacités athlétiques globales sont meilleures que les miennes.

Ike — Meilleures que les tiennes ?

Sudou poursuivit, choisissant ses mots avec soin de manière à transmettre avec précision en quoi Ayanokôji était sensationnel.

Sudou — Je pense que le seul domaine où je peux le battre est le basket. Mais même comme ça, je devrais me donner à fond.

Le fait que Sudou dise ça alors qu’il possédait les meilleures capacités athlétiques de son année, appuyait bien la théorie de Maezono.

Maezono — Ce serait incroyable, mais tu as des preuves de ça ?

Excitée, mais restant sur ses gardes, Maezono l’exhorta à s’expliquer. Mais pour ne pas parler de l’incident, Sudou inventa une histoire.

Sudou — En fait, je me suis déjà battu avec Ayanokôji. Après une dispute, j’avais essayé de le frapper, mais je n’ai pas réussi à l’atteindre une seule fois. C’est comme si…je sentais une forte pression en l’affrontant.

Il avait raconté son mensonge en buvant une gorgée d’eau. Il s’était remémoré le combat contre Hôsen où lui-même n’avait rien pu faire contre lui. Ayanokôji l’avait affronté sans la moindre hésitation et les avait sortis d’une situation chaotique en se faisant poignarder. Sudou avait été témoin de son impuissance alors même si le récit était factice, ses vrais sentiments y furent distillés ce qui rendit son récit crédible. Cela avait suffi à convaincre Maezono.

Shinohara — Si ça se trouve Karuizawa-san a commencé à sortir avec lui parce qu’elle a réalisé qu’il était plus intéressant que Hirata-kun.

Maezono — Si c’est le cas, elle a vraiment du flair.

Maezono s’exprima sincèrement, mi-admirative, mi-exaspérée.

Mori — C’est vrai que je m’étais posé la question. Je me demandais ce qu’elle lui trouvait à Ayanokôji.

L’on ne pouvait comprendre la chose que si on avait fréquenté ce dernier.

Maezono — En tout cas ce serait logique de la part de Karuizawa.

Quelque chose frappa Sudou. Pour lui, Ayanokôji n’avait aucune raison de sortir avec Karuizawa. Si l’on mettait de côté son apparence, sa personnalité n’était pas si attirante. Comme c’était subjectif, il resta silencieux.

Ike — C’est quand même incroyable ce que tu nous sors là. J’ai toujours du mal à y croire.

Il fut incapable de ressentir quoi que ce soit malgré les dires de Sudou.

Sudou — Il faut le vivre pour comprendre. Rien de sorcier.

Maezono — C’est sûr. Mais qu’est-ce qu’on pourrait faire pour qu’il nous prouve son génie ?

Elle questionna Sudou afin de trouver une stratégie pour qu’il se dévoile.

Ike — Et si on l’attaquait par-derrière d’un coup ?

Wang — Non, non, ce serait trop sournois.

Sudou — Même comme ça, tu n’arriveras même pas à le toucher.

Ike — Crois-moi, j’en suis capable, mais ça se fait pas alors j’oublie.

Sudou — T’as qu’à y aller frontalement. Tu verras, c’est mort aussi.

Ike — Qui sait ? Je suis assez confiant dans mes capacités.

Ike se leva et enchaina un coup de poing droit puis un coup de poing gauche.

Shinohara — Tu n’as jamais participé à un vrai combat.

Dit-elle avec exaspération, l’incitant à s’asseoir, car c’était embarrassant.

Ike — Ugh, la ferme ! Je suis pas du genre à martyriser les faibles.

Shinohara — D’accord, on a compris.

Matsushita — Revenons au sujet.

Ike — Si c’est vrai, j’aimerais vraiment qu’Ayanokôji se donne à fond. Comme ça, notre classe pourrait viser la A facilement.

Si une contribution significative pouvait être apportée que ce soit au niveau académique ou sportif, la classe avait en effet toutes ses chances.

Wang — C’est vrai. Nous sommes dans la même classe. On devrait lui demander sa coopération.

En effet, il ne fallait pas hésiter à demander de l’aide à un camarade puissant.

Maezono — Je suis d’accord. Après les vacs, on devrait lui demander.

Il n’y avait aucune raison de s’y opposer et Shinohara approuva sans attendre. Matsushita avait toujours espéré un éveil d’Ayanokôji, mais elle savait qu’il fallait y aller avec prudence.

Matsushita — Attendez, laissez-moi vous donner un conseil. Je comprends le désir de dépendre de lui, mais évitons de le faire en public.

Shinohara — Pourquoi ? Faire ça en douce ne changerait pas la situation.

Pour elle, Ayanokôji ne ferait que redevenir l’élève qui reste dans son coin.

Matsushita — C’est peut-être vrai, mais s’il a été discret jusque là c’est sûrement parce qu’il avait ses raisons, non ?

Après cette déclaration, les élèves furent plus compréhensifs. Sudou sembla satisfait et attira délibérément l’attention sur lui en toussant.

Sudou — Le provoquer inutilement pourrait se retourner contre nous.

Matsushita — Oui et ce serait une grosse perte. Il faut dire que ses bonnes réponses lors de l’examen spécial ont changé la donne.

Shinohara et les autres semblèrent avoir compris le danger derrière.

Onodera — Je suis d’accord. Encore si c’était quelqu’un qui n’en faisait qu’à sa tête comme Koenji-kun, ce serait une autre histoire, mais ce n’est pas le cas. Mieux vaut continuer à faire comme d’habitude.

Onodera vint ainsi conforter les positions de Matsushita et Sudou. Tout le monde ici avait saisi que l’OAA actuel d’Ayanokôji était bien en dessous de la réalité. L’idée était de ne pas le brusquer, mais il en fallait plus pour Maezono.

Maezono — C’est vraiment ce qu’il faut ?

Sudou — Huh ?

Maezono — Ok, c’est un élève extraordinaire, mais il est aussi effrayant. Il faut pas oublier qu’il a exclu Sakura-san de sang-froid alors qu’elle faisait partie de son groupe d’amis. Il a aussi poussé Kushida-san à bout. Si vraiment il se motive, il pourrait encore faire exclure quelqu’un.

Le groupe était absorbé par la conversation. Réunis depuis plus d’une heure, des élèves entraient et sortaient du café les uns après les autres depuis le temps. Wang se leva de sa chaise, une tasse vide à la main.

Sudou — On n’y pouvait rien en fait. Kushida nous avait coincés alors il fallait bien renvoyer quelqu’un. Se baser sur l’OAA est objectif.

Sudou répliqua sans attendre. Tout le monde, Ike compris, écarquilla les yeux.

Sudou — Quoi, j’ai dit un truc bizarre ?

Maezono était perplexe face à la montée au créneau soudaine de Sudou.

Matsushita — Bizarre n’est pas le mot…

Poursuivit Matsushita en prenant le relais.

Matsushita — Tu sembles plus posé et réfléchi. Les gens murissent.

Sudou — Je te suis pas là.      

Matsushita — L’ancien Sudou n’aurait pas été capable d’une telle réflexion et d’employer des termes comme « objectif ».

Onodera — Oui, je suis bien d’accord.

Sudou — Non mais à quel point vous me sous-estimez ?

Onodera — Ça montre juste ton évolution énorme, non ?

Onodera afficha une expression heureuse, comme si on la félicitait.

Sudou — Arrêtez de vous moquer. Enfin bref, où j’en étais ? Ah oui, Ayanokôji n’est pas un mauvais gars.

Gêné d’avoir été félicité, Sudou tenta maladroitement de revenir au sujet.

Maezono — C’est vrai qu’on était obligés d’expulser quelqu’un, mais vous vous souvenez de l’échange avec Kushida-san ? Il l’avait vraiment mis au pied du mur.  Il n’avait plus aucune émotion, comme un robot.

Sudou — Ayanokôji ne voulait pas faire ça non plus au fond. Il n’avait pas d’autre choix que de se montrer sans pitié.

Sudou défendait toujours Ayanokôji.

Maezono — Dans une situation similaire, tu le laisserais faire une telle décision encore ?

Sudou — Ce n’est pas que je lui fais confiance à 100% ou quoi, mais juste qu’il faut savoir rester objectif.

Maezono — Objectif, hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Demanda-t-elle en jetant un rapide coup d’œil à Ike et Shinohara qui étaient en bas du classement au niveau de l’OAA de la classe. Elle sous-entendait que les prochaines cibles pouvaient être eux.

Sudou — C’est vrai que l’approche d’Ayanokôji est un peu… Comment dire ?

