CLASSROOM Y2 V8 : ÉPILOGUE


La lumière au bout du tunnel

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Il était près de 21h. Un vent glacial soufflait à l’extérieur. 

De petites lumières à l’extrémité de l’escalier m’éclairaient faiblement. J’avais passé des dizaines de marches, marchant sur la neige pour éviter de glisser, mais c’était assez dangereux. Malgré l’obscurité, je finis par arriver sur une espèce de spacieuse colline surélevée. 

Je crus distinguer quelqu’un, assis sur une terrasse en bois. Cette personne contemplait-elle le paysage ? Elle semblait triste. Bien sûr, nous étions plus que seuls. Était-elle là depuis l’heure du repas ? Le bruit du vent était si fort qu’elle ne semblait même pas me remarquer. Je tapai du pied sur le sol aussi fort que possible pour manifester ma présence afin de ne pas l’effrayer. Une fois qu’elle finit par réagir, je l’appelai.

Moi — Je peux m’asseoir ?

Ichinose — Oh ! Ayanokôji-kun ?

Moi — Quelle coïncidence.

Ichinose — O-oui, une coïncidence !

Ichinose laissa maladroitement son regard s’égarer dans le paysage nocturne.

Moi — Bon, d’accord, ce n’en est pas une. Amikura et les autres se font un sang d’encre. Donc je voulais te retrouver, histoire de parler jusqu’au couvre-feu !

Ichinose — Ah ouais ? Qu’est-ce qui se passe ? J’ai mis le boxon ?

Moi — Un petit peu oui. Je vais les prévenir, ce sera déjà ça de fait.

Ichinose — Vous avez échangé vos numéros… avec Mako-chan ?

Moi — Nous étions dans le même groupe… Il fallait bien pouvoir se joindre !

J’envoyai donc un message disant que j’avais trouvé Ichinose, que nous serions de retour avant 21h. Aussitôt envoyé, aussitôt lu, Amikura me répondit de deux smileys semblant signifier le soulagement.

Moi — J’ai fait passer le message ! Tout devrait rentrer dans l’ordre.

Ichinose — Je suis désolée.

Moi — Pas de problème. Nous sommes toujours dans l’enceinte de l’auberge. Tant qu’on revient avant 21h, ça devrait le faire.

Ichinose — Oui, c’est vrai. Merci…

Il était logique qu’elle ne rentre pas tout de suite. Les voyages scolaires sont amusants, mais on devait inévitablement partager une grande partie de notre temps avec les autres.

Moi — On a tous besoin de se retrouver seul, par moments. J’espère que je ne suis pas en train d’empiéter sur un des tiens.

À ces mots, Ichinose resta silencieuse. Elle continua juste à regarder le paysage nocturne.

Ichinose — Il fait si froid…

Moi — …Oui. C’est vrai.

Même à travers mes gants, le vent semblait percer mes os.  

Moi — Depuis combien de temps es-tu ici ?

Ichinose — Rhoo… Peut-être 5 minutes…

Se sentant démasquée, elle se corrigea. Frustrée.

Ichinose — Désolée… Une grosse demi-heure, quarante minutes.

Moi — Ce doit être ça, oui. Je n’ai même pas vu d’empreintes en venant.

Je n’avais aucune indication qu’Ichinose était ici jusqu’à ce que je monte les escaliers. Si ça n’avait vraiment fait que 5 minutes, j’aurais vu des traces. Le vent était fort, mais la neige semblait se calmer un petit peu.

Moi — Ce que je dis est probablement évident, mais tu vas tomber malade si tu restes trop longtemps comme ça.

Ichinose — Je suppose…

Elle acquiesça en parlant dans sa barbe, mais elle ne bougeait pas. La neige sembla vraiment s’arrêter, mais ça n’était que temporaire : les prévisions annonçaient une forte tempête de neige pour ce soir.

Moi — À tout hasard, comme ça… À quoi penses-tu, là, toute seule ?

