CLASSROOM Y2 V0 Épilogue


Un aperçu de l’avenir

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Dr. Suzukake — Nous sommes le 11 mars. Ici Suzukake Tanji.

Suzukake fit face à la caméra de son téléphone, et plaça l’objectif sur le bureau.

Dr. Suzukake — Je suis responsable éducatif depuis longtemps, ici.

Ce jour-là, Suzukake décida de laisser aller ses pensées en se livrant à la caméra.

Dr. Suzukake — Hélas, la White Room va stagner un moment. Je ne connais rien à la politique, mais il semble qu’un politicien nommé Naoe ait essayé d’empêcher le retour d’Ayanokôji-sensei. Quel ennui, mais j’ai décidé de voir le bon côté des choses. Après tout, cela fait longtemps que je n’ai pas pris de vacances.

Prenant une inspiration, Suzukake éteignit l’écran de son ordinateur.

Dr. Suzukake — Les êtres humains sont vraiment intéressants. Comme les enfants, ils apprennent des choses qu’on ne leur apprend pourtant pas. Je l’ai remarqué avec la 4ème génération, et ai par la suite introduit un programme de communication à partir de la 5ème. Bien sûr, cela a conduit à certaines inefficacités : en raison du développement des émotions, le taux d’augmentation des capacités a diminué. Néanmoins, le niveau de difficulté du programme dépasse légèrement celui des générations précédentes, de sorte que les élèves de 5ème génération et suivantes ont de meilleures capacités que les élèves de la 3ème génération. :

Les méthodes étaient les mêmes, les émotions considérées comme un bonus.

Dr. Suzukake — Sur les dix niveaux de difficultés envisagés, le programme que nous avions préparé pour la 5ème génération était de niveau 4, et pour la 6ème de niveau 5. C’est probablement la limite, le niveau 6 ayant provoqué l’abandon total au sein de la 7ème génération. À terme, ces enfants deviendront des adultes idéaux. Ils seront capables de s’insérer dans la société parmi les meilleurs.

Suzukake resta  silencieux pendant un moment.

Dr. Suzukake — Certes, les résultats sont archivés. Mais la raison de cette vidéo est toute simple : me souvenir des émotions ressenties pendant ce parcours. La White Room en a vu passer des enfants, et pourtant… Ayanokôji Kiyotaka est hors du commun. Cet enfant a une étrange capacité à apprendre, à s’adapter, et à appliquer. Son talent continue de m’étonner chaque jour, et sa réputation ne cesse de grandir… Les chercheurs pensent pouvoir former cet enfant comme les autres, mais à mon avis, il est l’exception. Il est encore plus unique dans cet environnement déformé. Une véritable anomalie.

Avec le programme Beta, créé par Suzukake lui-même, le produit de l’éducation la plus exigeante et la plus complète prenait vie.

Dr. Suzukake — Non… Je ne sais même pas si je peux le considérer comme un produit. Après tout, il n’y a aucun moyen de le reproduire. Mais même Kiyotaka était imparfait dès le départ. Qu’il s’agisse d’études, de karaté ou de boxe, les premiers résultats montrés étaient plutôt quelconques. C’est là toute la subtilité : il est extrêmement doué pour absorber la puissance et se l’approprier, la sublimer. Une fois les bases acquises, il a commencé à développer les compétences nécessaires pour faire face à ce à quoi il était exposé pour la première fois, en utilisant son extraordinaire capacité à appliquer son apprentissage.

En fermant les yeux, l’image de Kiyotaka semblait gravée au fond de lui.

Dr. Suzukake — Au cours de la huitième année, ils n’étaient plus que 5. Ils étaient 74 enfants au départ, le taux d’abandon était de plus de 93 %. Le taux d’abandon moyen de la première à la troisième année était de 27%, et de 30% à partir de la cinquième année. Le programme était imparfait. À ce stade, j’avais peur qu’ils aient tous abandonné au milieu de leur neuvième année. Non… j’espérais plutôt qu’ils abandonnent. Dans le cas où il y aurait un enfant qui pourrait rester et continuer à suivre un programme qu’aucun être humain ne pourrait jamais suivre…Mais il n’aurait plus été possible de parler d’être humain, mais de monstre. Cela ne pouvait pas exister. Pourtant, il n’en restait plus qu’un à l’arrivée du printemps. Et il était loin de montrer le moindre signe d’abandon. Ni à 10, ni à 11 ou pas même à 12 ans… Pire, il avait surpassé tout ce que les chercheurs avaient proposé.

