CLASSROOM V11 : ÉPILOGUE


Frontière entre perdant et gagnant

—————————————-
Traduction : Raitei
Correction : Raitei
———————————————–

La sixième épreuve était le tir à l’arc, l’épreuve deux contre deux de la classe C, et nous avions réussi à obtenir la victoire grâce aux efforts acharnés d’Akito. Ainsi, le score s’équilibra avec trois victoires et trois défaites chacune. Pendant l’événement, Sakayanagi n’avait pas dit grand-chose. Au lieu de cela, elle regarda tranquillement le déroulement de l’épreuve. C’était comme si elle avait voulu que le score soit de trois contre trois comme ça. La septième et dernière épreuve, tant attendue, suivit, et, par un malin hasard, le résultat du tirage fut le suivant :

Les échecs

Participants requis : 1

Temps alloué/personne : 1 heure (le manque de temps entraînera la défaite)

Règles : Les règles standard des échecs s’appliquent. Mais le temps alloué n’augmentera pas avant chaque coup, même après le 40e tour.

Intervention du chef : À tout moment, le chef peut donner des instructions au joueur participant pour une durée maximale de 30 minutes. Le temps passé à donner des instructions utilisera également le temps alloué du joueur en question.

Pas de cadence de Fischer[1] on dirait, sûrement pour éviter que la partie ne s’éternise. En effet il était courant qu’une partie d’échecs dure plus de 2h.

Sayakanagi — Nous allons donc nous départager dans la dernière épreuve. Je ne pouvais vraiment pas rêver mieux. Tout vient à point à qui sait attendre, n’est-ce pas ?

Sakayanagi cherchait probablement à intervenir au meilleur moment du match pour donner des instructions à son allié.

En fait, nous allions probablement devoir intervenir tous les deux à peu près en même temps. Au vu des conditions d’intervention, il ne semblait pas que je serais capable de battre Sakayanagi sans prendre le match au sérieux.

Moi — N’est-ce pas un peu une erreur de calcul de ta part que tout se joue au dernier événement ?

Sakayanagi — Je dois bien admettre que vous nous avez mis la pression dans les épreuves sportives.

Sakayanagi eut une réflexion générale en ressassant dans sa tête les six événements précédents.

Sakayanagi — Néanmoins, ce septième événement est un peu différent. Cette bataille dépendra en grande partie des capacités réelles du chef.

Moi — Je suis désolé de te le dire, mais il se trouve que je suis très bon aux échecs.

À partir de ce moment, Sakagami-sensei et Hoshinomiya-sensei allaient observer notre combat. Il était probablement préférable de prendre quelques précautions, au cas où.

Sakayanagi — Mon Dieu… Se pourrait-il que mon choix des échecs ait été une erreur ?

Mais avant toute chose, il y avait un match d’échauffement avec les deux participants choisis. Je choisis Horikita Suzune tandis que Sakayanagi sélectionna Hashimoto Masayoshi.

Sakayanagi — Alors Horikita-san monte sur scène finalement ? C’est une élève brillante  alors tu voulais la garder pour la fin n’est-ce pas ?

Moi — En effet. Plus besoin de la garder en réserve maintenant.

Nos choix furent communiqués à chacune des classes, et les candidats se mirent en mouvement

Mlle. Hoshinomiya — L’un de vous voudrait-il boire un verre d’eau ?

Demanda-t-elle, inquiet pour nous deux puisque nous ne nous étions pas levés de nos sièges depuis le début de l’examen.

Sakayanagi — Merci de votre sollicitude, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Moi — Je vais bien aussi.

Mlle. Hoshinomiya — Vraiment ? Eh bien, tant mieux…

Hoshinomiya-sensei soupira de malaise. Elle ne semblait pas apprécier l’atmosphère tendue de la pièce.

M. Sakagami — Il semble qu’ils soient prêts. Nous allons donc maintenant commencer le septième événement.

Sous la direction de Sakagami-sensei, Sakayanagi et moi avions mis un terme à nos bavardages inutiles.

La scène qu’ils avaient préparée semblait être le coin d’une des salles de conférence. Là, un seul échiquier avait été installé.

Veuillez commencer !

Horikita et Hashimoto s’inclinèrent lentement.

Le combat final avait commencé.

1(Horikita)

Il y avait un échiquier devant moi. C’était un jeu dont je ne connaissais même pas les règles il y a une semaine environ. Je touchais de vraies pièces d’échecs pour la première fois de ma vie. Tout au long de ma formation spécialisée avec lui sur l’ordinateur, j’en étais venu à comprendre la profondeur et le plaisir des échecs. Si mon adversaire était Ayanokôji-kun ou Sakayanagi-san, je suis sûr que je n’aurais eu aucune chance. Cependant, l’homme qui se tenait en face de moi n’était ni l’un ni l’autre. Bien entendu, je ne savais pas à quel point Hashimoto-kun était compétent. Mais, il était assez difficile de l’imaginer plus fort que ces deux-là.

Hahsimoto — Bonne chance, Horikita.

C’est ainsi que cet adversaire m’interpela avec désinvolture. D’après ce que j’ai entendu de lui, même au sein de sa classe il était considéré comme une racaille.

Hashimoto — Pourquoi ce regard effrayant ? Ne veux-tu pas profiter un peu plus de cette situation ?

Moi — Un élève de classe A comme toi, qui a passé cette dernière année au sommet, ne pourrait pas comprendre à quel point cet affrontement est crucial pour notre la classe.

Hashimoto — Ne crois pas qu’en cas de défait, on serait content de  perdre des points de classe. On ne prend rien à la légère.

La classe qui gagne cette partie d’échecs obtiendrait 130 points de classe.

C’était un combat important qui allait décider si oui ou non nous pouvons monter vers le sommet.

Hashimoto — Au fait, tu te souviens de mon nom ?

Moi — Je ne t’ai jamais parlé avant, mais c’est Hashimoto-kun, n’est-ce pas ?

Hashimoto — Je suis flatté. Après tout, tu es une célébrité. J’ai entendu parler de toi pour la première fois lorsque tu avais déjoué les plans de Ryuuen sur l’île déserte.

Je n’avais rien fait à l’époque. Tout cela faisait partie de la stratégie qu’Ayanokôji-kun avait orchestrée en coulisse. Non… Ce n’était probablement même pas ce qu’il appellerait une stratégie.

Hashimoto — Je ne joue aux échecs que depuis quelques mois. Vas-y doucement, d’accord ?

Moi — Malheureusement, je ne joue que depuis une semaine.

Hashimoto — Vraiment… ?

Même si nous n’avions encore déplacé aucune des pièces, la bataille avait déjà commencé. Il pouvait y avoir un mélange de vérité et de mensonges dans tout ce que nous disions ici. Notre histoire avec les échecs n’était qu’un exemple qui illustrait cela.

C’était une bataille psychologique pour se contrôler mutuellement et trouver des failles chez l’autre. Cet examen fut bien indulgent concernant les bavardages entre les participants. La seule exception concernait les tests écrits car il fallait éviter que les réponses ne soient prononcées à haute voix. En tant que chefs, Ayanokôji-kun et Sakayanagi-san avaient déjà dû s’adonner à moult joutes verbales.

Tout allait dépendre de cette épreuve. Nous avions pu résister aussi longtemps grâce aux efforts collectifs d’un grand nombre de personnes, notamment au retour de Hirata-kun et au sang-froid de Sudô-kun.

Les actions de Kôenji-kun me restaient en travers de la gorge après le fiasco de l’épreuve du calcul mental flash, mais je devais laisser ça pour plus tard

Ce n’était clairement pas le moment d’avoir l’esprit ailleurs. Je me souvins des mots arrogants et choquants qu’Ayanokôji-kun m’a laissés avant l’examen de ce matin.

« Personne n’est plus fort que moi, même quand je me retiens. N’oublie pas ça »

Aussi exaspérant que cela puisse paraître, ses paroles me rassuraient sur le moment.

Si Hashimoto-kun n’était vraiment pas à la hauteur, alors j’avais une chance de gagner aussi.

Je ne sais pas pourquoi, mais je n’avais pas le sentiment  que j’allais perdre.

Avant même le début du match, j’avais l’impression d’avoir le dessus.

M. Mashima — Très bien, nous allons maintenant commencer la septième épreuve, les échecs. Veuillez prendre place.

En suivant les instructions du professeur, je me suis assis. Le sourire sur le visage de Hashimoto-kun ne faiblit pas, mais ses yeux ne dégageaient aucune sympathie. Il y avait un lien direct entre le résultat de ce match et le sort des deux classes. Hashimoto-kun avait également saisi la gravité de la situation.

