CLASSROOM Y2 V10 Chapitre 3

L’identité du bienfaiteur

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Traduction : Totoz
Correction : Raitei
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Nous étions un vendredi après les cours, un jour après l’annonce de l’examen spécial. À la suite de notre précédente discussion en classe pendant le déjeuner d’hier, aucune mesure relative à l’examen ne fut prise. Portant la responsabilité de représenter la classe, j’espérais une progression durant la nuit de la part de Horikita dans ses stratégies et ses idées. Je ne connaissais pas les détails, mais elle n’avait pas tenté de prendre contact avec moi. Il restait encore une semaine, il n’était donc pas nécessaire de se précipiter. Je préférais personnellement qu’elle prenne le temps de réfléchir.

         —Ayanokôji-kun… humm, tu as un moment ?

Mii-chan m’avait appelé alors que je m’apprêtais à quitter la salle de classe tout seul. Kei avait déjà prévu de sortir avec des amies jusqu’à tard ce week-end, elle était donc déjà partie. Par conséquent, j’étais complètement libre à ce moment-là et je pouvais me permettre de ménager mon temps.

Moi Qu’est-ce qui ne va pas ?

Wang — J’aimerais parler ailleurs si possible… pas dans la salle de classe.

Bien qu’aucun élève autour de nous ne semblait gêner, Mii-chan n’avait pas l’air d’être à l’aise ici. Vu son comportement, on aurait dit qu’il s’agissait de quelque chose de sérieux.

Moi — Je vois. Pourquoi pas sur le chemin du retour vers les dortoirs ?

Wang — Avec plaisir !

N’ayant aucune autre raison particulière de rester dans la salle de classe, j’attrapai mon sac avant que l’on se dirige vers la sortie. Il n’était pas nécessaire de trouver un endroit vide. Le couloir et l’entrée du bâtiment étaient animés d’un brouhaha à cause des élèves quittant leurs salles.

Moi — Alors, quoi de neuf ?

À ma question, Mii-chan jeta un coup d’œil autour d’elle comme pour s’assurer qu’elle était en sécurité. Puis elle commença à parler.

Wang — Tu te souviens de ma petite période d’absence des cours ? C’est… embarrassant à dire, mais c’était à cause de Hirata-kun…

C’était à la fin du mois de septembre, juste après que Kushida ne révèle son béguin pour Hirata lors de l’examen spécial du consensus.

Moi — Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ?

Wang — On a dit que quelqu’un me livrait de la nourriture durant ce moment où je ne sortais pas de chez moi.

Moi — Je me souviens. Quelqu’un t’envoyait généreusement des repas, n’est-ce pas ?

Je me suis souvenu de la fois où l’on m’avait demandé si c’était moi.

Wang — Je t’en ai déjà parlé et je voulais te demander de l’aide

Moi — Je vois.

Un temps considérable s’était écoulé depuis mais si elle en parlait maintenant, cela voulait dire que…

Moi — Tu as trouvé de qui il s’agit ?

Wang — Euh, pas encore. Si on essaie, je pense qu’on peut le découvrir.

Moi — C’est-à-dire ?

En répétant ses paroles, Mii-chan hocha la tête et commença à parler lentement. Même après avoir rassemblé tout son courage pour retourner en cours, elle semblait toujours préoccupée par l’identité de son bienfaiteur. Je pensais qu’elle avait abandonné cette idée, mais elle semblait ne rien lâcher, voulant absolument exprimer sa gratitude. Il y avait deux indices. Le premier était une note dans chaque sac de provision contenant uniquement le numéro de la chambre. Cela laissait entendre qu’il s’agissait d’un cadeau pour Mii-chan. Si l’écriture était reconnaissable, cela pouvait être un indice crucial. Malheureusement c’était vain. Mii-chan avait apporté le papier ici pour que je le voie, mais l’auteur avait fait en sorte d’écrire de manière commune.

Moi — Cette personne est plutôt rusée.

Wang — En effet.

Il fallait faire place maintenant au dernier indice. Toute la nourriture avait été achetée en supérette et Mii-chan avait noté chaque article reçu. Nous pouvions ainsi décrire ces articles au vendeur du magasin et savoir si d’autres élèves avaient acheté les mêmes choses. Demander au personnel de la supérette était une démarche logique mais plus le temps passait et plus leur mémoire s’effaçait inévitablement ce qui signifiait qu’il fallait faire vite. Pensant que Mii-chan n’avait rien fait, je fus surpris en entendant sa réponse.

Wang — J’ai essayé d’en parler à l’employé de la supérette dès mon retour à l’école.

C’était encore tombé à l’eau car Mii-chan avait discuté avec quelqu’un qui venait d’être affecté au service et qui ne savait rien de la situation. Le gérant qui était là pendant les achats du bienfaiteur avait été transféré ailleurs. Un policier aurait pu demander à regarder les caméras de surveillance mais je n’avais pas ce pouvoir.

Wang — J’ai aussi essayé de demander aux filles de mon étage, mais elles n’avaient aucune idée. C’est à partir de là que j’ai abandonné.

En l’absence d’indices, un élève ordinaire ne pouvait rien faire.

Moi — Tu ne pouvais pas faire autrement.

Wang — Oui…

Du temps avait donc passé sans que cela n’avance. Cependant, des informations inattendues étaient parvenues à Mii-chan alors qu’elle était dans une impasse. Lorsqu’elle s’était rendue l’autre jour dans la supérette pour faire des achats, l’employé l’avait interpellé, s’étant souvenu de ses préoccupations. Il avait en effet rencontré l’ancien gérant de la supérette. Contre toute attente, il s’était souvenu de la chose vu que cela s’était produit juste avant son transfert. Ainsi, l’employé allait révéler à Mii-chan le nom de la personne, mais…

Wang — J’ai été prise au dépourvue…ou plutôt… j’ai été ébranlée par cette nouvelle inattendue. J’ai dit que j’allais revenir plus tard pour entendre la réponse et je me suis enfuie.