Les adultes pas assez solides quittèrent la White Room les uns après les autres. Le but de la White Room était d’éduquer jusqu’à l’âge adulte, mais imaginer encore six années dans ces conditions… Quelle difficulté !  Cet enfant va nous dépasser, c’est une certitude, et en même temps je ne saurais expliquer pourquoi. Est-ce grâce à mon programme ? Ou est-ce simplement lui qui est un mutant ? Le même dilemme que l’œuf ou la poule… Et cela me rend fou ! Alors qu’en sera-t-il de la White Room et de Kiyotaka dans le futur ? La décision finale sera prise par Ayanokôji Atsuomi, le responsable de cette installation, mais le débat entre les chercheurs sera très divisé. La question de savoir s’il est possible ou non de créer des génies artificiels reste sans réponse. S’il a été prouvé qu’il était possible de créer des personnes brillantes grâce à la White Room, il y a la réalité implacable des capacités de chaque enfant qui entre en ligne de compte.

Suzukake regarda la tasse vide qui, il y a quelques minutes encore, contenait du thé sencha. Il ouvrit une bouteille d’eau minérale neuve, prit le bouchon dans une main et le verre dans l’autre.

Dr. Suzukake — Ce petit bouchon… Voici la taille de l’influence d’un éducateur ordinaire. Le verre, beaucoup plus grand, quantifie le talent des éducateurs de la White Room. Les enfants qui reçoivent une éducation ont élevé leurs propres limites en fonction de celles du talent des éducateurs. L’enfant moyen transposé dans notre programme peut donc tout à fait s’élever à la hauteur de ce verre.

Il y versa de l’eau minérale fraîche.

Dr. Suzukake — Une fois la limite atteinte, il n’y a pratiquement plus de place pour une croissance supplémentaire. L’eau déborde et il n’y a pas de nouvelles informations à absorber… Non, je vais mieux reformuler la chose. Chaque fois que nous absorbons de nouvelles connaissances, nous perdons un peu de notre ancien talent, sans nous en rendre compte.

Suzukake soupira en regardant l’eau couler sur le bureau et se disperser.

Dr. Suzukake — Deux problèmes se posent. Tout d’abord, il n’y a qu’un nombre limité de gens avec un talent de la taille de ce verre. Deuxièmement, même s’ils ont le talent, ils n’ont pas nécessairement les compétences pour l’enseigner. Troisièmement, il n’est pas toujours possible d’obtenir des talents de même ampleur entre les éducateurs et les élèves : le verre à sa limite mais certains enfants ont eu des capacités deux fois moins grandes. Bien sûr l’inverse existe aussi, avec des enfants qui ont des capacités équivalentes à deux fois ce verre, mais la probabilité est moindre. Enfin, le plus important : les génies de ce monde ne sont pas limités à la taille d’un verre. Ils ont plus de talent que ne pourrait contenir une bouteille. Et personne ne saurait avoir un tel talent tout en ayant aussi un don pour l’éducation. Même si c’était le cas, les enfants ne dépasseraient jamais la taille de ce verre.

C’était également le cas des données des études précédentes.

Dr. Suzukake — Une éducation généreuse qui prend soin des enfants, ou l’exact opposé, une éducation stricte. Dans les deux cas, les deux montrent qu’il y a une limite au potentiel d’un enfant.

L’objectif de la White Room était de créer des génies à partir de personnes ordinaires, et de les former pour être compétitifs à l’échelle internationale.

Dr. Suzukake — Il est possible de « créer » des personnes faisant partie des 10 % les plus performantes de l’humanité. En ce sens, la White Room peut produire des résultats probants. Mais elle peut ne pas être en mesure de créer des personnes qui se situent dans le top 0,01% mondial.

Un véritable sentiment d’échec en tant que chercheur. C’était ce que Suzukake ressentait quand il pensait à Ayanokôji Kiyotaka.

Dr. Suzukake — Pour l’instant, je ne vois aucune limite au talent de cet enfant. Il n’a pas cette limite que pourrait avoir un verre. Est-il né génie, ou est-il le fruit de son éducation ici ? Les deux propositions sont vraies et fausses en même temps. Après tout, avec une existence normale, Kiyotaka aurait été un simple enfant avec des « facilités », comme on dit.  Et il est évident que Kiyotaka, en continuant avec nous, allait pouvoir repousser cette limite avec les nouvelles générations. Si Kiyotaka devait se tenir à ma place et éduquer ces enfants, ils grandiraient et ressembleraient plus à des bouteilles qu’à des verres. J’adorerais voir cela se produire.

