CLASSROOM Y2 V11 Chapitre 8

Le courage de faire un pas en avant

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Traduction : Wene
Correction : Raitei
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Nous étions dimanche, le quatrième et dernier jour du camp. Nous devions quitter le dortoir à 10h et le combat contre Amasawa était prévu avant le petit déjeuner, à 7h. Peu avant 6h, après m’être réveillé, je me dirigeai vers le hall encore faiblement éclairé. J’avais un peu de temps devant moi avant que Horikita et Ibuki ne sortent de leur chambre. Pour passer le temps discrètement, j’utilisai mon téléphone. Le hall était glacial, peut-être parce que le chauffage venait tout juste de s’enclencher.

Moi — Tout semble aller pour le mieux.

Dans le couloir silencieux, je marmonnais seul en regardant mon téléphone. Le seul message laissé par Nagumo, qui m’avait été envoyé en plein milieu de la nuit, stipulait :« Je ne te remercierai pas ». Si Amasawa avait commis un crime, la fin du camp aurait été chaotique. Après un certain temps, alors que j’observais le soleil se lever par la fenêtre, j’entendis des bruits de pas.

— Il est tout de même encore tôt, n’est-ce pas ?

La personne qui venait de m’adresser la parole avec une voix somnolente n’était autre que Tsubaki, qui était elle aussi dans mon groupe. La probabilité que ce ne soit qu’une simple coïncidence était assez élevée, mais…

Tsubaki — Au cours de ces deux derniers jours, j’ai appris de la bouche de Hashimoto-senpai que tu te levais assez tôt le matin.

Se lever tôt n’était pas quelque chose que j’avais besoin de cacher. Je n’avais rien à craindre en soi. Même si Tsubaki prenait connaissance de l’entraînement spécial, il était peu probable que cette information atteigne Amasawa.

Moi — Tu es donc venue me chercher ?

Tsubaki — Je n’étais pas tant à ta recherche, mais je voulais vérifier.

Tsubaki, qui ne changeait pas d’attitude devant n’importe qui, me regardait avec un air légèrement suspicieux.

Tsubaki — Mais ta présence change la donne.

Moi — Mais pourquoi venir me voir alors que je n’ai plus de prime sur la tête ?

Tsukishiro avait promis 20M de pp pour mon exclusion dans un examen secret pour les seconde. Seule une poignée d’élèves étaient au courant, dont Tsubaki.

Tsubaki — Je n’ai jamais été intéressée par la récompense, mais je suis déçue. Je regrette de ne plus pouvoir t’expulser avec les honneurs.

Moi — Ce sont là des propos dangereux. Je n’ai pourtant pas le souvenir que tu m’en as déjà voulu.

J’en profitai pour me remémorer mes moments avec elle, mais rien à signaler.

Tsubaki — Ne penses-tu pas qu’il y a encore beaucoup de choses dont tu ne te rends pas compte ? Savais-tu que nous pouvons susciter de la rancœur sans même nous en apercevoir ?

D’une certaine manière, je comprenais là où Tsubaki voulait en venir. Il y avait deux types de personnes, celle consciente qu’on lui en voulait, et qui choisissait tout de même de toujours susciter de la rancœur. Et celle qui n’imaginait pas pouvoir être mal perçue, mais qui finissait par devenir une cible quand même.

Moi — Je ne saurais dire si tu es sérieuse ou en train de plaisanter.

Tsubaki — Quelqu’un pourrait venir par ici. Et si on allait se balader ?

Moi — Il fait encore assez sombre dehors.

Malgré un peu de luminosité, il était encore difficile d’y voir clair. Et il faisait froid.

Tsubaki — Ce n’est pas dérangeant pour toi n’est-ce pas ?

Moi — Bon, d’accord.

De toute façon, j’avais déjà prévu de sortir avec Horikita et Ibuki pour leur dernière séance. Nous quittâmes le hall avant de finir dehors dans le froid.

Tsubaki — J’étais persuadée qu’il neigerait assez abondamment dans les montagnes de Tochigi, mais finalement, c’est plutôt décevant.