Ike — Être sociable est une bonne capacité et il faut que ça soit pris en compte aussi. Si je devais être renvoyé, Satsuki en subirait les conséquences. Personne ne voudrait la voir triste, n’est-ce pas ?

Shinohara s’accrocha au bras d’Ike, refusant de le lâcher.

Shinohara — Il ne faut pas oublier le choc que Hasebe-san avait subi suite à l’expulsion son amie. Elle a mis du temps à se remettre.

À la lumière de ce fait récent, même l’expression de Wang s’était assombrie.

Maezono — Pour le moment tout va bien, mais il faudrait éviter un futur où Ayanokôji-kun deviendrait le leader de notre classe.

Ces mots exprimaient les craintes latentes qui l’habitaient.

Sudou — Pas possible. C’est pas son genre d’être un leader.

Maezono — Peut-être mais qui sait ? Vu ses capacités, un jour viendra où il sera reconnu comme chef de classe.

Matsushita — Je m’en réjouirais personnellement. Si Ayanokôji-kun a vraiment la capacité, cela ne me dérangerait pas de le voir à ce poste.

Pour Matsushita, avoir Ayanokôji comme leader était une situation idéale. Les élèves du bas de classement pouvaient craindre leur expulsion, mais ceux ayant des notes moyennes ou plus n’auraient pas à être inquiétés à condition qu’ils ne perturbent pas la classe. Le cas Horikita était différent, car il n’était pas impossible qu’elle se laisse guidée par les émotions.

Maezono — Je m’oppose fermement à ce qu’il soit le chef.

Matsushita — Alors qui serait idéal, Maezono-san ?

Matsushita exprima son inquiétude et voulait savoir ce qu’elle pensait.

Maezono — Eh bien…

Elle essaya de répondre rapidement, mais elle perdit les mots. Peut-être n’avait-elle pas de réponse claire à donner.

Maezono — Eh bien c’est à ça que sert une discussion, non ?

Elle donna ainsi une réponse vague.

Sudou — De toute façon, il n’y a aucun moyen de trouver la réponse en continuant à discuter d’Ayanokôji.

Matsushita — Et puis, quoi qu’on en dise, le leader actuel est Horikita-san. Si nous voulons aller plus loin dans cette conversation, nous devons l’inviter, n’est-ce pas ?

Matsushita transmit son attaque aussi calmement que possible. Elle ne cherchait pas le conflit avec Maezono, mais voulait éviter d’être le centre d’attention.

Ce qu’ils devaient faire maintenant était de rassembler des infos au sujet d’Ayanokôji afin qu’ils contribuent à la classe sans en faire un leader.

Même si Matsushita comprenait la peur des élèves du bas du classement, cela ne la concernait en rien. Elle s’excusa ainsi en silence pour son égoïsme dans son for intérieur.

Maezono — Mais… peut-être qu’on pourrait découvrir quelque chose en continuant à discuter ?

Maezono semblait encore hésiter à mettre fin à la réunion, mais après cela, la conversation tourna en rond pour finalement dériver sur les événements de la veille de Noël.

1

Le même jour, peu avant 14h, un élève jeta un gobelet vide dans une poubelle à l’extérieur du Keyaki. Une élève apparue et lui jeta un regard noir. Comme ils étaient tous deux camarades, le garçon leva la main avec un air joyeux.

— Yo, Masumi-chan. Je ne pensais pas que tu arriverais aussi tôt.

Kamuro — Stop m’appeler comme ça et me déranger en vacances.

Hashimoto — J’ai obtenu des infos intéressantes aujourd’hui.

Kamuro — Je sais que tu aimes la pêche aux infos, mais laisse-moi.

Hashimoto — C’est du lourd, tu sais. Ça peut être très utile.

Kamuro — Tu n’as qu’à aller voir Sakayanagi. Tu auras des points.

Hashimoto — T’es la seule avec qui je peux être honnête, Masumi-chan.

Kamuro — Tu mens là, non ?

Hashimoto — Pas du tout. Toi au moins tu peux t’exprimer en toute franchise face à la princesse sans craindre les conséquences.

Kamuro — Quel est le rapport avec moi ? Je n’aime pas ce forcing.

Hashimoto se montra indifférent à son rejet et poursuivit.

Hashimoto — Eh bien, écoute. Laisse-moi te dire ce que j’ai entendu.

Hashimoto stipula avoir surpris la conversation d’un groupe au Keyaki durant la journée. Il lança un enregistrement sur son téléphone tout en le commentant en même temps. Il s’agissait d’une discussion entre Sudou et plusieurs élèves de la classe B. Lorsqu’elle finit d’écouter, Kamuro changea d’attitude.

Kamuro — C’est vraiment intéressant. Mais je m’en doutais un peu.

Hashimoto — Horikita n’est pas le pilier de la classe B. Les actions sur l’île déserte, l’étrange malaise qu’on ressentait jusque-là et ensuite l’examen spécial du consensus. C’est bien plus que ce que je pensais. Ce n’est pas facile d’exclure une amie comme ça. Ça montre qu’il peut être sans pitié. Elle était mignonne en plus, même si un peu ordinaire.

Kamuro — Qu’est-ce que son apparence a à voir avec ça ?

Hashimoto — C’est plus important que tu ne le penses. Une fille laide que l’on expulse n’aurait pas eu le même impact.

Hashimoto insista, mais Kamuro n’était pas d’accord. Mais elle fit preuve d’une certaine compréhension par rapport au début de sa déclaration.

Kamuro — Ayanokôji peut donc prendre des décisions extrêmes si cela sert son intérêt, peu importe si un ami est impacté ou non.

Hashimoto — Et puis durant l’exam du consensus, Il n’avait pas encore de crédibilité. Il a quand même réussi à orienter la classe là où il voulait.

Hashimoto s’assura de verrouiller et de sauvegarder l’enregistrement sur son portable afin qu’il ne soit pas accidentellement supprimé.

Kamuro — Au fait, je me pose une question depuis tout à l’heure.

Hashimoto — Laquelle ?

Kamuro — Comment as-tu pu écouter une conversation pareille ?

Hashimoto — C’était vraiment une coïncidence. J’ai eu de la chance.

Il répondit cela sans hésiter, mais Kamuro n’y croyait pas du tout.

Kamuro — Une coïncidence, hein ?

L’enregistrement débutait au moment où le groupe avait commencé à se rassembler au café. Il était peu probable qu’il anticipe une conversation aussi importante, étant donné la possibilité très élevée qu’ils parlent de banalités. Était-ce vraiment un coup de chance ?

Hashimoto — Vraiment ? Tu doutes de moi ?

Kamuro — Pas vraiment mais n’en parle pas si tu ne veux pas.

Décidant qu’il était plus sage de ne pas demander plus d’informations, Kamuro en resta là. Et puis l’attitude de Hashimoto semblait sincère.

Kamuro — Qu’allons-nous faire de cette information intéressante ?

Hashimoto — On sait qu’Ayanokôji n’est pas ordinaire. Je suis curieux de ses agissements depuis sa venue dans ce lycée. Il faut dire que Ryuuen s’était calmé une longue période après s’être déchainé sur sa classe. Et ces deux-là se parlent souvent ces derniers temps.

Tout en glissant des infos qu’il avait déjà, il commença ses conjectures.

Kamuro — Ryuuen aurait perdu face à Ayanokôji en coulisses ?

Hashimoto — Ryuuen n’est pas du genre à s’arrêter que ce soit après une victoire ou une défaite. Pour moi, ce n’était pas une simple défaite. Il a dû perdre de manière humiliante.

Kamuro — Pourquoi Ryuuen s’implique avec lui alors ? Une revanche ?

Hashimoto — Peut-être. Ou alors il veut se mettre Ayanokôji dans la poche, préférant l’avoir comme allié que comme un ennemi.

Kamuro — Il utiliserait donc Ayanokôji à son avantage…. C’est exactement le genre de chose que ferait Ryuuen, n’est-ce pas ?

Il ne se contentait pas d’accepter la défaite. Sa persévérance était connue.

Hashimoto — Mais il doit y avoir plus que ça.

Kamuro — Plus que ça ?

Hashimoto — Ryuen utilise sûrement Ayanokôji pour parvenir à ses fins, mais ce dernier doit le savoir. Il le laisse agir à sa guise.

Kamuro — Qu’est-ce qu’Ayanokôji y gagne ? Soutenir Horikita en coulisses serait plus cohérent.

Hashimoto — Qui sait ? Peut-être qu’il veut l’aide de Ryuuen pour écraser Ichinose et Sakayanagi. Si Ayanokôji est du genre à ne pas vouloir se démarquer alors l’agressivité de Ryuuen peut faire écran.