Moi — Tu t’es enfuie ?

Wang — Je… me suis enfuie…oui…

Seule Mii-chan pouvait expliquer sa réaction.

Moi — Au fait, tu as eu cette conversation quand ?

Wang — Hum… c’est…

Sa difficulté évidente à répondre indiquait que ce n’était pas très récent.

Wang — …Aujourd’hui, c’est le sixième jour.

Moi — Tu t’enfuis depuis un bon moment quand même.

Wang — J’ai… fui…

Elle fut rouge à cause de l’embarras, renvoyant à sa pathétique personne.

Wang — Je pense que je devrais y aller bientôt, mais… Je suis nerveuse… Une fois que je saurais qui c’est, je ne pourrai plus feindre l’ignorance. Et puis… si la personne qui m’a offert tout ça ne s’est pas manifestée, il y a des chances qu’elle ne veuille pas être découverte.

Cela la travaillait beaucoup de ne pas pouvoir exprimer sa gratitude. Comme elle avait tout fait pour trouver la personne mais en vain, cela aurait pu rester comme ça mais maintenant qu’il y avait une possibilité de le savoir, elle n’était toujours pas tranquille.

Moi — Eh bien, c’est vrai.

Cette personne a soutenu Mii-chan dans l’ombre. Il était logique qu’elle veuille rester anonyme.

Wang — Quelles raisons pourrait-il y avoir ?

Moi — Il pourrait y avoir de nombreuses raisons.

Il était impossible de restreindre le nombre de raisons avec si peu d’infos.

Wang — Je suis sûre que c’est quelqu’un de notre classe… Je n’ai pas beaucoup d’amis alors pourquoi se cacher ? Je ne comprends pas…

Mii-chan semblait se demander qui, parmi ses amis, pouvait bien être à l’origine de ce cadeau. Pour elle, cela ne pouvait pas venir d’un inconnu.

Moi — Ce n’est qu’une possibilité… enfin, peu importe.

Wang — Comment ça ? Dis-moi, s’il te plaît.

J’hésitai, estimant que c’était trop pour elle, mais elle s’impatientait.

Wang — Je t’en prie, dis-moi ce que tu penses.

Vu qu’elle ne lâchait pas le morceau, je m’exprimai.

Moi — Désolé de remettre en cause tes hypothèses, mais il ne s’agit pas forcément d’un camarade. Même si on ne savait pas pourquoi tu étais absent, on pouvait savoir facilement que tu l’étais.

Wang — Je n’ai pratiquement aucun contact avec les autres classes…

Moi — Cela n’est pas si important. Une relation étroite n’est pas une condition préalable. Et ce n’est pas forcément une fille.

Wang — Eh, quoi ?

Elle avait l’air sidérée vu qu’elle avait moins d’interactions avec les garçons.

Moi — Si ça se trouve, un garçon t’aime secrètement. Il s’inquiétait de ton absence et est passé à l’acte en prenant soin de toi de loin.

Wang — Eeh !? Quoi ! ?

Elle faillit tomber à la renverse sous l’effet de la surprise, attirant l’attention malgré ses efforts. S’en rendant compte, elle a se mit à ralentir rapidement sa respiration, mais elle était clairement troublée.

Moi — Ce n’est qu’un exemple, pas besoin de t’emporter.

J’illustrais simplement une possibilité inattendue.

Wang — b-b-b-b-bien oui ! P-p-pas possible !

 Mais elle était bien loin de se calmer. C’était une supposition inutile à faire.

Moi — Passons. Quelle est ta décision ?

J’avais bien cerné la situation mais que voulait Mii-chan au fond ?

Wang — Je ne sais pas trop. Découvrir qui c’est ? Le remercier ?

Moi — Il serait préférable de prendre une décision maintenant.

Mii-chan hocha légèrement la tête, sans grande confiance.

Wang — Que ferais-tu dans cette situation, Ayanokôji-kun ?

MoiQue ferais-je, hein… ?

Même si c’était une réflexion rapide, autant répondre honnêtement.

Moi — Je ne suis pas sûr que ça t’aidera, mais si c’était moi, je voudrais savoir qui c’est. Ensuite, je déciderais si je l’approche ou non.

Wang — Il y a donc une possibilité que tu ne le remercies pas ?

Moi — En effet. Si la personne n’a aucun lien avec moi, j’hésiterais. Et il y a des cas où il vaut mieux faire semblant de ne pas être au courant.

Wang — Ça se tient…

Cette personne avait secrètement aidé Mii-chan. Si cette dernière venait à la remercier, cela pourrait la surprendre. Et ce, qu’il y ait romance ou non.

Moi — Vu que cette personne veut rester anonyme, c’est plus gênant.

Wang — …Oui.

Moi — Mais je ne pense pas que mon approche te convienne. Tu n’es pas du genre à garder une info pareille comme si de rien n’était.

Wang — En effet… Oui…

Si elle savait qui c’était, les émotions seraient trop fortes pour elle.

Moi — Ce n’est pas une mauvaise chose de ne pas savoir.

Wang — Même si…

Elle se sentait coupable. Les émotions enfouies avaient refait surface. Même si elle abandonnait, il allait lui falloir beaucoup de temps pour digérer.

Moi — Une fois la boîte de Pandore ouverte, tu ne peux plus la refermer

Compte tenu de son instabilité émotionnelle, sa fuite n’était pas surprenante. Ne pas connaître l’identité de son Papa longues jambes[1] était ce qui lui convenait. Mais peu importe la personne, c’était toujours complexe de recevoir une telle révélation si on voulait aller au bout du processus.

Wang — Je…

Mii-chan, troublée, prit son temps pour trouver une réponse.

