CLASSROOM Y2 V3 : ÉPILOGUE


Les graines de l’agitation

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Traduction : Raitei
Correction : Nova
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Ichinose — On n’avait pas besoin de ça.

Il était un peu plus de 7h du matin le septième jour de l’examen, une heure à laquelle la plupart des groupes se dirigeaient déjà vers leur première zone désignée. Ichinose Honami, cependant, laissa simplement échapper un profond soupir en regardant la montre attachée à son poignet droit. Des nuages gris foncé bordaient le ciel couvert, menaçant de faire tomber la pluie à tout moment.

Shibata — Ichinose, c’est vraiment cassé ?

Shibata Sô, un autre membre du groupe, demanda cela en jetant un coup d’œil à sa montre.

Ichinose — On dirait bien. Je crois que c’est arrivé ce matin quand je suis tombée près de la rivière et que je me suis cogné contre un rocher.

Elle avait essayé tout ce qu’elle pouvait imaginer pour la réparer une fois, mais malgré tous ses efforts, elle n’avait pas réussi à faire fonctionner le GPS et le cardiofréquencemètre. Rien n’apparut sur la carte quand elle essaya de confirmer sa position actuelle sur sa tablette non plus. Avec une montre cassée, elle ne pouvait pas gagner de points dans les zones désignées ou les tâches. Il fallait absolument régler la situation

Ichinose — Je suppose qu’on doit s’estimer heureux de ne pas être de l’autre côté de l’île, hein ?

Shibata — C’est sûr.

Ichinose et les autres membres de son groupe se trouvaient actuellement au sud-ouest de E6. Bien que le retour à la zone de départ ne prenait « que » deux heures, il était assez dangereux pour elle de faire le trajet toute seule avec un GPS cassé.

Shibata — Du coup on n’a pas le choix. Faut revenir à la zone de l’embarcadère.

Shibata avait l’air un peu énervé, mais d’après le ton de sa voix, il était évident qu’il ne rejetait pas la faute sur Ichinose.

Ichinose — Mais…

Leur première zone désignée de la journée était D5. Autrement dit, ils devaient se déplacer dans la direction opposée à celle de la zone de départ. Ainsi, non seulement elle n’était pas éligible à la précieuse prime d’arrivée, mais le groupe tout entier n’aurait pas eu non plus la chance de gagner la prime de rapidité. Ichinose savait ce qu’elle devait faire, elle se tourna vers les trois personnes, Kamuro, Hashimoto et Ninomiya, qui attendaient de partir derrière elle.

Hashimoto — Vu que c’est cassé, on ne peut rien y faire n’est-ce pas, Masumi-chan ?

Masumi — Si vous partez maintenant, vous serez peut-être de retour à temps pour la troisième zone.

Comme Hashimoto et Kamuro, Ninomiya, de la même classe acquiesça aussi. Ainsi, aucun d’entre eux ne semblait lui en vouloir ce qui rendit Ichinose heureuse, mais en même temps, un sentiment de culpabilité commença à la ronger.

Deux jours plus tôt, le cinquième jour de l’examen, le groupe d’Ichinose avait remporté la première place dans une tâche permettant aux groupes d’augmenter leur taille maximale, gagnant ainsi le droit de prendre trois personnes supplémentaires. Et le sixième jour, ils utilisèrent la fonction de recherche GPS pour fusionner avec le groupe de Hashimoto, mais les problèmes surgirent dès le lendemain matin.

Ichinose — Désolée tout le monde. Je serai certainement de retour à temps pour la troisième désignation.

Maintenant qu’un plan d’action avait été décidé, chaque seconde comptait. Elle devait agir rapidement afin de retrouver ses amis le plus vite possible.

Shibata — Eh bien, je suppose que je vais rester avec Ichinose.

Après que Shibata se soit porté volontaire, les deux partirent vers le sud.

Ichinose — Désolée Shibata-kun.

Shibata — Ne t’excuse pas. Tu n’y peux rien de toute manière.

Ichinose — Pas faux…

C’est ainsi qu’Ichinose et Shibata passèrent l’heure suivante à marcher vers le sud le long de la rivière jusqu’à ce qu’ils arrivent en E9. Lorsqu’ils mettront un pied sur la plage sablonneuse, la zone de départ n’allait plus être loin.

Shibata — On va plus vite que prévu, c’est cool.

Tout ce qu’ils devaient faire maintenant était de marcher vers l’ouest pour arriver dans la zone de l’embarcadère. Même s’ils avançaient lentement, cette dernière étape n’aurait duré que tout au plus une demi-heure, mais le temps était tout de même compté et il ne fallait pas se relâcher.