Kamuro — C’est une possibilité.

Hashimoto — Je m’étais toujours méfié, mais je commence à y voir plus clair. Ayanokôji est l’adversaire le plus gênant. En fait…

Hashimoto hésita un instant, mais il poursuivit.

Hashimoto — Ses capacités sont supérieures à celles de Sakayanagi.

Kamuro — Tu es certain de ce que tu avances ?

Hashimoto — Oui. C’est fini les hypothèses. Ça m’a convaincu.

Même si c’était le cas, il était impossible d’être 100% sûr.

Kamuro — Alors ça veut dire que nous sommes mal barrés.

Hashimoto — En effet. Il y aura beaucoup de points en jeu pour la fin du troisième trimestre. Si on perd face à Ryuuen, c’est fini pour nous.

Il affirma une chose que personne dans sa classe n’aurait osé imaginer. Kamuro fut quelque peu agacée et se contenta de le fixer du regard. La future confrontation avec la classe d’Ayanokôji restait à déterminer, mais il y avait encore du temps. L’examen final de cette année était la priorité.

Kamuro — Tu crois que nous allons perdre contre Ryuuen ? Je comprends mieux ton inquiétude. Ou alors souhaites-tu notre échec ?

Hashimoto — Non, je ne souhaite pas notre défaite. Masumi-chan… Pourquoi tu t’énerves quand je dis un truc du genre ?

Même s’il savait qu’elle n’avait pas confiance en Sakayanagi, Hashimoto était un peu surpris. Mais ce n’était pas la raison de la colère de Kamuro.

Kamuro — C’est juste que tu es un éternel pessimiste. Je n’aime pas ça.

Hashimoto — Je ne le nie pas, mais il est bon de se préparer au pire.

Dans cette école, un retournement de situation était vite arrivé. Hashimoto était toujours prudent même s’il ne pouvait pas tout contrecarrer.

Kamuro — Ok mais hormis finir angoissé, cela mène à quoi ?

Concluant que c’était futile, elle se lassa de ses remarques.

Hashimoto — Arrête. Tu es la seule à qui je peux parler, Masumi-chan.

Kamuro — Ugh…

Même si Kamuro se faisait manipuler par Sakayanagi, elle ne se laissait pas complètement faire. Elle n’hésitait pas à se plaindre si elle n’appréciait pas la chose ou la situation. Sakayanagi aimait cet aspect d’elle, et Hashimoto aussi.

Hashimoto — Avoir une place dans ton cœur n’est pas si mauvais.

Cet humour subtil n’était que le produit de son pessimisme.

Hashimoto — Enfin, seulement si on reste ensemble.

Kamuro — Si tu fais référence au ticket pour changer de classe, c’est un pari risqué. Je ne conçois pas une classe perdante en recevoir un et même si on arrive à en avoir un avant la fin de l’année, il n’est utilisable que dans un temps limité.

Même si ce ticket permettait de changer de classe, il n’avait au fond que peu d’intérêt. Mieux on était classé et moins on avait de raison de l’utiliser.

Kamuro — Même si on perd, dans le pire des cas c’est un match nul. Si tu obtiens un tel ticket, pourrais-tu l’utiliser ? Même en supposant qu’Ayanokôji soit le meilleur, il faut quand même être déterminé.

Même si la classe d’Ayanokôji accédait temporairement à la première place, plus les classes étaient proches au sommet du classement et plus il était probable que les positions changent en un seul examen spécial. Ne compter que sur la force hypothétique d’Ayanokôji était clairement à risque.

Kamuro — Le ticket ne sert surtout qu’en cas de perte de vitesse claire comme c’est le cas pour la classe d’Ichinose.

C’était un sujet assez ouvert d’ailleurs, discuté par tous les élèves.

Hashimoto — Il y a plusieurs manières de changer de classe, tu sais.

Kamuro — Dépenser 20 millions de points c’est juste irréaliste.

Elle eut un ton exaspéré. Mais Hashimoto lui, laissait toujours la porte ouverte à la coopération entre classes.

Hashimoto — Je sais que ça ne me concerne pas en soi, mais si on profitait de la situation telle qu’elle est ?

Kamuro ne l’explicitait pas, mais Sakayanagi savait que Hashimoto trempait dans des activités suspectes. Elle avait elle-même signalé la chose plusieurs fois. S’il montrait le moindre signe de trahison, il finirait ciblé.

Hashimoto — Tout ce qui compte c’est que je finisse en classe A. Ça a l’air simple en soi, mais c’est une réalité bien difficile à mettre en place.

Kamuro — Je comprends, mais ne tente rien d’ambitieux.

Ce fut à la fois un conseil et un avertissement pour son camarade. Ce dernier répondit par un petit merci, mais son attitude était toujours aussi désinvolte.

(Hashimoto) Je ne veux trahir personne, mais je ne peux pas compter seulement sur Sakayanagi pour mon diplôme. Notre domination diminue au fil du temps et on se fait talonner par trois classes puissantes. Mon erreur a été de penser qu’Ichinose n’était pas une menace. Jusqu’au milieu de notre année de première, je n’avais jamais vraiment réalisé l’impact que pouvait avoir sa classe. Et il y a également Ayanokôji… Même si je m’étais méfié de lui à plusieurs reprises, il n’avait jamais montré de signes clairs de sa force. C’était probablement intentionnel de sa part jusqu’à maintenant, mais ces derniers mois, Ayanokôji se montrait de plus en plus, prenant sa stratégie à revers. Alors qu’il ne semble pas s’intéresser au classement, qu’est-ce qui l’avait fait changer d’avis ?  Faisait-il semblant jusqu’à maintenant pour aider sa classe en révélant sa force au moment opportun ? Les questions ne faisaient que s’empiler. J’avais un aperçu des forces de Sakayanagi, Ryuen et Ichinose. Je savais quel genre de personnes ils étaient et connaissais leurs motivations. Mais je n’arrivais pas à lire en Ayanokôji. Son existence était très problématique pour moi.

Hashimoto — Pour l’instant, j’ai besoin de recueillir plus d’infos. Je compte enquêter à nouveau sur Ayanokôji et son entourage.

Kamuro — Tu peux gérer ça seul, n’est-ce pas ?

(Hashimoto) Sakayanagi ne m’a jamais interdit la récolte d’infos sur Ayanokôji et Kamuro laissait satisfaire ma curiosité. Cet enregistrement était d’une importance capitale pour les obstacles à venir.

Mais il se rendit compte d’une chose. Depuis le début de leur scolarité, Sakayanagi avait chargé Kamuro de surveiller Ayanokôji.

(Hashimoto) Je me demande ce qu’elle avait pu retirer ses observations jusque-là. Avait-elle pu le cerner bien avant ?

À cet instant, Kamuro eut un flash

Kamuro — Si ça se trouve, Sakayanagi avait déjà eu connaissance des capacités d’Ayanokôji.

Hashimoto — Huh, Masumi-chan ?

Alors qu’il agita sa main devant elle, Kamuro, pensive, l’écarta rapidement.

Kamuro — …Quoi ?

Hashimoto — Tu étais ailleurs. On a une discussion importante.

Elle se mit à écouter Hashimoto.

Kamuro — J’ai un mauvais pressentiment.

Hashimoto — Peux-tu nous mettre en contact avec Ayanokôji ?

Kamuro — Pourquoi moi ?

Hashimoto — Je veux être prudent. Ryuuen peut tirer les ficelles.

Kamuro — Ayanokôji sera encore plus sur ses gardes si nous sommes plusieurs.

Hashimoto — S’il y a le double d’adversaires alors la prudence d’Ayanokôji doublera aussi, mais également les infos recueillies.

Kamuro — Je vois. Je suis d’accord, mais à une condition.

Hashimoto — Laquelle ?

Kamuro — Ne m’appelle plus Masumi-chan. C’est non négociable.

Hashimoto — O-oh. Kamuro-chan fera l’affaire alors, ok ?

Ils semblèrent être parvenus à un accord, mais Kamuro poursuivit

Kamuro — Je serai également la seule à entrer en contact avec Ayanokôji.

Hashimoto — Pourquoi ça ?

Hashimoto fut perplexe.

Kamuro — Si je suis vue avec toi, Sakayanagi risque de nous remarquer. Il ne vaut mieux pas attirer l’attention inutilement.

Hashimoto — Pas faux.

Elle ne voulait pas augmenter la méfiance d’Ayanokôji, mais ce n’était pas une offre alléchante pour Hashimoto.