Wang — Je… Je veux savoir…

Moi — Même si cela peut entraîner des regrets ?

Wang — …Oui.

Ayant pris sa décision, je n’avais pas la possibilité de la contredire.

Moi — Alors tu devrais aller à la supérette.

Malgré ma réponse, elle hésitait toujours, regardant dans ma direction.

Wang —

Moi —

Il y avait une tension étrange dans l’air mais je comprenais Mii-chan.

Moi — Tu veux que j’y aille avec toi ?

Wang — Ce serait possible ?

Bien que préparée pour la vérité, elle semblait incapable d’y faire face seule.

Moi — Je peux t’accompagner. Si cela peut te donner un peu de courage, je crois que cela en vaut la peine.

Wang — M… Merci, Ayanokôji-kun !

Avec le plus fort hochement de tête de la journée, Mii-chan et moi nous nous dirigeâmes vers la supérette.

1

Nous étions arrivés à la supérette presque immédiatement. Je m’apprêtais à entrer en premier mais Mii-chan tira ma manche.

Wang — Tu peux attendre un peu ? Il y a d’autres élèves ici.

Moi — Tu veux que ça se vide ?

Wang — C’est peu probable, mais cette personne pourrait être ici.

Moi — Je vois.

Mii-chan était toujours pleine d’attention. Il fallait prendre en considération ses propos. Même si beaucoup d’élèves venaient à la supérette le week-end, ils partaient vite. Après un petit moment, le magasin se vida.

Moi — On y va ?

Wang — O-Oui !

Il ne fallait pas attendre longtemps au risque de voir d’autre élèves rappliquer. Nous entrâmes ainsi rapidement.

Bienv…Ah.

L’employée était une femme d’une vingtaine d’années, quelqu’un que j’avais souvent vu ces derniers temps. En voyant Mii-chan, elle s’arrêta au milieu de sa phrase mais continua de plus belle avec un sourire.

Bienvenue.

Wang — Bonjour. Hum, je suis désolée de m’être enfuie l’autre jour !

Alors qu’elle s’inclinait rapidement, la vendeuse lui fit un beau sourire.

C’est bon, ça ne me dérange pas du tout. C’était effrayant, non ?

Elle avait compris son trouble intérieur. Mii-chan hocha la tête plusieurs fois.

— C’est ton petit ami qui t’a encouragée à revenir ?

Wang — Eh ?

Mii-chan leva les yeux, perplexe.

il est vraiment cool, je suis jaloux.

Wang — Eh, eh, eh ? M-mon petit ami ?

— C’est Ayanokôji-kun… c’est ça ?

Moi — comment connaissez-vous mon nom ?

Eh bien, nous utilisons les cartes étudiant pour les transactions en magasin, alors j’ai fini par me souvenir du nom de certains.

En effet, nous utilisions notre carte avec le nom et la photo lors des passages en caisse. Comme j’avais fait mes courses plusieurs fois ici, ce n’était pas si surprenant.

Tu faisais tes courses bras dessus bras dessous avec une autre fille l’autre jour… Ah !?

Moi — Je pense que vous avez compris. C’est juste une amie.

Lorsque je pointai Mii-chan du doigt, cette dernière hocha la tête.

Oh, c’est donc ça. Mais il pourrait y avoir un « -chan[2] »…

Wang — Il n’y en a pas !!

Mii-chan nia catégoriquement de toute ses forces. Je n’avais aucun sentiment romantique pour elle, mais pourquoi me sentais-je un peu dépité ? Mii-chan, qui aimait bien Yôsuke, ne voulait pas qu’on se méprenne en tout cas.

Wang — Alors, hum, la personne que je cherchais…

  •  Ah, oui. Est-ce que je peux te le dire ?

L’employée lui demanda confirmation par égard pour Mii-chan.

Wang — Oui. Je suis venue pour cette raison.

Je vois. Je vais te le dire alors.

Après avoir repris son souffle, elle révéla la personne que Mii-chan recherchait.

Le précédent gérant ne se souvenait pas de son nom, mais l’élève était très reconnaissable alors quand il me l’a décrit, j’ai eu un flash. Quelqu’un de ta classe, Kôenji… hum, Rokusuke-kun, je crois. C’est lui qui aurait fait ces achats journaliers.

Wang — Huh… ?

L’identité de la personne qu’elle souhaitait ardemment découvrir n’était nulle autre que celle de Kôenji ? Pourquoi lui parmi tant d’autres ? Mii-chan à côté de moi était surprise, sidérée même. Un nom inattendu. Trop inattendu…Ou peut-être que ce n’était pas aussi surprenant que je le pensais. Kôenji et Mii-chan avaient peu de contacts, mais à certains moments, je voyais Kôenji adopter une attitude relativement chaleureuse envers Mii-chan. En soi, ce n’était pas forcément significatif mais on parlait de Kôenji tout de même.

Wang — C…C’est vraiment Kôenji-kun ?

La vendeuse acquiesça sans aucune hésitation à cette question vaine.

Le chef d’équipe se souvenait de lui comme d’un garçon blond aux cheveux longs. Il jouait toujours les gros bras, allant jusqu’à se perdre dans le reflet d…de la vitre de la supérette, ou se coiffer à l’aide d’un miroir à main. Et… la liste est longue, mais c’est Kôenji-kun, n’est-ce pas ? Je l’ai aussi vu agir de cette façon.

Il s’agissait sans aucun doute de Kôenji. Il n’y en avait pas deux des comme lui dans cette école et il n’y en aura probablement jamais.

Wang — Il semble qu’il n’y ait pas d’erreur.

Moi — Oui, même le contenu des sacs ressemble à du Kôenji tout craché quand on y pense. Tout prend son sens.