Sa conscience était tiraillée. Quel était le choix le plus judicieux pour l’avenir : que Kiyotaka accomplisse de grandes choses pour le pays, pour son futur, ou bien qu’il devienne un simple éducateur dans la White Room ? Tout en étant conscient que tout cela ne dépendait pas d’eux, il se demandait ce qu’Ayanokôji-sensei aurait voulu pour son fils.

Dr. Suzukake — Peu importe sa décision, j’irai jusqu’au bout et participerai à la White Room pour le reste de ma vie.

Il ne s’était jamais autant amusé, et il était rempli d’un sentiment d’accomplissement, contrairement à ce qui s’était passé lorsqu’il avait été contraint de fuir le Japon et de partir à l’étranger.

Dr. Suzukake — Aussi bon que soit Ayanokôji Kiyotaka, la question restait de savoir s’il était un véritable génie ou non. Sur le plan émotionnel, il est bien en dessous de la moyenne des gens, il n’a pas conscience de choses basiques pour le commun des mortels. Il peut apprendre par mémorisation, mais il reste à voir à quel point cela aura un effet négatif sur lui. En clair, sur ce point-là, il est défectueux.

Alors qu’il continuait, Suzukake saisit son téléphone portable et arrêta l’enregistrement.

Dr. Suzukake — Je me demande si cet enfant que j’ai façonné sera… heureux, un jour ?

En tant que chercheur, Suzukake ressentit une forte réticence à enregistrer ces dernières remarques.

1

Les cerisiers fleurissaient. Je quittais Saitama pour retourner à Tokyo, la première fois depuis plusieurs mois. Je ne me rendis pas à mon domicile de Meguro, que j’avais depuis de longues années, mais à mon bureau où je n’étais pas passé depuis longtemps.

Moi — Cela fait combien de temps que je ne suis pas venu ici ?

Dans ma voiture, je levai les yeux vers le bâtiment qui allait être démoli. Je donnai mes consignes, tout en me garant sur le côté en allumant mes feux de détresse. Je sortis de la voiture.

J’avais quitté la politique depuis longtemps, mais le moment de mon retour était arrivé. Enfin. Naoe, désormais dans l’ombre de Kijima, avait désormais plus de 80 ans et souffrait d’une grave maladie. Il était de retour en politique, soi-disant guéri, mais sa vie ne tenait en réalité qu’à un fil. Pour preuve, ses manœuvres incessantes contre la White Room et la pression qu’il mettait à son entourage à ce sujet. Il savait que le temps jouait contre lui.  C’était un coup dur de voir la White Room temporairement suspendue, mais je décidai de voir ça comme une opportunité pour préparer mon retour en politique.

Moi — Je me fais vieux, pareil pour Naoe.

Bientôt, j’allais reprendre ma bataille politique. Kamogawa, que je n’avais pas revu depuis ce jour où nous avions rencontré Naoe au ryotei, se présenta sur le pas de ma porte comme pour me féliciter.

Kamogawa — Cela fait longtemps, Ayanokôji-sensei. Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes jusqu’ici pour me récupérer.

Moi — C’est tout naturel. Alors, comment vont les choses ?  

Nous nous étions parlés au téléphone, mais en personne j’avais plutôt vu Sakayanagi ces dernières années. Je devais faire attention à ne rien faire qui puisse m’attirer l’attention de Naoe.

Kamogawa — Grâce à toi, je vais bien. Et toi ? Sensei ?

Moi — S’il y en a bien un qui doit être appelé sensei, ce n’est pas moi, monsieur l’élu.

Kamogawa répondit très sérieusement à ma petite boutade.

Kamogawa — Certes, tu n’es plus en politique, mais tu gères un établissement attirant de nombreuses personnes fortunées. Les gens parlent, tu sais.

J’avais certainement passé le plus dur. Bien que je fusse répudié du monde politique, je traitais avec de nombreux hommes d’affaires. Un accomplissement que je n’aurais jamais pu envisager il y a quelques dizaines d’années ! Néanmoins, malgré mon titre politique disparu, certains continuaient de m’appeler sensei.