Ichinose — Shibata-kun, pourquoi ne pas te diriger vers la prochaine zone désignée à partir d’ici ?

Shibata — Pas question. Même si c’est proche, tu n’as pas à y aller seule. La forêt est un vrai labyrinthe, tu le sais. Eh oui, il fait encore jour et tout, mais le ciel est gris alors la pluie…

Shibata leva les yeux au ciel et s’arrêta. Il était 8h du matin et, bien qu’il ne pleuvait pas encore, rien ne permettait de dire quand le temps allait se gâter.

Ichinose — Oui, je sais que c’est dangereux, mais je devrais pouvoir regagner la zone de départ sans me perdre. Si nous voulons rattraper les groupes en tête du classement, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un seul point. Et puis, s’il se met à pleuvoir, on risque de ne pas pouvoir retrouver les autres.

C’était certes gourmand, mais ils savaient tous qu’ils devaient aller chercher autant de points que possible.

Ichinose — J’ai juste besoin de marcher en ligne droite. Ça ira.

Elle voulait au moins que Shibata revienne rapidement sur le terrain pour qu’il puisse gagner des points pour le groupe. Elle voulait simplement minimiser le plus possible le fardeau qu’elle avait imposé en cassant sa montre.

Shibata — …D’accord, mais s’il te plaît ne fais pas de bêtises. S’il commence à pleuvoir, n’essaye pas de forcer et attends que l’averse s’arrête.

Ichinose — Oui, ne t’en fais pas. Après tout, ce n’est pas le moment d’avoir une blessure. Nous n’avons pas besoin de ça.

Après avoir promis la prudence, Ichinose fit un signe de la main, exhortant Shibata à retrouver Hashimoto et les autres. Et puis, avec les indications générales que Shibata lui avait données encore gravées à l’esprit, elle mit un pied dans la forêt.

Même si elle ne pouvait pas arriver à temps pour la prochaine zone désignée, sa résolution de revenir à temps pour la troisième désignation la poussait à continuer d’avancer. Ses pieds bougeaient encore plus vite que son esprit, désireux de ne pas perdre de temps.

Comme elle n’avait pas repéré une seule personne depuis qu’elle s’était séparée de Shibata, elle sembla livrée à elle-même dans le secteur. Au départ, elle pensait qu’elle pourrait demander de l’aide à un autre groupe dans les environs si le besoin s’en faisait sentir, mais au fur et à mesure que le temps passait, elle réalisait à quel point cette façon de penser était naïve.

Après avoir avancé péniblement pendant une dizaine de minutes, la visibilité déjà médiocre de la forêt faiblement éclairée se détériora progressivement. La cause en était évidente : les nuages gris qui tapissaient le ciel étaient devenus encore plus épais et plus sombres qu’auparavant. Ichinose avait eu l’intention de marcher en ligne droite, mais le dense bosquet d’arbres qui se trouvait sur sa route devenait trompeur. Au moment où elle contournait un arbre, deux autres faisaient leur apparition devant elle. Au fil du temps, elle finit par ne plus savoir si elle marchait bien tout droit.

Ichinose — Pourquoi je sens que tout va mal ?

Un rire nerveux fit son apparition. Elle n’avait pas d’autre choix que de continuer à aller de l’avant. Après tout, la zone de l’embarcadère ne devait théoriquement être qu’à quelques centaines de mètres. Elle continua à marcher pendant une vingtaine de minutes avant de s’arrêter, ne sachant plus quoi faire. Si elle n’avait pas pris un mauvais virage à un moment donné, elle aurait dû être arrivée à bon port.

Ichinose — Quoi… Qu’est-ce que je fais… ?

Elle essaya de vérifier à nouveau sa tablette, mais comme avant, sa position actuelle n’apparaissait pas sur la carte. Même si elle essayait de revenir sur ses pas, il n’y avait aucune garantie qu’elle y parvienne.

Ichinose n’était pas habituellement du genre à prendre des décisions irréfléchies comme celle-ci, mais depuis que sa classe avait été rétrogradée en C, elle se sentait de plus en plus impatiente.

Malgré cela, elle avait réussi à former un groupe formidable grâce à la coopération du leader de la classe A, Sakayanagi. Par conséquent, afin de maintenir la parité avec la classe A, elle devait plus que jamais démontrer sa compétence.

Elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle se trouvait ou de celui où elle allait, mais elle avait néanmoins l’obligation d’aller de l’avant. Où devait-elle aller ? Dans quelle direction ? Afin de dissiper les questions anxiogènes de son esprit, Ichinose fit un pas en avant avec détermination. Juste à ce moment-là, un bruit, très faible vint de quelque part devant.