Kamuro — À titre de compromis, je tâcherai de tirer les infos qui t’intéressent.

S’il insistait pour venir avec elle ou à l’appeler comme il le faisait d’habitude, Kamuro rétracterait sa proposition. Depuis le temps, il avait bien appris à la connaître.

Hashimoto — Je suppose qu’il n’y a pas le choix. Faisons comme ça.

Hashimoto tendit sa main droite, mais Kamuro l’ignora, se contentant de lui envoyer un regard glacial.

Hashimoto — Tu es toujours aussi froide. Tu sais, Kamuro-chan, je t’apprécie beaucoup.

Kamuro — Comment peux-tu dire ça alors que tu es en couple ?

Hashimoto — Oh, si je casse avec elle, j’aurais une chance avec toi ?

Kamuro — Tu rêves.

Hashimoto fit semblant d’être déçu, se tenant le front. Kamuro secoua la tête comme pour entrer dans son jeu.

Kamuro — J’y vais.

Hashimoto — Désolé d’avoir pris de temps. N’oublie pas de communiquer les détails de ton plan d’action dès que possible.

Hashimoto avait bien insisté sur ce point.

2

Toujours le 26 décembre, lendemain de Noël

Chaque élève vaquait à ses occupations. Sans même le réaliser, j’avais passé ma journée avec des personnes que je ne fréquentais habituellement pas. Ce jour et la période qui s’ensuit étaient également fameux pour être celui où on vendait le moins de gâteaux de l’année. Il y a eu plusieurs théories qui expliquaient la chose, mais l’une d’elles est que l’euphorie de Noël étant passé, les japonais se focalisaient sur le Nouvel An. De nos jours, les gâteaux étaient mangés tout le temps sans être limité par des occasions ou fêtes spécifiques, mais durant des événements, les ventes pouvaient être boostées et au contraire se réduire, juste après une fois celui-ci passé. Pour pallier la baisse des ventes durant les périodes creuses, l’on pouvait appliquer des promotions et c’était le cas aujourd’hui, avec des réductions de 50%.

Quand je me réveillai ce matin, j’étais dans l’optique de passer la journée avec Kei chez moi, car sa fièvre était déjà tombée et elle semblait retrouver sa mobilité. C’était l’occasion pour elle de revenir à notre relation initiale. Ma chambre était assez propre, mais il devait y avoir de la poussière dans certains coins alors je décidai de faire un ménage de fond. Je plaçai sur la table des produits d’entretien et débutai la mission nettoyage. Durant mes corvées matinales bien solitaires, je déplaçai les meubles, et essuyai tout avec un chiffon après avoir désinfecté au préalable.  Après la pièce principale, je me concentrai sur la salle de bain avant de passer dans le placard. Lorsque je fini par la cuisine, le soleil commençait à se coucher. Il ne neigeait pas encore, mais le sol était toujours aussi blanc.

Moi — Les invendus, hein…

Le 26 était presque terminé. La plupart des gâteaux qui n’avaient pas pu être vendus pouvaient être jetés si la date de péremption était passée. Je me demandais s’ils étaient encore en vente. Je n’avais pas besoin d’un gâteau entier, mais des parts vendues à prix réduit pouvaient être intéressantes. C’est ainsi que je décidai de me rendre au Keyaki tout en regardant le coucher du soleil.

3

Le soir venu, le Keyaki avait changé de décor. Maintenant que Noël était passé, les arbres et autres décorations avaient été retirés pour laisser place aux préparatifs de la future nouvelle année. Il n’y avait pas de boulangerie-pâtisserie à proprement parler dans le centre commercial, mais il y avait un rayon pâtisserie dans le supermarché du secteur.

Moi — Il n’y en a plus…

Je cherchais dans ledit rayon des promotions, mais le coin spécial Noël avait été retiré. Je ne trouvais rien, pas même des gâteaux entiers. Avaient-ils été tous vendus ou déjà jetés ? Le nombre de clients étant limité, car situé en plein campus, il était possible que le stock soit minime. Même si ce n’était que du bonus pour moi, je ne pouvais pas m’empêcher d’être un peu déçu. L’acheter au prix fort n’avait aucun intérêt et il valait mieux ne pas gaspiller ses points même si j’avais fait l’effort de venir jusqu’ici. J’avais fait deux ou trois fois le tour des rayons pour voir si je trouvais quelque chose répondant à mes besoins, mais je finis par repartir les mains vides.

—  Ayanokôji-kun.

Alors que je m’apprêtais à quitter le centre commercial, on m’interpela depuis le côté. C’était Sakayanagi, assise sur un banc, qui agitait sa main vers moi.

Sakayanagi — Tu rentres chez toi ?

Moi — Oui.

Sakayanagi — Tu n’es pourtant là que depuis un quart d’heure.

Moi — Tu m’as vu ?

Sakayanagi — Je t’ai vu quitter le dortoir.

Il n’était donc pas surprenant qu’elle veuille me parler. Le fait de venir comme ça et de partir sans rien acheter était en fait étrange. Je lui avais dit que Kei avait eu la grippe et que j’avais passé Noël sans faire d’activités particulières. Je lui avais également fait part de mon envie de gâteaux en promotion.

Moi — Ah bon ?

Moi — J’ai raté le timing alors c’est comme ça.

De toute manière j’aurais mangé le gâteau au-delà du 25.

Moi — Pas grave, ce sera pour l’an prochain.

Sakayanagi — Fufu.

Toujours assise sur le banc, elle eut son rire empreint d’élégance.

Moi — Il y a quelque chose de marrant ?

Sakayanagi — Personne ne peut garantir sa présence ici dans le futur.

Moi — …En effet.

Sakayanagi — Et si tu retournes là d’où tu viens, oublie les gâteaux.

Moi — Même pour mon anniversaire je n’en aurais pas.

Devais-je retourner au supermarché maintenant ? Sakayanagi, qui ne pouvait pas voir mes pensées superflues, se leva avec sa canne.

Sakayanagi — Je ne te recommande pas le gâteau du supermarché.

Moi — Ah oui ?

Sakayanagi — Je n’aime pas dire cela, mais c’est un produit standardisé. Tu peux le trouver n’importe où. Un bon gâteau doit être fait main.

Moi — Mais le choix est limité sur le campus, non ?

Sakayanagi — Cela m’a surpris, mais la supérette reste intéressante.

J’oubliais. Le Mont-Blanc qu’elle avait apporté l’autre fois venait de la supérette.

         Sakayanagi — Mais pour un goût optimal, il faut le commander.

Elle se mit à marcher avant de s’arrêter net.

Sakayanagi — Cela te dérangerait de m’accompagner un moment ?

Moi — Pour aller où ? J’aimerais ne pas trop me faire remarquer.

Sakayanagi — Ne t’en fais pas. Notre tête-à-tête sera très court.

À peine avait-elle dit cela qu’elle leva légèrement la main dans la direction opposée à la mienne. Ayant remarqué Sakayanagi, un élève vint rapidement s’approcha d’elle.

  • Pardon, Sakayanagi-san. Je ne t’ai pas trop fait attendre ?

Sakayanagi — Certes, tu as un peu de retard, mais j’ai pu passer un bon moment grâce à cela. Tu es tout pardonné.

Elle semblait avoir tué le temps avec moi en l’attendant.

Sakayanagi — Sanada-kun, as-tu déjà parlé à Ayanokôji-kun ?

Sanada — Pas du tout. C’est la première fois que l’on se croise.

Tout en s’inclinant poliment devant moi, Sanada répondit. En tant qu’élève de première, j’avais déjà vu son visage plusieurs fois sans avoir eu l’occasion de lui parler jusque-là. Il se nommait Sanada Kôsei et son OAA était le suivant :

  • Capacité académique : A
  • Aptitudes physiques : C+
  • Capacité d’adaptation : B+
  • Contribution sociale : B+
  • Note globale : B

Seule une poignée d’élèves ici pouvaient se targuer d’avoir un A en capacité académique ce qui montrait à quel point il était doué. Ses capacités physiques étaient moyennes et il n’avait pas de faiblesses particulières ailleurs. Même si Sanada était un élève émérite, je ne l’avais jamais vu avec Sakayanagi. Comme je côtoyais de plus en plus d’élèves de la classe A ces derniers temps, je m’étais souvenu du peu de contacts que j’avais eu avec Sakayanagi et je ne les avais jamais vu se retrouver comme ça.

         Sanada — J’ai toujours voulu te parler, Ayanokôji-kun.

Il était poli et émanait de lui une douceur. Je ne me sentais pas spécialement gêné de son intérêt pour moi.

Sakayanagi — Oh, vraiment ?