Wang — Oui…

Elle n’arrivait pas à saisir pleinement la situation, mais elle n’avait d’autre choix que d’accepter. Elle remercia la vendeuse et quitta la supérette.

Mii-chan était encore dans un état second après son départ. Elle semblait perdue dans ses pensées.

Wang — Kôenji-kun… ? Pourquoi ?

Moi — Aucune idée. C’est la personne la moins prévisible pour le coup.

Wang — Que dois-je faire… ?

Se demandait-elle comment le remercier ou était-elle désemparée ?

Moi — Mais vu que c’est Kôenji, peut-être que tu peux l’ignorer, non ?

Wang — Eh, quoi ! ? Non, je ne peux pas !

Moi — Mais pourquoi ?

Wang — Eh bien… C’est notre camarade et il a beaucoup dépensé.

Kôenji avait beau détenir une énorme quantité de points privés, l’argent restait de l’argent. Mii-chan, consciencieuse, ne pouvait pas l’ignorer.

Wang — Je vais lui acheter un cadeau. Pense-tu qu’il faut qu’il soit à peu près équivalent à ses dépenses ?

Moi — C’est trop. Je pense que la moitié ferait l’affaire.

C’était un cadeau de bonne volonté après tout, tant que le sentiment de gratitude était transmis, cela devait suffire.

Wang — D’accord, j’ai compris. Je vais le faire.

Moi — Alors il ne te reste plus qu’à faire de ton mieux pour le remercier comme il se doit.

J’étais sur le point de dire au revoir et de commencer à marcher seul quand…

Wang — Tu veux bien venir avec moi ?

Moi — Pardon ?

Wang — Chez… Kôenji-kun.

Moi — Sans te demander pourquoi, ma présence serait bizarre, non ?

Même si je voulais la soutenir car timide, cela me semblait un peu déplacé.

De plus, je ne savais pas pourquoi Kôenji avait décidé de l’aider.

Moi — Et si mon hypothèse est correcte ? J’ai beau dire que je sors avec Kei, il pourrait se faire des idées s’il me voit accompagner la fille qui lui plaît.

Wang — sauf que la personne en question est Kôenji-kun.

Moi — Kôenji est un lycéen norm… Non, il n’est pas tout à fait normal.

Si ma présence le dérangeait, ce serait quelque chose que j’aimerais voir.

Moi — Bon, je viens pour l’instant. En fonction de la situation, je pourrais partir après avoir vu Kôenji. J’espère que tu comprends.

La possibilité qu’il soit mal à l’aise à cause de ma présence était très probable.

Wang — Je comprends. Je te remercie.

Sachant ne pas pouvoir demander plus, Mii-chan accepta sans hésiter.

Moi — Quand devrions-nous partir ?

Mii-chan sortit son téléphone et ouvrit le calendrier. Peut-être se sentait-elle mal à l’aise, touchant de temps en temps légèrement l’attache de cheveux de sa main gauche.

Wang — C’est soudain, mais ça te va si nous partons demain dans la matinée ? Si nous attendons trop longtemps, je risque d’avoir du mal à dormir.

Il serait cruel de la laisser plusieurs nuits avec constamment Kôenji en tête.

Moi — J’ai rendez-vous avec Kei demain matin, mais ça devrait s’arranger si on adapte notre emploi du temps.

Wang — Je te remercie pour cette journée. Nous nous reverrons demain, mais pour l’instant, je te prie de croire à mes remerciements les plus sincères.

Sur ce, elle inclina profondément la tête. Elle voulait exprimer à nouveau sa gratitude une fois que tout serait résolu, mais je lui avais dit que ce n’était pas la peine.

2

Le jour J était arrivé. Il était un peu avant 11h30, un samedi matin. J’attendais sur le canapé du hall d’entrée du dortoir mon rendez-vous avec Mii-chan. Kei, qui était resté furtivement dans ma chambre vendredi soir et avait passé les premières heures du matin avec moi, dormait profondément. J’avais prévu de retarder notre rendez-vous initialement prévu pour l’après-midi. En voyant Mii-chan descendre l’ascenseur depuis le moniteur, je me levai du canapé dans lequel j’étais profondément assis.

Moi — Bonjour.

Wang — Bonjour, Ayanokôji-kun.

Elle tenait son cadeau dans un sac en papier, probablement acheté la veille.

Moi — Alors ? Où as-tu rendez-vous avec Kôenji ?

Wang — Eh ?

Moi — Tu vas voir Kôenji après ça, n’est-ce pas ?

Wang — Oui.

Moi — Tu as bien rendez-vous avec lui, non ?

Wang — Je… n’en ai pas pris.

À la réponse de Mii-chan, l’atmosphère autour de nous se figea. Le silence s’était installé tandis que le temps s’écoulait. Mais je ne pouvais pas rester silencieux éternellement, alors je pris les devants.

Moi — Kôenji ne sait rien à propos d’aujourd’hui, c’est ça ?

Mii-chan, qui hocha la tête, avait l’air d’être sur le point de pleurer.

Wang — Ah, ça aurait dû être logique n’est-ce pas ?  Je n’y avais pas pensé du tout à cause du choc. Je n’ai même pas les coordonnées de Kôenji-kun. Je pensais que tu avais pris des dispositions à ce sujet. J’ai interprété la chose arbitrairement… Je suis vraiment désolée !

Alors qu’elle parlait, Mii-chan ne pouvait plus retenir ses larmes. Heureusement, il n’y avait personne dans le hall d’entrée, mais ce serait gênant si quelqu’un nous voyait.

Moi — Tout d’abord, tu devrais te calmer. Je ne suis pas vraiment proche de Kôenji, mais je sais où le trouver.

Wang — Vraiment ?

Bien qu’il n’y avait aucune certitude, je savais qu’il y avait d’assez bonnes chances que je le trouve.

Moi — Kôenji doit être à la salle de sport.