Elle se demanda momentanément si elle devait ou non crier, excitée par la perspective de rencontrer quelqu’un d’autre, mais elle ne pouvait pas exclure la possibilité qu’il s’agisse simplement d’un animal sauvage. Pensant qu’elle pouvait tout aussi bien aller voir par elle-même, Ichinose commença à se déplacer tranquillement vers la source du bruit.

Les silhouettes de deux personnes apparurent : Tsukishiro, le directeur par intérim du lycée et Shiba, le professeur principal de la classe 2nde D. En les voyant, Ichinose laissa échapper un profond soupir de soulagement puisqu’elle pouvait maintenant demander la direction de l’embarcadère.

Cependant…

Elle se rendit rapidement compte que c’était le même raisonnement naïf qui l’avait mise dans cette situation en premier lieu. Même s’il s’agissait d’un accident, cela ne changeait rien au fait qu’elle se trouvait actuellement au milieu d’un examen spécial. Étant donné cela, il ne semblait pas très probable qu’ils lui donnent des indications si elle leur disait qu’elle s’était perdue.

Et bien que ce serait une chose si sa montre s’était cassée à cause d’un problème technique, étant donné que c’était elle qui l’avait cassée, s’ils devaient mettre cela sur le compte de sa propre responsabilité, cette précieuse chance de sortir de la forêt lui échapperait. Par conséquent, elle voulut trouver un moyen de saisir cette chance à la place. Une idée lui vint à l’esprit, les suivre.

L’idéal étaient qu’ils retournent à la zone de départ d’ici, mais s’ils finissaient par se diriger vers un site de tâche à venir, d’autres élèves allaient se montrer tôt ou tard. Dans tous les cas, en les suivant, elle parviendrait probablement à éviter le pire des scénarios.

Après y avoir réfléchi un peu plus longtemps, elle décida finalement de les suivre puisqu’ils semblaient être plongés dans une sorte de conversation en marchant, elle pensait qu’elle serait relativement difficile à remarquer. Et même dans le cas où elle se faisait prendre, elle ne pensait pas que ce serait un gros problème tant qu’elle feignait l’ignorance.

M. Tsukishiro — Je vous ai demandé de confirmer si oui ou non nous étions en mesure d’agir librement. Qu’en est-il ?

M. Shiba — Ce sera difficile. J’ai trouvé des preuves qui suggèrent que les professeurs nous surveillent de près. Parmi eux, Mashima, qui semble être bien en alerte.

Le son de leur voix voyageait clairement à travers la paisible forêt permettant à Ichinose de comprendre la plupart de leur conversation. Cependant, elle n’était pas très intéressée par le contenu donc elle n’avait pas écouté très attentivement, choisissant de se concentrer principalement sur la filature sans être repérée.

M. Shiba — À part lui, il y a un autre professeur, Chabashira, le professeur principal de la 1ère D. Elle a cherché dans tous les registres et dossiers.

M. Tsukishiro — C’est parce qu’entraîner les professeurs dans cette affaire était l’une des rares options viables qu’il lui restait. Que ce soit Chabashira-sensei ou Mashima-sensei, il n’y a aucun doute dans mon esprit que leurs actions sont liées à Ayanokôji-kun. Puisque Ayanokôji-kun se trouvait sur les lieux à l’époque, il est tout à fait naturel qu’il ait réussi à découvrir la vérité.

Cependant, tout changea au moment où un certain nom inattendu apparut. Ichinose retint son souffle avec un nouvel  intérêt : Ayanokôji.

Un nom qui faisait inconsciemment palpiter son cœur à chaque fois qu’elle l’entendait. Les deux hommes s’arrêtèrent avant de continuer, peut-être à cause de la mention soudaine de ce nom.

M. Shiba — J’ai déjà falsifié les registres de notre côté, donc je ne crois pas qu’ils seront en mesure de tracer quoi que ce soit.

M. Tsukishiro — Merci pour ça. Cependant, ils pourraient encore mettre la main sur quelque chose. Si c’est le cas, nous n’aurons pas d’autre chance. Nous devons être sûrs de le coincer cette fois.

M. Shiba — Est-ce que ce sera vraiment aussi simple de forcer son expulsion? C’est le ──── de la White Room après tout.

M. Tsukishiro — Les gens se laissent trop influencer par les titres. C’est juste un ───, c’est ───.

White Room ?

Ichinose avait tendu l’oreille pour essayer de comprendre ce qui avait été dit, mais elle ne parvenait pas à saisir certains mots. Le vent s’était soudainement renforcé, le bruit de la tempête étouffant leurs voix.