Mais je ne voyais pas en quoi j’avais attiré son attention.

Sakayanagi — Qu’est-ce qui t’a attiré chez lui pour vouloir lui parler ?

Elle lui posa la question à ma place.

Sanada — Faut dire qu’il s’est fait remarquer avec la classe B et puis…

Toujours avec le sourire, Sanada s’approcha de moi avant de doucement saisir mon bras droit. Il m’éloigna de Sakayanagi qui était à mes côtés jusque-là.

Sanada — Excuse-moi pour la question, mais quelle est ta relation avec Sakayanagi-san ?

Moi — Eh bien, rien de spécial.

Sanada — Elle dirige notre classe. On ne peut l’approcher comme ça.

Je me demande s’il me voit comme un ennemi puissant. Ses paroles polies laissaient tout de même entrevoir une sorte de méfiance.

Sanada — Il est également étrange qu’elle soit si amicale avec quelqu’un du sexe opposé.

C’était une façon intéressante de voir les choses. Je voulais lui dire que c’était un malentendu, mais difficile de se justifier. En temps normal, Sakayanagi ne prenait pas de telles mesures. Pour ainsi dire, un tête-à-tête avec elle et un garçon était rare. Même si mes camarades pouvaient avoir l’habitude de me voir avec elle, ce n’était pas forcément logique pour des gens d’autres classes. Il valait mieux ne pas trop réfléchir. J’aurais pu tenter de voir s’il avait choisi délibérément ses mots ou non, mais il était plus sage d’en terminer rapidement en jouant à celui qui ne comprenait pas.

Moi — Lors de l’examen final de l’an dernier, j’avais eu l’occasion de discuter avec elle. Notre relation s’arrête là.

Une réponse ferme et vague était le meilleur choix, quelles que soient ses intentions.

Sanada — Je comprends. Désolé d’avoir posé cette question troublante.

Moi — Aucun problème. Du coup, je vous laisse à vos affaires ?

Sanada — En fait, Ayanokôji-kun, tu peux rester si tu n’y vois pas d’inconvénient ? Bien sûr, seulement si Sakayanagi-san le permet.

Moi — Hm ?

Sakayanagi — Oh, sacré Sanada-kun. Je pensais la même chose.

Je n’avais pas vraiment compris, mais ces deux-là se sourirent mutuellement. Je les laissai ouvrir la voie et retournai de nouveau au Keyaki.

Sanada — C’est là. Nous sommes vites arrivés au bazar.

C’était un endroit populaire avec une variété de petits accessoires particulièrement appréciés des filles. Les deux élèves de la classe A entrèrent dans la boutique sans hésitation et commencèrent à chercher quelque chose.

Sakayanagi — Ayanokôji-kun, je te prie de patienter un petit moment.

Sanada — N’hésite pas à regarder des choses pour toi aussi.

Il y avait tellement de chose que je ne pouvais de toute manière seulement regarder de loin. Leurs chuchotements furent noyés dans la musique de fond du bazar, excluant toute oreille indiscrète de ma part. Je pris mes distances à contrecœur et finis par errer dans les petits rayons pour tuer le temps. Cinq puis dix…, leur discussion ne faisait que s’animer de plus en plus ne laissant pas un indice sur lorsqu’ils allaient terminer. Après avoir atteint ma limite dans l’errance, je m’approchai d’eux pour vérifier où ils en étaient. C’est à ce moment-là que Sanada s’était empressé de mettre la main dans sa poche.

Sanada — Excusez-moi, je dois passer un coup de fil.

Après s’être excusé poliment, Sanada sortit du magasin et resta devant.

Sakayanagi — Aujourd’hui, j’avais un rencard avec Sanada-kun. J’ai passé Noël avec lui.

Moi — Ah oui ? Ça pour une surprise.

Je pouvais ressentir une ambiance quelque peu propice, mais je ne m’y attendais clairement pas

Mais c’était tout de même improbable que Sakayanagi ait ce genre de relation. Quel événement a eu lieu avant Noël pour aboutir à cela ? Ou alors se fréquentaient-ils en cachette tout ce temps ?

Moi — Mais ça te va de vous montrer comme ça ? Si l’on voit que vous êtes proches, il sera considéré comme un point faible pour toi.

Entre se protéger soi-même et protéger quelqu’un, il y avait un grand écart en termes de difficulté. Et son handicap physique l’enfonçait encore plus.

Moi — Bien entendu, je sais que tu as confiance en toi, mais quand même.

Elle resta silencieuse et me fixa. Elle semblait quelque peu irritée.

Sakayanagi — Tu n’as pas compris que ce n’était qu’une petite blague ?

Moi — Quelle partie de l’histoire est une blague ?

Sakayanagi — Eh bien, nous n’avions pas de rencard.

Moi — Hein ?

 J’étais confus, car elle venait de tout démentir.

Sanada — Je suis désolée, Sakayanagi-san. Je t’ai fait attendre.

Après avoir mis fin à l’appel, Sanada s’excusa et revint lentement vers nous.

Sakayanagi — Alors ? Cela s’est bien passé ?

Sanada — très bien. J’ai fait ce que j’avais à faire.

Il rougit légèrement et se caressa la joue tout en souriant gaiement.

Sakayanagi — La personne au bout du fil était Miya-san de la seconde B. Elle sort avec Sanada-kun depuis peu. Je lui donnais juste quelques conseils sur un cadeau à offrir.

Tout s’était retourné en quelques secondes. Je n’avais pas vraiment compris son humour sur le coup, mais je préférai passer à autre chose.

Sanada — Je lui avais offert un bon cadeau pour Noël, mais son anniversaire tombait quatre jours plus tard. Comme notre relation est nouvelle, j’avais pensé à lui offrir un seul cadeau, mais j’ai fini par vouloir lui en offrir pour les deux occasions.

Je comprenais mieux. En effet, si l’anniversaire de quelqu’un dans un couple est proche d’une fête majeure comme celle de Noël, il pouvait être difficile de décider d’une approche. Combiner les célébrations était la solution la plus simple, mais cela pouvait ne pas être apprécié par l’un des partenaires.

Moi — C’est ta kôhai, du coup. Comment est-ce arrivé ?

Sanada — Nous sommes tous les deux dans le club de musique.

J’avais négligé le fait que les membres des clubs se rapprochaient facilement. Passer du temps ensemble leur permettait d’approfondir leurs liens.

Moi — Surprenant de voir Sakayanagi donner ce genre de conseil.

Sakayanagi — Je ne pense pas être la mieux placée, mais Sanada-kun veut garder leur relation secrète pour l’instant. Il faudrait déjà que la situation dans leur club se stabilise.

Elle me fixait toujours avec un air irrité. Je me demandais s’il y avait des restrictions sur le fait d’avoir une relation amoureuse avec un senpai/kôhai, ou s’il y avait une règle l’interdisant pendant une certaine période après venue dans le club. C’était flou, mais de telles interdictions pouvaient exister. Bien entendu, il s’agissait plus d’une règle tacite que d’une édictée par l’établissement. Auquel cas, il n’y aurait pas eu que le club de musique.

Sanada — Comme prévu Sakayanagi-san, tu as remarqué la chose.

La clairvoyance de Sakayanagi lui permettait de sentir les changements chez ses camarades de classe. Elle avait aussi probablement recueilli des informations ce qui explique pourquoi Sanada voulait s’en remettre à elle.

Moi — Je comprends mieux, mais quel intérêt de m’inviter ?

Si c’était pour avoir un conseil de ma part, cela aurait été plus cohérent.

Sanada — Eh bien…

À place du Sanada quelque peu troublé, Sakayanagi finit par dire la vérité.

Sakayanagi — Je voulais juste te taquiner un peu.

Moi — C’était l’objectif de la blague ?

Sakayanagi — Oui. Malheureusement tu n’as pas joué le jeu du tout. Ni surpris ni suspicieux.

Il y avait un peu de surprise, mais pas de suspicion. Et puis déjà, je ne m’intéressais pas beaucoup à ses fréquentations.

Sakayanagi — Ne prends pas la chose au sérieux. Je t’ai fait venir pour ne pas que l’on nous considère en rencard Sanada et moi. Tu aurais pensé quoi en nous voyant en tête à tête ?

Moi — Il est vrai que des malentendus sont possibles.

Ma présence annulait en effet tout soupçon de tromperie pour Sanada.

Sakayanagi — Il aurait été préférable d’inviter quelqu’un en avance, mais cela n’aurait fait que révéler le secret de Sanada-kun. J’avais l’intention de faire venir une personne naturellement en attendant ici.