Wang — La salle de sport ? Celle qui se trouve au deuxième étage du centre commercial Keyaki ?

Moi — Oui. J’ai moi-même commencé à y aller récemment. Kôenji venait souvent les matins du week-end.

Je l’avais vu plusieurs fois sortir après avoir terminé sa séance d’entraînement à midi. En voyant cette perspective positive, Mii-chan se ressaisit et nous partîmes en direction du Keyaki. En chemin, je jetai un coup d’œil à Mii-chan, dont les yeux étaient encore légèrement rouges. Elle était douée pour les études et avait une personnalité calme mais lorsqu’elle était confrontée à des situations inattendues, elle était plutôt fragile. Ce n’était ni rare, ni commun comme comportement mais ça ne courrait pas les rues.

C’est pourquoi son lien avec Kôenji était intriguant. L’aimer ou non était une autre histoire mais objectivement, Mii-chan avait une apparence bien au-dessus de la moyenne. Peut-être qu’elle suffisait même aux exigences de Kôenji d’où son comportement chaleureux envers elle. Mais Kôenji n’était pas du genre à rester dans l’ombre si quelqu’un lui plaisait. Je le voyais plus draguer la fille qui l’attirait sans retenue. C’était une contradiction pour un garçon avec une telle confiance en lui de ne pas aborder une fille qui lui plaisait. Si c’était vraiment le cas, alors sa confiance en lui n’était pas absolue.

Ou peut-être pas… Chacun était différent.

Pour Kôenji c’était peut-être une manière de montrer son affection.

J’y avais réfléchi de différentes manières, mais malgré tout, je ne pus arriver qu’à une seule conclusion. Essayer de lire en Kôenji n’était qu’une perte de temps. La seule façon de comprendre ses véritables intentions était de le rencontrer en personne et qu’il dise les choses lui-même. Une fois entré au Keyaki, nous nous dirigeâmes au deuxième étage sans détours. Ensuite, je demandai à Mii-chan d’attendre devant la salle, le temps de vérifier qu’il soit bien à l’intérieur.

Moi — Comme prévu, il est ici.

Comme je l’avais pensé, Kôenji était en plein entraînement. On aurait dit qu’il s’attaquait au développé-couché alors il allait finir bientôt. Après tout, Kôenji terminait toujours ses séances par ça avant de quitter la salle. Malgré son épuisement, il gérait un poids de 200 kilos avec le sourire et une bonne quantité de sueur. Je devais me demander s’il y avait quelqu’un d’autre en première capable de faire cela avec autant d’aisance.

Vu qu’il était sur le point de terminer, il allait bientôt se retrouver aux douches pour partir peu après. Pour éviter toute observation gênante, je quittai rapidement la salle de sport. En sortant, je fus abordé par Akiyama-san, membre du personnel de la salle de sport, avec qui j’avais échangé de brèves salutations avant de partir. J’avais aussi promis de voir Mashima-sensei, mais je pouvais sûrement ignorer la chose pour aujourd’hui

Wang — Comment c’était ?

Moi — Je pense qu’il sera sorti dans 20 ou 30 minutes. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, nous pouvons attendre ici.

Wang — O-oui.

Après cela, nous nous assîmes sur un banc près de l’entrée de la salle et nous attendîmes.

Wang —

Moi —

Sans trop de discuter entre nous, nous écoutâmes la musique qui passait à l’intérieur du centre commercial.

Wang — Je commence à être un peu nerveuse.

À mesure que l’heure s’approchait, elle semblait sentir l’attente.

Moi — Je n’ai aucune idée de la façon dont Kôenji va réagir.

Wang — Moi non plus…

Moi — Au fait, qu’est-ce que tu vas lui offrir comme cadeau ?

Wang — Umm, je ne savais pas trop quoi lui offrir, alors j’ai opté pour une serviette pour le visage et une autre pour les mains.

Moi — Waouh… C’est un cadeau assez original.

Wang — Tu pourrais le penser, mais j’ai cru que c’était quelque chose qui lui plairait. Je vois régulièrement Kôenji-kun utiliser les deux.

Moi — Ah oui ? Je savais pour le miroir à main, mais je n’étais pas au courant de cela.

Wang — Oui. Je me suis dit que si c’était une serviette haut de gamme en coton bio, il l’accepterait peut-être, alors…

Moi — C’est un sacré budget.

On dirait que Mii-chan n’avait pas suivi mes directives.

Wang — Euh… oui. Je suis désolé…

Moi — T’en a eu pour combien ?

Wang — Eh bien… environ 12 000 ¥[3].

C’était un peu plus que les plats offerts. C’était une situation qui aurait pu être anticipée compte tenu de la personnalité de Mii-chan.

Moi — C’est très bien. J’espère que Kôenji appréciera.

Wang — Oui. Je dois lui rendre la pareille pour son aide.

Même si elle était troublée, Mii-chan répondit fermement. C’était peut-être la bonne décision de dépasser le budget pour un cadeau qui en valait la peine. Après avoir attendu près de 40 minutes, plus longtemps que prévu, Kôenji fit son apparition.

Wang — Il est sorti.

De notre point de vue, Kôenji sembla nous avoir remarqué immédiatement, mais il ne fit aucun changement d’expression et passa à côté de nous sans dire un mot comme si nous n’étions pas digne d’intérêt. En voyant son comportement, il était difficile de croire qu’il nourrissait une quelconque affection à l’égard de Mii-chan ou qu’il l’avait secrètement soutenue. Mais la vendeuse avait été claire, nous étions à 99% certain qu’il s’agissait de Kôenji. Par conséquent, la seule option était de confirmer la vérité avec lui. Mii-chan se leva rapidement du banc et commença à courir après Kôenji.

Wang — Hum, Kôenji-kun ! Puis-je avoir une minute de ton temps ?!