Le nom d’Ayanokôji associé au mot « expulsion » résonnait sans cesse dans son esprit. De toutes les personnes, pourquoi le directeur par intérim et un professeur principal de seconde parlaient-ils d’une chose pareille ? Tentant désespérément d’avoir plus de bribes de leur conversation, Ichinose commença inconsciemment à réduire la distance, une distance qu’elle savait par ailleurs devoir maintenir.

M. Shiba — S’il garde ──── jusqu’au dernier jour, faisons ─── qu’il disparaisse en I2 ──── prévu.

Ichinose était certaine qu’ils ne pouvaient pas l’entendre, mais au moment où elle se rapprochait suffisamment pour comprendre l’essentiel de ce qui se disait… À ce moment précis…La tête du directeur par intérim se renversa en arrière, fixant la direction d’Ichinose d’un regard assassin.

Danger !

Son intuition, ou peut-être son instinct, lui cria ce seul mot, l’obligeant à tourner le dos et à s’enfuir aussi vite que ses jambes le pouvaient. Cependant, son sac à dos pesait beaucoup trop lourd, l’empêchant de prendre de la vitesse. En un clin d’œil, elle déboucla les fermetures et le lança dans le fourré avec toute la force possible.

S’ils ramassaient le sac, ils auraient été en mesure de déterminer son identité en regardant la tablette à l’intérieur, mais Ichinose était actuellement bien trop en panique pour agir avec ce niveau de prévoyance.

Elle était à peu près sûre qu’ils n’avaient pas vu son visage, mais il n’y avait aucun doute pour elle quant au fait qu’ils avaient réalisé que quelqu’un les écoutait. Cette conversation… Elle n’était pas censée l’entendre.

Cette intuition l’avait glacé jusqu’aux os tandis qu’elle continuait à courir. Elle se disait qu’elle pouvait certainement s’éloigner d’eux sans problème. Elle se rassurait en se disant qu’il n’y avait aucune chance qu’ils viennent la poursuivre…

Oui, tout va bien se passer… N’est-ce pas ?

Absolument. Absolument. Tout ira bien….

De derrière, on pouvait entendre le bruit de brindilles se brisant et de feuilles s’effritant sous le pied. Ichinose n’était pas très confiante dans ses capacités physiques, mais savait qu’elle était rapide.

À gauche, à droite ou tout droit, la direction n’avait plus d’importance. Elle continua à courir, s’enfonçant complètement dans la forêt, perdant un peu plus le contrôle à chaque pas qu’elle faisait.

Il y avait un sentiment étrange, presque surréaliste, à être témoin de quelque chose que l’on n’aurait pas dû. Et c’est ce sentiment même qui l’avait poussée à détaler.

Ichinose — !!!

Les yeux d’Ichinose étaient rivées droit devant pendant sa course. Ainsi, au milieu de son délire, son pied fut crocheté à quelque chose ce qui la fit basculer au sol. En regardant en arrière, elle vit le coupable en question : une grosse racine d’arbre qui dépassait du sol.

Malgré une douleur vive au genou à cause de sa chute, elle endura, faisant ce qu’elle peut pour essayer de se remettre sur pied.


Alors qu’elle commençait lentement à remettre du poids dans ses jambes, une grande main se tendit et serra son épaule gauche par-derrière. Ichinose se figea immédiatement sur place, surprise au point que son cœur faillit s’arrêter. Elle regarda avec crainte par-dessus son épaule.

M. Shiba — … Si je ne me trompe pas, tu es Ichinose Honami de la classe 1ère C n’est-ce pas ?

Intimidé par le regard puissant de Shiba, Ichinose se redirigea de nouveau vers le sol.

Ichinose — Ah- Uh- O-oui, c’est bien ça.

Les fesses par terre, elle essaya désespérément de faire marche arrière, mais il n’y avait tout simplement pas moyen d’échapper à son regard perçant. Il était debout, dominant Ichinose, les yeux remplis d’une émotion indéchiffrable.

M. Shiba — Que fais-tu là ?

Ichinose — U-uhm, eh bien, ma montre est cassée, alors j’allais la faire réparer.

M. Shiba — Je vois. C’est donc pour ça qu’il n’y avait pas de signaux GPS à proximité.

Après une brève pause, il poursuivit.

M. Shiba — Peu importe ce que tu as entendu. Même si ce n’était que quelques mots, tu n’avais pas à être impliquée là-dedans. Tu n’as pas de chance.

Ichinose — Est-ce que je vais être pénalisée à cause de quelque chose ?

M. Shiba — Cela n’a rien à voir avec les règles ou les sanctions de l’école. Nous allons juste devoir nous débarrasser de toi maintenant.

À ce moment-là, Shiba commença lentement à s’approcher d’Ichinose.