Moi — Le mois de février est marqué par de nettes différences de température. Peut-être est-ce dû aux quelques journées chaudes auxquelles nous avons eu droit récemment.

En réalité, le paysage n’était pas totalement dépourvu de neige, il en restait un peu sur le bord de la route. Les gouttes d’eau sur les voitures, qui semblaient appartenir au personnel, étaient légèrement gelées et recouvertes d’une fine couche.

Tsubaki — Aimes-tu la neige, senpai ?

Moi — Je suis neutre. Je pense toutefois apprécier le paysage quand il est enneigé. Qu’en est-il de toi ? Aimes-tu la neige ?

Tsubaki — Je pense l’aimer. Du moins, plus que toi senpai.

Elle s’accroupit sur le bord de la route, ramassant un peu de la neige restante avec le bout de ses doigts et se leva. Elle mit ensuite la neige dans la paume de main et me montra la chose.

Tsubaki — Peux-tu y jeter un œil ?

Je fixai le peu de neige qu’il y avait dans sa main. À cause de la chaleur de sa peau et parce qu’il y en avait peu, la neige finit rapidement par fondre.

Tsubaki — Être dans cette école c’est comme être coupé du monde, pas vrai ? Senpai, qui voudrais-tu retrouver en premier une fois diplômé ?

Moi — Tu poses des questions bien étranges.

Tsubaki — Peut-être.

Les seules personnes dont je connaissais les vrais visages à l’extérieur étaient mon père et ses associés. Et je n’avais aucune envie de voir ce beau monde.

Moi — Ma famille certainement.

Tsubaki — Ta famille… Quelqu’un d’autre peut-être ?

Moi — Pas vraiment. Je n’ai pas d’amis proches. C’est à peu près tout.

Tsubaki — Je vois… Puis-je à nouveau te poser une question étrange ?

Il devait y avoir une logique derrière ses questions semblant manquer de sens.

Tsubaki — Imagine avoir un frère dont l’existence a été cachée par tes parents pendant des années. Qu’un beau jour, il entre dans ta vie comme un membre de ta famille. Serais-tu capable de le considérer comme tel ? En supposant bien sûr qu’il y ait un lien de sang entre vous-deux.

Moi — C’est une question difficile.

À ma connaissance, je n’avais ni frère ni sœur. Mais c’était une situation hypothétique où leur existence m’aurait été cachée. Dans les faits, c’était possible.  Si cet homme avait un autre fils, je me demande comment j’aurais réagi en le rencontrant. Pour la première fois, je m’étais pris d’intérêt quant à la réflexion, mais cela ne voulait pas dire que je ressentais quelque chose de particulier.

Moi — Je pourrais ne rien ressentir. Bien évidemment, cela dépendrait grandement de la personnalité de la personne ainsi que de la situation.

Si nous avions grandi séparément, il serait assez difficile de soudainement l’accepter et d’interagir avec lui comme avec un membre de la famille.

Tsubaki — Je vois. Je pense que je ressentirais la même chose que toi. Mais s’il s’avérait que cette personne avait des circonstances spéciales et un passé triste, alors j’aimerais me rapprocher d’elle. J’aimerais en apprendre plus sur la sœur dont j’ai été séparée.

Elle m’avait posé des questions à propos d’un frère, mais là, elle mentionna une sœur dans son exemple. Il est possible qu’elle eût adapté la chose pour son cas car c’était une fille, mais j’avais l’impression que c’était du vécu.

Tsubaki — Je suis confuse… Ayanokôji-senpai… De cette école…[1]

Alors qu’elle s’apprêtait à continuer, le regard de Tsubaki se déplaça soudainement vers le bâtiment derrière nous. L’heure du rendez-vous arriva, et bien sûr, Horikita et Ibuki apparurent. Pour une raison inconnue, Kushida était aussi présente.

Tsubaki — Nous avons de la visite. Remettons ça à plus tard.

Tsubaki ne semblait pas vouloir que son histoire soit connue de tous. Tremblant à cause du froid, elle retourna vers le bâtiment. Sans dire un mot, elle hocha gentiment la tête en passant près de Horikita et des autres.