Hashimoto — Eh bien, on commence ?

Avec cela, Hashimoto-kun prit deux pions, un noir, un blanc.

Hashimoto — Tu sais comment ça se passe ?

Moi — Oui.

À ma confirmation, Hashimoto-kun cacha les deux pièces dans chaque main et me les tendit, m’incitant à choisir.

Moi — Gauche

Hashimoto-kun ouvrit la main gauche, révélant le pion blanc. C’était donc à moi de commencer.

Hashimoto — Je suis impatient de voir ton premier mouv’ !

Moi — Je ne sais pas si je répondrai à tes attentes.

Je pris un pion. Comme c’était la première fois que je touchais physiquement une pièce d’échecs, je ressentis une agréable sensation de froid. Et c’est ainsi que le septième événement, une bataille entre Hashimoto-kun et moi-même, commença officiellement. Je décidai de mettre le pion en E4. Alors que la première pièce se déplaçait sur l’échiquier, le sourire de Hashimoto-kun s’effaça. Il répliqua avec un pion en E5.

Je déplaçai ainsi mon cavalier afin de lui prendre pion noir. Dans tous les matchs que j’avais joués contre Ayanokôji-kun, c’était la méthode qui m’inspirait le plus confiance. Afin de protéger le pion noir, l’adversaire allait jouer de manière réactive, ce qui permettait de prendre le contrôle du déroulement du match.

Hashimoto — J’ai moi-même beaucoup appris de Sakayanagi. As-tu vraiment pensé que j’allais me mettre désavantage dès le début ?

Dès l’ouverture, nous fîmes chacun des mouvements sans trop réfléchir. J’avais une heure, mais comme Ayanokôji-kun allait utiliser 30 minutes, je n’avais que la moitié du temps au final. Je ne pouvais pas me permettre de perdre mon temps à trop analyser les mouvements d’ouverture. Au fur et à mesure du match, je remarquai quelque chose. Il semblait refuser de jouer en défense. Je n’avais aucune idée de qui lui avait appris à jouer ainsi, car les mouvements qu’il faisait ne suivaient aucune des stratégies standard. En fait, il faisait une offensive après l’autre.

Hashimoto — J’ai un style de jeu assez tordu, n’est-ce pas ?

Moi — En effet. À l’image de ton professeur je présume ?

Hashimoto — Ouais. Sakayanagi joue aussi comme moi. On peut dire que cette agressivité m’a marqué. En revanche ton style est axé sur la prudence. Tu as appris seule ?

Il me sondait pour quelque chose. Que cherchait-il exactement à obtenir ?

Moi — Je me suis consacrée corps et âme aux échecs la semaine dernière, tout le reste a été mis de côté.

Hashimoto — Oh vraiment ? J’avais l’impression de te voir satisfaite à l’idée de jouer aux échecs.

Moi — Tu es libre de penser ce que tu veux.

A chaque coup, les pièces de l’échiquier subissaient une myriade de mouvements. Il cherchait souvent à entourer mes pièces pour essayer de me cerner dans un coin, mais j’arrivais à me débattre tant bien que mal.

Hashimoto — Ça fait vraiment qu’une semaine ?

Moi — Tu aimes vraiment parler.

Hashimoto — C’est un de mes points forts, je pense.

Tant que ce n’était pas inapproprié, il était libre de dire ce qu’il voulait.

Moi — C’est vrai, ça ne fait qu’une semaine. Mais, tu peux ne pas me croire. Il est possible que je mente après tout.

Hashimoto — Si tu n’as vraiment joué qu’une semaine comme tu dis, alors tu n’as pas appris seule. Un joueur d’échecs expérimenté a dû bien t’entraîner chère princesse. Il doit être aussi confiant que toi.

Moi — Je me le demande. Je ne te le dirai pas de toute façon.

Je n’allais pas lui donner d’informations inutiles au risque de l’aider.

Hashimoto — Je vois. Je peux te demander des trucs sur Ayanokôji ?

Il ne s’était jamais soucié de mon expérience ni de savoir si j’avais ou non un professeur au départ. Il semblerait que son véritable objectif soit d’en savoir plus sur Ayanokôji-kun. Alors même Hashimoto-kun avait des soupçons.

Moi — Que veux-tu savoir ?

Hashimoto — Depuis l’île déserte, je me suis demandé s’il était vraiment celui qui contrôlait tout dans l’ombre. T’en penses quoi ?

Il essayait de me secouer émotionnellement. C’est aussi probablement l’une des raisons pour lesquelles il avait été choisi pour jouer contre moi.

Moi — Qu’est-ce qui te fait penser cela ?

Hashimoto — Juste une intuition. Réponds à la question, Horikita.

Moi — Répondre quoi au juste ? Je ne sais même pas de quoi tu parles.

Hashimoto — Ah oui ? Tu sembles troublée pourtant.

Moi — Quand j’ai su que tu étais mon adversaire, j’avais déjà anticipé le fait que tu essaierais de me déstabiliser comme ça.

Hashimoto —…Oh vraiment ?

Moi — Mais sache que je ne flancherai pas, peu importe ce que tu dis.

J’utilisai ainsi mon fou pour mettre en échec son roi. Le sourire de Hashimoto avait de nouveau disparu l’espace d’un instant.

Moi — Je me demande si tu as encore le temps de bavarder.

Après avoir attendu si longtemps, j’allais commencer ma contre-attaque.

Hashimoto — Les choses deviennent intéressantes…

Et juste comme ça, le match commença à pencher en ma faveur. Ce n’était pas un adversaire facile, mais chacun de ses mouvements était prévisible. Après seulement 10 minutes, sa main s’arrêta. Pour la première fois, il dut s’asseoir et réfléchir à ce qu’il allait faire. Ce regard de confiance qu’il me lançait de temps en temps n’était plus visible.

Hashimoto — Aaah, tu es dure Horikita. Cette agressivité contraste avec ta beauté.

Moi — Tu sembles aussi être assez doué malgré les apparences.

Hashimoto — Pas besoin de me passer de la pommade, maintenant. Il y a toujours un plus gros poisson dehors.

Si ce match se poursuivait ainsi, ma victoire était pratiquement assurée.

Il était impossible que Hashimoto-kun n’ait pas remarqué ça aussi.

Cependant, il était impossible que ce duel ne se termine aussi simplement.

2

La confrontation entre les deux fut diffusée sur grand écran. Hashimoto était constamment dans l’offensive lors de l’ouverture du match, mais Horikita garda son sang-froid, évitant les situations où l’on tenterait par réflexe de sacrifier un morceau pour se défendre. Et au fur et à mesure que le jeu progressait, elle avait pris le dessus. Ils étaient sur le point d’atteindre la demi-heure de jeu, mais la victoire de Horikita commençait peu à peu à prendre forme. Oui, elle avait l’avantage. C’était une démonstration de compétences qui avait largement dépassé le niveau qu’elle avait lors de nos séances d’entraînement.

Sakayanagi — C’est une partie intéressante. J’aimerais la voir jusqu’à la fin.

Sakayanagi s’exprima en tant qu’observatrice, sans même une once d’inquiétude dans sa voix.

Moi —  Je suis d’accord. Allons jusqu’au bout alors.

Sakayanagi — Fufu, j’aurais bien aimé laisser libre cours à cette partie, mais je ne peux pas. Ce n’est pas que je n’ai pas foi en Hashimoto-kun, mais Horikita-san est trop calme. Lui qui d’ordinaire arrive à déstabiliser les gens, n’arrive pas à faire vaciller Horikita.

Le moment était venu. Une notification apparue sur mon écran m’informant que Sakayanagi avait choisi d’intervenir dans le match. Elle avait dû en conclure que Hashimoto perdrait si elle attendait plus longtemps. Le fait de devoir intervenir si tôt dans le match était probablement aussi une situation inattendue pour elle, mais sa décision d’intervenir était la bonne. Si elle l’avait reporté ne serait-ce que de quelques minutes, Hashimoto aurait été mis dans une position où le match aurait déjà été décidé. C’est dire à quel point Horikita avait été solide jusque-là. Je fus tenté de m’asseoir et de regarder comment les choses allaient se dérouler pendant un peu plus longtemps. Je voulais voir à quel point elle avait changé. J’étais curieux de voir quel genre de mouvements Horikita ferait dans un match contre Sakayanagi.