Je fus donc l’heureux élu. Avais-je eu raison de venir ? Dans tous les cas, j’avais fait la connaissance Sanada alors c’était positif. Je n’ai pas vu le cadeau, mais il l’avait fermement en main. Cela montrait qu’il tenait vraiment à elle.

Sakayanagi — Bonne chance, Sanada-kun.

Sanada — Merci, Sakayanagi-san.

Tenant le cadeau près de la poitrine, il inclina la tête. Avec un dos bien droit et une mine réjouie, il se mit à marcher, probablement pour aller voir sa petite amie. Si ça se trouve, il allait lui donner avant le jour J.

Sakayanagi — Au fait, Ayanokôji-kun, as-tu renoncé au gâteau ?

Moi — Hm ? Oh, je pensais m’arrêter sur le chemin du retour et…

Sakayanagi — Je ne recommande pas la supérette en ce moment si tu cherches des gâteaux. Ce n’est pas la meilleure saison.

Je m’apprêtais à y aller, mais je fus devancé par son conseil.

Sakayanagi — Si j’étais toi, je rentrerais tranquillement pour venir armé l’an prochain. Ce serait dommage d’acheter quelque chose là par défaut.

Ce n’était qu’un gâteau. Chacun pouvait décider de quand et où il voulait en manger, mais ce sentiment disparut aussitôt après.

Moi — …Dans ce cas, je ferais mieux de ne rien acheter.

Si j’en achetais un maintenant, Sakayanagi serait probablement déçue de moi.

4

Je retournai finalement au dortoir bredouille. Puis, comme pour penser à autre chose, j’étudiai en ligne l’évènement du Nouvel An qui approchait grandement. L’an passé, j’avais un peu ignoré la chose alors je nourrissais quelques regrets. Je pourrais peut-être faire quelque chose digne de ce nom cette fois, car pas un seul onigiri n’avait été distribué pour célébrer le Nouvel An dans la White Room. Nous étions aux environs de 20h lorsque je terminai mon dîner tout en effectuant les recherches. Alors que je me tâtais à prendre une douche tout de suite ou non, le portable vibra.

 — Bonsoir, Ayanokôji-kun.

Moi — Je ne m’attendais pas à un appel à cette heure, Sakayanagi.

Sakayanagi — Je voulais avoir de tes nouvelles.

Moi — Je ne t’ai pas déçu, ne t’en fais pas.

J’avais opté pour une plaisanterie en amont.

Sakayanagi — Héhé, je suppose tu ne déçois jamais, Ayanokôji-kun.

Mais pourquoi voulait-elle m’appeler au juste ?

Moi — Je garde une blague en réserve pour l’an prochain.

J’exprimais honnêtement mes sentiments positifs à cet égard.

Sakayanagi — Je vois.

Sakayanagi, qui semblait heureuse, se mit à rire à l’autre bout du fil. 

Sakayanagi — Alors, l’état de Karuizawa-san s’est-il amélioré ?

Moi — La fièvre semble être tombée. Encore deux jours à patienter.

Même si la fièvre était tombée, les règles stipulaient qu’il fallait attendre deux jours après le rétablissement pour revenir à sa vie initiale.

Sakayanagi — Ah oui ? Ça m’arrange. Je peux te voir maintenant ? 

Moi — Tout de suite ? Pas de soucis, mais pourquoi ?

Sakayanagi — Pourquoi ne pas garder le suspens ? Puis-je venir ?

Moi — Dans ma chambre ?

Sakayanagi — Est-ce que c’est gênant ?

Moi — Pas vraiment.

Sakayanagi — Alors, faisons comme ça.

Elle raccrocha net. Pas le temps de réfléchir, j’entendis déjà un léger coup.

Moi — Forcément.

Je me levai et me dirigeai vers la porte. En l’ouvrant, je vis Sakayanagi.

Moi — Tu étais partie quelque part avant ?

Elle avait l’air très bien apprêtée pour quelqu’un qui venait de sa chambre. De plus, il y avait une légère couche de neige sur ses épaules et son chapeau.

Sakayanagi — Joyeux Noël. Le Père Noël est là.

Dès que nos regards se croisèrent, elle tendit une petite boîte d’une main. Elle hocha la tête, satisfaite, lorsque je la pris. Mais de là à dire « Père Noël » …

Moi — Nous sommes déjà le 26 au soir. Le Père Noël est en retard.

Sakayanagi — Le Père Noël s’inspire de Saint Nicolas. Ce dernier aurait existé dans la région côtière méridionale turque. Étant donné qu’il doit finir sa tournée de cadeaux et puis se rendre en traîneau jusqu’au Japon, il est compréhensible qu’il y ait du retard, n’est-ce pas ?

Il était difficile de savoir si elle était trop sérieuse ou si elle se moquait.

Moi — Une réfutation digne de ta personne.

Il valait mieux la laisser entrer pour ne pas éveiller les soupçons.

Sakayanagi — Je me permets de rentrer alors.

Moi — Que me vaut la visite tardive du Père Noël ?

Sakayanagi — Tu t’en doutes déjà, mais j’ai apporté un gâteau de Noël. Et comme je suis le Père Noël, tu ne peux pas refuser.

Moi — À juger par la forme de la boîte, je me doutais effectivement de la chose, mais j’ai une forte impression de déjà-vu.

Elle avait donc prémédité tout ça.

Sakayanagi — Oui. J’avais promis d’apporter un gâteau différent.

L’an dernier, elle avait repéré mon manque d’enthousiasme en dégustant le Mont Blanc. Elle avait dit qu’elle prendrait sa revanche la prochaine fête.

Moi — Ce n’est donc pas une coïncidence.

Sakayanagi — Bien entendu. C’était l’occasion idéale puisque tu voulais manger un gâteau. J’ai également déconseillé la supérette pour éviter de t’en faire acheter un pour rien.

Moi — Je comprends mieux pourquoi tu étais au taquet.

Sakayanagi — Exact. Ma stratégie s’est déroulée à merveille.

Si je m’étais arrêté à la supérette, je n’aurais pas pu apprécier son gâteau.

Sakayanagi — Tu passais ton Noël tout seul, alors je suis venue te sauver.

Moi — Est-ce normal pour la dirigeante de la classe A de venir dans la chambre d’un garçon aussi tardivement ?

Sakayanagi — Ce serait plus gênant pour toi si on le découvrait.

Je ne pouvais pas le nier. Même si Sakayanagi était entrée de force, j’étais susceptible d’être puni encore plus qu’elle.

Sakayanagi — Il est encore 20h. Pour des vacances, ce n’est rien.

Moi — Peut-être.

Sakayanagi — Wow, ta chambre est toujours aussi propre. Aucune des chambres de filles que j’ai visitées n’arrive à la cheville de la tienne.

Après m’avoir complimenté, elle me demanda la permission de s’asseoir sur le lit. Elle enleva ensuite son manteau.

Sakayanagi — Si je n’étais pas venue, tu aurais fait quoi ?

Plusieurs scénarios étaient possibles : Dormir, sortir etc…

Sakayanagi — De toute manière, j’avais prévu de te rendre visite à un moment qui n’avait rien à voir avec Noël.

Il se trouve donc que c’était tombé aujourd’hui. Elle avait donc pensé à Karuizawa et moi pour ne pas venir me voir le 25.

Sakayanagi — Tu t’en doutes, mais j’ai préparé deux gâteaux pour nous.

C’était en effet l’impression que j’avais eue au niveau du poids. Elle voulait sans doute que nous les mangions ensemble ici avant que l’on ne sorte.

Moi — D’accord, je vais préparer les boissons. La même chose que la dernière fois pour toi ?

Sakayanagi — Je m’en réjouis d’avance.

Je me suis dirigeai en cuisine pour préparer le café de la dernière fois.

Sakayanagi — Tu as l’air plus naturel debout dans la cuisine.

Moi — Dans un dortoir, les occasions de cuisiner tendent à se multiplier.

Sakayanagi — Pourtant avec les supérettes et la cafétéria de l’école, il n’est pas difficile de trouver de la nourriture même sans argent.

Moi — Peut-être. Il se peut que je veuille cuisiner moi-même.

Sakayanagi — C’est quelque chose d’inimaginable en White Room. Mais c’est bien dommage. Même si tu deviens un cuisinier professionnel, il n’y aura aucun endroit où tu pourras exposer tes talents.

Comme au Keyaki, elle voulait absolument discuter de ce genre de sujet.

Moi — Certes, mais essayes-tu de me soutirer une information ? Je doute que tu aies une vue d’ensemble de la White Room dans la mesure où même ton père, le président Sakayanagi, ne te révélait pas tout.