J’avais ma petite idée, mais je préférais l’entendre d’elle-même. Elle ne répondit pas immédiatement, se contentant d’admirer le paysage sans se retourner.

Ichinose — Je pense que je veux juste… être seule pour l’instant.

Un léger rejet. Elle m’incita à m’éloigner, disant qu’elle ne voulait parler à personne. Ou peut-être était-ce à moi qu’elle ne voulait pas avoir affaire ?

Moi — Je ne sais pas si c’est vraiment sage de te laisser seule, là. La descente promet d’être assez casse-gueule.

Ichinose — Merci pour l’intention. Mais Karuizawa-san serait bouleversée si elle savait que nous sommes seuls, ici, dans ce cadre.

Personne ne penserait aussi loin, en temps normal. Même au plus bas, elle se préoccupait toujours des autres, telle était sa nature.

Moi — Certainement. Si Kei me voyait, elle se ferait des films !

Ichinose — C’est sûr…

Moi — Tu es vraiment sûre de vouloir que je parte ?

Ichinose — Oui, s’il te plaît.

Ichinose répondit de la même manière laconique, ne détournant toujours pas son regard du paysage. Je m’éloignai et lui tournai le dos.

Moi — Je rentre, alors. Assure-toi d’être de retour à temps.

Ichinose — Oui, j’y veillerai.

Alors que je faisais mes premiers pas, la neige qui s’était momentanément arrêtée se remit à tomber encore plus fort. Je me retournai pour observer la silhouette d’Ichinose, restée figée sur place depuis que je l’avais trouvée ici. En s’éloignant elle semblait si petite, si faible… Quand avais-je vu pour la dernière fois l’Ichinose Honami pétillante, pleine de vie, du début de seconde ?

Cela ne semblait pas être le voyage lui-même, mais plutôt une énorme accumulation faisant que la coupe était pleine. Les émotions d’Ichinose, qui la contraignaient, la rongeaient jusqu’à avoir atteint un point critique. La coupe n’était pas seulement pleine : elle risquait de se fissurer jusqu’à ne plus pouvoir être réparée. Sa classe risquait donc de s’effondrer, en même temps que ses chances de passer en classe A. Et ça, c’était dangereux pour mon plan. Ce n’était pas le moment de partir.

Moi — Je préfère attendre ici.

Je m’assis sur les escaliers menant à l’auberge.

Ichinose — Pourquoi ?

Moi — Je me le demande.

Ichinose — C’est mon problème, ça ne te regarde pas non ?

Moi — Je ne sais pas.

Je n’avais rien à lui dire de concret. Je savais qu’elle voulait me repousser, mais comme elle n’avait aucun pouvoir coercitif, Ichinose n’avait d’autre choix que d’abandonner. Si elle ne voulait vraiment pas être avec moi, sa seule option était de s’éloigner. Quelques minutes passèrent en silence.

Ichinose — Nous ne faisions que discuter… N’est-ce pas ?

Soit elle ne supportait plus le silence, soit elle était tout simplement prête à parler. D’une voix si basse qu’elle aurait pu être inaudible, comme si elle se parlait à elle-même, Ichinose marmonna quelque chose.

Ichinose — En fait, ça fait longtemps que j’ai envie de te demander quelque chose.

Je préférais ça qu’attendre sans rien faire jusqu’au couvre-feu. Puis discuter allait me faire oublier la neige qui me gelait les fesses.

Ichinose — « White Room » … Est-ce que ça te dit quelque chose ?

Oui, j’étais littéralement sur les fesses. Si je m’attendais à ce que le terme « White Room » sorte de la bouche d’Ichinose… Je me demandais encore si c’était réel. Puis j’eus des flashs de Sakayanagi, avec leur petite période de coopération en tant que chefs de classe. Mais je ne m’imaginais pas Ichinose parler comme ça de ce sujet. Il fallait également se souvenir qu’Ichinose avait été menacée par Tsukishiro pendant l’examen spécial de l’île déserte.