Sakayanagi — Tu ne vas pas entrer dans le match, Ayanokôji-kun ?

Moi — Nous aurions probablement plus de chances de gagner si je   laissais Horikita s’en occuper au lieu de me laisser tout gâcher.

Sakayanagi — Alors, je suppose que je peux renverser la situation.

Avec cela, elle tapa quelque chose avec son clavier. Hashimoto, qui fut dérouté jusque-là, revint à la vie comme un poisson qui trouva de l’eau. Le compte à rebours de 30 minutes du chef  s’arrêtait au moment où il appuyait sur la touche entrée. Apparemment, le délai entre les transmissions était également pris en compte. Ensuite, à partir du moment où l’adversaire faisait son prochain mouvement, le compte à rebours recommençait. Horikita contre Sakayanagi. J’espérais sincèrement qu’elles allaient être à égalité. Si c’était le cas, Horikita pourrait conserver son avantage jusqu’à la fin. Mais je ne pensais pas que tout allait se dérouler aussi simplement. Sakayanagi était entrée dans le match avec une confiance absolue. Au vu des récents événements, il était clair que le coup exceptionnel que Sakayanagi avait donné à Hashimoto avait rendu Horikita anxieuse. Alors elle dut réfléchir à la façon dont elle allait se battre face à un adversaire bien plus fort. Il fallait être déterminé et utiliser le temps qu’elle avait gagné jusque là pour poser son jeu.

Sakayanagi — Peut-être que je ne lui ai pas donné un handicap suffisant.

Chaque fois que Horikita faisait un mouvement, il a toujours fallu moins de cinq secondes à Sakayanagi pour répondre. Elle réagissait immédiatement par des coups calculés qui permettaient de cibler les points faibles d’Horikita. L’ouverture  que Horikita avait crée s’était évanouie en un clin d’œil. À ce stade, elle n’avait plus qu’un tout petit avantage. La main de Horikita s’arrêta. Même si elle n’était qu’une débutante, elle avait probablement ressenti le désespoir d’être confrontée à un adversaire dont le niveau était bien au-delà du sien. Elle était cernée et après deux ou trois minutes,  Horikita ne pouvait tout simplement plus rien faire. C’était la frontière qui séparait le gagnant du perdant. Horikita ne pouvait pas supporter la pression, alors je choisis de prendre le relais et je signalai que je commencerais par intervenir. Le signal de mon message textuel fut envoyé à Horikita par le biais de son casque.  Pendant un instant, Horikita regarda la caméra. Elle fit un signe de tête pour me confier la suite. Ce n’était ainsi plus une bataille entre Horikita et Sakayanagi, mais un face à face entre Sakayanagi et moi.

Sakayanagi — Enfin… Notre duel peut vraiment commencer.

      Moi — Je suppose que oui.

Même si je n’avais que 30 minutes, c’était plus que suffisant pour aller jusqu’au bout. Sakayanagi et moi avions continué notre conversation pendant que nos mains se déplaçaient inlassablement sur nos claviers. Chaque mouvement que nous avons fait a pris entre 10 et 20 secondes. Et chaque fois que j’appuyais sur la touche « entrée » pour envoyer les instructions, le compte à rebours arrêtait de diminuer. En regardant le déroulement du match jusqu’à présent, j’avais pu me faire une idée approximative de la façon dont il allait se dérouler. Sans pause, nos pièces se déplacèrent librement sur la surface de l’échiquier.

Hashimoto — Oioi ! C’est quoi cette partie ? On est sur une autre planète !

A travers le grand écran, je pouvais entendre la voix de Hashimoto qui criait en suivant une instruction qu’il venait de recevoir.

Horikita — Notre partie était pathétique à côté.

Hashimoto — Ça tu peux le dire.

Leur choc était compréhensible. C’était la différence entre eux et nous, la différence entre l’amateur et le professionnel. Pour eux, il n’était peut-être même pas évident de savoir quel camp avait l’avantage en regardant la partie.

Non… C’était ce que j’avais compris malgré moi quand j’avais commencé à jouer au jeu. Ma respiration était rapide. Les compétences de Sakayanagi étaient si aiguisées que je ne pouvais pas m’empêcher de vouloir montrer mon respect. Je n’aurais même pas été surpris qu’elle se fasse un nom dans le monde des échecs à l’avenir. Enfant, j’avais appris à jouer aux échecs dans la White room. J’avais joué contre un grand nombre de soi-disant instructeurs professionnels, mais elle était de loin meilleure que ces derniers.

Sakayanagi — Alors qu’en penses-tu, Ayanokôji-kun ? Mes mouvements ont-ils réussi à atteindre ton cœur ?

Moi — Oui. Je dois dire que tu m’as même transpercé.

Même après la demi-heure de jeu, au lieu de creuser l’écart, je fis tout ce que je pus pour l’empêcher de se rapprocher de moi. Si je faisais ne serait-ce qu’une seule erreur, elle s’en sortirait probablement d’un seul coup.

Sakayanagi — Pas besoin de s’inquiéter. Après tout, Ayanokôji-kun, tu ne ferais jamais une erreur d’inattention.

Moi — Si c’est le cas, ça ne me dérangerait pas que tu abandonnes.

Sakayanagi — Ce n’est pas très alléchant. Si tu ne fais pas d’erreur, je n’ai cas utiliser la force pour te surpasser et détruire ta défense.

À un moment donné, Horikita et Hashimoto furent bouche-bée. Ils n’étaient rien de plus qu’un réceptacle pour nos mouvements. Finalement, pendant la seconde moitié du match, la main de Sakayanagi s’arrêta. Dans des circonstances plus normales, j’aurais déjà su ce que Sakayanagi allait faire, mais elle s’était mystérieusement perdue dans ses pensées à la place. Comme notre combat avait été si rapide jusque-là, Hashimoto était clairement ébranlé par ce qui se passait. Bien qu’il n’avait rien dit, il avait peut-être senti qu’elle avait des problèmes. Après quelques minutes de silence, elle fit un mouvement et ce fut très bien placé. Je n’avais pas fait d’erreur, et je n’allais pas non plus lui donner l’occasion de me prendre l’avantage, mais cette fois, c’était ma main qui s’arrêta.

Sakayanagi — Ah, quel match sensationnel ! Je ne me soucie plus des spectateurs. Je veux juste que ce soit une partie mémorable !

Je ne savais pas à quel point les échecs étaient familiers pour Hoshinomiya-sensei et Sakagami-sensei mais ils vaient  probablement tous les deux senti à quel point cette bataille était vraiment extraordinaire. Une puis deux minutes s’écoulèrent. Tout le temps que j’avais économisé s’écoulait lentement.

Horikita — Que… Que fais-tu Ayanokôji-kun ?

A travers le grand écran, je pouvais entendre la voix inquiète de Horikita qui était assise et qui attendait mes instructions.

Horikita — Il ne te reste que cinq minutes environ… !

Bien sûr, j’étais bien conscient du temps dont je disposais. C’était une partie  complexe, une fusion des pensées de quatre personnes différentes sur un même échiquier. Et il ne faisait aucun doute maintenant que nous avions perdu notre avantage pour être à égalité. Mon prochain coup allait déterminer le cours des choses. Peu importe le temps qui s’écoulait, tout allait se jouer là.

Sakayanagi — Tu n’es pas quelqu’un qui laisserait quelque chose à ce niveau t’arrêter, n’est-ce pas Ayanokôji-kun ? Montre-moi ce que tu as dans le ventre.

Plus que de gagner, Sakayanagi ne s’intéressait qu’à faire ressortir tout mon potentiel. Tant qu’elle s’amusait, elle se fichait bien de qui pouvait gagner. Il restait moins de trois minutes et je fus obligé de renoncer complètement à la voie vers la fin du match que j’avais initialement envisagée. Je dus construire un nouveau chemin. Un chemin qui me mènerait à la victoire. Juste avant les deux minutes, j’ai tapota quelque chose sur mon clavier et j’envoyai mes instructions à Horikita. Comme si elle avait attendu ce moment, Horikita recommença à faire un mouvement. Une pièce fut écartée sur la surface de l’échiquier c qui causa une grosse inquiétude pour la deuxième fois chez Hashimoto.