Kamogawa — D’ailleurs, j’ai cru entendre que ton fils était très brillant.

Moi — Sérieusement ? Et dire que j’ai tout fait pour qu’il reste discret.

Kamogawa rit amèrement, mais il avait toujours le même regard qu’avant. Non, il semblait avoir bien mûri.

Kamogawa — Je pense que tu le sais déjà, mais Naoe-sensei tire les ficelles en coulisse. Je ne pense pas qu’il va révéler la White Room au public, au risque de se faire pincer lui-même. Mais il commence à redoubler d’efforts pour essayer de s’en débarrasser.

Moi — Si ça n’avait pas été son projet, initialement, ils s’en seraient chargés eux-mêmes je parie. Quel est son prochain mouvement ?

Kamogawa — Pour l’instant, je n’en sais rien. J’ai réussi à subsister dans la faction Naoe-sensei, mais ayant travaillé à tes côtés il ne me fait pas vraiment confiance.

Dans ces conditions, forcer Kamogawa à agir allait se révéler inutile. Il valait même mieux qu’il reste insignifiant mais discret.

Kamogawa — Toutefois… Sa santé s’est beaucoup dégradée, dernièrement.

Kamogawa murmura ces mots à voix basse.

Kamogawa — C’est un peu frustrant de ne pas pouvoir l’enterrer de mes propres mains, mais je suppose que c’est mieux de laisser la maladie s’en charger.

Naoe était un adversaire qui ne montrait aucune faille, mis à part son âge.

Kamogawa — En plus, tu es bientôt de retour. N’est-ce pas ?

Moi — Oui, mais sa disparition ne sera pas un luxe. Pire, cela sera peut-être même encore plus complexe qu’avant.

Je pensais que Naoe-sensei était l’un des plus grands noms de la politique, mais le président Kijima était encore plus prometteur. En continuant sur cette voie, il allait bientôt battre le record du plus long mandat. Et il n’avait que la soixantaine, son ère pouvait durer encore 10 ou 20 ans. Je n’étais plus tout jeune non plus, je devais agir : c’était maintenant ou jamais. 

Moi — C’est pourquoi je vais m’assurer de saisir les opportunités au bon moment, quitte à mettre en pause la White Room.

Six mois, cinq ans… Impossible de savoir pour combien de temps. Le plus important était que la White Room reste dans l’ombre. À ce titre, il était intéressant que Naoe soit sur la même longueur d’onde : son but était d’enterrer l’affaire en toute discrétion. Une voiture arriva, et Tabuchi ouvrit la porte de la banquette arrière. Kamogawa s’écarta tranquillement, côté passager.

Moi — Tabuchi, qu’en est-il des arrangements ?

Dr. Tabuchi — Comme prévu, les enfants seront supervisés et gérés temporairement par un orphelinat sélectionné.

Moi — Très bien.

Dr. Tabuchi — Et votre fils… Êtes-vous sûr de ça ?

Moi — Je ne vais pas lui accorder de traitement de faveur juste parce que c’est mon fils. Bien que ça n’aurait pas été délirant non plus.

Nous avons conduit jusqu’à notre destination et avons attendu que Kiyotaka quitte la clinique.

Kamogawa — Une clinique… Quelque chose est-il arrivé à Kiyotaka-kun ?

Moi — Non. Je l’ai envoyé là-bas car quelqu’un voulait le rencontrer. Je ne peux rien refuser à un grand contributeur de la White Room.

Kamogawa — Le rencontrer, hein ?

Moi — Chacun essaye de tirer la couette vers soi. Ils ne réalisent pas que c’est contre-productif, néanmoins. 

Ishida, sortit le premier de la clinique, me rejoint.

Moi — Quand avez-vous vu Kiyotaka pour la dernière fois ?

Kamogawa — Eh bien, cela fait cinq ou six ans que je n’ai pas vu votre fils. Je suis très impatient de voir comment il a grandi.

Dr. Ishida — Impatient, vous dites ?

Ishida, qui venait de monter à bord, fixait Kamogawa d’un air circonspect.

Kamogawa — Quoi ? Ai-je dit quelque chose d’étrange ?

Dr. Ishida — Vous ne devriez pas vous attendre à autre chose qu’un monstre.

Kamogawa — Un monstre ? Tu ne devrais pas le laisser parler ainsi de son fils.