M. Tsukishiro — C’est un peu prématuré de recourir à des méthodes aussi violentes, Shiba-sensei.

Tsukishiro, qui arriva légèrement en retard avec le sac à dos d’Ichinose en main, prit la parole pour recadrer Shiba.

M. Shiba — Oui, pardonnez-moi.

À ce moment-là, le directeur par intérim se retourna et regarda Ichinose avec un sourire sinistre sur le visage.

M. Tsukishiro — Procédons de manière formelle. As-tu entendu quelque chose, Ichinose-san ?

Ichinose — N-non…Je n’ai rien entendu…

Bien sûr, c’était un mensonge. Bien qu’il n’y ait eu que quelques bribes, Ichinose avait effectivement entendu leur conversation troublante. Mais peu importe ce qu’elle choisissait de dire en réponse, ils n’allaient probablement pas la croire de toute façon.

M. Tsukishiro — Je ne suis pas naïf au point de te croire. En tant qu’adultes nous devons toujours supposer le pire et agir en conséquence, donc je n’ai pas d’autre choix que de procéder en partant du principe que tu as tout entendu.

Tsukishiro se tenait devant Ichinose avec un regard examinateur. Et puis, il s’accroupit pour répondre au regard d’Ichinose.

M. Tsukishiro — Aussi accidentel que cela puisse être, tu as quand même tout entendu. Des informations qui n’auraient jamais dû arriver jusqu’à tes oreilles, et pourtant, ça a été le cas

Shiba se tint simplement en retrait en observant son supérieur, semblant avoir peur de la direction qu’il prenait.

M. Tsukishiro — Si notre conversation de tout à l’heure venait à être divulguée au public, Shiba-sensei et moi aurions de gros problèmes.

Ichinose — Je n’ai vraiment rien entendu.

M. Tsukishiro — Ce n’est pas vrai. N’ai-je pas dit que je partais du principe que tu avais tout entendu.

En entendant cela, Ichinose ne pouvait que ravaler son souffle.

M. Tsukishiro — Devrions-nous peut-être te malmener un peu jusqu’à ce que tu oublies, Ichinose-san ? Ça signifierait ton retrait de l’examen.

En la voyant se recroqueviller de peur, Tsukishiro sourit et se releva.

M. Tsukishiro — Je dis ça en plaisantant, bien sûr. En tant que responsable de la protection de cet établissement, je ne dirais jamais une chose pareille en le pensant vraiment. Mais moi aussi, j’aimerais éviter de recourir à la violence.  Par conséquent, je vais te faire une proposition. Si tu parles à qui que ce soit de tout cela, je veillerai personnellement à ce qu’un groupe composé uniquement d’élèves de 1ère C se retire de l’examen.

Ichinose — … !

M. Tsukishiro — Naturellement, ce serait un groupe qui n’a pas les points privés dont ils auraient besoin pour se sauver.

C’est une façon un peu plus agréable de dire qu’ils seraient soumis à une expulsion obligatoire.

M. Tsukishiro — Tu crois peut-être qu’il me serait impossible de faire une telle chose ? Je suis en charge des règles alors fabriquer une justification serait banal au possible. On ne sait pas ce qui pourrait arriver, surtout ici, sur une île déserte aussi vaste et non surveillée.

Tsukishiro rétrécit son regard, fixant une Ichinose terrifiée. C’était sa façon de lui demander tacitement si elle avait compris.

M. Shiba — M. le directeur, plutôt que de faire preuve d’une telle indulgence, ne serait-il pas préférable d’exercer votre autorité ici ? Si Ichinose venait à disparaître, je doute que Chabashira et Mashima s’en aperçoivent. Ces deux-là ne sont prudents que lorsqu’il s’agit de questions concernant Ayanokôji.

M. Tsukishiro — Vous avez raison. Alors, que pensez-vous faire à la place, Shiba-sensei ?

Sans la moindre hésitation, Shiba sortit une paire de gants en caoutchouc de sa poche.

M. Shiba — Si vous êtes prêt à me laisser faire, je m’occuperai d’elle moi-même.

Tous les espoirs d’Ichinose de s’enfuir disparurent depuis longtemps, ne lui laissant pas d’autre choix que d’attendre sa sentence pendant que les deux hommes discutaient de la façon de la traiter.

D’après l’expression mortifiée sur son visage, il était clair qu’elle ne pouvait même pas imaginer ce que Shiba avait l’intention de faire une fois qu’il aurait mis les gants. Cette vision provoqua un sourire tendre chez Tsukishiro.

M. Tsukishiro — Je préfère ne pas perdre plus de temps avec ça.

En disant cela, Tsukishiro posa le sac à dos qu’il tenait devant Ichinose avant de s’éloigner à nouveau.