Contrairement à avant, les mouvements de Sakayanagi commencèrent à prendre plus de temps. Sa première réponse prit 30 secondes, tout comme la suivante. Et le mouvement suivant lui prit une minute entière. Moi, en revanche, je répondais à ses mouvements en une ou deux secondes. Nous marchions maintenant tous les deux sur un chemin qui allait mener à ma victoire. La fin du jeu approchait et le résultat allait bientôt décidé. Avec mon prochain mouvement, l’échec et mat était quasi certain. Elle avait encore des mouvements pour y échapper, mais ils étaient peu nombreux. Il suffisait d’une erreur et elle perdait le dernier moyen de s’en sortir.

Sakayanagi — Splendide…

Sakayanagi me fit ses louanges. Une minute passa, puis deux, puis trois. Pour la deuxième fois, Sakayanagi fut perdue dans ses pensées.

Son temps était compté. Chaque précieuse seconde lui était lentement retirée. Sakayanagi bavardait avec moi il y a peu, mais maintenant, elle s’était tue.

Hashimoto — Oi oi oi !

Hashimoto se mit à crier. Le temps qu’il lui restait fut réduit à deux minutes, puis tomba finalement au-dessous du mien. Si elle manquait de temps, elle n’aurait pas d’autre choix que de confier le reste du match à Hashimoto, ce qui assurerait ni plus, ni moins sa défaite.

Hashimoto — Sakayanagi ! On va vraiment perdre comme ça !?

Hashimoto n’était pas capable de trouver une échappatoire. Sakayanagi n’avait plus qu’une minute à disposition.

Sakayanagi — Vraiment splendide, Ayanokôji-kun. Tu m’as donné plus que je n’aurais pu espérer.

Alors que son temps s’écoulait, Sakayanagi me complimenta de plus belle.

Sakayanagi — Grâce à toi, j’ai pu expérimenter frontalement ce que c’est que d’avoir des sueurs froides. Tu as été un adversaire redoutable.

Au moment où elle finit de parler, Sakayanagi ajouta quelques mots.

Sakayanagi — C’est la fin.

Sakayanagi murmura ces mots de défaite, mais bien sûr, Hashimoto ne put les entendre. Le chef n’avait pas l’autorité nécessaire pour mettre fin au jeu. Quand notre temps était écoulé, c’était au joueur de l’échiquier d’admettre sa défaite. Sinon, Hashimoto pouvait aussi continuer à jouer jusqu’à l’échec et mat final. Quoi qu’il en soit, le match était terminé à partir du moment où Sakayanagi avait exprimé sa volonté d’admettre la défaite.

Sakayanagi — C’était un match amusant. Il est vraiment regrettable qu’il doive se terminer.

Il lui restait moins de 40 secondes. Sa voix était calme, et pendant qu’elle parlait, je pouvais entendre le son du clavier.  Au lieu de reconnaître sa défaite, ses paroles visaient plutôt à souligner la confiance qu’elle avait dans le geste féroce qu’elle allait proposer

Hashimoto — Bravo, princesse !

C’était le retour du bord du précipice de Hashimoto, ou plutôt… de Sakayanagi, celle qui se tenait derrière lui. En voyant le mouvement avec lequel elle avait réagi, je fus frappé par la sensation de frissons qui me parcoura  la colonne vertébrale. Elle avait ramené le camp noir d’entre les morts. Au cours des deux ou trois coups suivants, j’eus l’impression que le match avait dévié de mon chemin et, avant de m’en rendre compte, je me suis retrouvé cerné. Elle m’avait attiré dans son piège sans que je ne le remarque. Dans ce va-et-vient impitoyable situation de force, le moment était venu pour moi de retomber dans le silence. À moins d’une minute et demie de la fin de mon propre chronomètre, je me retrouvai face à mon plus grand obstacle. Comme c’est elle qui déplaçait les pièces, Horikita dut le sentir aussi. La défaite de la classe A. La victoire de la classe C. Pour elle, ce rêve fut à portée de main il y a quelques instants à peine. Et maintenant, Horikita vit ce rêve lui filer entre les doigts. Il me restait moins d’une minute.

Horikita — Ayanokôji-kun…

Sans regarder la caméra, Horikita prononça mon nom.

Horikita — Je ne veux pas perdre.

Et puis, elle verbalisa ses sentiments.

Horikita — Je…

Elle avait besoin de le dire…

Horikita — Je… Je ne veux pas admettre la défaite… Je veux gagner…

C’était un cri du fond du cœur.

Horikita — Même maintenant, je continue de réfléchir, à me creuser la tête encore et encore, à essayer de trouver le mouvement que je dois faire pour gagner…

Un plaidoyer émotionnel, tout à fait inhabituel pour elle.

Horikita — Mais, je ne peux rien trouver qui puisse nuire à Sakayanagi-san… Tu es le seul qui puisse le faire !

Je fermai les yeux. Il ne me restait que quelques dizaines de secondes. C’était pour le coup, la fin. Étant donné que le match devait se poursuivre après l’intervention des chefs, notre défaite allait probablement être décidée dans les 30 secondes qui allaient suivre. Il n’y avait plus de routes sûres. Je devais parier sur la dernière chance que j’avais de gagner cette bataille. Je commençai rapidement à taper sur mon clavier, en écrivant le mouvement que j’avais imaginé. Et puis j’appuyai sur « Entrée », et le compte à rebours de mon chronomètre s’arrêta.

Horikita fut assise là, attendant en silence l’arrivée de mon message, presque comme si elle priait de sa venue. Environ 30 secondes après lui avoir envoyé mes instructions, les yeux de Horikita s’élargirent. Le signal tant attendu l’avait apparemment atteinte par le casque. Je jetai un coup d’œil aux professeurs. Leurs yeux étaient tous deux collés au grand écran, attendant avec impatience le résultat de la partie.

Horikita —  Il te reste encore des forces, Ayanokôji.

Hashimoto regarda la caméra avec une expression ambiguë sur le visage. Il souriait, mais en même temps, non. Horikita fit son mouvement, et le chronomètre de Sakayanagi recommença à s’écouler.

Sakayanagi — Splendide. Ayanokôji-kun.

En voyant mon geste, Sakayanagi me complimenta pour la troisième fois.

Sakayanagi — Je ne pense pas avoir vécu un match aussi intense de toute ma vie. Tu as réussi à répondre à chacun de mes coups par un coup égal, ou parfois bien plus fort.

Avec mon mouvement, elle avait probablement vu la fin du match.

Sakayanagi — Le geste que tu viens de faire était certainement parfait. Il ne fait aucun doute que ton niveau surpasse de loin celui de quelqu’un d’ordinaire.

Les paroles étaient remplies d’émotion et sa voix tremblait un petit peu.

Sakayanagi — Cependant…

La voix de Sakayanagi résonnait doucement dans toute la salle.

Sakayanagi — Ma victoire est gravée dans le marbre.

Elle tapa instructions sur son clavier et Hashimoto passa à l’action.  J’envoyai aussi des instructions ce qui provoqua le début d’une vague de mouvements entre nous deux. La fin du match approchait. Il n’y avait pas eu de conversation, seulement le son des pièces qui se déplaçaient sur l’échiquier. Il restait 5 coups… et puis 4… 3… Avant de finalement…

Sakayanagi força ainsi l’échec et mat par le sacrifice de sa Reine. C’était une pièce que l’on considérait comme l’atout ultime. Une pièce exceptionnelle si on arrivait à bien la jouer, mais c’était à double tranchant. Une mauvaise exécution de la Reine et c’était la défaite assurée. Ainsi fut déjoué le plan que j’avais décidé dos au mur dans les tous derniers instants. La main d’Horikita s’arrêta. Elle s’accrocha au faible espoir que mes mots puissent à nouveau venir dans le casque, mais ce n’était que pour un instant. Elle l’avait probablement déjà réalisé elle-même qu’à ce stade, il n’y avait plus moyen d’empêcher l’échec et mat. Le résultat était décidé.

Horikita — Ayanokôji-kun…

Mais même ainsi, Horikita ne pouvait pas abandonner.

Horikita — Réponds-moi Ayanokôji-kun… N’y a-t-il vraiment plus rien que je puisse faire… ?

J’ai retirai mes mains du clavier.

Horikita — Ayanokôji-kun… !

Horikita voulait battre la classe A plus que quiconque. Elle m’avait tout confié, pensant que je serais capable de gérer, ou peut-être même de  gagner. C’était la finale, le septième événement. Je voulais la féliciter d’avoir pris le dessus sur un adversaire aussi coriace que Hashimoto. Cette perte n’était pas du tout de sa faute. L’adversaire avait simplement joué un meilleur coup que celui qu’on lui avait demandé de faire. Le compte à rebours pour l’intervention du chef s’écoula et la connexion entre nous fut coupée.