Moi — Je n’en ai aucune idée, non.  

Ichinose — Je vois. Ne te prends pas la tête, Ayanokôji-kun. Il se peut que j’aie mal entendu.

Les mots d’Ichinose s’arrêtèrent net. Elle soupira. Je ne savais pas si elle me croyait. Dans le doute, je creusais un peu plus encore. 

Moi — Où as-tu entendu ça ?

Pour l’instant, je continuai de jouer le jeu. Si elle me donnait une réponse farfelue, j’allais déceler ses intentions.

Ichinose — L’ancien directeur par intérim et Shiba-sensei… Je les avais entendus parler sur l’île. Tout n’était pas clair, mais on semblait vouloir t’expulser, avec cette notion de « White Room » qui revenait. J’ai fait quelques recherches, mais je n’ai rien trouvé dessus. Je dois donc supposer que j’ai rêvé.

Moi — Je pense aussi… En tout cas, ça me dit rien !

Si elle avait fait des recherches, c’est qu’elle était à moitié convaincue que quelque chose ne collait pas.

Ichinose — Mais pourquoi les professeurs voulaient-ils te renvoyer ? Tu n’as plus de problèmes maintenant ?

Elle voulait probablement me demander ça depuis longtemps. Mais mon officialisation avec Kei semblait avoir repoussé ce moment.

Moi — Je ne peux pas trop rentrer dans les détails… Mais c’est réglé !

C’était le second mystère de cette histoire. Je ne voulais pas que l’affaire autour de mon renvoi s’ébruite.

Ichinose — Je vois…

Elle semblait déçue, comme si elle s’attendait à ce que je puisse me livrer à elle. Je préférai changer de sujet, histoire de lui rendre service.

Moi — J’ai aussi quelque chose à te demander… La Ichinose que je connais n’est pas le genre à croupir dans l’obscurité. C’est une des filles les plus populaires de première, toujours à rire et à encourager les autres. Combien de temps vas-tu continuer ?

Ichinose — Je suis bien, ici.

Moi — Ce n’est pas ce que je voyais tout à l’heure. En tout cas tu n’avais pas la tête d’une lycéenne en super voyage scolaire.

Je supposais que ce genre de conversation était nécessaire. Ichinose prenait tellement sur elle, au point de cacher à tous ces moments de doute. C’était son rôle, en tant que chef de classe. 

Ichinose — Tu vas vraiment rester ?

Moi — Oui. On descendra ensemble !

Ichinose — Je vois. Hé bien… Quitte à rester, viens par ici au moins, t’auras moins froid !

Moi — Volontiers !

Je me levai à la hâte, retirant la neige de mon postérieur et me rapprochant d’elle. Elle arborait strictement la même expression. Il était 20h40, il nous fallait à peu près dix minutes pour descendre, donc nous avions encore une petite dizaine de minutes ici. Le silence ne m’aurait pas déplu, d’un seul coup. Je restai à l’affut de ses réactions, observant le vent souffler et la neige tourbillonner. Ichinose ouvrit la bouche, une bouffée de souffle blanc se dispersant dans les airs.

Ichinose — Je suis finie, une perdante. C’est ce que je me disais.

Une larme furtive coula sur la joue d’Ichinose.

Moi — Ah oui ? Où est passé ton optimisme légendaire ? 

Ichinose — Mais… justement, à cause de ça…

Ichinose eut du mal à terminer sa phrase.

Ichinose — C’est bien joli, mais les résultats ne suivent pas. La classe A devient un rêve de plus en plus lointain. Personne n’est aveugle.

Moi — Et tu te dis que c’est à cause de tes méthodes ?

Ichinose — Je n’ai ni le leadership de Sakayanagi-san, ni la main de fer de Ryuuen-san, ni la logique cartésienne de Horikita-san… C’est un fait.

Moi — Sois toi-même, car tous les autres sont déjà pris ! 