M. Tsukishiro — L’embarcadère est situé à environ 150 mètres droit devant toi. Vas-y.

Ichinose — O-oui, monsieur… !

Envahie par un sentiment de panique, Ichinose enfila à la hâte son sac à dos, cherchant désespérément à s’enfuir le plus vite possible.

M. Tsukishiro — Ce ne sont pas tes ennemis que tu dois protéger, mais tes propres camarades de classe. Garder bien cela à l’esprit.

Ichinose hocha la tête en guise de réponse avant de partir aussitôt dans la direction indiquée par Tsukishiro. Une fois qu’elle disparut dans la forêt, Shiba envoya un regard confus vers Tsukishiro.

M. Tsukishiro — C’est bon. Vous pouvez la laisser partir.

M. Shiba — Vous êtes sûr ? Si elle en parle à Ayanokôji, cela interférera avec le plan.

Il ne pouvait simplement pas se défaire de l’idée qu’il y avait encore des détails à régler d’une manière ou d’une autre.

M. Tsukishiro — Les imprévus arrivent tout le temps. Dans ce cas, nous devrons simplement nous adapter.

Shiba semblait encore visiblement appréhender la situation, incapable de percevoir les véritables intentions de Tsukishiro.

M. Tsukishiro — Vous êtes vraiment si inquiet ? Je pensais lui avoir donné un avertissement plutôt efficace.

Si elle revenait sur sa parole, plusieurs de ses camarades de classe seraient expulsés. Bien qu’il ne s’agissait que d’une menace, pour quelqu’un comme Ichinose qui donne la priorité à ses camarades de classe par-dessus tout, cela semblait beaucoup plus réel.

M. Tsukishiro — Indépendamment de sa relation avec Ayanokôji-kun, l’élimination d’un ennemi redoutable comme lui serait formidable pour la classe C. Elle-même s’y fera également à mesure que le temps passera, alors restons calmes et voyons ce qui se passe, d’accord ?

Une goutte de pluie tomba sur la joue de Tsukishiro.

M. Tsukishiro — J’étais à 99 % certain que Nanase-san échouerait, mais il semble qu’elle soit finalement passée à l’action. Si tout se déroule comme prévu, l’alerte d’urgence d’Ayanokôji-kun devrait se déclencher d’ici peu.

Tsukishiro était parfaitement calme en parlant, sans même la moindre trace d’incertitude dans sa voix.

Une perspective rendue possible grâce à sa conviction inébranlable.

1

Il commença à pleuvoir des cordes. Après avoir pris le temps de se calmer et de faire le point sur ses propres sentiments, Nanase s’exprima avec un ton lourd.

Nanase — J’ai perdu… Ayanokôji-senpai.

Moi — Tu te considères donc comme vaincue ?

Nanase — Oui. Il semble que, malgré tous mes efforts, il m’est vraiment impossible de te battre, senpai.

Après s’être battue jusqu’au bout elle semblait résignée, comme si toute la haine de tout à l’heure avait été évacuée. Le fait de la faire abandonner sans en venir aux mains avait réussi.

Moi — Si possible, pourquoi ne pas m’expliquer tout en détail ? Pourquoi me visais-tu ? Si on ne fait pas le point, ça risque de poser problème plus tard.

Nanase — C’est juste. Tu as le droit de savoir. Non…je veux que tu saches, senpai.

Elle s’assit en parlant, n’ayant plus la force de rester debout plus longtemps. Bien que ses mouvements n’avaient pas été ceux d’une personne ordinaire, elle ne semblait toujours pas être l’élève de la White Room. Sa force était clairement digne d’éloges à tel point qu’elle ne perdrait probablement pas contre un adversaire comme Horikita ou Ibuki.

Contrairement à quelqu’un qui venait de la White Room cependant, elle était beaucoup trop brutale sur les bords. De plus, il aurait été étrange que cet élève en question évoque le nom de Matsuo parmi tant d’autres. Alors, pour connaître la vérité, j’attendis patiemment sa réponse.

Nanase — Je… je me suis inscrite dans cette école parce que je voulais venger mon ami d’enfance.

Moi — Ton ami d’enfance ? Tu veux dire…

Nanase — Oui. Matsuo Eiichiro.

J’étais presque certain qu’elle faisait référence au fils du majordome qui s’était occupé de moi dans le passé.

Nanase — Je ne m’en étais pas vraiment rendue compte avant de m’inscrire ici, mais comme ce campus est complètement isolé du monde extérieur, il n’y a aucun moyen que tu aies pu savoir ce qui s’est passé, n’est-ce pas ?