[…]

C’était ma défaite. Horikita baissa la tête devant Hashimoto, plus par honte que par courtoisie.

Horikita — Merci pour le match.

Hashimoto s’inclina en réponse.

M. Sakagami — C’est la fin.

Lui qui avait tranquillement assisté au match, annonça la conclusion du septième événement.

M. Sakagami — La classe A remporte la septième épreuve. Par conséquent, le vainqueur de cet examen spécial, avec 4 victoires et 3 défaites, est la classe A. La performance de la classe C a été tout à fait remarquable.

Le dernier événement était terminé. Pour l’instant, il fallait que je trouve une excuse. Après tout, j’étais intervenu en tant que chef et j’avais perdu. Les gens allaient demander des explications en se demandant pourquoi je n’avais pas tout laissé à Horikita.

Mlle. Hoshinomiya — C’était un super match… n’est-ce pas ? La classe C a fait du super boulot.

Hoshinomiya-sensei essaya de me consoler avec le même ton que d’habitude.

Mlle. Hoshinomiya — Tu es libre de pleurer contre ma poitrine.

M. Sakagami — Hoshinomiya-sensei !

Alors qu’elle s’amusait avec moi, il la réprimanda sévèrement.

Mlle. Hoshinomiya — C’était juste une blague. Une blague !!

Elle sauta peu en arrière et s’empressad e baisser la tête devant Sakagami-sensei.

Mlle. Hoshinomiya — Mais, Ayanokôji-kun. Tu sembles être bien plus incroyable que je ne le pensais. Tu as réussi à répondre correctement à cette terrible dixième question lors du calcul mental flash, et tu t’es même battu à égalité avec Sakayanagi-san aux échecs. De plus, tu as également réussi à répondre correctement aux questions difficiles lors des épreuves écrites. Oh ! Et puis aussi tu sais courir très vite 

Après avoir dit tout cela, Hoshinomiya-sensei réfléchit un instant.

Mlle. Hoshinomiya — Mais ça signifie  que tu avais caché tes capacités jusqu’à présent ?

Moi — Il se trouve la chance était de mon côté.

Mlle. Hoshinomiya — Je vois, donc c’était juste une coïncidence, hein ? Ce genre de choses arrive parfois… Comme si… ! Oui, je crois que je comprends la raison pour laquelle Sae-chan a les yeux sur toi, Ayanokôji-kun. C’est tellement injuste…

J’avais beau essayer de le cacher, il était impossible de contourner le fait que certaines choses devaient simplement être montrées devant les professeurs.

Mlle. Hoshinomiya — Ne t’inquiète pas. Je ne raconterai pas aux autres élèves ce que j’ai vu ou entendu ici.

Elle m’a tapota l’épaule doucement. Puis, elle approcha sa bouche de mon oreille et a dit :

Mlle. Hoshinomiya — Sensei ne déteste pas les enfants comme toi, Ayanokôji-kun, mais si tu deviens un ennemi, Sensei pourrait bien finir par te vouer une haine sans limites.

Le sourire sur son visage avait disparu. Hoshinomiya-sensei me laissa avec ça et s’éloigna. À première vue, je lui avais fait reconnaître par inadvertance que j’étais un ennemi potentiel de la classe B.

M. Sakagami — L’examen est terminé. Les élèves sont priés de quitter la salle dès que possible.

Mlle. Hoshinomiya — Sakagami-sensei, devrions-nous d’abord retourner dans nos salles de classe ?

M. Sakagami — Non, vous avez terminé pour aujourd’hui. Vous êtes libre de rentrer directement chez vous si vous voulez.

Apparemment, il n’était pas nécessaire que les classes se rassemblent aujourd’hui. Ça tombait à pic.

Mlle. Hoshinomiya — Les élèves ont tellement de chance, n’est-ce pas ? De pouvoir rentrer chez eux et tout ça.

M. Sakagami — Hoshinomiya-sensei, préparons-nous à ranger.

Mlle. Hoshinomiya — Oui, oui.

Sakagami et Hoshinomiya commencèrent à préparer le démontage du matériel de la salle polyvalente. L’atmosphère de la salle était si relax qu’il était difficile de croire qu’une bataille aussi tendue venait d’être livrée. Peu de temps après, Sakayanagi sortit tranquillement de l’autre côté. Elle attendait probablement que les professeurs prennent leurs distances par rapport à nous deux.

Sakayanagi — Merci beaucoup pour cette journée, Ayanokôji-kun.

Moi — Ouais. Toi aussi.

Après le septième événement, la première chose que nous avons faite a été d’échanger des plaisanteries entre nous. Cela n’avait pris que 30 minutes, mais sa concentration fut maximale. Sa fatigue était probablement considérable.

Sakayanagi — Il faut de l’endurance pour jouer aux échecs. Il y a eu la merveilleuse gestion de Horikita-san pendant l’ouverture et puis ton style de combat extraordinaire qui a dépassé mes espérances. C’était fabuleux.

Sakayanagi avait un air satisfait sur son visage. Il était même radieux.

Moi — Honnêtement, tu étais bien plus fort que je ne l’avais imaginé. Tu as fait sauter l’avantage de Horikita et j’ai perdu. Il n’y a aucun doute là-dessus.

Sakayanagi — Ce n’est pas le cas. C’était un très bon match. Ça aurait pu aller dans les deux sens jusqu’à la fin. Mais ce mouvement final a fait toute la différence n’est-ce pas ?

Moi — Ton sacrifice de la Reine était brillant.

Tout se résumait à ce qui s’était passé de l’autre côté du grand écran. Mes instructions s’étaient mêlées aux siennes, et elles avaient été supérieures. Les miracles, les secondes chances, il n’y avait pas de place pour tout ça. La victoire et la défaite étaient laissées à la discrétion de l’école. Même si nous nous étions bien battus, la classe C avait quand même perdu contre la classe A, perdant ainsi 30 points de classe. En soi, cela ne semblait être qu’une blessure mineure, mais nous n’avions pas encore vu le résultat des autres classes.

Moi — Y a-t-il quelque chose que tu veux encore de moi ?

Sakayanagi — Pas particulièrement.

Avec un doux sourire, Sakayanagi hocha la tête en signe de satisfaction.

Sakayanagi — J’avais simplement hâte de me confronter à toi. Et maintenant, ce souhait s’est réalisé. Je suis satisfaite.

Dans ce cas, je suppose que j’étais simplement heureux de pouvoir lui donner ce qu’elle voulait. Il serait gênant que Sakagami-sensei s’énerve contre nous parce que nous avons parlé comme ça trop longtemps, alors je me levai de mon siège aussi. Alors que j’étais sur le point d’atteindre la poignée de la porte et de partir, le directeur par intérim Tsukishiro se présenta dans la salle polyvalente.

M. Tsukishiro — Eh bien, j’ai vraiment assisté à un beau spectacle.

Sakayanagi — Avez-vous regardé l’examen spécial, M. le proviseur ?

M. Tsukishiro — Oui. Après tout, ceux l’administration a l’obligation de s’assurer qu’il n’y a pas eu d’injustice. J’étais dans l’autre pièce, en train de vous surveiller tous les deux pendant que vous aviez effectué votre intervention.

Sur ce, il tapa des mains en nous félicitant tous les deux.

M. Tsukishiro — Aucun de vous ne lâchait. C’était vraiment un duel d’anthologie. Nous avons pu en tirer des données très intéressantes. Je suis convaincu que cet examen sera un modèle pour l’établissement pendant de nombreuses années.

Lorsque je regardai les yeux du directeur par intérim, il regarda droit dans les miens avec une expression radieuse. Je compris sans même avoir à lui parler.

Sakayanagi — Je suis très heureux que vous ayez apprécié le spectacle, M. le proviseur.

Sakayanagi baissa la tête. Par-dessus tout, elle ressentait un sentiment de malaise depuis que l’examen était terminé.

Moi — Les classes B et D ont fini leur affrontement ?

M. Tsukishiro — Oui. Il y a une heure environ.

Ce fut bien rapide.

Sakayanagi — Quelle classe a gagné ?

Sakayanagi avait l’air également intéressée par les résultats.