Horikita — C’était Tsubaki-san, non ? De quoi parliez-vous de si bon matin ?

Moi — Elle s’est juste levée tôt. Le camp étant terminé, nous nous sommes mis à discuter. Mais pourquoi Kushida est là ?

Horikita — Ibuki-san ici présente a malencontreusement fait part de sa revanche avec Amasawa-san. Malencontreusement.

Elle avait expressément insisté sur le terme, montrant à quel point c’était stupide.

Ibuki — Pas de ma faute ! C’est Kushida qui m’a piégée.

Horikita — C’est ce qu’on appelle de la provocation.

Ibuki — Ferme-la ! Un ou deux spectateurs en plus, ça n’a pas d’importance !

Kushida — C’est à peu près ça, j’ai entendu dire que vous alliez affronter Amasawa-san et ça a piqué ma curiosité.

Moi — Je n’ai pas mon mot à dire si la situation vous convient à toutes les deux. Mais j’aimerais savoir, qui vas-tu encourager ?

C’était ce point-là en particulier qui suscitait mon intérêt.

Kushida — Peu importe, je serai gagnante dans tous les cas.

Pendant le festival culturel, Kushida avait eu une altercation avec Amasawa. Autrement dit, peu importe qui perdait, Kushida allait s’en réjouir. Elle jeta un coup d’œil en arrière vers Tsubaki, déjà sortie de notre champ de vision.

Kushida — Tsubaki-san s’est déclarée à toi ? J’y pense depuis un moment Ayanokôji-kun, tu es étonnamment populaire n’est-ce pas ?

Moi — Est-ce vraiment le cas ?

L’objectif de Tsubaki était complètement différent, mais il semblait que Kushida se faisait des idées. Au même moment, Horikita commença à parler.

Horikita — N’oublie pas que tu sors avec Karuizawa. Tu en es conscient ?

Moi — Es-tu sûre de ne pas être populaire non plus ?

Horikita — Pourquoi le serais-je ? Je ne crois pas.

Moi — Sudou ne s’est-il pas au moins montré intéressé ?

Ibuki — Horikita ? Sérieux ? Haha, tu ferais un beau couple avec cet idiot.

Horikita — Sudou-kun n’est pas un idiot. Il s’est montré à de nombreuses reprises plus intelligent que toi.

Ibuki — Mais je peux le mettre au tapis d’un simple coup de pied !

Je n’avais pas bien compris comment nous en étions arrivés là, mais s’il se montrait sérieux, Sudou pourrait être certainement plus fort qu’Ibuki.

Ibuki — Mais…

Après m’avoir regardé de haut en bas, Ibuki rejeta la chose avec force.

Ibuki — Comment ce mec peut être populaire ? C’est incroyaaaaaaaable !!

C’était la première fois que j’entendais quelqu’un allonger autant une voyelle.

Ibuki — Tu dois ressentir la même chose que moi Kushida, n’est-ce pas ?

Kushida — Eh ?

Ibuki — Pas de « eh ? ». Toi aussi tu trouves ça absurde, non ?

Kushida — Ce n’est pas comme s’il n’avait aucun charme. En observant bien, tu pourrais remarquer qu’il n’y a pas vraiment d’autres gars décents à l’école. Il sort clairement du lot par rapport à cette masse de mecs bofs.

Ses propos sonnaient comme des compliments, mais ça ne l’était pas au fond.

Ibuki — Je pense qu’ils sont tous pareils pour moi… !

Kushida — Si jamais tu devais sortir avec Ryuuen ou Ayanokôji-kun, lequel des deux choisirais-tu, Ibuki-san ? 

Suite à la question de Kushida, Ibuki resta silencieuse pendant un moment tandis qu’elle affichait un visage perplexe. Finalement, elle arriva à une conclusion.

Ibuki — Je ne peux pas choisir entre un curry au goût de merde, et de la merde au goût de curry.