Il était logique que Nanase pense ça. Mais je savais plus ou moins ce qui était arrivé à la famille Matsuo. Après tout, « cet homme » l’avait mentionné lorsqu’il était venu me chercher pour me ramener à la White Room. À ce moment-là, Nanase avait calmement commencé à tout me raconter.

Comment Eiichiro avait été expulsé de force du lycée dans lequel il avait travaillé si dur pour y entrer. Comment, quelle que soit l’école à laquelle il avait tenté une inscription, il avait fini par subir exactement le même sort, ce qui l’avait amené à renoncer complètement à poursuivre des études supérieures.

Comment, en apprenant cela, son père s’est suicidé en s’immolant par le feu. Et comment, après la mort de son père, il a dû faire ce qu’il pouvait pour joindre les deux bouts en travaillant à temps partiel. Même si cet homme m’avait déjà dit tout cela, j’avais simplement choisi de tenir ma langue pour écouter.

Nanase — De la maternelle jusqu’au jour où il a été diplômé du collège, j’étais toujours avec Eiichiro-kun. Il avait une année d’avance sur moi et était meilleur que moi à peu près partout, des études aux jeux auxquels nous jouions ensemble… Il était mon inspiration, mon modèle.

La voix calme de Nanase commença progressivement à devenir plus lourde.

Nanase — Même après avoir été mis à la porte de chez lui, Eiichiro-kun avait dit qu’il n’abandonnerait pas jusqu’à la fin, et c’est alors qu’il a commencé à travailler. Bien que nous n’ayons pas pu nous voir aussi souvent, je ne pensais pas que la relation entre nous changerait.

Elle continua sans pause, parlant comme si elle revivait le passé.

Nanase — Même s’il avait abandonné ses études… Même s’il avait perdu son père… Il m’a dit qu’il n’abandonnerait pas… Qu’il regarderait vers l’avenir et ferait de son mieux… Il a même souri… Et pourtant…

La voix de Nanase se mise à trembler et ses poings se serrèrent.

Nanase — Plus tôt cette année, le soir du 14 février, je me suis rendue à l’appartement d’Eiichiro-kun. Il faisait de gros efforts, alors j’espérais au moins le faire se sentir un peu mieux, mais…

Même sans en entendre la fin, je savais ce qu’elle allait dire. Que, malgré tous ses efforts, Matsuo Eiichiro avait finalement choisi de renoncer à sa propre vie.

Moi — Si on ne peut plus voir la personne alors on ne pourra jamais dire ce que l’on ressent pour elle. Tu l’as dit toi-même.

Je me suis souvenu de ce qu’elle avait dit lorsqu’elle consolait Ike le deuxième jour de l’examen. Dans son cas, elle était arrivée bien trop tard pour avoir des regrets. Les mots sincères n’ont en effet aucun sens lorsqu’ils sont dits à un cadavre.

Nanase — Je ne savais pas grand-chose de toi ou de ton père à l’époque. En fait, je venais juste d’envoyer ma candidature à un autre lycée quand… cette personne est apparue devant moi.

Moi — Tu veux dire Tsukishiro ?

Nanase — Oui. À l’époque, le directeur par intérim Tsukishiro m’a expliqué pourquoi la vie d’Eiichiro-kun a tourné ainsi. Il a dit que la cause profonde de tout cela était qu’un dénommé Ayanokôji Kiyotaka s’était échappé d’un établissement appelé la White Room en s’inscrivant au lycée d’excellence Kodô Ikusei et qu’il s’était arrangé pour que je m’y inscrive moi-même.

Elle avait donc accepté son offre afin de se venger de la mort de son ami d’enfance.

Nanase — Si je réussissais à te faire expulser, il avait promis de me laisser rencontrer ton père, senpai. À vrai dire, j’allais demander à ton père de s’incliner[1] et de s’excuser auprès d’Eiichiro-kun, mais…

Même si elle parvenait à me faire expulser, il n’y avait aucune chance que cet homme s’incline un jour. Ses mots n’auraient jamais réussi à le toucher, j’en étais certain. À ce stade, j’étais capable de voir la situation dans son ensemble, mais il y avait encore plusieurs zones d’ombre.

Moi — Tsukishiro m’a dit qu’il avait envoyé un élève de la White Room. C’était juste du bluff ?

Nanase — Uhm, qu’est-ce que tu veux dire par là, senpai ? Je ne sais pas vraiment ce qu’est la White Room pour commencer.

Elle n’avait pas l’air de mentir quand elle a dit ça donc il n’y avait que deux explications possibles. La première était que l’exécuteur qu’il avait envoyé n’était pas Nanase, mais quelqu’un de totalement différent, qu’il soit de la White Room ou non.