Moi — Ishida est l’un de ceux qui veillent sur Kiyotaka depuis sa naissance.

S’il le disait, c’était que c’était probablement vrai. Il le connaissait mieux que moi, qui étais pourtant son géniteur.

Il avait été entraîné à un tel degré de perfection qu’il était presque inimaginable pour lui d’être un jeune garçon sur le point d’entrer en 3ème année de collège. Cependant, il manquait de pas mal de choses, voilà pourquoi Ishida le traitait de monstre. Kamogawa fronça les sourcils devant le manque de retenue d’Ishida et regarda par la fenêtre.

2

(Ayanokôji Kiyotaka)

Je vivais dans la White Room depuis plus de 14 ans maintenant. Je venais de terminer l’équivalent de la deuxième année de collège. Le monde réel était différent du monde virtuel, mais je m’y faisais plus facilement que je le pensais. Était-ce grâce à ma formation précédente, ou à autre chose ?

Alors que j’attendais dans une pièce vide, selon les instructions du Dr. Ishida, un homme s’approcha de moi.

  • Désolé de t’avoir fait attendre, Ayanokôji Kiyotaka-kun. Merci d’être venu.

Moi — Qui êtes-vous ?

Je ne l’avais jamais vu auparavant. Son visage calme me faisait dire qu’il ne travaillait pas dans la White Room. Ce qui avait davantage attiré mon attention, c’était le vase de fleurs qu’il avait en main. Je n’avais vu ça que sur console virtuelle, auparavant.

  • Il y a une fille que je veux vraiment que tu rencontres, alors j’ai demandé une faveur à Ayanokôji-sensei.

Moi — Je ne comprends pas de quoi vous parlez.

  • Elle est devenue si faible qu’elle ne peut même pas sortir. Chez elle ou dans cette clinique, cela va encore. C’est pourquoi je t’ai demandé de venir ici.

Moi — Est-ce que ce sont… des fleurs de cerisier ?

  • Elles étaient accrochées ici, mais j’ai dû changer l’eau. Ce sont ses fleurs préférées, elle devrait bientôt revenir de son examen médical.

Il posa le vase sur l’étagère près de la fenêtre.

— Kiyotaka… !

Alors que j’attendais qu’on vienne me chercher, la porte de la chambre s’ouvrit alors qu’on prononça son nom. Une fille de mon âge à vue d’œil me fixait, les yeux grands ouverts.

  • Tu m’as tellement manqué !! Je voulais tant te revoir !!

Moi — Tu es…

Yuki — Yuki ! C’est Yuki !!!

Yuki. Je connaissais ce nom. Il appartenait à un élève de la White Room qui avait abandonné il y a longtemps. J’avais effacé ce nom de ma mémoire, mais il était naturel de se souvenir de certaines choses.

Yuki — Que fais-tu ici ?

Même si elle n’était pas vraiment morte, tout était fini à l’instant où elle avait abandonné. Faire face aux morts… C’était un sentiment étrange, mais quel était le but de cette rencontre ?

  • Ma fille Yuki n’est pas bien depuis qu’elle a quitté la White Room. Elle est déprimée, ne sort pas et n’a de cesse que de s’inquiéter pour toi.

L’homme qui regardait de loin semblait être le père de Yuki. Son sourire était un peu différent de celui qu’elle avait l’habitude d’afficher lorsqu’elle était enfant.

Yuki — Ça fait longtemps. Kiyotaka… Toutes ces années, tu étais encore là-bas ?

Elle me regarda avec la peur dans les yeux, en se remémorant le passé. À en juger par la réaction de son père, la simple mention de la White Room l’effrayait.

Moi — Oui, pendant 14 ans. Aujourd’hui, c’est la première fois que je sors.

Yuki — Je savais que tu étais génial, Kiyotaka… Et les autres ? Que sont-ils devenus ?

Moi — Eh bien, ils sont tous partis… Cela fait longtemps que je suis le dernier. Donc je ne sais pas.

Je ne m’étais jamais soucié de ceux qui avaient abandonné, y compris de cette fille devant moi.

Yuki — Seul… Là-bas… Je, je… Ahhh… Cet endroit !!!

Yuki se mit à trembler, comme si la peur qu’elle avait réprimée explosait.

— Yuki, arrête de te souvenir !!