M. Tsukishiro — La classe D a gagné avec cinq victoires et deux défaites. C’était une énorme surprise.

Ainsi, Ryuuen avait battu Ichinose. Cela signifiait qu’ils avaient gagné 190 points de classe. La classe D, ou plutôt la classe C maintenant, était revenue à la vie. Cela signifiait aussi que nous étions revenus au point de départ.

Sakayanagi — La défaite doit être bien amère pour Ichinose-san. Je suppose que c’est compréhensible.

Sans Ryuuen, la classe B aurait certainement remporté l’examen. Avait-il pris des mesures pour lui-même ou bien pour sa classe ? En tout cas, peu importe la raison, un changement avait opéré en lui. Et en même temps, cela signifiait aussi qu’une menace imminente était revenue pour Ichinose.

M. Tsukishiro — Très bien, tout le monde, quittons la salle. L’examen spécial est terminé. Chers professeurs, je vous demande de bien vouloir prendre congé vous aussi.

Le proviseur par intérim incita Sakagami-sensei et Hoshinomiya-sensei à partir.

M. Sakagami — Mais, nous devons encore nous occuper de…

M. Tsukishiro — Nous allons nous occuper de tout.

Au signal du proviseur, plusieurs travailleurs affluèrent dans la salle en même temps.

M. Sakagami — Qui sont tous ces gens ? Ce ne sont pas des membres du personnel scolaire, n’est-ce pas ?

Demanda Sakagami-sensei, la voix suspicieuse.

M. Tsukishiro — Il semble que le gouvernement souhaite mettre la main sur les données de cet examen dès que possible. C’est pourquoi ils ont envoyé toutes ces personnes, alors soyez rassurés.

Comme c’était le proviseur par intérim, Sakagami-sensei n’avait pas d’autre choix que de se retirer et d’écouter ses instructions. Les deux professeurs s’empressèrent de terminer leurs derniers travaux et quittèrent la salle polyvalente avec Sakayanagi et moi. Puis, les professeurs s’éloignèrent et se dirigèrent vers la salle des profs sans prêter plus d’attention à l’un d’entre nous. Sakayanagi, en revanche, jeta un regard douteux sur ces nouvelles personnes. Cependant, avant que nous ne puissions regarder trop longtemps, la porte de la salle polyvalente se ferma et nous pouvions entendre le son de quelqu’un la verrouillant de l’intérieur.

M. Tsukishiro — Quelque chose te dérange ?

Le proviseur par intérim Tsukishiro, qui n’était pas resté dans la salle polyvalente, posa cette question à Sakayanagi.

Sakayanagi — Ce n’est rien.

M. Tsukishiro — Est-ce bien vrai ?

À ce moment-là, je pensai que je devais aussi rentrer chez moi. Lorsque je vérifiai mon téléphone, je découvris que j’avais reçu un message de Horikita.

Horikita — Merci pour tes efforts.

C’était un court message. J’entendrai certainement des plaintes et des grognements de sa part plus tard.

Moi — À plus tard, Sakayanagi.

J’essayai de la quitter avec ces quelques mots, mais…

Sakayanagi — Tu peux attendre un moment, Ayanokôji-kun ?

Moi — Qu’est-ce qu’il y a ?

Sakayanagi cria et m’arrêta alors que je commençais à marcher dans le couloir. Elle aurait dû continuer à savourer le goût sucré de la victoire, mais son expression commença à s’assombrir.

Sakayanagi —…As-tu vraiment pensé que ton mouvement était le meilleur choix possible ?

Elle semblait remettre en question la conclusion à laquelle j’étais parvenu après une longue période de réflexion vers la fin du match.

Moi — C’est toi qui as gagné. Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir de plus ?

Sakayanagi — Je suis désolée. J’ai imaginé quelque chose de stupide. »

Moi — N’es-tu pas heureuse de m’avoir battu ?

Sakayanagi — Ce n’est pas du tout ça. C’est juste que, quelque part au fond de moi, j’espérais en fait perdre contre toi.

Une fois de plus, elle avait une façon de penser inhabituelle.

Moi — Je vais te le dire maintenant, je ne me suis pas retenu.

Sakayanagi — Oui, je le sais bien.

Mais même ainsi, Sakayanagi ne semblait pas encore convaincue pour une raison quelconque. Peut-être qu’à ses yeux, j’étais tout simplement beaucoup plus grand que je ne l’étais vraiment.

M. Tsukishiro — Tu es si cruel, Ayanokôji-kun.

Avec ces mots, le proviseur par intérim Tsukishiro, qui se tenait encore devant la porte de la salle polyvalente, s’introduit avec désinvolture dans notre conversation. Sakayanagi se retourna et a regarda derrière elle. Et, bien qu’à contrecœur, je n’avais eu d’autre choix que de me retourner et de regarder aussi en arrière. Le proviseur s’approcha de nous avec un doux sourire sur le visage avant de se répéter une fois de plus.

M. Tsukishiro — Tu es si cruel.

Sakayanagi — Que voulez-vous dire par là ?

Ce n’est pas moi, mais bien Sakayanagi qui posa cette question.

M. Tsukishiro — Et si tu lui donnais la réponse ?

Moi — De quoi parlez-vous ?

M. Tsukishiro — Tu aurais dû lui dire honnêtement.

Il avait manifestement un peu de temps à perdre après avoir terminé ses « affaires » dans la salle polyvalente.

M. Tsukishiro — Pour dire les choses, le gagnant de cette partie  aurait dû être Ayanokôji-kun.

Après avoir craché ces mots, il était impossible que Sakayanagi ne soit pas prise au piège. Mais, pourquoi cet homme se donnait-il la peine de se mettre en danger en le disant ?

Moi — De quoi parlez-vous ? J’ai bien perdu.

M. Tsukishiro — Je suppose que tu as raison. Tu as en effet perdu.

Cette attitude était sa vraie nature.

M. Tsukishiro — Mais tu l’as bien compris n’est-ce pas ?

Sakayanagi, qui nous avait écoutés en silence, commença  à comprendre la et se rendit compte de la situation.

Sakayanagi — C’est stupide… Vous dites que l’école est intervenue de force dans notre examen ?

Sa réaction fut sans doute alimentée par la colère. Elle allait au-delà du regret ou de la déception. L’indignation était le meilleur terme.

M. Tsukishiro — C’est toi qui es en faute, Sakayanagi-san. Non seulement tu as refusé de suivre mes ordres, mais tu as même donné un point de protection à Ayanokôji-kun. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’y aller un peu fort pour lui enlever ça n’est-ce pas ?

Je vois. Il exposait donc tout ça juste pour se venger de Sakayanagi.

M. Tsukishiro — Si tout s’était passé comme prévu, nous aurions pu obliger Ayanokôji-kun à quitter l’école cette fois-ci. Mais il semble qu’il y ait eu pas mal de professeurs trop zélés pour rendre mon travail difficile.

Pendant le match, il y avait eu une instruction que j’avais envoyée à Horikita après une longue période de réflexion. Mais il a fallu environ 30 secondes pour que l’instruction passe de mon clavier à l’oreillette d’Horikita. Jusqu’alors, le délai pour chaque instruction que j’envoyais était plus proche de 10 secondes. La raison de cette divergence est que l’instruction avait été manipulée avant d’être diffusée par le casque.

M. Tsukishiro — À chaque fois que nous faisions un mouvement, il proposait ensuite toujours une meilleure option pour rattraper le coup. Je suis même parti jusqu’à préparer toute une équipe et des machines pour anticiper tous les coups qu’il pouvait placer, mais même comme ça, nous étions dans la tourmente.

S’il avait effectué des mouvements bâclés, il aurait été évident que quelque chose de pas naturel s’était produit. Pour éviter cela, le proviseur avait été contraint d’effectuer des stratégies très difficiles pour gagner sans se faire remarquer par Sakayanagi.

M. Tsukishiro — En ce sens, Sakayanagi-san a fait un excellent travail pour voir à travers la faiblesse de notre coup.

Ce n’était même pas un compliment.

Sakayanagi — Pourquoi n’as-tu rien dit, Ayanokôji-kun ?

M. Tsukishiro — Même s’il l’avait fait, cela n’aurait pas eu d’importance. Non, au contraire, il n’aurait pas été disposé à te dire quoi que ce soit en premier lieu.

Le proviseur par intérim Tsukishiro donna ensuite des explications.