Horikita et Kushida s’éloignèrent d’Ibuki comme pour se désolidariser de ses propos. Personne ne voulait entendre ce genre de chose, surtout quand le principal concerné était présent. Si j’avais tenté de prendre la fuite, elle se serait très certainement mise à ma poursuite. Je n’avais donc d’autre choix que d’encaisser.

Moi — C’est quoi cette comparaison ?

Pour le moment, je décidai de répondre à la chose.

Ibuki — Comment ça ? Ça veut dire ce que ça veut dire !

De telles analogies ne me dérangeait pas, mais ça faisait un peu mal. D’ailleurs, j’étais qui dans les deux options ? En fait, je ne veux pas savoir. Si j’avais le choix, alors je choisirais la première option. Même si le goût de la deuxième était meilleur, il était très dangereux d’ingurgiter une grande quantité d’E.colis[2]. La première option allait causer des dégâts à nos papilles gustatives et à nos récepteurs olfactifs, mais le plat restait du curry. Les effets secondaires étaient bien moindres.

Mais, si notre cerveau ne déterminait la dangerosité d’un plat qu’au travers de notre odorat, on pouvait souffrir de risques inattendus pour la santé…

Ibuki — Qu’est ce qui ne va pas Ayanokôji ? Tu t’éloignes.

Moi — Ce n’est rien…

Y avoir pensé trop intensément m’avait fait me sentir mal.

Je préférai donc tout oublier.

1

Étant donné que la revanche se tenait juste après l’entraînement spécial, nous en avions vite terminé après quelques échauffements.

Moi — On a fait tout ce qu’on pouvait. Maintenant voyons jusqu’où vous pourrez aller dans le vrai combat.

J’avais attendu que leur respiration se calme avant de parler.

Horikita — Oui, merci. Grâce à toi, nos chances de victoire ont bien augmenté.

Inclinant sa tête avec politesse, elle pressa aussi Ibuki de me remercier. Bien qu’elle n’eût aucune intention de suivre le mouvement, elle se retourna et renifla.

Ibuki — Je ne te remercierai pas. Te donner un bon coup de pied un de ces jours sera ma manière de te remercier.

Moi — Si c’est comme ça alors non merci, ça ira.

Ibuki — Tss…

Moi — Sur ce, je vais devoir y aller. Faites de votre mieux.

Kushida — Eh ? Tu pars ? Je pensais que nous allions les regarder ensemble.

Kushida, qui nous observait au loin, était partie du principe que j’allais rester.

Moi — Si mon implication venait à être révélée, cela ne ferait que porter préjudice à Horikita et Ibuki.

Si, par ma faute, Amasawa était sur ses gardes, l’attaque surprise ne fonctionnerait plus. Afin d’augmenter les chances de gagner, ne serait-ce que d’1%, il valait mieux que je ne sois pas présent.

Kushida — Je comprends. Je ferais donc en sorte de tout regarder. J’ai même apporté mon téléphone pour l’occasion. 

Si jamais quelque chose d’embarrassant venait à se passer, elle devait très certainement penser que ce serait une bonne opportunité de prendre des photos. En dehors de ça, j’avais quelque chose d’autre à faire ce matin. Juste avant 7h, il n’y avait naturellement presque aucun élève présent dans le parc.

La personne que j’avais fait venir ici était assise sur un banc, attendant mon arrivée.

Moi — Il fait assez froid, non ? Tu n’étais pas obligée de venir avant l’heure.

— Ne t’en fais pas pour ça. C’est assez rare que tu m’appelles, Ayanokôji-kun. J’ai apprécié l’attente.

Moi — Puis-je m’asseoir à côté ?

 — J’ai laissé de la place, exprès.

Sakayanagi, qui était en train de sourire, m’accueillit comme à son habitude.

Moi — Je vais aller droit au but. Yamamura attend dans le parc canin à côté.

Sakayanagi — Eh ? Le parc canin ? Yamamura-san ? Comment ça ?

Moi — Ne t’attendais-tu pas à ce que je mentionne son nom ?

Sakayanagi — Elle est dans ton groupe ? A-t-elle causé du tort ?