Yuki était désemparée alors qu’elle déterrait ses souvenirs. C’est ainsi que devenait une personne ayant quitté la White Room ? Aussi misérable ? Une chose était certaine, c’était qu’elle était la fille d’un homme d’affaires notable… donc elle ne s’était pas retrouvée sans rien, jetée dehors, après la White Room. Néanmoins, le simple fait qu’elle soit entourée de professionnels montrait qu’elle n’avait pas guéri. Et l’une des choses qui le pouvait, c’était moi, qui avais fréquenté l’établissement en même temps qu’elle. Maintenant que j’avais compris ça, je n’avais plus besoin de rester plus longtemps.

Moi — Je dois y aller.

Yuki — A-attends !! On vient de se retrouver… J-je veux qu’on parle encore !!!

Moi — Je n’ai rien à te dire.

Si elle ne pouvait pas parler de la White Room, on ne pouvait pas avoir de conversation.

  • S’il te plaît, Ayanokôji-kun, peux-tu parler avec Yuki un instant ? Oui, toute conversation est bonne. Une simple et insignifiante conversation…

Moi — Que voulez-vous dire par « conversation insignifiante » ? Vous comprenez que je suis nouveau dans le monde extérieur, n’est-ce pas ?

  • C’est…

Moi — Bien sûr, je peux lui raconter plein de mensonges, si vous voulez. Je suis prêt à me forcer à inventer quelque chose au meilleur de mes connaissances, qu’il s’agisse du Japon ou du reste du monde. Mais ce n’est pas ce que vous voulez, n’est-ce pas ?

Yuki —  Je… ça va. Ça me va de parler de la White Room.

Yuki, en pleine hyperventilation, m’attrapa par la manche.

Moi — Je ne pense pas que tu devrais. Tu ne devrais pas me parler.

Yuki —  Ce n’est pas vrai… ! J’ai toujours voulu te revoir… Kiyotaka… !

Moi — Tu n’aurais pas dû. Tu risques de souffrir de la différence entre tes souvenirs et la réalité. Ton seul moyen de guérir est d’être entourée, ici.

C’était suffisant. Je préférais sortir plutôt que de perdre mon temps ici. Le monde extérieur éveillait ma curiosité, au moins.

—  S’il te plaît… Encore un peu…

Le père de Yuki bloqua la sortie à bras ouverts.

Moi — C’est un ordre ?

  • Non… c’est…

Moi — Non, n’est-ce pas ? Le représentant de la White Room ne m’a pas donné d’instructions précises.

  • En effet. Ayanokôji-sensei m’a seulement promis de nous laisser vous rencontrer tous les deux.

Moi — Alors je refuse.

— Quoi ?

Moi — Je refuse parce que je pense que c’est mieux pour elle.

— Tu ne te soucies pas d’une fille brisée qui a abandonné ?

Moi — En effet. Vous avez raison.

Ce type avait fait un mauvais choix en faisant appel à moi.  

Moi — Si vous pouvez m’excuser.

Yuki — Non ! Ne pars pas, Kiyotaka !!

Moi — Tu n’as pas changé, depuis que tu as été recalée…

Yuki — …!

Moi — Sois reconnaissante, tu as des parents. Concentre-toi sur ton traitement ici. Plus tu m’attendras, plus tu le regretteras.

Yuki — Non !! J’ai tant de choses à te dire… Parler de ce dont nous ne pouvions pas à l’époque !!

L’esprit de Yuki, avec son ton et ses réactions terriblement enfantines, n’avaient pas du tout changé malgré le temps passé.

  • Attends, s’il te plaît !

Moi — S’il te plaît, écarte-toi.

  • Yuki… Je ne suis pas le seul à ne pas pouvoir l’atteindre. Les paroles de ma femme et de ma deuxième fille n’y peuvent rien non plus. On ne peut rien faire. Mais toi… elle arrive à te parler… Tu ne sais pas à quel point cela pourrait la sauver… !

Moi — Au revoir. J’espère ne plus avoir affaire à toi. Bon courage !

Yuki — Non ! Non ! Kiyotaka ! Nooooon !!!!

Sa voix qui criait et celle d’un adulte qui lui hurlait dessus de manière incontrôlée… Aucune des deux ne m’atteignit plus que ça. Je n’étais juste pas intéressé.

Je quittai l’hôpital et retournai dans la voiture. Une silhouette en sorti du côté passager, agitant sa main en l’air.