Je ne pouvais pas voir son expression puisque j’avais le dos tourné, mais elle devait probablement sourire.

Sakayanagi — Ce que je dis ne reste que de la théorie, mais ne suis-je pas assez proche de la vérité, même si je n’ai pas tous les éléments ?

Moi — C’est vrai. Si j’obtiens mon diplôme, ou que je suis expulsé, je retournerai dans la White Room pour devenir instructeur. Je serai chargé de former mes successeurs jusqu’à ce que l’on n’ait plus besoin de moi.

Cet avenir était tout tracé, mais j’étais un peu sceptique ces derniers temps depuis que j’avais mis dans la balance les aspects positifs et négatifs de ma vie ici. Il y avait forcément des aspects irrationnels qui en ressortaient et je ne connaissais pas la situation à l’extérieur. Cette personne avait dit que la White Room était redevenue opérationnelle, mais je n’avais aucune preuve.

En apportant les tasses de café, j’avais placé deux petites assiettes.

Moi — Est-ce que je peux espérer que le gâteau soit bon cette fois ?

Sakayanagi — Je ne connais pas tes goûts, mais s’il n’est pas bon, je trouverai une autre occasion pour t’en faire gouter un autre. Je préférais que ce soit le cas histoire d’avoir une autre opportunité de venir.

Je ne m’attendais pas à cette approche de sa part. Devais-je alors mentir ?

Sakayanagi — J’ai confiance pour discerner tout mensonge.

Moi — Ne lis pas en moi comme ça.

Sakayanagi — Ta manière de pensée pour le quotidien est très simple à anticiper. C’est même clair comme de l’eau de roche.

Sakayanagi semblait comprendre que je n’étais qu’un première ordinaire avec peu d’expérience dans la vie. Elle avait pris en compte les facteurs tant externes qu’internes pour faire ses calculs. Lorsque j’ouvris la boîte, il y avait deux shortcakes classiques placés côte à côte.

Moi — Où les as-tu achetés ? Tu ne les as pas préparés ?

La boîte affichait le logo du fabricant de gâteaux. Il ne s’agit pas d’un produit habituellement vendu dans le secteur.

Sakayanagi — L’histoire de ces gâteaux est un peu spéciale. J’avais prévu d’en acheter en supérette avant de venir, mais en chemin, je suis tombée sur Sawada. Il revenait du centre commercial. Il m’a dit que sa commande de gâteau à un célèbre magasin avait été retardée à cause de la neige et qu’elle était arrivée aujourd’hui. Pour le 25, il a dû en acheter d’autres. Il ne savait pas quoi en faire et tu connais la suite.

Moi — Tu as donc volé ces fameux gâteaux à Sawada ?

Cela pouvait être possible avec elle après tout vu toutes les informations qu’elle pouvait rassembler. Il aurait été impoli d’approfondir ce point.

Sakayanagi — Sois rassuré, je lui ai donné des points privés en compensation. Après je ne sais pas s’il comptait les manger avec quelqu’un.

Il y a probablement plus d’élèves qui se nourrissent d’amour que tu ne l’imagines.

Je décidai de goûter. J’avais déjà mangé ce type de gâteau, mais jamais d’une pâtisserie réputée. La texture à commencer par la crème semblait déjà différente d’un gâteau lambda. Cela avait bien meilleur goût que le Mont-Blanc.

Sakayanagi — Il semble que ce soit à ton goût.

Moi — Je n’ai encore rien dit.

Me sachant exposé, je ne pus m’empêcher de bouger la main afin de prendre une deuxième bouchée.

Sakayanagi — Même si tu ne dis rien, je ne suis pas dupe, mais cela est quelque peu frustrant, car ce gâteau ne vient pas de moi.

Elle porta également le gâteau à sa bouche, hochant la tête, satisfaite.

Sakayanagi — C’est vraiment exquis.

Bonne joueuse, Sakayanagi semblait heureuse et sans parler de quoi que ce soit de plus, nous finîmes notre pâtisserie avant de prendre une pause. Il était presque 21h alors elle passa au sujet principal.

Sakayanagi — Et si nous allions nous balader ?

Moi — Dehors ?

Je pouvais refuser, mais hormis une douche et me coucher, je n’avais rien à faire. Se promener sur la route enneigée n’était pas si mal et peu commun.

Moi — Pourquoi pas.

J’acceptai sa proposition, n’ayant aucune raison de refuser. Et puis, il semblait que Sakayanagi avait encore l’envie de parler.

Sakayanagi — Alors je vais t’attendre dans le hall.

Considérant mon besoin de me changer, Sakayanagi se leva avec sa canne.

 Je me préparai assez vite afin de la rattraper ensuite.

5

Je retrouvai Sakayanagi dans le hall du dortoir et nous sortîmes ensemble. À ce moment-là, il n’y avait pas d’autres élèves visibles dans le coin.

Moi — Il fait vraiment froid dehors.

La neige tomba la veille de Noël, et la basse température la fit s’accumuler.

Sakayanagi — Cela fait deux ans qu’il neige bien à la surprise générale.

L’épaisseur de la neige rendait la marche difficile, mais elle semblait s’amuser.

Sakayanagi — Tant qu’il ne neige pas toute l’année, il faut en profiter.

Moi — Mais l’accumulation de neige est tout de même gênante, non ?

Sakayanagi — Bien sûr, cela entrave ma marche, mais avec les différents voyages scolaires, j’ai expérimenté pire.

Sakayanagi, confiante, commença un petit cours sur la marche dans la neige munie d’une canne. Joyeuse et excitée, elle était fière de montrer sa stratégie, mais cela semblait tout de même bien laborieux. À ce moment-là, elle essaya de retirer la canne de la neige. Comme elle eut du mal à la retirer, elle faillit perdre l’équilibre. Je la surveillais déjà au cas où et l’attrapa par l’épaule.

Moi — Attention.

Sakayanagi — Héhé.

Au lieu d’être troublée par sa perte d’équilibre, elle eut un rire bien amusé.

Sakayanagi — Tu es vraiment ce genre de personne.

Moi — Hein ?

Mon incompréhension semblait encore plus lui plaire.

Sakayanagi — J’étais persuadée de pouvoir marcher sans incident. Mais en en faisant trop, le risque de chute augmente. Mais je me doutais que tu ne me laisserais pas tomber.

Sa prédiction s’était donc confirmée et avant de tomber, elle avait tendu sa main pour que je la sauve. Voilà pourquoi elle riait.

Sakayanagi — Vu que tu as été pris par surprise, tu t’en es bien sorti.

C’était sauter sans protection, mais la neige amortissait bien la chute.

Moi — Pourquoi cette promenade nocturne ? Tu veux me dire un truc ?

Sakayanagi — C’est ce que tu penses ?

Quand j’acquiesçai, elle sourit comme à son habitude.

Sakayanagi — Comment vois-tu la classe A, Ayanokôji-kun ?

Moi — Comment ça ?

Sakayanagi — Que penses-tu de nos forces et faiblesses.

Moi — Je vois. C’est une question inattendue.

Sakayanagi — Ah oui ?

Sakayanagi avait une grande confiance elle-même. Il était surprenant qu’elle demande conseils pour l’orientation générale de sa classe.

Moi — Penses-tu déjà que je conseillerais un adversaire ?

Sakayanagi — Si tu considère notre classe comme tel alors soit.

Sakayanagi sourit un peu, apparemment satisfaite de cette réponse.

Sakayanagi — Mais je sais que tu me répondras.

Moi — Puis-je savoir pourquoi ?

Sakayanagi — Disons qu’après t’avoir observé tout ce temps, je peux objectivement en déduire la chose.

Elle entrevoyait déjà quelque peu ce que j’avais en tête. Il y avait des signes, mais je n’avais pas réalisé l’étendue de sa confiance.

Moi — Si tu en es si sûre, n’est-il pas inutile que j’évalue au global votre classe ? Ou bien ne fais-tu pas assez confiance à ton propre jugement ?

Sakayanagi — C’était une question stupide, n’est-ce pas ?

J’avais verbalisé ce que je pensais. Avec Sakayanagi comme chef d’orchestre, la classe menait efficacement ses combats. Elle faisait toujours ce qu’il fallait pour garantir une issue positive accumulant régulièrement des points. Des capacités académiques élevées et des aptitudes physiques dans la moyenne…

S’il y avait des faiblesses, c’était surtout le manque d’élèves excellant dans des compétences annexes. Alors qu’elle marchait à mes côtés, elle fut attentive.