Sakayanagi venait d’inventer un prétexte à la mention de Yamamura.

Moi — Tu le savais bien que nous étions dans le même groupe, non ?

Sakayanagi — C’est une surprise. Après être montée dans le bus, j’avais naturellement pris connaissance de la répartition de mes camarades. Mais en tant qu’observatrice, je ne m’y suis pas intéressée plus en profondeur.

Bien sûr, je savais déjà que Sakayanagi tentait de camoufler la chose, mais après ce que j’allais lui dire, elle n’allait plus avoir d’échappatoire.

Moi — Pendant le deuxième jour du camp, nous avions eu une discussion. Tu avais mentionné la présence de Hashimoto et Morishita dans mon groupe en me demandant des nouvelles du premier. Tu es bien trop fière pour ne pas retenir exactement là où sont tes petits camarades même si tu t’en fiches. Pourtant, tu n’as pas cité Yamamura avec Hashimoto et Morishita.

Cela suffisait à prouver qu’elle évitait inconsciemment de parler de Yamamura.

Sakayanagi — C’est qu… 

Peu importe l’excuse qu’elle s’inventait, elle ne pouvait pas nier la réalité.

Sakayanagi — C’est la vérité. J’admets ne pas avoir mentionné le nom de Yamamura-san. Mais ce ne sont en aucun cas tes affaires Ayanokôji-kun.

Moi — En effet, ce ne sont pas mes affaires. Je me mêle très certainement de ce qui ne me regarde pas en faisant ça.

Mais je continuai. Sakayanagi savait absolument tout, donc je n’avais pas besoin de tourner autour du pot.

Moi — Tu as perdu Kamuro. Et au même moment, tu t’es vue confier ses sentiments. Mais ça ne veut pas dire que tout est revenu à la normale. Tu n’as même pas encore choisi qui avoir à tes côtés, n’est-ce pas ?

Près de moi, un souffle blanc s’échappa des lèvres de Sakayanagi.

Sakayanagi — Oui, je n’ai pas encore choisi. Suggères-tu Yamamura-san ?

Moi — Ce n’est pas ce que j’insinuais. À chacun ses qualités et défauts.

Il était plutôt difficile d’imaginer Yamamura soutenir Sakayanagi de toute son âme.

Moi — L’examen spécial de survie et d’élimination est encore présent en vous.

Sakayanagi — …Es-tu en train de parler de Yamamura-san et moi ?

Moi — C’est exact. Yamamura souffre et ne peut plus avancer, bien que sa situation soit bien différente de la tienne.

Elles étaient encore prisonnières de l’examen. Si Sakayanagi était la lumière de la classe A, Yamamura en était l’ombre. On pouvait dire sans risque qu’elles étaient indissociables l’une de l’autre. Les liens ne pouvaient être coupés.

Moi — Tu devrais t’en occuper si la situation te préoccupe autant.

Sakayanagi — Ce que tu dis est bien étrange, Ayanokôji-kun.

Moi — Étrange ?

Sakayanagi — Je pensais que tu comptais rester discret. Cette intervention inutile n’est-elle pas un tant soit peu excessive de ta part ?

Moi — C’est vrai. Jusqu’à il y a peu, je pensais également qu’il valait mieux que je ne m’implique plus trop.

Sakayanagi n’avait pas besoin d’aide supplémentaire. C’était suffisant pour qu’il n’y ait plus qu’à attendre qu’elle se lève d’elle-même. Cependant, la situation avait significativement changé peu avant l’examen qui avait poussé Hashimoto à les trahir. C’était pourquoi je faisais maintenant ce que je pensais être nécessaire.

Moi — Je ne veux pas particulièrement t’imposer Yamamura. Je n’ai pas du tout de telles attentes. Que tu veuilles te rapprocher d’elle, prendre tes distances ou même couper les ponts, ça te regarde. Mais si tu veux aller lui parler, c’est maintenant ou jamais.

Reporter le problème à plus tard n’allait bénéficier à personne.