M. Tsukishiro — C’est simple, vraiment. En tant qu’ancien membre de la White room et de plus, en tant que personne s’étant introduite de force dans cette école, il n’y a aucune chance qu’il veuille attirer l’attention sur lui.

Si l’on apprenait que Tsukishiro s’était mêlé à mes affaires, cela pourrait donner lieu à des problèmes très gênants par la suite. C’était pour le moins frustrant, mais je n’avais tout simplement pas d’autre choix que d’abandonner et d’accepter.

M. Tsukishiro — Même si c’est tragique, une victoire est une victoire. Tu devrais être reconnaissant.

Sakayanagi — Vous êtes très doué pour les provocations M. le proviseur mais sachez que vous allez le payer très cher.

En voyant le sourire plein de colère de Sakayanagi, il applaudi tout simplement une fois de plus.

M. Tsukishiro — Pour une simple élève de seconde, tu dis des choses intéressantes. As-tu un ego aussi gonflé juste parce que tu es la princesse cette cour de récréation ?

D’une manière générale, chaque élève ne voudrait pas faire de Sakayanagi une ennemie. Mais pour cet homme, elle ne ressemblait probablement à rien d’autre qu’à une enfant pinaillant dans le vent.

M. Tsukishiro — Tu as dit que je le paierai cher n’est-ce pas ? Je suis curieux de voir ça. Vas-y.

Un bref silence s’installa. Il n’était pas question que quelque chose se passe.

M. Tsukishiro — Il est temps pour moi de partir. Nous, les adultes, avons beaucoup de travail à faire, après tout.

Ils se mit à marcher vers nous, nous bousculant délibérément.

M. Tsukishiro — Si possible, abandonne cette école de ton plein gré. De cette manière, nous n’aurons pas à mêler d’autres élèves.

Me laissant avec ces mots, Tsukishiro partit et se dirigea vers le couloir. Après son départ, Sakayanagi  commença à s’éloigner lentement aussi.

Sakayanagi — Eh bien, je viens de me prendre une douche froide. La frustration est intense.

Moi — Désolé.

Sakayanagi — Ne le sois pas Ayanokôji-kun. Je suis juste déçue qu’un adulte ait ressenti le besoin de s’immiscer dans les affaires des enfants. Il a pris mon souvenir le plus précieux et l’a piétiné.

Elle ne semblait pas du tout se soucier du fait que sa victoire ait été entachée d’irrégularités. Elle ne pouvait tout simplement pas pardonner qu’on se soit mêlé à son duel.

Sakayanagi — C’est horrible de me dire que je dois accepter la situation.

Sakayanagi s’arrêta de marcher et me regarda.

Moi — Oui. Tu n’as pas tort.

J’avais l’intention de garder le silence sur l’ingérence du proviseur par intérim, mais ce n’était peut-être pas une mauvaise chose que Sakayanagi l’ait découvert. Même si ce n’était qu’un peu, la situation m’avait donné l’impression d’avoir été trompée aussi.

Sakayanagi — Alors, s’il te plaît, joue avec moi de nouveau, en commençant par le coup où tu étais encore maître de ton jeu.

J’aurais pu facilement rejeter sa proposition à ce moment-là. Mais, si je l’avais fait, je sentis que quelque chose à l’intérieur de Sakayanagi se serait brisé. Et, quelque chose en moi aussi.

Moi — Je n’ai aucune raison de te le refuser, je suppose. Mais, où devrions-nous aller ?

Sakayanagi — Le savaist-tu ? Il y a un échiquier dans la bibliothèque.

Moi — Non… c’est la première fois que j’en entends parler.

Sakayanagi — Je l’utilise de temps en temps pour jouer aux échecs. Allons là-bas.

Je n’avais aucune raison de rejeter sa proposition, alors nous nous rendîmes tous les deux à la bibliothèque. Il n’y avait personne aujourd’hui, probablement parce que l’examen spécial était terminé ainsi que les cours. Dans la bibliothèque silencieuse, je pris l’échiquier.

Je plaçai ensuite l’échiquier sur une petite table, juste assez grande pour deux personnes.

Sakayanagi arrangea habilement les pièces pour qu’elles soient dans l’état où elles se trouvaient auparavant.

Sakayanagi — Ici, la même situation que précédemment. S’il te plaît, montre-moi ce que tu aurais joué.

Je pris la pièce et la plaça là où elle devait être.

3

Le match commença, et le temps s’était écoulé sans qu’aucun de nous ne dise un mot. Lorsque le soleil commença à se coucher, le seul son était le bruit répété des pièces blanches et noires qui se posaient sur l’échiquier. Mais cela ne dura pas très longtemps. Il n’était pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à ce match, puisqu’il en était déjà à sa phase finale. Lorsque la partie se termina, Sakayanagi poussa doucement un soupir en regardant le plateau de jeu. Elle ne trouva nulle part un moyen d’éviter l’échec et mat.

Sakayanagi — Comme prévu, Ayanokôji-kun. C’est ma défaite.

C’était une question de vie ou de mort, de mouvement pour mouvement. Elle ne semblait pas mécontente ou quoi que ce soit d’autre, elle avait simplement reconnu sa perte avec satisfaction.

Moi — Tu le prends plutôt bien.

Sakayanagi — Ai-je l’air d’une femme hautaine qui ne peut pas reconnaître sa propre défaite ?

Je mentirais si je disais que je ne pouvais pas le voir.

Sakayanagi — Tout ce que je voulais savoir, c’était où en étaient les choses entre nous. Qui se tenait au-dessus de l’autre. Je n’avais pas l’intention de m’asseoir ici pour me plaindre du résultat.

Moi — Même si j’ai peut-être gagné, ce n’était qu’une partie comme ça. Rien ne garantit que le match se serait déroulé de la même manière.

Je ne pouvais pas écarter la possibilité que c’était grâce au temps supplémentaire que j’avais par rapport à elle que j’avais pu réfléchir à de tels coups. Mais surtout…

Moi — C’était grâce à situation avantageuse que Horikita avait créé. Pour ma part, je suis intervenu alors que nous avions encore le dessus. Je ne pense pas que c’était un match très équitable.

Le match a pu se dérouler comme il le faut parce que Horikita m’avait fait profiter de son avantage. Le fait que Sakayanagi ait été capable de surmonter cela alors qu’elle était désavantagée témoignait de sa force réelle. Si nous jouions l’un contre l’autre à partir de zéro, il n’y avait aucune garantie que je gagnerais. Mais même si elle me proposait de faire une revanche avec moi, dans l’absolu, j’aurais aimé esquiver.

Sakayanagi — Est-ce ta façon de me réconforter ?

Sakayanagi riait, trouvant ma réponse étrange.

Moi — Je ne faisais qu’exposer objectivement les faits.

Sakayanagi — Je suis satisfaite. N’est-ce pas suffisant ?

Si elle était satisfaite du résultat, alors c’était certainement bien. Cela dit, cela n’avait toujours pas l’air de la faire aller mieux.

Moi — Lorsque cet examen spécial a été annoncé, tu aurais pu choisir de me faire face directement. J’aurais quand même accepté dans tous les cas. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Bien sûr, c’était un tirage au sort et il était possible que notre face à face n’ait pas lieu, mais on aurait pu faire en sorte de parvenir à un accord pour augmenter les chances d’apparition en sélectionnant tous les deux cette épreuve dans chaque camp.

Sakayanagi — La raison est simple. Comme tu as pu le constater, il n’y avait aucune garantie que notre événement ne soit choisi. De plus, si tu m’affrontais en face à face, tout le monde se méfierait. Je voulais éviter que tout cela n’arrive. Mais le proviseur en a profité à la fin.

Sakayanagi avait planifié l’examen spécial tout en étant portant une attention particulière à ma situation. C’est probablement la raison pour laquelle elle était furieuse de l’intervention de Tsukishiro. Les sept événements choisis aujourd’hui et l’ordre dans lequel ils avaient été choisis ne furent probablement pas générés au hasard. Ce n’était tout simplement pas un match équitable depuis le début.

Sakayanagi — De plus, Hashimoto-kun était le joueur d’échecs le plus talentueux de la classe A et pourtant, il a perdu contre Horikita-san qui a appris de toi. J’ai donc perdu aussi de ce côté-là.

Sakayanagi s’inclina devant moi en douceur.

Sakayanagi — Ayanokôji-kun. Ce fut un plaisir de t’affronter. La réponse que je cherchais est maintenant claire pour moi. Tu es certainement un génie. Tu n’es en aucun cas artificiel.