Elle l’appela de derrière et il s’arrêta aussitôt pour se retourner élégamment.

Kôenji — Tu as besoin de quelque chose, petite Wang ?

Wang — Eh, pet…wang, hein ?

Kôenji affubla Mii-chan d’un adjectif ce qui la rendit confuse. Incapable d’en saisir la teneur, elle s’arma tout de même de toute la détermination possible en serrant fortement les poignées de son sac en papier.

Wang — Je voulais discuter de quelque chose avec toi. Puis-je prendre un peu de ton temps, s’il te plaît ?

Mii-chan s’adressa à Kôenji d’une voix polie, douce, et déterminée. Kôenji sembla considérer sa demande un instant, puis leva le bras avant de secouer brusquement la tête.

Kôenji — Je suis désolé, mais je suis un peu pressé. Parlons-en une autre fois. Hahaha…

il se mit à rire dans notre direction avant de nous tourner le dos et s’éloigner.

Wang — Oh, oh non…

Mii-chan, qui était bien cérébrale, fut troublée après ce rejet imprévu de la part de Kôenji. Moi aussi, je me suis retrouvée quelque peu surpris.

Wang — Que devons-nous faire maintenant… ?

Moi — Réessayer.

Wang — Oh… il m’a fallu beaucoup de courage pour l’aborder. Je risque de ne pas le retrouver si je dois réessayer.

Il est certain que Mii-chan allait se heurter à un obstacle de taille en approchant à nouveau Kôenji dans la même situation. Dans ce cas, nous n’avions pas d’autre choix que de le pousser à bout aujourd’hui.

Moi — Alors nous devrions simplement suivre Kôenji.

Wang — Mais ça risque d’être long et ennuyeux, non ?

Moi — En effet. Mais si tu ne trouves pas le courage de l’arrêter alors nous sommes obligés d’en arriver là.

J’avais l’impression que le suivre n’allait pas le déranger plus que ça.

Wang — Que devons-nous faire ? Si nous le perdons de vue, nous n’aurons d’autre choix que d’abandonner.

Elle n’arrivait pas à se décider, hésitant entre avancer et reculer. Il était clair, d’après son comportement, que le suivre était sa principale préoccupation.

Wang — Dois-je donc continuer à prendre les devants ?

Moi — J’en prendrai la responsabilité s’il se plaint. Allons-y.

Wang — Oui ! C’est une filature, alors ! Il ne faut pas se faire repérer.

Et c’est ainsi que nous nous mîmes à suivre Kôenji pour l’observer de loin. Je ne voyais pas l’utilité d’y aller en secret mais Mii-chan était pressée, alors je décidai de ne pas émettre d’objections inutiles. Nous suivîmes Kôenji dans l’escalator, vérifiant lentement la direction qu’il prenait et positionnant Mii-chan derrière moi. Pendant ce temps, avec sa longue foulée, Kôenji continuait à s’enfoncer dans le centre commercial.

Wang — Ne devrions-nous pas nous dépêcher ? Nous risquons de le perdre.

Moi — Ce n’est pas grave si c’est le cas.

Tout le monde se rendait quotidiennement au centre commercial. La plupart des élèves avaient une carte mentale de l’endroit. Bien sûr, il y avait plusieurs boutiques sur le chemin de Kôenji, mais aucune n’avait une profondeur importante à son étage. Un coup d’œil rapide permettait de repérer tous les clients. Tout au bout, se trouvait un espace café ouvert. À moins qu’il n’utilise l’un des nombreux points de sortie le long du chemin, nous n’avions aucune crainte de le perdre de vue. En ce qui concerne ces sorties, il aurait été plus rapide de revenir sur ses pas pour retourner au dortoir. La probabilité qu’il ait besoin d’utiliser une sortie spécifique n’était pas très élevée. Au bas de l’escalator, j’aperçu la silhouette de Kôenji qui se retirait et qui se faisait plus petite au loin.

Wang — On dirait qu’il se dirige vers le café. Cela nous facilite la tâche.

Moi — En effet.

Après avoir confirmé de loin que Kôenji avait fini de commander vu qu’il tenait une tasse, je m’approchai et remarquai que lui et une fille étaient assis à une table pour deux personnes.

Wang — Qui est-ce ?

Moi — C’est Enoshima Midoriko de la terminale B.

Wang — Tu la connais ?

Moi — Je ne l’ai vue que dans l’OAA. Rapprochons-nous.

Wang — Mais Kôenji-kun ne nous verrait-il pas si nous nous rapprochons ?

Moi — Eh bien, nous l’avons suivi jusqu’à présent, mais je me demande si c’est vraiment nécessaire.

Nous devrions pouvoir attendre à proximité jusqu’à ce que la réunion de Kôenji soit terminée. Cela aurait été encore plus suspect que nous nous cachions pour ça et leur conversation ne m’intéressait pas.

Wang — À ce stade, j’aimerais connaître le genre de discussion qu’il a.

Mii-chan sembla avoir changé d’avis, réticente à l’idée d’être découverte.

Moi — Tu veux écouter leur conversation ?

Wang — Je sais que c’est mal, mais… Il n’est peut-être pas honnête sur la raison de son comportement avec moi. Il y a peut-être des indices dans leur conversation !

Je doutais fortement qu’il y ait des indices dans sa conversation avec Enoshima. Cela semblait n’avoir aucun rapport…

Wang — Continuons à le suivre !

Moi — Si cela peut te satisfaire Mii-chan, alors je n’ai pas d’objection. Partons de ce côté.