Moi — Ne serait-il pas plus intelligent de profiter de ce camp pour exorciser le passé et laisser tout derrière ?

Sakayanagi — Mais…

L’entêtement profond de Sakayanagi. Je n’étais pas le mieux placé pour parler, mais elle aussi était mauvaise pour se lier d’amitié. Elle était inexpérimentée, et ne savait donc pas comment réagir.

Moi — Comme je l’ai dit avant, Yamamura attend dans le parc canin. Elle t’attend dans le froid depuis plus de vingt minutes maintenant.

Sakayanagi — Si tel est le cas, n’es-tu pas un peu méchant, Ayanokôji-kun ? Tu avais promis de me rejoindre pour 7h. Nous ne parlons même pas depuis dix minutes. Elle devait donc attendre depuis bien plus longtemps.

Du point de vue de Yamamura, attendre inutilement pendant autant de temps rendait l’expérience assez rude. Du point de vue de Sakayanagi, elle pouvait être accablée par la culpabilité d’avoir fait attendre Yamamura.

Moi — Cela faisait partie de mon plan.

Elle était assez vive d’esprit pour remarquer ce genre de détails. On reconnaissait bien là Sakayanagi.

Sakayanagi — Il n’y a donc guère le choix. Je ne peux pas la laisser attraper froid à cause de moi. Allons tout de suite la retrouver.

Sakayanagi, incapable de reconnaître ses torts dans l’immédiat, se leva pour une raison appropriée. C’était bien. Si elle parlait en tête à tête avec Yamamura, elles allaient pouvoir s’exprimer comme il se doit.

Moi — Faut marcher un peu quand même, mais tu peux t’y rendre en cinq minutes. Pars devant.

Je me levai également. Cependant…Sakayanagi ne fit pas un seul pas.

Moi — Qu’est-ce qui ne va pas ?

Ma question ne trouva pas de réponse, et un bref silence s’ensuivit. Pendant ce temps, Sakayanagi essaya de marcher, mais ne put faire ne serait-ce qu’un pas.

Sakayanagi — …Mes…jambes…

Ses jambes ? Peut-être souffre-t-elle ?  J’y avais pensé pendant un instant, mais…

Sakayanagi — Mes jambes…je ne peux pas les bouger…je me demande pourquoi.

Il était évident que l’origine du problème n’était pas physique, mais bien psychologique. Même si elle agissait courageusement au travers de ses mots, comme à son habitude, son corps ne semblait pas être d’accord. Il semble que le changement dans son cœur, celui-là même mis en évidence par Kamuro, était aussi mis à nu ici.

Moi — Tu ne te sens pas capable de montrer cette facette de toi à une autre personne ?

Sakayanagi — Oui, c’est vrai…

Alors qu’elle se tenait debout, perplexe et incapable de faire un pas en avant, j’attrapai la main gauche de Sakayanagi. M’ayant attendu pendant longtemps, le bout de ses doigts était gelé.

Moi — Dans ce cas, juste pour cette fois, je serai tes jambes. Cela devrait te rendre la marche plus aisée.

Sakayanagi — Je suis désolée…

Moi — C’est bon. J’en suis le seul responsable.

Nous avons par la suite continué d’avancer lentement, sans même nous dire un mot.

Finalement, nous aperçûmes le parc canin. Voyant Yamamura se tenir dans l’ombre du grand arbre au loin, Sakayanagi, malgré sa confusion, leva lentement la main pour marquer sa présence.

Après l’avoir gentiment poussée dans le dos, Sakayanagi commença à marcher par elle-même, bien qu’avec l’aide de sa canne.

À partir de cet instant, ce n’était plus à moi d’intervenir. Sakayanagi et Yamamura devaient parler et trouver leur propre solution. Tout en m’attendant à un dénouement positif, je me détournai d’elles et quittai les lieux.

C’est ainsi que s’acheva ce camp de découverte de trois nuits et quatre jours.


[1] Phrase volontairement vague et fragmentée dans le texte original

[2] Escherichia coli (E. coli) est une bactérie que l’on trouve couramment dans le tube digestif de l’être humain.

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