Kamogawa — H- Hey, Kiyotaka-kun. Ravi de te rencontrer, mon nom est Kamogawa !!

J’avais déjà vu ce visage avant. Toutefois, je ne dis rien et m’assis silencieusement.  

M. Ayanokôji — Ne fait pas attention à ses manières.

Il  sourit,  tout en se grattant la tête,  et  regarda vers l’avant.

M. Ayanokôji — Démarrez.

— Compris, monsieur.

Je m’assis dans la voiture silencieuse et regardai le paysage par la fenêtre.

M. Ayanokôji — Ça fait quoi d’être dehors pour la première fois ?

Moi — Rien.

Ce n’était pas que je n’étais pas curieux. Mais je ne ressentais rien, du moins rien qui ne puisse appeler une réponse émotionnelle.

M. Ayanokôji — Rien, hein ?

Mon père l’avait probablement pensé. Que je regardais par la fenêtre sans émotions. Incapable de  distinguer le monde virtuel de la réalité maintenant. Mais c’était une erreur ; après tout, il vaut mieux faire croire aux gens qu’ils ont le contrôle. Cet homme n’avait pas besoin de savoir que j’aiguisais toujours mes crocs.

M. Ayanokôji — Ton cursus dans la White Room n’est pas tout à fait terminé. Tu y reviendras quand l’établissement rouvrira.

Moi — Compris.

Le changement d’environnement n’était pas un obstacle pour ceux qui avaient déjà maîtrisé les compétences acquises dans la White Room.

3

Kamogawa — Sérieusement ?

Après avoir déchargé la voiture et emmené Kiyotaka à l’intérieur, je partis seul avec Kamogawa.

Kamogawa — Qu’est-ce que… ?

Moi — Mon objectif ultime : qu’il consacre sa vie à former des gens, surpassant Suzukake. Si nous faisons cela, des personnes comme Kiyotaka finiront par pousser comme des champignons.

Kamogawa —  C’était ce que tu comptais faire depuis le début, hein ?  

Moi — Mon retour en politique est en train de devenir une réalité ici. C’est tout ce qui compte.

Kamogawa —  C’est fou.

Moi — Tout est relatif.

Kamogawa — Et l’idée de faire de Kiyotaka-kun un politicien ?

Moi — La White Room repose sur un enseignement intergénérationnel. C’est fondamental si le Japon veut rester concurrentiel dans les décennies à venir. Je ne me vois pas faire autrement.

Toutefois…

Moi — En plus, pour me hisser au sommet du monde politique, un allié de poids est nécessaire. Kiyotaka ne peut devenir sénateur avant 25 ans, ce qui m’en donnerait 61 ans. C’est un peu juste.

Kamogawa — Mais pour un haut politicien, c’est dans la moyenne d’âge.

En effet, même si Kiyotaka devenait membre du Parlement, il ne pourrait rien faire immédiatement. En théorie, cependant, on pouvait être nommé premier ministre à l’âge de 25 ans. Il en avait le potentiel, bien plus que cette brochette de parlementaires médiocres.

Kamogawa —  Du coup, que vas-tu faire ?

Moi —  Je ne sais pas encore. Si Kiyotaka ou moi étions aux commandes du monde politique, nous pourrions faire une grande différence au Japon, même si nous ne parlons pas des 50 ou 100 prochaines années. Cependant, la White Room en prendrait un coup. Ce serait frustrant.

Le plus frustrant était qu’il était mon fils. Après tout, il allait souffrir de l’étiquette « fils de ». Enfin, ça pouvait être un avantage aussi. Son manque d’émotion était également un gros souci, il fallait faire quelque chose.

Moi —  Je suis sûr que Kiyotaka-kun sera obéissant, et j’ose attendre beaucoup de lui.

Je ne pouvais pas dire à quel point Kiyotaka était dans le contrôle. Son esprit était déjà très en avance sur le nôtre. Il n’avait peut-être pas beaucoup d’émotions, mais ses pensées étaient on ne peut plus actives. Il pouvait avoir trois coups d’avance sur nous. La seule chose était qu’il était ignorant du monde extérieur, d’autant qu’il n’avait pas encore atteint mon niveau de réflexion car j’étais prudent. Contre ces certitudes, je devais être en mesure de pouvoir adapter mes plans. Mais ma volonté de prendre le contrôle de ce pays était forte et inébranlable.