Pendant que Kôenji discutait avec Enoshima, il ne faisait probablement pas attention à ce qui l’entourait. Mais si nous entrions dans son champ de vision, nous ne pouvions pas être sûrs qu’il ne nous remarquerait pas. Mii-chan et moi avions opté pour une sortie stratégique en allant à une porte latérale. L’objectif était de venir du côté opposé. Bien qu’il ait fallu plusieurs minutes pour en faire le tour, Kôenji venait d’acheter à boire, ce qui signifiait qu’il allait rester un moment. Cependant…Le temps de rentrer de nouveau dans le centre commercial pour arriver au café, Kôenji n’était nulle part. Seule Enoshima était là, en train de faire défiler son téléphone.

Wang — Il pourrait être aux toilettes, non ?

Moi — …Non. La tasse de Kôenji a disparu. Ce n’est pas possible. Il doit avoir terminé sa discussion avec Enoshima. Il est parti durant ce petit laps de temps.

Wang — Alors… ça veut dire qu’on ne pourra pas le voir aujourd’hui ?

Moi — Pas la peine de se précipiter on dirait.

Nous repérâmes Kôenji qui revint de là où il était de base avec son attitude habtiuelle.

Wang — Kôenji-kun !

Kôenji — Oh ? Petite wang, petit Ayanokôji. Vous êtes encore après moi ? La popularité, que c’est difficile. Hahaha.

C’était un malentendu, mais en tout cas, Kôenji avait terminé.

Wang — Tu as un moment ?

Sans avoir le temps de bégayer à cause de la précipitation, Mii-chan entama la discussion en douceur. Sa tasse n’était pas avec lui. Avait-il déjà tout bu ?

Kôenji — Bien sûr. Mes affaires se sont terminées plus vite que prévu.

Il vient d’avoir une courte réunion avec Enoshima-senpai. Je ne peux même pas deviner de quoi ils ont discuté.

Wang — C’est toi, Kôenji-kun… qui a laissé tous ces repas sur ma porte ?

C’était le bienfaiteur recherché depuis un moment déjà. Elle était en train de chercher le pourquoi du comment. Kôenji allait-il admettre ? Ou alors allait-il être surpris ou déconcerté ? Peut-être allait-il nier ?

Kôenji — Oui c’est moi. Quelle importance ?

Kôenji affirma la chose avec une grande assurance. Un comportement très proche qui allait bien à Kôenji, vraiment inattendu.

Wang — Euh, euh, pourquoi… tu as… ?

Kôenji — Pourquoi ? Si quelqu’un a des problèmes, je l’aide. Tu n’es pas ce genre de personne toi aussi ?

Wang — …Eh ?

Avec cette réponse qui faisait sens, Mii-chan ne savait plus où donner de la tête.

Kôenji — Si cela répond à ta question, je suppose que tu peux y aller.

Mii-chan sembla ne pas savoir comment répondre à sa remarque.

Moi — Attends. Ça ne me regarde pas, mais il y a quelque chose qui me dérange. C’est naturel d’aider quelqu’un qui a des problèmes. Mais d’après ce que j’ai vu, ce n’est pas ton genre. Pourquoi as-tu as aidé Mii-chan à plusieurs reprises ? Y’a-t-il une raison à ça ?

Avec un ton inquisiteur, j’essayai de le titiller un peu.

Kôenji — Tu choisis bien tes mots, mon petit Ayanokôji. Tu ne comptes pas me laisser dire que c’était une aide sur un coup de tête. Je déteste tout simplement l’hypocrisie et en voyant une telle bonne volonté de la part de la petite Wang, j’ai ressenti une dette sincère. Je considère qu’il est naturel de la rembourser. C’est comme ça.

Même si Kôenji semblait proférer quelque chose de cool, Mii-chan n’avait visiblement aucune idée de la situation. Elle resta figée. Une chose était sûre, il ne semblait pas avoir de sentiments pour elle.

Kôenji — Est-ce qu’on en a fini ?

Lorsque Kôenji dit cela, le temps se remit enfin à bouger pour Mii-chan.

Wang — Je ne me souviens pas avoir fait quoi que ce soit pour toi. Je ne pense pas que tu me doives quelque chose. T’ai-je aidé une fois ?

Préoccupée mais ferme, elle l’avait interrogé ainsi. Après avoir compris la situation, Kôenji brossa légèrement ses cheveux en arrière.

Kôenji — Hahaha !

Il eut un grand rire.

Kôenji — Je te repaie seulement ta bonne volonté naturelle. Tu n’as pas besoin de te souvenir de ce détail insignifiant.

C’était donc son explication. Kôenji avait un jour été aidé par Mii-chan de manière sincère. Il avait apprécié que ce ne soit pas par hypocrisie alors voilà pourquoi il avait fait preuve d’une prévenance inhabituelle envers elle.

Wang — Je n’ai aucun souvenir de la chose…Mais j’accepte.

En disant cela, elle poussa un sac en papier contenant le jeu de serviettes qu’elle avait acheté en guise de cadeau de remerciement.

Kôenji — Je n’ai pas besoin de ça. Je n’attendais pas des remerciements.

Wang — Et bien, si tu n’aimes pas ça, tu as le droit de refuser. Mais dans ce cas, pourrais-tu au moins me laisser te rembourser ? La somme dépensée pour moi n’est pas donnée.

Kôenji — Je n’ai pas besoin d’argent pour le moment alors c’est non.

Je trouvais sa déclaration étrange. Certes, un élève ordinaire ne trouverait pas ça particulièrement bizarre car Kôenji avait déjà amassé une fortune depuis l’épreuve sur l’île. Cependant, c’était quelqu’un de dépensier pouvant flamber sans compter du jour au lendemain. Bien sûr, s’il disait qu’il économisait, on en resterait là, mais il venait tout juste d’acheter une grande télévision. Cela montrait qu’il n’hésitait toujours pas à se faire plaisir. C’était peut-être une excuse pour ne pas prendre les points de Mii-chan.

Wang — M-mais ça va être un problème ! J…Je ne peux pas me débarrasser de ce sentiment de culpabilité… D…Dans ce cas, pourrais-tu au moins me dire ce que j’ai fait pour toi ?