C’était d’une énorme banalité, mais elle avait besoin de l’entendre.

Ichinose — Oui… C’est vrai… Je vise ce que je n’ai pas.

Moi — Tu es donc prête à changer ?

Ichinose — Si je pouvais gagner… Ça en vaudrait le coup, non ?

Ichinose voulait changer. Que ce soit bien ou mal était secondaire, elle était juste désespérée. Normalement, je n’avais aucun intérêt de l’aider. Cependant, sa confession sur l’île était si inattendue… Cela m’avait amené à reconsidérer beaucoup de choses. C’était la raison principale pour laquelle elle était devenue si faible. J’avais encore trois mois pour tenir parole avec Ichinose.

Allait-elle s’en sortir par elle-même, d’ici là ? Cela me paraissait bien optimiste. Son cœur était sur le point de se briser. Le poison se répandait plus vite que prévu : Son amour pour moi et l’existence de Karuizawa Kei. Sa classe était au fond du trou, et quand bien même Kanzaki et Himeno semblaient vouloir opérer du changement, jamais ils n’allaient avoir le temps de réformer tous leurs camarades. S’ajoutait également sa responsabilité de membre du Conseil des élèves. Elle semblait cernée de toutes parts avec un futur obscur.

Ichinose — Je suis tellement frustrée…

Son impuissance se transforma en intense sentiment de culpabilité. Après tout, elle ne portait pas seulement le poids de son échec mais celui de tous ses camarades. Du moins, c’était ce qu’elle pensait. 

Ichinose — Je suis désolée, Ayanokôji-kun…

Sa voix tremblante traduisait fortement son regret.

Moi — Pourquoi tu t’excuses ?

Ichinose — Par où commencer… Déjà pleurer comme ça, devant toi.

Ichinose était censée être plus forte et plus intelligente. Son potentiel caché avait complètement disparu à cause d’un cœur trop gros. Une faiblesse fatale. Ni Horikita, ni Ryuuen, ni Sakayanagi, des leaders dans l’âme, n’allaient lui faire de cadeaux. Elle voulait garder la face, sans être certaine que ses efforts finiraient par payer. Si elle chutait, ici, elle était finie pour de bon. Mais elle n’était peut-être pas prête à l’entendre.

Après tout, tu n’as pas le droit de craquer… Non, pas maintenant, pas avant l’examen final qui décidera du sort des première. Ton effondrement doit être un moment fort.

Je me rapprochai d’elle et tendis mon bras vers son dos alors qu’elle souffrait. Puis, je mis la main sur son épaule droite et la pris dans mes bras

Ichinose — Q-Quoi ? Ayanokôji-kun ! ?

Moi — Quand tu as mal, pleure. Tu peux demander de l’aide. Tout le monde a des coups de mou…

Ichinose — C’est… Mais…

Ichinose se mordit la lèvre, qui commençait à devenir bleu pâle, et ravala ses mots. Son corps essaya de fuir dans la direction opposée, mais elle n’avait pas assez de force.

Moi — Que veux-tu ?

Ichinose — Je… Non, ce que je voulais n’est plus…

Moi — Tu ne peux plus l’obtenir ?

Elle tenta désespérément de réprimer les mots qui ne demandaient qu’à sortir de sa bouche, ou plutôt des profondeurs de son cœur. Mais Ichinose resta silencieuse.

Ichinose — Ça n’a plus d’importance. C’est ce que je pense.

Moi — Mais… Si tu n’as pas le courage de faire le premier pas, je peux te donner un coup de main.

Du bout des doigts, j’essuyai les larmes qui coulaient sur ses joues. Il faisait si froid qu’elles allaient presque geler. Elle arrêta de se débattre, s’abandonnant au contraire à moi, à mes mains, face à ce paysage nocturne enneigé d’un pays lointain.

Ce jour-là, nous avions découvert notre chaleur mutuelle en nous serrant l’un contre l’autre sous le ciel glacial de nuit.

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