Moi —  Aujourd’hui, tu vas devoir rester avec moi un peu plus longtemps, Kamogawa.

Quelles que soient les mesures que nous décidions de prendre, il fallait d’abord travailler sur Kiyotaka en ce qui concerne sa personnalité.

Kamogawa —  C’est d’accord ! Mais qu’allons-nous faire ?

Puis une main frappa légèrement à la vitre de la voiture.  Tsukishiro s’installa sur le siège conducteur vacant avec son aisance naturelle. Cet homme avait non seulement des contacts dans les partis au pouvoir et dans l’opposition, mais aussi dans le monde des affaires. Son attitude consistant à faire tout ce qu’il faut pour gagner le rendait risqué et indigne de confiance, mais même à son âge avancé il était toujours très bon dans ce qu’il faisait.

M. Tsukishiro —  Ayanokôji-san, tu sembles être en bonne santé… Et plus proche que jamais du Parti des citoyens, dernièrement !

Moi —  La ferme ! Alors, ce que je t’ai demandé de faire ?

M. Tsukishiro — Les dispositions ont été prises. J’ai couvert nos traces.

Moi — Bien. Et il y a encore une chose que j’ai besoin que tu fasses pour moi. Dans le futur.

Je parlai à Tsukishiro et à Kamogawa de mes projets d’avenir. Alors que Kamogawa était surpris, Tsukishiro écoutait avec son sourire habituel.

M. Tsukishiro — C’est très intéressant. J’aimerais dire que je suis partant, mais je ne suis plus tout jeune tu sais.

Il était humble dans la mesure où cet homme n’acceptait que ce qu’il pensait être capable de faire.

Moi — Tu es indiscutablement l’homme de la situation. Je veux voir jusqu’où il peut aller.

Tsukishiro — Si vraiment c’est ce que tu veux, j’accepte. Je vais de ce pas préparer certaines pièces qui pourraient nous être utiles, plus tard.

Je fis signe à la voiture de démarrer, pendant que Tsukishiro repartait. Ne lui faisant pas confiance, je lui avais uniquement parlé de l’avenir de Kiyotaka. Mais c’était une goutte d’eau dans ce que j’avais prévu. En réalité, je voulais aussi profiter de Kijima et du Lycée Publique d’Excellence pour avoir un avant-goût des ennemis que j’allais devoir vaincre.

L’année suivante, Ayanokôji Kiyotaka décida d’intégrer ce lycée.

Mot de l’auteur

Bonjour. Merci d’avoir lu le volume 0.

Je suis Kinugasa Shougo. Mon plat préféré est l’ochazuke[1], ma boisson préférée est le thé noir, et mon passe-temps est de regarder le baseball. J’aurais aimé avoir un chat ou un chien, mais chez moi personne n’arrive à se mettre d’accord ! Enfin, je chauffe trop mes nouilles au micro-onde, du coup je finis par manger quelque chose de sec et croquant. Ce n’est pas faute d’avoir varié les méthodes… Je suppose que je n’ai pas encore trouvé la technique !!

— Bon, trêve de bavardages inutiles, revenons-en à ce volume 0 !

Comment avez-vous trouvé ce volume spécial consacré au passé, élément pratiquement tabou dans l’univers de la série ? Non pas que le cadre de la White Room n’existait pas en 2015, au début du roman, mais je ne savais pas si j’allais vraiment creuser ce côté-là voire y consacrer un volume.  En tant que romancier, je suis très satisfait d’y être parvenu ! En fait, il a été assez difficile d’écrire ce volume sans trop perturber le rythme de publication de la série, alors j’espère qu’il vous plaira !

Pour vous dire toute la vérité, il existe un autre pan de l’histoire que j’aimerais publier : la vie d’Ayanokôji Kiyotaka entre la fin du volume 0 et le début de Y1. Inutile de vous dire que, pour l’instant, rien de concret là-dessus n’a encore été produit ! Mais l’idée germe depuis un moment dans ma tête, et je me dis que ce serait vraiment intéressant à faire si j’en ai la possibilité !

Eh bien, mesdames et messieurs, je vous dis à très vite et vous retrouve à la fin du prochain tome ! À bientôt !!


[1] Plat consistant à verser de l’eau chaude ou du thé vert sur du riz. La garniture est variée, allant du poisson aux œufs avec divers accompagnements tels que le sésame, les algues séchées et bien d’autres.

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