Moi — Tu ne comptes pas prendre ta revanche ?

Sakayanagi — Tu aimerais ?

Moi —…Pas vraiment.

Sakayanagi — Fufu, tu es bien franc.

Le fait que nous ayons réussi à avoir ce jeu juste entre nous deux était, en soi, grâce à la situation extrêmement rare dans laquelle nous nous trouvions. L’examen spécial était terminé et demain marquera le début d’une longue pause. Ainsi, nous avions pu trouver une place sans personne d’autre autour.

Sakayanagi — Quant à la raison pour laquelle je n’ai pas l’intention de me venger… Honnêtement, j’ai eu l’impression que toi et pouvons créer un beau spectacle aux échecs. En jouant dix parties, il ne serait pas étrange que nous nous retrouvions chacun avec cinq victoires et cinq défaites. Tu ne penses pas ?

Moi — Au contraire. Je pense que tu as raison.

Il est intéressant de noter que nos véritables capacités correspondaient parfaitement. Si nous devions nous affronter de nouveau, les choses se passeraient certainement comme Sakayanagi l’avait prédit.

Sakayanagi — Mais j’ai l’impression que le vainqueur de ce premier combat, c’est toi, Ayanokôji-kun. Je pense que j’aurais perdu, même à la loyale. Après tout, tu as plus d’expérience que moi aux échecs. Peut-être que cela a fait la différence.

Un regard légèrement compétitif se dessinait sur son visage, soulignant l’importance qu’elle accordait à la victoire.

Sakayanagi — Si je devais me venger en utilisant les échecs, cela enlèverait tout le plaisir. Pour moi, c’est un loisir, et j’aimerais que cela reste ainsi.

En parlant, elle prit un des cavaliers sur l’échiquier.

Moi — Tu m’as vu jouer à l’époque ?

Sakayanagi — Oui. Je te regardais alors que les adversaires te harcelait sans relâche dans la White room. Depuis, j’aime les échecs, croyant que le jour viendrait où je t’affronterai moi-même.

L’intuition que j’ai ressentie en voyant la liste des événements proposés par la classe A était bien crédible. Cela, ce n’était pas une simple coïncidence si les échecs avaient été choisis comme événement.

Sakayanagi — Bon, dépêchons-nous de rentrer.

Moi — Je vais ranger le jeu. J’arrive.

Sakayanagi — Merci beaucoup.

Je plaçai les pièces et l’échiquier à leur place d’origine.

Sakayanagi — C’est avec regret que je dis cela, mais je vais devoir garder distances avec toi à partir de maintenant. Si je continue à me focaliser sur ta personne, mes camarades de classe commenceraient probablement à se douter de quelque chose. De plus…

Moi — De plus ?

Sakayanagi — Je meurs d’envie de te connaître depuis si longtemps. Pour moi, tu es comme un ami d’enfance que je n’ai jamais rencontré. Un ami que j’ai toujours, toujours poursuivi. S’il est facile pour nous de nous faire concurrence, alors je finirai probablement par ne pas apprécier nos moments.

Un faible sourire apparu sur son visage tandis qu’elle me regardait avec affection.

Moi — Avec ce proviseur, ce n’est pas le moment pour les élèves de se battre entre eux de toute façon.

C’était l’exemple parfait de l’école qui revoit ses priorités à la baisse. Dans des circonstances normales, elle était censée encenser les compétitions entre élèves. Mais même si le système se veut toujours compétitif, rien ne garantissait que le proviseur par intérim n’intervienne pas de nouveau pour m’évincer. Il était probablement plus juste de dire qu’il ferait tout ce qu’il faut pour se mettre en travers de mon chemin. À cet égard, j’étais reconnaissant de n’avoir plus qu’à faire attention à lui maintenant. Si j’étais entouré d’ennemis, l’épuisement qui en résulterait serait considérable. C’est ainsi que nous quittâmes la bibliothèque ensemble.

Sakayanagi — En y repensant, c’est la première fois que nous rentrons ensemble.

Moi — Maintenant que le dis, c’est vrai.

Il y avait toujours quelqu’un d’autre avec elle. De plus, l’idée de nous voir marcher côte à côte comme ça n’était pas la plus naturelle qui soit.

Sakayanagi — Je m’excuse pour ma lenteur ;

Moi — Tu n’as pas à t’excuser pour ça.

Sa vitesse de marche était certes lente, mais c’était à cause de son handicap. Et bizarrement, aujourd’hui, je me suis senti reconnaissant pour ça. Si je marchais comme je le faisais habituellement, j’atteindrais les dortoirs en un rien de temps.

Sakayanagi — Que vas-tu faire maintenant ?

Moi — Ça dépend simplement de ce que Tsukishiro fera ensuite. Même s’il ne fait que remplacer ton père, il reste le proviseur. Les méthodes ordinaires ne fonctionneront pas contre lui.

Sakayanagi — Tu as raison Vu la situation actuelle, la réhabilitation de mon père ne se fera pas aussi facilement.

Moi — Que comptes-tu faire ?

Sakayanagi réfléchit un peu.

Sakayanagi — Pour l’instant, je vais passer mon temps à m’amuser comme je l’ai toujours fait. Si Katsuragi-kun recommence à s’opposer à moi, je serai son adversaire. Si Ichinose-san vient me poursuivre, je m’amuserai à l’écraser en jouant avec elle. Si elle se fait expulser, j’aurai le plaisir de voir la classe B s’effondrer aussi.

Elle souriait comme une petite fille qui jouait innocemment avec ses poupées.

Sakayanagi — Je n’avais pas prévu cette remontée de Ryuuen-kun, mais… S’il est revenu sur le champ de bataille, j’aimerais bien l’affronter aussi. En y repensant, il semble que ce ne soit peut-être pas une vie scolaire si ennuyeuse après tout.

Moi — C’est bon à entendre.

Sakayanagi — Et toi, Ayanokôji-kun ?

Moi — J’aimerais éviter de faire quoi que ce soit qui m’exposerait. À part ça, continuer à faire en sorte que Horikita fasse de son mieux.

Sakayanagi — Et je suis sûre qu’elle a un bel avenir devant elle. Je m’en réjouis d’avance.

Un jour, Horikita pourrait bien être en mesure de faire figurer son nom sur la liste des opposants que Sakayanagi était prête à prendre au sérieux, aux côtés d’Ichinose et de Ryuuen. Si cela devait arriver, Sakayanagi apprécierait sûrement d’autant plus sa vie scolaire ici.

Sakayanagi —…Je te dois des excuses pour une chose.

Moi — Ah bon ?

Sakayanagi — Tout à l’heure, je t’ai dit pourquoi je voulais éviter un face à face, mais c’était un mensonge.

Elle avait dit que c’était pour éviter de me mettre sous les feux des projecteurs, mais elle affirma maintenant que c’était faux.

Sakayanagi — Pour te dire la vérité, je voulais juste être avec toi, même pour une seconde de plus.

Alors qu’elle parlait, elle me tendit la main droite. Je tendis la main, pensant que c’était une simple poignée de main, mais quand je m’exécutai, elle posa ensuite sa main gauche sur la main que j’avais tendue.

Sakayanagi Les gens apprennent ce qu’est la chaleur lorsqu’ils se touchent, et c’est une chose très précieuse. La chaleur d’un autre être humain n’est en aucun cas une mauvaise chose. N’oublie pas ça.

Moi — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Sakayanagi — C’est un message tardif de ma part à ton égard.

Avant que je ne puisse comprendre ce qu’elle disait, elle relâcha lentement ma main et se remit à marcher.

Sakayanagi — Rentrons maintenant.

Elle ne sembla pas vouloir s’expliquer davantage. Ensemble, nous regardâmes le coucher de soleil en rentrant lentement chez nous.

Sakayanagi — Oh, tu étais au courant d’ailleurs ? Yoshida-kun de la classe A…

Nous n’avions pas le type de relation où l’on ressasserait notre passé.

Il n’y avait ni but ni arrière-pensée. Nous échangeâmes simplement des récits sur notre vie quotidienne.

Jusqu’au moment même où nous arrivâmes aux dortoirs.

…..


[1] Bonus de temps (10 secs) ajouté à chaque coup joué. Instauré par le joueur Bobby Fischer  afin d’éviter les fins de partie au « K.O » à savoir, quand tous les coups restants doivent être exécutés dans un temps très limité.

—————————————————
<= Précédent // Suivant =>
———————————————