L’autre était que l’exécuteur dont il avait parlé était en fait Nanase, et qu’il voulait juste me faire croire qu’elle était de la White Room Si c’était la deuxième option, alors il n’y aurait plus personne pour me cibler. Cependant, c’était assez difficile à imaginer.

Nanase était clairement douée, mais ses capacités étaient insuffisantes pour quelqu’un chargé de forcer mon expulsion. Même Tsukishiro aurait dû se rendre compte que ça finirait comme ça.

Nanase — Je savais que tu n’étais pas le seul fautif, Ayanokôji-senpai, mais… je voulais… non, j’avais besoin de quelqu’un sur qui défouler… toute ma colère et ma frustration…

En entendant cela, toutes sortes de choses commencèrent à avoir du sens. Son comportement depuis son arrivée ici mêlait haine et gentillesse à mon égard. Ces actions contradictoires ont eu lieu parce que Nanase elle-même ne croyait pas en ce qu’elle faisait.

Et aujourd’hui, convaincue qu’elle portait la dernière volonté de Matsuo Eiichiro en elle, elle avait tout lâché. Nous étions en haut de la montagne et la pluie qui tombait avait refroidi le sol sous nos pieds, provoquant un épais brouillard qui enveloppait la zone.

Nanase — Je… Je ne sais pas comment je peux encore te faire face, senpai… Je suis tellement, tellement désolée…

Honteuse d’elle-même et de ce qu’elle avait fait, Nanase couvrit son visage de ses mains, incapable de me regarder. Sans dire un mot, j’attendis patiemment qu’elle se calme.

Moi — Tu n’as pas besoin de t’excuser. La colère que tu ressens est parfaitement justifiée.

Cet homme avait commis un crime aussi grave juste pour me ramener, c’était un fait. Un être froid et calculateur qui ne voyait pas les autres comme des êtres humains. Mais, assez ironiquement, c’était aussi une projection de moi-même.

Nanase — J’ai échoué à exécuter les ordres du directeur. Il n’y a plus aucune raison pour moi de rester ici.

Moi — Tu vas laisser tomber ? »

Nanase — C’est le moins que je puisse faire pour expier mes fautes.

Cet homme et moi avons toujours été semblables. Tant que nous pouvions protéger notre existence, peu importait ce qui arrivait aux autres. Et aucun d’entre nous ne croyait en la possibilité de révéler sa vraie nature à des étrangers.

Malgré nos similitudes, il y avait encore une différence essentielle. Tout se résumait à savoir si oui ou non nous choisissions d’écarter les plébéiens qui se trouvaient sur notre passage. C’est-à-dire, si oui ou non nous étions capables de leur tendre la main. C’était quelque chose que cet homme n’aurait jamais fait et c’était la différence fondamentale entre nous.

Ainsi, je tendis lentement la main à Nanase.

Nanase — Senpai… ?

Moi — Si tu es vraiment désolé, alors retire ce que tu viens de dire.

Nanase — Qu’est-ce… que tu veux dire… ?

Moi — Tu n’as pas à avoir honte. Tu as simplement fait de ton mieux pour venger ton ami. Mais il y a une raison pour laquelle je ne peux pas perdre contre toi. Je crois que rester ici dans cette école est le seul moyen que j’ai de m’opposer à cet homme, mon père.

Bien qu’elle ne voulût toujours pas croiser mon regard, elle leva juste assez la tête pour fixer ma paume tendue.

Moi — Si je peux être un peu égoïste, je préférerais ne pas entendre parler de ton départ de l’école. À la place, j’aimerais que tu coopères avec moi. En ce moment même, Tsukishiro est probablement en train de comploter pour utiliser cet examen spécial contre moi. Il veut me faire expulser en guise de cadeau pour mon père. Si ça devait arriver, tous les efforts de Matsuo Eiichiro pour me faire entrer dans ce lycée n’auraient servi à rien.

Nanase — Tu veux dire que… j’aurais dû faire le contraire pendant tout ce temps ?

Moi — Peux-tu me prêter ta main ?

Sa main délicate et douce prit la mienne. Bien que sa main fût froide à cause de la pluie, il y avait toujours un soupçon de chaleur à l’intérieur.

Nanase, dont la tête était baissée depuis un moment finit par me regarder dans les yeux.

Qu’elle puisse réellement m’aider ou non n’était pas le souci.

Le plus important était que je fasse bon usage d’elle même si je finissais par ne l’utiliser qu’une fois et la jeter.

Moi — Tu vas attraper froid si tu restes sous la pluie trop longtemps. Partons d’ici.

Nanase — …Oui.



[1] S’incliner avec un angle de 45° au Japon en regardant les pieds vers le bas est synonyme d’excuses formelles ou de demande de faveurs.

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