Kôenji — Oh, très chère, tu es bien exigeante. Ne te l’ai-je pas dit ? C’est une affaire insignifiante que tu n’as pas besoin de te remémorer. Point final, je n’ai rien d’autre à ajouter.

Mii-chan sembla avoir épuisé toutes ses cartes. Avec un regard quelque peu abattu, elle inclina à nouveau la tête devant Kôenji.

Kôenji — Peux-tu me laisser partir maintenant ?

Wang — O-Oui.

Moi — J’ai quelque chose à te demander en privé.

Kôenji — Je ne cherche pas à être populaire auprès de la gent masculine mais on dirait bien que tu aimes fouiner derrière moi.

Moi — C’est important. Si tu ressens de la gratitude, il y a une possibilité que tu coopères avec la classe à l’avenir, n’est-ce pas ?

Kôenji — Foutaises, mon petit Ayanokôji. On a besoin de moi pour que la classe gagne. Vois-tu, cela induit de l’hypocrisie à mon égard.

Il fallait le rapport soit naturel si on voulait être considéré par ce dernier.

Kôenji — Tant que nous vivrons sous l’empire de ce système, il n’y aura pas de place pour de la bonne volonté, je me trompe ?

Moi — Peut-être bien.

Kôenji — Tu le sais déjà. Il est hors de question je sois ton allié.

Moi — En effet. Jusqu’à présent, je n’ai trouvé aucun moyen pour obtenir ta coopération malgré mes efforts.

Kôenji — Et je ne changerai pas avant d’avoir obtenu mon diplôme. Et même au-delà. Peu importe la quantité de grands cerveaux que vous aurez en coopération, vous n’aurez aucun écho pour mon cœur. Je t’inclus bien entendu dedans.

Moi — Tu vas faire quoi si cet examen spécial se reproduit ? Et si Horikita décidait de ne pas te protéger ? On ne peut pas vraiment dire que le risque qu’elle ne tienne pas sa promesse envers toi est nul. Si ça se trouve, tu te retrouveras sous le coup d’une expulsion à cause de ta non-coopération.

Nous pourrions le menacer pour le forcer à nous aider.

Kôenji — Je me suis toujours protégé. C’est aussi simple que cela.

Il était suffisamment confiant pour s’en sortir, même sans protection.

Moi — Eh bien, cela rend les choses plus faciles. Je dirai à Horikita qu’il n’est pas nécessaire de te protéger.

Le simple fait d’avoir un élève de moins à protéger dans la classe nous donnait un avantage. Naturellement, je ne pensais pas que Horikita trahirait sa confiance.

Kôenji — Fais comme bon te semble. Quoi qu’il en soit, il est inutile d’essayer de me contraindre à quoi que ce soit.

Kôenji était tel un objet dans le décor qu’on ne pouvait déplacer, peu importe nos efforts. Ainsi, je pouvais probablement profiter de cet examen pour le faire exclure. Malgré ses capacités exceptionnelles, sa présence était une arme à double tranchant. En fonction du déroulement de l’examen spécial, il se pourrait que Horikita soit gêné par Kôenji. Si j’avais été le chef de classe, j’aurais considéré son existence comme superflue. Les règles établies sur l’île déserte ne concernaient que Horikita et moi seulement. Le supprimer de l’équation ne me faisait ni chaud ni froid, cependant…

Kôenji — Mais…

Insouciant jusque-là, il avait changé de ton. Son regard s’aiguisa.

Kôenji — Si quelqu’un essaie de se débarrasser de moi, il a intérêt à bien se préparer.

Avait-il lu dans mes pensées ? Non, il devait s’agir de sa folle intuition.

Moi — Préparé, hein ? Je me demande ce que tu vas faire.

Kôenji — Cela fait partie de la surprise.

Ce n’était pas si simple d’attaquer une personne en particulier. Il fallait se préparer à des actions qui pouvaient ébranler la classe dans son ensemble.

Kôenji — Vas-tu ouvrir cette boîte ? Cela pourrait te faire reconsidérer la surestimation de ta personne.

Moi — Pour ma part, je n’ai pas l’intention de le faire. Horikita reste celle qui dirige la classe.

Kôenji — Qu’il en soit ainsi. J’ai des dates[4] qui m’attendent, alors ciao.

Je n’avais pas compris l’utilité du terme mais je n’allais pas lui parler de sitôt. Cela faisait longtemps que j’observais Kôenji et c’était vraiment un phénomène. Mais nous devions gagner tout en le traînant.

Wang — Ah, hum… Ayanokôji-kun.

Moi — Je suis désolé. Je voulais juste lui poser quelques questions mais je me suis laissé emporter par l’atmosphère du moment.

Je présentai de légères excuses à Mii-chan, que j’avais laissée de côté.

Wang — Ce n’est rien, mais… hum…

Moi — Qu’est-ce qu’il y a ?

Wang — Non, oublie.

J’avais en effet utilisé un ton quelque peu menaçant face à Kôenji. Je suppose que c’est ce qui avait un peu troublé Mii-chan.


[1]Référence au roman épistolaire américain de Jean Webster « Daddy-Long-Legs » ou « Papa longues jambes ». Le personnage était un bienfaiteur anonyme.

[2] Si un garçon emploi le suffixe « -chan » pour une fille, ça dénote une certaine proximité. Pour ça que Kamuro est soulée par Hachimoto.

[3] Environ 75€

[4] Rencards/des rdv ». C’est une façon pour Kôenji de crâner tout en sonnant plus anglais. En japonais, le terme souvent utilisé est Dēto (デート) qui vient de l’anglais « Date »,le mode singulier. Là, il dit Dētsu (デーツ)qui vient de l’anglais « Dates »,le mode pluriel mais qui est très peu utilisé en japonais.

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