Moi — Sincèrement, n’importe qui aurait pu donner la même réponse.

Sakayanagi — Alors, dis-moi ce que les autres n’auraient pas dit.

Moi — Eh bien…

C’était peut-être un peu dur, mais c’est elle qui le cherchait.

Moi — Tu as beaucoup confiance en toi et tes capacités sont certes meilleures que les autres chefs, mais c’est justement pour ça que tu as du mal à nouer des liens avec tes camarades.

Elle pouvait les contrôler, mais au bout du compte ce n’était que de la manipulation. Les élèves de la classe A avaient besoin d’être plus individualistes s’ils voulaient que la classe puisse évoluer. Pour cela, Sakayanagi, devait devenir plus amicale avec ses camarades.

Sakayanagi — Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Je veux pouvoir émettre des jugements sans faire intervenir les émotions. Si je me rapproche trop des autres, les émotions peuvent prendre le dessus. Hésiter à abandonner un animal de compagnie est un signe de faiblesse.

Moi — C’est toi qui vois.

Ce n’était pas une erreur en soi. Pouvoir mettre en œuvre cette force solitaire pouvait s’avérer être une arme précieuse.

Moi — Au fait, il y a quelque chose qui m’intrigue.

Sakayanagi — Je t’écoute.

Moi — Pourquoi me fais-tu surveiller ? Ces derniers temps, j’ai ressenti le regard de la classe A assez souvent. Si quelque chose t’intéresse, tu peux toujours me le demander directement, comme maintenant.

Sakayanagi — Hmm, Je n’ai ordonné à personne de le faire.

Elle nia la chose.

Sakayanagi — Il ne sert à rien de te surveiller, car tu te fais remarquer de plus en plus ces derniers temps. C’est juste que certains ont dû remarquer ton potentiel. Je dois dire que je reçois des rapports détaillés à ton encontre alors que je n’ai rien demandé.

Le contenu devait être superflu, c’est pourquoi elle avait déconsidéré la chose.

Moi — Ils agissent de manière autonome, car ils ont de l’intérêt pour ma classe ?

Sakayanagi — C’est peut-être en partie pour gagner des points auprès de moi, mais tant qu’ils ne se rendent pas compte de l’inutilité de leurs actions, ils ne franchiront pas de nouveau cap.

Peu importe l’utilité de leurs actions, elle ne pouvait pas les favoriser. Sakayanagi marchait avec moi, creusant des trous dans la neige avec sa canne. Il n’y avait toujours aucun signe de quelqu’un aux alentours.

Sakayanagi — Arrêtons notre promenade ici.

Moi — Alors rentrons.

Sakayanagi — Vas-y, Ayanokôji-kun. Je vais rester ici un peu plus longtemps afin de profiter de la brise nocturne.

Moi — Ce n’est pas dangereux ?

Sakayanagi — Même si je tombe, ce n’est que de la neige. Nous ne sommes pas en montagne.

En effet. Il n’y avait aucune chance d’être coincé.

Sakayanagi — Nous ne nous reverrons peut-être pas cette année alors je te souhaite une agréable fin d’année.

Moi — Toi aussi. Passe une bonne fin d’année.

Une fois les salutations faites, je décidai de me séparer de Sakayanagi. Je me dirigeai vers le dortoir en empruntant le sentier enneigé. Après une dizaine de pas, je n’entendis plus les bruits de sa marche caractéristique.

Sakayanagi — Ayanokôji-kun.

Elle appela doucement mon nom, alors je me retournai. Avec une écharpe autour de la bouche, Sakayanagi semblait avoir froid, mais elle me regarda.

Moi — Oui ?

Sakayanagi — J’ai quelque chose à te dire. Peux-tu m’écouter de là ?

Moi — Je le savais. Ce n’était pas fini.

Avec un peu de distance entre nous, Sakayanagi et moi nous nous fîmes face.

Sakayanagi — Tu savais que j’avais encore quelque chose à te dire ?

Moi — En quelque sorte.

Sakayanagi — Même moi, j’ai besoin de courage et c’est cette distance  qui m’en octroie.

Moins de dix mètres de distance. C’était le courage dont Sakayanagi avait besoin pour s’exprimer.

Sakayanagi — J’ai appris à t’aimer.

Et ce furent de tels mots.

Sakayanagi — Pas en tant qu’être humain, mais en tant que fille attirée par le sexe opposé.

J’écoutai en silence ces mots dignes d’une déclaration.

Sakayanagi — Peux-tu t’en souvenir ?

Moi — Tu n’as pas besoin d’une réponse ?

Sakayanagi — Pas pour l’instant. Sois libre de rentrer.

Moi — Ah oui ?

Je voulais me retourner et partir, mais je m’arrêtai net.

Moi — Peux-tu me laisser te dire une seule chose ?

Sakayanagi — Je t’écoute.

Moi — Je t’estime probablement plus que tu ne le penses, Sakayanagi. C’est pourquoi je veux savoir.

Il fallait que je le sache à ce moment-là.

Moi — Peux-tu transformer cette faiblesse en une force ?

Sakayanagi était intelligente et elle devait comprendre sûrement ce que je voulais dire. Il n’y avait donc pas besoin d’explications supplémentaires.

Sakayanagi — Quelle question idiote !

Dit-elle en riant. Même dans l’obscurité, ses yeux brillaient intensément, mis en valeur par leur couleur.

6

Après le départ d’Ayanokôji, Sakayanagi rougit discrètement, se mettant à sourire toute seule.

Sakayanagi — J’ai parlé avec Ichinose-san le dernier jour du 2e trimestre.

Elle marmonna cela d’une voix douce, presque emportée par le vent.

Sakayanagi — J’ai toujours pensé que j’étais en mesure de la prendre de haut, mais j’ai découvert que ce n’était pas le cas.

C’est à ce moment-là que Sakayanagi avait pris conscience de ses sentiments. Au beau milieu d’une nuit enneigée, seule, elle continua son monologue.

Sakayanagi — Je te reconnais comme un ennemi que je dois vaincre.

C’était la vérité, sans l’ombre d’un doute. La pure vérité.

Sakayanagi — En tant que génie naturel, je ne peux pas perdre contre un génie artificiel comme toi.

 C’est ce qu’elle croyait.

Sakayanagi — Mais tu as reconnu que mon envie de te vaincre a donné naissance à un autre type de sentiment, n’est-ce pas ?

En direction d’un Ayanokôji de dos, déjà loin, elle prononça la chose sans que sa voix ne puisse l’atteindre. Elle refit ainsi sa déclaration.

Sakayanagi — Je t’aime.

Ichinose, un déchet aussi insignifiant qu’un détritus jeté en bordure de route, lui avait permis de s’en rendre compte.

Sakayanagi — Même si j’avais exprimé mes sentiments plus explicitement, ton expression n’aurait pas changé.

C’était la seule raison pour laquelle elle avait choisi de ne pas le lui dire avec détermination en face à face.

Mais elle n’avait pas peur d’être acceptée ou rejetée.

Sakayanagi — Oui, tu es comme ça, Ayanokôji-kun. Tu n’es pas le genre de personne à laisser l’émotion troubler son cœur.

D’ordinaire, une jeune fille aurait été blessée par cela. Mais c’était le contraire avec Sakayanagi. Elle se sentait encore plus attirée par lui.

Sakayanagi — Tu nous traites tous ici, moi y compris, comme des enfants. Tu penses que tout va se dérouler selon ton plan, et tu fais en sorte qu’il en soit ainsi.

Elle fit un pas, s’avançant sur le sentier enneigé. Le plan d’Ayanokôji pour l’année de terminale était clair pour elle.

Ce ne serait pas intéressant si je laissais les choses se dérouler comme il le souhaite. Alors, que dois-je faire pour perturber son plan ?

La réponse était déjà claire.

Je veux le bousculer.

Je veux voir son visage troublé.

Je veux le confronter à des choses qu’il ne peut pas prévoir. Je veux faire ressortir ses émotions et le briser.

Je veux l’aimer.

Sakayanagi — C’est dommage. Ton plan n’a pas fonctionné depuis l’examen de l’île déserte.

Je n’ai pas pu m’empêcher de dire tout ça, mais c’est encore secret. C’est justement parce que nous ne savons pas et que l’imprévu est toujours là que ce qui nous attend est excitant.

Sakayanagi — Je t’assure que ce fait sera le premier pas pour te mener dans une voie que tu n’attendais pas au tournant.

Je ne peux m’empêcher d’attendre avec impatience les décisions qu’il prendra à l’avenir.

Sakayanagi — J’ai vraiment hâte d’être au troisième trimestre.


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